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ranx:nous_autres_ca_compte_pas [2013/07/30 11:42] – sebastien | ranx:nous_autres_ca_compte_pas [2018/02/15 13:57] (Version actuelle) – modification externe 127.0.0.1 |
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**Résumé de l’œuvre :** | **Résumé de l’œuvre :** |
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Un jour, un auteur attelé à l'écriture de son roman reçoit la visite d'un homme âgé qui demande à le regarder écrire. Cet homme âgé reviendra jour après jour pour contempler un écrivain banal en plein acte de création anti-spectaculaire et finira par devenir le premier lecteur du manuscrit et un critique sévère.\\ | Un jour, un auteur attelé à l'écriture de son roman reçoit la visite d'un homme âgé qui demande à le regarder écrire. Cet homme âgé reviendra jour après jour pour contempler un écrivain banal en plein acte de création anti-spectaculaire et finira par devenir le premier lecteur du manuscrit et un critique sévère. |
Le roman que le personnage écrivain écrit, maintenant. Il s'agit de la chronique de deux personnages misanthropes, Arsène et Mitia (qui ressemble en plusieurs points aux personnages de //L'hiver de force// de Ducharme) qui décident de quitter la ville (quartier Saint-Roch, à Québec) pour aller se cloîtrer dans un chalet isolé en Mauricie (dans les environs de Saint-Paulin, pour les familiers du coin). Ils vivent tous les deux de l'aide sociale et n'ont pas de voiture, ce qui, étant donnée la localisation de leur chalet, complique passablement leur vie quotidienne: ils doivent marcher cinq kilomètres dans la forêt pour aller prendre une bière à Saint-Paulin ou faire un tour à l'épicerie la plus proche. Le récit est narré par Arsène (personnage féminin, faut-il le préciser, tandis que Mitia est un gars) à la première personne. Deux éléments viennent perturber leurs ambitions de retraite | |
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**Thème(s) :** personnages, êtres immatériels, | Le roman que le personnage écrivain écrit, maintenant. Il s'agit de la chronique de deux personnages misanthropes, Arsène et Mitia (qui ressemble en plusieurs points aux personnages de //L'hiver de force// de Ducharme) qui décident de quitter la ville (quartier Saint-Roch, à Québec) pour aller se cloîtrer dans un chalet isolé en Mauricie (dans les environs de Saint-Paulin, pour les familiers du coin). Ils vivent tous les deux de l'aide sociale et n'ont pas de voiture, ce qui, étant donnée la localisation de leur chalet, complique passablement leur vie quotidienne: ils doivent en effet marcher cinq kilomètres à travers la forêt pour aller prendre une bière à Saint-Paulin ou faire un tour à l'épicerie la plus proche. Le récit est narré par Arsène (personnage féminin, faut-il le préciser, tandis que Mitia est un gars) à la première personne. Deux éléments viennent quelque peu perturber les ambitions de retraite des deux personnages. Premièrement, leur chalet est reconnu dans la région pour être //officiellement// hanté. Une histoire d'enfant mort qu'Arsène tentera d'éclaircir grâce à diverses techniques hautement rationnelles telles qu'une fructueuse séance de Ouija avec Jacinthe. Deuxièmement, Jacinthe. C'est que, de l'autre côté du petit lac où est situé le chalet d'Arsène et Mitia se trouve un autre chalet, occupé pendant l'été par une famille de Montréal (ou Laval, je ne me souviens plus). Fille unique à tendance emo, Jacinthe, 14 ans, s'attache à Mitia et Arsène et vit diverses "aventures" avec eux jusqu'à ce qu'on apprenne qu'elle n'était qu'un autre personnage inventé par Arsène et Mitia, une entité qu'ils avaient créé pour leur tenir compagnie, comme Pascal, leur défouloir, qui conduit une Honda Civic rouge avec un sticker Radio X sur le pare-brise et qui regarde les courses de motocross dans la bouette à RDS. |
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| Finalement, après la terrible révélation (Jacinthe a été inventée par les deux autres personnages), Arsène et Mitia réalisent que leurs tulpas ("tulpa: notion bouddhiste, entité magique née des efforts de la volonté") leur font plus de tort que de bien, l'un d'eux suggère de déclarer persona non grata toutes les créatures imaginaires, sauf que : "ça veut dire qu'un de nous deux est de trop ici. - Non, voyons... nous autres ça compte pas." Cet imbroglio prendra fin au dernier chapitre alors qu'un brouillage pronominal confirme la disparition pure et simple d'un (ou du) personnage: « Je reste planté sur le trottoir un long moment puis, après avoir arbitrairement décidé d’un itinéraire, Mitia se met à marcher sur Saint-Joseph. Tout seul. » (178) |
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| **Thème(s) :** personnages, êtres immatériels, écriture. |
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==== III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION ==== | ==== III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION ==== |
=== Validation du cas au point de vue de la rupture === | === Validation du cas au point de vue de la rupture === |
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** a) actionnelle :** Remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc. | ** a) actionnelle :** |
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| Comme dans d'autres romans de François Blais (//Iphigénie en Haute-Ville//, //La nuit des morts-vivants//, //Document 1//, les personnages principaux sont un couple de misanthropes qui rechignent à la moindre pensée d'un effort lorsqu'il n'y a pas une bière ou un jeu vidéo à la clé. On s'en doute, l'intrigue du roman est assez mince (ce qui n'empêche pas quelques rebondissements ; j'imagine qu'on peut parler d'un exploit) et les deux personnages sont parfaitement conscients que leur médiocrité les place en-deçà ou en marge de la plupart des personnages romanesques canoniques. Ils attribuent leur déficience à un manque flagrant d'intention, de motivation et de particularité(s):\\ |
| « Je pourrais te dresser une liste longue comme le bras de personnages de romans à qui il n'arrive rien ou pas grand-chose et qui pourtant on des destins passionnants, eux, grâce à ce point en commun qui les sauve de l’insignifiance : ils aspirent à quelque chose. Leur vie est vide, oui, mais ils se démènent pour la remplir, et pas avec n'importe quoi, pas avec la même chose que le voisin, la remplir avec du grand et du beau ou sinon rien. Nous autres on n'en est pas là. […] Pas de tragédie, pas de douleurs insoutenables, rien qui prête au lyrisme. Tu comprends à mesure que je t'explique ? On ne s'est pas fait crisser là par Marie-Hélène, ni par Nora Naurapas, on n'attend pas Mamie, on ne veut pas que la Toune nous appelle, on ne s'est pas prostitués pendant cinq ans, on ne sent pas coupables d'avoir assassiné une vieille usurière, on n'espère pas une invitation à dîner chez la duchesse de Guermantes, on ne se prend pas pour Amadis de Gaule, on n'a pas d'anneau maléfique à détruire, on ne veut pas se suicider pour les beaux yeux de Charlotte, on ne veut pas émigrer en Californie dans un vieux camion, on ne veut pas se promener dans Dublin en pensant aux rognons qu'on a mangés au petit déjeuner. Rien de tout ça. On est middle of the road en hostie, mine de rien, épeurants de médiocrité. Tu vas voir. T'auras pas le choix, anyway. » (21) |
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** b) interprétative :** Difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc. | ** b) interprétative :** Difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc. |
| Arsène et Mitia n'ont pas à proprement parler de difficulté à interpréter ce qui les entoure. Leur "problème" interprétatif réside surtout dans la sorte d'indifférence qu'ils opposent au monde et qui se traduit par une mise à l'écart (la retraite au chalet est d'ailleurs le prolongement de cette indifférence). |
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| « Mitia et moi, on est pas mal à côté de la track. Au début on n'était pas certains, on s'éloignait à petits pas, en faisant bien attention comme quand on marche sur une croûte de neige puis, quand on se rendait compte qu'on était assez loin, que plus loin c'était le point de non-retour, on revenait en courant. On s'éloignait mais on ne perdait jamais tout à fait la track de vue, puis un jour on s'est dit fuck et maintenant on est rendus si loin de la track qu'on n'entend même plus passer le train. » (19) |
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| « Avant, je l'avoue, on était juste des révoltés ordinaires, insurgés en permanence, toujours dressés sur nos ergots. On disait, en gros : « Le monde est bête et méchant cela nous fait bien chier », et puis à un moment donné, on a eu un flash : on a trouvé que s'inscrire en faux contre quelque chose, c'est accorder de l'importance à cette chose et que le monde ne méritait pas tant d'égards. Le monde est bête et méchant ? BFD. (BFD = Big Fucking Deal = peu nous chaut.) La société est pourrite ? Grand bien lui fasse, on a d'autres chats à fouetter. En fait, non on n'a même pas d'autres chats à fouetter mais on veut rien savoir quand même. » (40) |
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==== V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES ==== | ==== V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES ==== |
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Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.) | Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.) |
| Comme je l'ai expliqué dans le résumé, Arsène et Mitia ont eux-mêmes inventé d'autres personnages, au moins Pascal et Jacinthe, leurs tulpas, afin d'agrémenter leur retraite. Dans l'ensemble du roman, on a donc des personnages (tulpas, fantômes et autres du même acabit) inventés par des personnages (Arsène et Mitia) inventés par un personnage (l'auteur fictif). Ou bien, une variante: des personnages inventés par deux personnages dont un (Mitia) invente l'autre (Arsène) et est lui-même (Mitia) inventé par un autre personnage (l'auteur fictif). Héhé! |
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| Ainsi, lorsque l'auteur fictif décrit son roman à l'homme âgé (son futur lecteur) qui le regarde, il dit : « seule la fille compte, l'autre n'est qu'un faire-valoir... En fait le garçon n'est pas vraiment un personnage, plutôt une projection de moi-même. Il n'est là que pour renvoyer la balle à Arsène – c'est le nom de la fille –, mais elle pourrait tout aussi bien jouer à la balle au mur. » (80) Voir aussi "Explication du choix". |
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| D'autres extraits concernant cette porosité/transparence des personnages: |
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| « nous autres ça compte pas, nous autres en tant que moins que rien ce n'est qu'une fois ensemble, un coup additionnés, qu'on peut prétendre former une entité – deux négatifs égalent un positif, cherche pas à comprendre : c'est des mathématiques de haute volée. Quand on se parle entre nous autres c'est comme quand les autres se parlent à eux-mêmes. » (15-16) |
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| ==== VI - Autres ==== |
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| Avant-propos : « Au cours du vingtième siècle, des théoriciens de diverses allégeances ont tour à tour annoncé la mort du personnage, de l'intrigue, des descriptions, et même de l'auteur dans le roman moderne. Plus récemment, les prophètes des nouvelles technologies ont prédit la disparition prochaine du livre en tant qu'objet. Un roman, de nos jours, devrait donc être une chose dépourvue de personnages, d'intrigue, de descriptions, d'auteur et de support matériel. » (9) |
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| « Arsène, tu te rends-tu compte qu'on est persona non grata au Dauphin et au Maurice, on est honnis à la fois par la lie et par la crème, les deux extrémités de l'échelle sociale s'entendent pour nous trouver de trop. Sacrement ! On est condamnés à la médiocrité, forcés de rouler au milieu du peloton. »(30) |
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| Malgré qu'Arsène et Mitia semblent se foutre un peu de tout, ils ne peuvent s'empêcher, à leur grand dam, de se soucier de ce que les gens pensent d'eux. Par exemple, Arsène dit à son compagnon: |
| « on a beau se calicer de cette Jacinthe-là le plus qu'on peut se calicer de quelqu'un, pendant tout le temps qu'elle était là on ne pouvait pas 'empêcher de s'inquiéter de l'impression qu'on lui faisait. Avoue. » (115-116) |