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ranx:millefeuille

Notice bibliographique : KAPLAN, Leslie, Millefeuille, Paris, P.O.L., 2012.

Résumé de l’œuvre :

Jean-Pierre Millefeuille habite Paris. C'est un vieil homme, veuf, professeur de littérature à la retraite. Depuis la mort de sa femme, Millefeuille se sent seul. Toujours guetté par l'ennui, il aime aller au marché, relire Shakespeare, travailler sur ses articles en cours, et recevoir des visiteurs à l'improviste. Toujours ouvert à la discussion, en apparence intéressé aux autres et à leurs idées, Jean-Pierre Millefeuille est en fait profondément indifférent à ceux qui l'entourent. Son rapport aux jeunes est particulièrement trouble : bien qu'il recherche leur compagnie, leur présence fait naître chez Millefeuille un étrange mélange d'envie, de frustration et d'agacement. C'est ce qui détériore d'abord sa relation avec son fils, puis avec Léo et sa copine Zoé. Il en va de même avec Loïc, un jeune délinquant qui va directement vers l’abîme. Millefeuille se met en tête de l'aider à trouver un emploi, malgré les réticences du jeune homme. Or, le jour du rendez-vous qui devrait fixer le destin de Loïc, Millefeuille décide de ne pas se présenter, ne voulant pas arrêter se travailler sur un article. Peu après, le vieil homme apprend la mort de Loïc durant un braquage. Le caractère déjà changeant de Millefeuille se dégrade encore un peu plus suite à cet incident. Vulnérable, cynique, frustré, contradictoire, Millefeuille se sent vieillir, et voit la mort venir de plus en plus vite.

Narration : Majoritairement hétérodiégétique

Explication : La focalisation et la « source » de la narration sont changeants. Le tout premier chapitre est raconté par une amie de Millefeuille, qui fait le récit de leur rencontre. Cette narratrice réapparaît explicitement à quelques reprises plus tard dans le roman (p. 39, 100, 189), mais on sent bien qu'un narrateur extérieur prend le relai à un certain moment - ne serait-ce que par l'impossibilité pour la narratrice de connaître le contenu des rêves de Millefeuille, par exemple. De plus, le « je » témoignant de la présence de la narratrice disparaît assez rapidement. La narration est alors à la 3e personne, à focalisation interne. La narration est d'ailleurs assez détachée du personnage et des évènements. Souvent le protagoniste est appelé par son nom entier, Jean-Pierre Millefeuille, ou son nom de famille uniquement. Le récit des journées du vieil homme est très méthodique : la majorité des chapitres débute avec le réveil de Millefeuille, et se termine avec son coucher. Entre les deux se déroulent toujours les mêmes évènements : visite au Monoprix, arrêt au bistrot, coups de téléphone à des amis, etc. Ce découpage presque systématique du texte fait ressortir la monotonie de la vie du personnage.

Les pensées de Millefeuille, ses questionnements, sont quant à eux à la première personne et insérés sans marque typographique dans le texte.

Personnage(s) en rupture : Jean-Pierre Millefeuille

(Joseph, un fou, ancien ami de Millefeuille, semble être une sorte de double exagéré, ou de présage de la folie qui guette Jean-Pierre; sans grande substance, ce personnage, surgit assez soudainement à quelques reprises, et ses propos mêlent une extrême lucidité et une folie certaine. L'état de son ancien camarade préoccupe beaucoup Millefeuille, qui a peur de se reconnaître dans le clochard : (Millefeuille est seul chez lui après une rencontre avec Joseph) « Qu'est-ce qu'il vient m'emmerder, oui, je dis bien, m'emmerder, Millefeuille était devant la fenêtre ouverte, il se retenait pour ne pas crier, il m'emmerde avec son poisson, son écharpe, son manteau, ce manteau, mais il est répugnant, ce manteau, comment il peut porter un manteau pareil, c'est pas un manteau, c'est une loque, un chiffon, il part en morceaux, ce manteau, c'est Joseph qui part en morceaux.

Moi je ne veux pas partir en morceaux, je ne veux pas partir, il m'emmerde, je le dis bien haut et fort, Millefeuille gesticulait, tu m'entends Joseph, tu m'emmerdes. Je ne veux plus rien savoir de toi Joseph, je te préviens, ne viens plus m'emmerder. […] Joseph, je ne veux plus rien avoir à faire avec toi. Il a ce regard ironique, mais ironie de quoi, je vous le demande, il me juge, il me nargue, quand je pense que je t'ai connu, à quel âge on s'est connus, on était encore des enfants, ou presque. Mon vieux camarade Joseph. Quel gâchis, dit Millefeuille en serrant les poings. » (p. 97-98)

A) Nature de la rupture : interprétative

Explication : la rupture interprétative est double : Millefeuille se « regarde » agir et comprend de moins en moins ce qui fait, ce qu'il dit, ce qu'il ressent, et pourquoi. Les gens et les évènements lui inspirent des sentiments et des idées imprévisibles, voire contradictoires - les jeunes, par exemple, auxquels il s'intéresse (sincèrement? peut-être pas. Son intérêt pour beaucoup de choses semble n'être que le prolongement de sa posture d'intellectuel) lui inspirent une frustration, un malaise qu'il ne comprend pas, mais qui le submergent. Millefeuille est en quelque sorte détaché de lui-même.

Le caractère changeant de Millefeuille altère sa relation au autres, qui sont à leur tour incapables de comprendre ses gestes et ses propos. La dernière scène du roman (p.250-253) montre bien ce phénomène : le roman se clôt sur un monologue décousu de Millefeuille, qui parle à Léo de mort, de pharaons et des rois de Shakespeare. Sidéré, le jeune homme quitte l'appartement, laissant le vieil homme parler tout seul.

B) Origine de la rupture : psychique

Explication : à mon sens, le roman illustre les effets de la solitude et de la vieillesse sur le personnage, qui glisse lentement, sans autre raison apparente, dans une sorte de folie.

C) Manifestations : Verbales, cognitives et émotives

Explication :

Verbales : Millefeuille parle tout seul, en public et en privé, s'emporte même parfois dans des discours qu'il trouve lui-même excessifs ou étranges. Il s'arrête à de nombreuses reprises dans le roman et se demande pourquoi il a dit, ou fait, ou pensé, telle ou telle chose.

Exemple : p. 82-83 : « Il se préparait à se brosser les dents quand il se souvint d'une scène dans un film de François Truffaut, Jean-Pierre Léaut devant un miroir, et il se mit à répéter sur tous les tons possibles, Jean-Pierre Millefeuille, Jean-Pierre Millefeuille, Jean-Pierre Millefeuille, vite, vite, vite, ensuite lentement, de nouveau accéléré, fort, doux, chuchotement, murmure, de nouveau très fort. […] Je deviens fou, se dit Millefeuille, ça va pas la tête. »

Cognitives : dans certains passages, Millefeuille est un peu confus, lançant dans la conversation des citations de Shakespeare qui semblent sorties de nulle part, ou faisant des rapprochements étranges.

Émotives : Le personnage a de nombreuses sautes d'humeur inexpliquées; son humeur change rapidement et fréquemment, et de façon inattendue : certaines choses qui devrait le réjouir (une visite par exemple) peut le contrarier au plus haut point.

D) Objets : dégradation de la pensée et de l'affect du personnage

Explication : Millefeuille semble perdre le contrôle de lui-même, sombre peut-être même dans la folie.

E) Manifestations spatiales :

Lieux représentés : L'appartement de Millefeuille et son quartier à Paris, quelques lieux publics (le Monoprix, la gare, un café, etc.), une plage en Normandie.

Explication : La précision avec laquelle les lieux sont désignés indique que le personnage les connaît bien, et depuis longtemps. Les habitudes bien établies de Millefeuille le poussent à revisiter presque quotidiennement ces mêmes lieux. On note aussi une différence d'attitude du personnage s'il est chez lui ou à l'extérieur; généralement, son humeur se dégrade lorsqu'il est seul chez lui, ou,à l'inverse, s'il est forcé de sortir…

F) Citations pertinentes :

p. 250-251 : « Je n'ai rien à dire, rien à déclarer.

Ce qui est difficile… je ne sais pas ce qui est difficile.

Je dors mal, très mal, je ne suis jamais reposé.

On s'en fout.

On s'en fout des fous, celle-là elle est bien bonne.

Bien bonne, quelle drôle d'expression.

C'est intéressant, c'est très intéressant.

Mais voilà je suis… dédoublé.

Pourquoi je dis ça? parce que.

Parce que je suis dédoublé.

Tout le monde est dédoublé.

C'est intéressant. »

ranx/millefeuille.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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