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ranx:lacrimosa
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Régis Jauffret

Titre : Lacrimosa

Éditeur : Gallimard

Collection : Blanche

Année : 2008

Éditions ultérieures : Folio (2010) *édition citée

Désignation générique : Roman

Cote :

Quatrième de couverture :

« Je vous l’accorde, la vie est un interminable dimanche. Où l’on s’ennuie, où l’on s’écorche les genoux aux rochers, où l’on se chamaille pour une pelle, une bouée, pour un seau, où l’on s’entre-tue, où l’on s’amuse à s’embrasser, où l’on construit des châteaux de sable en tournant le dos à la marée. Mais, j’imagine qu’à la fin de la journée. En fermant les yeux, on doit se dire. Que c’est un merveilleux souvenir.»

II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :

Incipit : « Chère Charlotte, vous êtes morte sur un coup de tête d’une longue maladie. Le suicide a déferlé dans votre cerveau comme une marée noire, et vous vous êtes pendue. » (p.9) Le roman alterne les lettres adressées à une « Chère Charlotte » que le destinataire vouvoie et celles adressées à « Mon pauvre amour » (on tutoie) depuis la tombe. Alors que le premier, innommé, que l’on appellera narrateur (puisque certaines indications laissent croire que le « je » qui écrit à Charlotte se répond lui-même), commence par recréer le suicide de Charlotte (un pseudonyme qu’ « elle » lui reprochera) comme une aventure épique et absurde (mélange Vian et Ionesco) où elle-même et sa famille semblent des personnages tragiquement comiques et déphasés, où les objets se font vivants et où il serait possible de la faire revenir à la vie. Les lettres de Charlotte attaquent et ridiculisent ces tentatives de sublimer la mort par la fiction et reprochent au narrateur de la trahir, de ne pas l’avoir aimée, de se servir d’elle. Elle lui rappelle aussi un voyage qu’ils ont fait ensemble. À partir de ce moment, le narrateur se fera plus « honnête » (mais peut-on vraiment parler d’honnêteté dans un roman comme celui-là ?), racontant plus classiquement des épisodes de leur vie ensemble et de ce qu’elle vivait au travail et avec un autre homme. Les lettres de Charlotte le ramènent souvent à l’ordre lorsqu’il persiste à modifier des événements ou à ajouter des détails « romanesques ».

On y apprend globalement comment elle vivait une relation difficile avec un homme qu’elle trompait avec le narrateur, qu’elle luttait depuis toujours contre la dépression, que le narrateur et elle on fait un voyage ensemble que le narrateur transforme par la fiction, qu’elle détestait le mensonge de son travail à la radio, que le narrateur et elle se sont rencontrés au Salon du livre et que c’est lors d’un autre événement littéraire, deux ans plus tard, qu’il apprendra son suicide par pendaison (spectre de l’autofiction ici). Le travail fictionnel permet au narrateur, par la voix recréée de Charlotte, d’interroger et de critiquer le travail de l’écrivain et le pouvoir de la fiction. C’est aussi l’histoire d’un amour manqué.

Thèmes :

Dépression, deuil, amour (difficulté d’aimer, de reconnaître l’amour), l’imperméabilité des autres (leur illisibilité ?), le mensonge, plus généralement la fidélité dans toutes ses nuances et aussi, beaucoup, le rôle ou la responsabilité de l’écrivain et de la fiction en général

III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix :

Je ne suis pas sûre que ce roman entre tout à fait dans notre cadre tel qu’il est pour l’instant. Si c’est le cas, c’est de façon indirecte : j’imagine que la forme épistolaire suppose une immobilité, un présent toujours absent (on ne sait où et quand écrit l’homme, sa correspondante serait dans un autre-monde indéterminé) où on revient sur un passé perdu ou transformé, sublimé par la distance temporelle (relaté dans les lettres). Et puis, la correspondante, cette « chère Charlotte » suicidée à qui il écrit et qui lui « répond » depuis la tombe serait en fait une projection du narrateur-écrivain, une construction fantasmée fortement teintée de sa propre culpabilité et d’auto-flagellation… On est dans l’interprétatif aussi, le narrateur recréant et modifiant les mois et les semaines qui ont mené au geste (le dernier et qui est pourtant le fondateur du récit) de son amante, temps qui relu après coup prend bien sûr une autre signification. Parce que les lettres échangées témoignent bien d’intentions et d’actions chez les deux anciens amants ; il y pourtant rupture, reste à savoir où exactement.

Appréciation globale :

Insupportable au début, puis très juste dans la personnification du mal-être et très triste. C’est finalement beau. Ce qui semblait ridicule et agaçant d’absurdité au début (drôle aussi peut-être) se lit finalement comme une tentative d’évoquer le drame en s’en protégeant. Et le passage mis en quatrième est magnifique.

V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.)

Le narrateur n’est bien sûr pas fiable du tout ; il revient sur ce qu’il a déjà dit et le modifie, admet travestir la réalité. Les « deux » narrateurs (l’auteur des lettres à Charlotte et cette dernière) n’en forment finalement qu’un seul. Charlotte aussi se rebiffe et critique ce que l’ « auteur » lui fait dire presque au fur et à mesure. Le texte procède donc par mise en abyme et progresse vers un certain réalisme par rapport à l’imagerie débordante des premières lettres.

Le narrateur vouvoie Charlotte, ce dont elle se moque : « Il paraît aussi que maintenant tu me vouvoies comme une passante. Je suis devenue si lointaine ? » (p.29). On peut peut-être y lire une mise à distance (pour se protéger, prendre des libertés ?), une marque de respect. Cela donne aussi un air officiel au récit du narrateur : c’est lui qui prend en charge le récit de la mort de Charlotte, qui raconte ses pensées, ses gestes. Vous avez fait ceci, vous avez fait cela… le vouvoiement est peut-être respectueux, mais dans ce cas c’est aussi une forme de pouvoir qui s’exerce de la part du narrateur sur Charlotte, parce qu’il contribue à rendre son discours à lui officiel.

« Charlotte » le tutoie au contraire. En l’appelant « mon pauvre amour », elle se l’approprie également. Le « tu » est à la fois accusateur et intime de la part de l’amante morte qui parle à celui qui l’a mal aimée et qui maintenant travestie son souvenir. C’est aussi le « tu » d’un narrateur-écrivain qui se parle à lui-même à travers le personnage de Charlotte. Une conscience tutoie alors bien évidemment son propriétaire.

ranx/lacrimosa.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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