I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Sébastien Brebel
Titre : La baie vitrée
Éditeur : P.O.L.
Année : 2013
Désignation générique : Recueil de nouvelles
Quatrième de couverture : «Je regarde.»
II- CONTENU GÉNÉRAL
La baie vitrée, résumé de l’œuvre : Une vieille femme erre dans son appartement. Elle se plait à observer le monde par la baie vitrée de son appartement laissé à l’abandon. Puis, un coup de téléphone la convie à un enterrement.
Thème(s) : Vieillesse, désœuvrement, bonheur de la solitude et de l’oubli.
Le lien, résumé de l’œuvre : Un homme est amoureux d’une femme méchante qui l’utilise pour se sentir belle, intéressante. Elle le méprise, refuse ses avances et le rend malheureux, passe parfois des années sans le voir, mais il est incapable de se détacher d’elle, complètement envoûté.
Thème(s) : Amour malsain, possession de l’autre, refus de la vieillesse, narcissisme.
Métamorphose, résumé de l’œuvre : Le narrateur s’entiche étrangement d’une jeune femme désœuvrée qu’il prend sous son aile et installe dans son appartement. Elle ne sort jamais de l’appartement, ne fait aucune tâche ménagère, agit comme une enfant effarouchée, accepte de se plier aux volontés sexuelles de son hôte sans jamais lui donner un signe d’affection. Finalement, le narrateur trouve cette situation insupportable et projette de se suicider. Il imagine qu’elle ne se rendra pas compte de son absence, épuisera les réserves de nourriture en regardant la télé et se changera en énorme lapine blanche, prisonnière d’une cage.
Thème(s) : Désir improbable, amour malsain, désœuvrement profond.
Antonia, résumé de l’œuvre : Une jeune femme de vingt-six ans vit avec sa mère malade et despotique dans un appartement qu’elle ne quitte que pour faire l’épicerie. Elle rend également visite au narrateur. Le texte présente le moment où elle met fin à leur relation.
Thème(s) : Relation de contrôle mère-fille, sous-alimentation, enfermement volontaire.
Retard, résumé de l’œuvre : Une jeune femme erre dans les rues, habillée d’une robe rouge. Ayant peur de retourner dans son appartement, elle dort dans une voiture parquée dans une ruelle et se fait agresser sexuellement au matin par le propriétaire. Puis, elle prend le train. Il s’arrête en pleine course, les passagers sont mécontents. Elle imagine qu’ils seront battus et intoxiqués. Elle sort du train et marche pieds nus sur la voie ferrée.
Thème(s) : désœuvrement, fabulations apocalyptiques, se déserter soi-même.
Dimanche après-midi, résumé de l’œuvre : Une jeune femme habite seule, n’a ni proches ni activités significatives. Elle se promène longuement sur la place. Assise en public, quelqu’un lui parle, mais elle n’écoute pas, obnubilée par les mains d’un jeune homme qui bougent frénétiquement.
Thème(s) : désœuvrement, coupure du monde.
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : La première nouvelle (Contradiction) met en scène un narrateur qui s’approche un peu du personnage déconnecté sans être vraiment pertinent à analyser. Par contre, dès les premières lignes de la deuxième nouvelle (La baie vitrée), la vieille femme est complètement déconnectée.
Appréciation globale : La plupart des nouvelles sont intéressantes et chacune laisse sa propre impression particulière. Le recueil aurait tout aussi pu s’appeler Femmes errantes et désœuvrées.
Note : je ne ferai le portrait que des nouvelles pertinentes pour le projet.
IV – TYPE DE RUPTURE
La baie vitrée
A) Rupture actionnelle : Le personnage n’agit plus. Désœuvrée, elle erre sans but. Mais cette vieille femme n’adhère pas au stéréotype du vieillard malheureux et délaissé : elle semble se satisfaire de sa situation. Et même, son existence est douce. Son habitation est laissée à l’abandon : elle ne fait pas de ménage. Il semble qu’elle ne sorte jamais de chez elle et que le monde extérieur la rende anxieuse.
«Elle ne s’ennuie jamais, bien qu’elle n’ait jamais l’impression d’être occupée ou concentrée à quelque chose. Elle n’entretient pas la maison, néglige les tâches ménagères.» (p.16)
B) Rupture interprétative : Elle ne se rappelle presque plus de sa vie passée. Ses propres enfants lui apparaissent flous et étrangers (elle ne se souvient plus de son troisième enfant). Vivant dans un monde imaginaire, elle se maquille parfois, prétextant un rendez-vous qu’elle invente. Elle voit le monde extérieur par la baie vitrée, comme si elle était dans un aquarium. Elle ne se souvient même plus de son prénom.
«Elle se souvient d’une époque où il y avait un jardin au-delà de la terrasse, sans pouvoir se remémorer la forme exacte, ni la végétation qui y poussait, ni rien se rappeler des moments qu’elle a pu y passer.» (p.17)
Le lien
A) Rupture actionnelle : le personnage est incapable de se départir de cette femme de qui il est éperdument amoureux, tout en sachant qu’elle est la cause de son malheur. Elle entretient ce lien malsain si habilement qu’il est incapable de s’imaginer une autre existence, une autre relation, que celle-ci. Il n’a aucun pouvoir sur lui-même. Elle est despotique et envoûtante. Lorsqu’il n’est pas avec elle, il est désœuvré et malheureux. De plus, le narrateur ne parle que d’elle et s’efface au profit de son narcissisme.
« Il sent qu’il n’y a pas de limite à ce qu’elle peut exiger de lui et qu’il serait prêt à n’importe quoi pour l’amadouer.» (p. 27)
«Lorsqu’elle perçoit ses premiers signes de lassitude, elle ralentit ses phrases et parle d’une voix mouillée, et il se met à ressentir la tiédeur tentaculaire d’un piège qui se resserre lentement autour de lui.» (p.30)
«Il a du mal à se former d’elle une image précise, à penser qu’il l’a rencontrée, qu’elle pourrait disparaître de sa vie.» (p.32)
Métamorphose
A) Rupture actionnelle : Le personnage féminin est profondément errant. Il semble qu’elle n’ait aucune résistance par rapport au monde et ses propositions, mais elle ne s’y intègre pas non plus. Les tâches ménagères, les relations sociales et le savoir-vivre sont des choses dont elle n’est pas compétente ou qui ne l’intéressent pas. À côté de l’existence, elle semble souvent mue par des considérations physiques et mécaniques, et n’a pas de désir profond. De plus, elle est changeante et étrange, assez pour déstabiliser le narrateur.
«Elle se tait, elle ne réclame rien. Elle aurait pu se trouver n’importe où ailleurs, […] il y aurait toujours entre elle et les autres cette distance irréfutable.» (p. 36-37)
«Elle se rêve richissime héritière allongée sur une chaise longue, au bord d’une piscine, privée de l’usage de ses bras et de ses jambes, alimentée par un cathéter.» (p.38)
«On ne saura jamais qui elle était vraiment. On se demandera si elle a jamais été accessible aux sentiments humains.» (p.39)
«Ses origines me sont inconnues, la cause de ses agissements m’échappe et je soupçonne qu’elle ne m’a pas dit son vrai nom.» (p.46)
Antonia
A) Rupture actionnelle : Le personnage d’Antonia est en quelque sorte prisonnière de l’enfermement maternel. De plus, elle a de la difficulté à agir normalement en société. Sa façon d’agir sur le monde est assez nulle. Le narrateur la dit être absente d’elle-même.
«Elle s’alimente au compte-gouttes et il lui arrive parfois d’oublier de manger sans ressentir la faim comme si elle avait définitivement pris congé de son corps. Elle est souvent tentée de sortir, mais elle est prise de panique dès qu’elle se retrouve seule dans un lieu public. Il n’y a pas d’étonnement chez elle, non plus de place pour l’ironie, et elle ignore les mille formalités qui grouillent sous chaque acte et donnent sens aux relations humaines les plus ordinaires. Il ne lui a jamais paru naturel d’évoluer en ce monde si peu fait pour elle qu’elle doute avoir jamais su faire le bon usage de ses bras, de ses jambes et de ses mains.» (p.48)
B) Rupture interprétative : N’ayant aucune vie en-dehors de l’appartement et de sa mère malade, elle vit pourtant une multitude de choses de façon fantasmatique, ce qui crée un contraste entre ses perceptions et la réalité.
«Sa pensée se fait et se défait au gré des sensations fugaces qui fusent en elle et la téléportent aux limites de l’univers.» (p.52)
Retard
A) Rupture actionnelle : Le personnage rejette les points d’ancrage (son appartement, par exemple) pour échapper à une peur inexpliquée. Elle déambule dans le monde de façon assez fantomatique, sans but. Elle rejette les autres, jusqu’à en préférer l’inconfort. Il s’agit d’une tentative passive de fuir quelque chose d’indéfini.
«Elle n’a pas de projet d’avenir, et depuis quelques jours elle ne cherche plus à se faire illusion en jouant avec ses souvenirs. Elle ne donne plus signe de vie et elle est prête à dormir sous les ponts, préférant la compagnie indolore de son corps à la présence envahissante d’autrui.» (p.91)
B) Rupture interprétative : La jeune femme de qui il est question dans cette nouvelle refuse non seulement les lieux et la société, mais aussi ses souvenirs. Il s’agit d’une errance sur tous les points.
«Elle a enfermé ses souvenirs dans des conteneurs étanches, embarqués sur des cargos en partance pour nulle part.» (p.95)
Dimanche après-midi
A) Rupture actionnelle : La jeune femme refuse que les autres n’entrent dans sa vie. Les seules relations humaines qu’elle entretient sont des séances de sexe avec des inconnus, à qui elle n’accorde qu’une ou deux heures. Les fondements de la vie en société lui échappe, elle n’est contemporaine de personne. Elle n’a aucune ambition. Elle est oisive et fantomatique.
«Depuis toujours, elle donne l’impression de ne pas faire partie du monde contemporain.» (p.139)
«Elle n’a pas d’ambition sociale et se montre imprécise en tout » (p.140).
« Elle se revoit dans différentes attitudes, la plupart dénotant l’impossibilité pour elle d’atteindre la réalité par les gestes que tous exécutent si naturellement depuis l’aube des temps. » (p.142)
B) Rupture interprétative : Le personnage se rappelle de son passé de manière excessivement floue. De plus, elle ne s’interroge pas sur elle-même ou sur quoi que ce soit d’autre, laissant au monde son caractère sibyllin, s’y complaisant, même.
«[E]lle ne prétendrait pas savoir qui elle est ni où elle va et ne ferait pas d’effort pour donner à sa pensée des contours nets » (p.138).
« [E]t le sentiment de son inaptitude à comprendre ce qu’on attend d’elle l’épuise. » (p.140)
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
La baie vitrée : narrateur extradiégétique en symbiose avec le protagoniste. On voit le monde par les yeux de la vieille femme et le fait qu’elle soit prise en charge par la narration renforce le sentiment de détachement au monde. Les souvenirs sont confus : nous sommes au présent, nulle part ailleurs.
Le lien : narrateur autodiégétique qui, pour parler de lui-même, parle d’un autre personnage, de qui il se sent le sujet, le prisonnier. Il est le témoin de sa vie à elle.
Métamorphose : narrateur diégétique. Ce dernier est effacé au profit de la femme étrange et inaccessible qu’il désire et dont il est témoin des agissements incompréhensibles. Cette étrangeté se transforme en quelque chose de surréaliste lorsqu’elle se métamorphose en lapin, à la fin.
Antonia : Le narrateur est diégétique, effacé au profit d’Antonia, celle de qui il est question et par qui le monde est entrevu de manière problématique.
Retard : narrateur extradiégétique. Ce qui est raconté pose problème, car on ne sait jamais si ce sont les pensées fantasmées du personnage qui sont décrites ou ce qui se produit vraiment — ou se produira vraiment.
Dimanche après-midi : Narrateur extradiégétique qui explore les pensées du personnage, qui en dresse en quelque sorte un portrait.