Notice bibliographique : GARCIN, Christian, L'embarquement, Paris, Gallimard, 2003, 187 p.
Résumé de l’œuvre :
Thomas, écrivain un peu dissipé que la stabilité et la vie quotidienne paraissent rebuter, a passé son existence à fuir. Fuir les femmes qu'il a aimées, fuir le chaos du monde. Un jour qu'il se retrouve seul avec Marie, son “port d'attache”, celle vers qui il revient sans cesse malgré tout, il décide à nouveau de partir. Cette fois, pourtant, le voyage semble différent, comme un voyage d'adieu où Thomas voudrait finalement organiser un peu le monde et son passé à lui, visitant en quelques jours cinq pas différents et plusieurs ami(e)s plus ou moins perdus de vue, en particulier Edna, avec laquelle il semble posséder plus d'affinités que les autres. Obsédé par l'idée que “le futur [a] pris possession du présent, […] qu’il n’y [a] plus d’avenir possible puisqu’il [est] déjà là, plus terrible encore que les images qu’on s’en formait il y a deux ou trois décennies” (p. 54), Thomas, au fond, à peut-être simplement besoin de trouver un sens à sa vie à travers le chaos du monde qui l'entoure. À la fin du roman, il invite Marie à venir le rejoindre sur une île grecque éloignée, laissant ainsi entrevoir une possibilité pour eux, loin du monde, mais peut-être enfin dans l'amour.
Narration : diversifiée
Explication : le roman est séparé en huit parties, elles-mêmes divisées en trois chapitres ayant chacune une narration particulière. Dans chaque partie, le premier chapitre est raconté par un narrateur hétérodiégétique et focalisé sur Thomas, le second à la première personne par un(e) ami(e) de Thomas (homodiégétique) et le troisième par Thomas lui-même, également à la troisième personne. La narration fait donc écho à la vie éparpillée de Thomas.
Personnage(s) en rupture : Thomas
A) Nature de la rupture : actionnelle
Explication : Devant le chaos du monde (le futur qui prend possession du présent, voir résumé), Thomas ne peut vivre de façon stable et succombe à la tentation de la fuite. Or, celles qu'il fuit et qu'il s'efforce avec plus ou moins d'acharnement de retrouver ont le plus souvent continuer leur vie, dans laquelle Thomas n'a désormais plus de place, lui-même ayant peu changé et répétant depuis vingt ans les mêmes “considérations fumeuses d’intellos torturés” (p. 68). À ce propos, selon, Edna, Thomas est un être qui éprouve intensément “la commune douleur d'être vivant” (p. 68).
De plus, toujours d'après Edna, « Ce qui dirige le monde aujourd’hui, c’est cela, une force invisible et inidentifiable. Voilà pourquoi il faut à tout prix qu’émerge une pensée capable d’envisager le monde dans sa globalité. Sinon le monde demeurera illisible, et le chaos s’installera. » (p. 100) Voilà peut-être une autre des raisons qui poussent Thomas à toujours partir: envisager le monde dans sa globalité, sa diversité.
B) Origine de la rupture : actorielle
Explication : Thomas ne parvient qu'à endosser le rôle d'amant de passage, d'ami intermittent, sans jamais être capable de s'engager à long terme. Le rôle d'amoureux (envisagé dans la durabilité et la stabilité) lui semble impossible, du moins jusqu'aux dernières pages du roman qui laissent planer l'espoir d'un changement. En tant qu'écrivain, il se désole aussi que la littérature et l'art en général ne veuillent plus rien pour dire pour la majorité des gens. C'est entre autres pour cette raison qu'il affirme qu'« il y a quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens à qui je n’ai strictement rien à dire, mais alors tu vois, rien de rien. C’est pas que je les déteste, non. Mais je les regarde vivre, parler, agir, aimer, gueuler, bouffer, rire, se déplacer, tout, quoi, et j’ai l’impression d’être au cinéma. » (p. 155)
C) Manifestations : Fuite
Explication : Excepté sa propension à la fuite, dont il a déjà été question, et celle à la vodka, rien de notable.
D) Objets : Relation qui n'aboutissent pas
Explication : Les relations de Thomas, avec les femmes particulièrement, n'aboutissent jamais à quelque chose de plus sérieux. Toujours il fuit vers d'autres cieux, vers des femmes au nom semblable (Edna, Joana, Paola, Elena) sauf celui de Marie qui diffère des autres et c'est justement avec elle qu'il semble avoir décidé de se fixer.
E) Manifestations spatiales : brusques transitions
Lieux représentés : Marseille, Prague, Munich, Bologne, île grecque… Mais plus que les lieux eux-mêmes, c'est la façon de passer de l'un à l'autre qui est intéressante puisqu'il n'y a à peu près aucune transition. Thomas est à Munich, puis, la ligne suivante, sans crier gare ou mentionner un quelconque avion/aéroport/taxi/gare, il débarque à Bologne. Cela est à relier directement avec le monde que Thomas considère globalement, comme un tout où errer sans trop d'attaches.
Autres
J'insère ce passage tiré des pensées d'Edna parce que je crois qu'il peut être pertinent (et que je l'ai déjà tapé, alors…). Il ne correspond pas vraiment à l'une des sections précédentes, mais éclaire les motivations de Thomas et s'applique parfaitement à son état d'esprit, dans lequel Edna lit avec clairvoyance :
« Peut-être [Thomas] a-t-il raison, d’ailleurs, c’est ce que je me dis de plus en plus, peut-être faut-il cultiver la légèreté, ne pas trop se pencher sur soi car à force de se pencher on tombe, ni sur le monde en général, et ce pour les mêmes raisons, peut-être ne faut-il pas se pencher du tout, jamais, sur rien, peut-être faut-il garder la tête droite et froide, le regard vers l’avant, vers l’avenir, et surtout pas vers le bas ni le passé, peut-être est-il vain, illusoire et dangereux de trop se préoccuper du sens des choses, car le seul sens qui nous est proposé est celui de la chute vers le bas » (p. 68-69)