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ranx:l_œuvre_du_temps

Raphaël BARONI, L’œuvre du temps, Paris, Éditions du Seuil (coll. Poétique), 2009, 327 pages.

Entretien disponible en ligne sur : http://vox-poetica.org/entretiens/baroni.html

Objet de la démonstration

Après avoir écrit La tension narrative, Baroni veut prolonger la réflexion amorcée et en explorer les angles morts grâce aux huit essais à l’entretien qui constituent L’œuvre du temps : « ces textes interrogent aussi bien le temps des œuvres que le temps à l’œuvre, c’est-à-dire sa formulation narrative ou ses métaphores littéraires, mais également son pouvoir de genèse et d’érosion qui affecte les hommes, les auteurs, les lecteurs, les livres et les genres auxquels se rattachent ces livres. Cette réflexion sur le temps soulève une question subsidiaire mais non moins essentielle : « D’où vient le récit et où va-t-il ? » » (p. 9) Au point de départ de ses réflexions se trouve la notion d’intrigue : son précédent ouvrage traitait essentiellement de la tension narrative, « l’aspect dynamique » de l’intrigue. Cette tension provient de la réticence de la narration à divulguer des informations importantes de l’histoire au lecteur, qui compense cette réticence par ses propres anticipations. Ainsi, l’intrigue (et du même coup la narration ?) ne sert pas à configurer le temps, elle défigure l’histoire, y sème le doute, pour lui donner une profondeur temporelle. Baroni s’appuie sur les notions de concordance et de discordance avancées par Ricoeur. Ce livre a pour mission d’élargir cette notion d’intrigue afin qu’elle puisse s’appliquer à divers genres narratifs : « il ne s’agit nullement de faire de l’intrigue un élément propre uniquement à un corpus restreint d’œuvres littéraires ou fictionnelles, mais simplement de mieux articuler la réflexion sur le discours narratif ».(p.24) Baroni propose en fait une poétique comparée des récits pour mieux comprendre les divergences et les convergences entre les histoires vécues, les faits racontés et les fictions qui veulent ressembler à la réalité.

Le premier essai, entame ce programme d’une poétique comparée des récits et en démontre la productivité par l’analyse d’un récit fictionnel, c’est-à-dire de l’épisode d’un roman de Gaboriau et d’un article de presse, récit factuel. Le second essai s’oppose à la « lecture étoilée » de Barthes et défend la première lecture afin de réhabiliter l’intrigue. Baroni souhaite démontrer par une analyse de La presqu’île de Gracq que l’intrigue repose plus sur l’attente d’un évènement que sur l’évènement lui-même et non sur un conflit ou un mystère à résoudre. Dans le troisième chapitre, Baroni définit le temps authentique et inauthentique en s’appuyant sur les réflexions de Merleau-Ponty. Puis par l’analyse thématique d’une autre œuvre de Gracq (Un balcon en forêt), Baroni réfléchit à la poétique qui exprime ou trahit la temporalité authentique. Le chapitre suivant s’attarde au mouvement interprétatif régressif qu’effectue le lecteur afin de réduire l’émancipation du texte en l’ancrant dans la vie de son auteur. Il adopte une approche plus socialisante du sens du texte. Le cinquième essai est consacré à l’origine polyphonique de l’écriture. Baroni a recours aux outils conceptuels de l’analyse de la scénographie et de la posture de l’auteur formulés par Bakhtine, Barthes, Maingueneau et Meizoz. Par l’analyse de l’œuvre de Michel Houellebecq, il démontre les liens entre l’analyse énonciative de l’écriture et sa portée éthique et aléthique. Dans le sixième chapitre, Baroni s’intéresse plutôt à la notion de genre : en prenant les œuvres de Borges comme exemple, il observe les propriétés dynamiques de la notion « pour éviter de retomber dans l’illusion pétrifiante des typologies génériques. » (p. 28) Le chapitre suivant interroge le registre de la fictionnalité et la référentialité de la fiction: quelles sont les conditions qui rendent possibles la tromperie ludique? En se basant sur « La forme de l’épée » de Borges, Baroni montre que « le mensonge fictionnel n’est possible que dans la mesure où l’on peut confronter cet acte de langage à une trace ou un indice qui débordent le cadre du discours qui l’énonce ». Dans la continuité de l’essai précédant, le chapitre huit interroge les récits de vie, c’est-à-dire la fidélité du récit factuel. Selon Baroni, l’arbitraire qui marque ces récits serait contournable si l’on tient compte que la production narrative est la réponse à un affect et vise donc à produire un effet. Un entretien avec Frank Wagner sur les arrière-plans méthodologique, génétique et épistémologique de La tension narrative clôt l’ouvrage.

Définitions pour récit / narrativité / autres termes centraux

La définition du temps dans le récit occupe une bonne partie des réflexions de Baroni, qui distingue le temps authentique et le temps inauthentique : En se basant sur les réflexions de Merleau-Ponty, Baroni définit le temps inauthentique comme « une spatialisation du temps, un objet constitué et coordonné par l’esprit, un temps déjà dépassé et transformé en forme ou en structure. Tandis que le temps authentique reposerait au contraire sur une synthèse inachevée, incertaine, qui se sait soumise au mouvement d’un transit. (p. 133) La distinction entre ces deux conceptions du temps correspondent aux schémas de la narratologie « classique » qui présente le récit comme une trame déjà actualisée, et la narratologie « post-classique qui ne présente que des virtualités actantielles multiples qui se révèlent au lecteur, laissant place à l’obscurité du passé et à l’incertitude de l’avenir.

Les définitions qu'il accorde aux termes « récit », « intrigue » et « narrativité » sont tirées de La tension narrative.

Intrigue : « La présence d'une intrigue se manifeste par une tension ressentie dans l'actualisation du récit, tension qui prend la forme du suspense ou de la curiosité orientant l'interprétation vers un dénouement incertain et potentiellement surprenant. (p.10)

Dans cette conception de l'intrigue et du récit, la narrativité est un ensemble de règles d'usage coordonnant le jeu entre l'intrigant et l'intrigué, une « communication en constants glissements et déphasages [mettant] en lumière la réversibilité des règles ou des codes plutôt que leur caractère normatif » (p. 11)

Fonctions attribuées au récit

Selon Baroni, la forme et la fonction des récits sont indissociables. Ainsi un genre narratif essentiellement factuel aurait une fonction configurante (c’est-à-dire rendre les évènements intelligibles) marquée par la concordance tandis qu’un genre narratif fictionnel remplirait une fonction intrigante en exploitant sciemment la discordance. Comme l'indique le titre de son ouvrage, Baroni étudie tout particulièrement le rôle de la narration et du récit dans la configuration du temps : une narrativité « naturelle », antérieure à sa forme discursive, ferait en sorte que les expériences seraient perçues et vécues comme des narrations. L'une des principales fonctions du récit, factuel ou fictionnel, est donc de rendre leur temporalité aux évènements passés grâce, en grande partie, à la mise en intrigue.

Liens avec la fiction

Baroni recherche la narrativité dans les récits fictionnels et non fictionnels. Le cas spécifique de la fiction soulève par contre des questions quant à la validité de la vérité qu’elle véhicule, l’identité des voix qui l’énoncent et la portée éthique et aléthique de la fiction : « Si l’unité que la narration imprime à l’évènement pour le rendre compréhensible est une pure invention du narrateur, si elle est puisée dans un répertoire de formes poétiques et qu’elle ne trouve aucune correspondance dans la réalité, et si tout récit produit une mise en intrigue ou une configuration du vécu, alors tout récit est fictif et la réflexion sur les rapports entre fiction et monde ne peut en aucun cas se limiter aux seuls genres fictionnels. » (p. 46)

Approches du récit

Baroni combine une approche narratologique et thématique du récit à l’étude de l’énonciation et de l’interaction entre textes et lecteurs.

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