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ranx:j_habite_dans_la_television [2013/04/11 14:08] – sebastien | ranx:j_habite_dans_la_television [2018/02/15 13:57] (Version actuelle) – modification externe 127.0.0.1 |
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**Résumé de l’œuvre :** | **Résumé de l’œuvre :** |
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**Thème(s) :** | Au départ, le plan de Chloé Delaume est de passer 22 mois à regarder la télévision, dans l'optique d'étudier ses effets sur le corps et l'esprit, façon Morgan Spurlock dans Supersize me. Le compte-rendu de cette expérience autofictionnelle (autofictive?) se présente sous la forme de 27 “pièces” constituant une sorte de document d'étude pour le ministère de la Culture et du Divertissement culturelles. En “réalité”, Delaume arrêtera l'expérimentation au bout de 16 mois, au bord de la crise de nerfs, selon ses dires, après avoir pris du poids, effectué des achats compulsifs, modifié ses opinions personnelles “contre son gré” et senti une folie addictive la gagner chaque jour un peu plus. Dans le roman, la narratrice finit par disparaître, mystérieusement avalée par la télévision, manière figurée d'illustrer le dernier paragraphe : « Je ne suis plus qu’une parcelle. La fiction collective sait imposer des cartes en guise de territoire, c’est même à l’Ogre qu’on doit l’idée. Je n’ai pas su protéger mon cerveau, son temps est aboli, il n’est que disponible. Mais au moins, voyez-vous, j’ai ma narration propre. Sachez sauver la vôtre avant qu’il ne soit trop tard. » (p. 168) |
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| En général, l'expérience artistique et pseudo-scientifique de Delaume revient à se transposer dans un univers parallèle qui n'est pas conciliable avec l'univers de départ: « C’est parce que je suis morte aux yeux de votre monde que je suis dans l’ici. » (p. 24); « Je n’ai pas pris d’affaires. Même pas ma brosse à dents. Je n’ai besoin de rien. De plus rien. J’habite dans le grand tout désormais, finalement. Le grand tout où l’on est ce qu’il faut désirer. » (p. 29) |
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| **Thème(s) :** Médias, télévision, technologie, conformisme, individualité, autofiction, documentaire |
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==== III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION ==== | ==== III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION ==== |
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**Explication (intuitive mais argumentée) du choix :** | **Explication (intuitive mais argumentée) du choix :** À la fois roman et/ou auto-fiction, performance, documentaire et essai, //J'habite dans la télévision// est surtout un pamphlet virulent contre l'effet néfaste de la télévision - et surtout d'un surplus de télévision - sur la vie de quelqu'un. L'oeuvre est pertinente dans la mesure où l'on s'intéresse à l'influence de la technologie sur les personnages romanesques. À ce propos, le roman [[Que la paix soit avec vous|Que la paix soit avec vous]] de Serge Joncour, lui aussi paru en 2006, traite également de l'emprise et du pouvoir débilitant de la télévision. |
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**Appréciation globale :** | **Appréciation globale :** |
=== Validation du cas au point de vue de la rupture === | === Validation du cas au point de vue de la rupture === |
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** a) actionnelle :** Remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc. | |
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** b) interprétative :** Difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc. | ** b) interprétative :** |
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| Explication : La narratrice répète à plusieurs reprises les propos de Patrick Le Lay, ancien président de TF1: “Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible”. Justement, à force de s'imprégner, de s'imbiber de matériel audio-visuel, le cerveau de la narratrice en vient à être entièrement disponible, comme une éponge qui ne pourrait absorber que ce que crache la télé, mais pas ce que la réalité autour lui envoie. |
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| Sa dépendance à la télévision va en augmentant, ainsi que le montrent les extraits suivants, dans lesquels la narratrice décrit sa progressive fusion avec l'appareil: |
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| « C’est la troisième semaine, j’ai de nouveaux repères. La télévision me structure. J’adapte mon biorythme au sien, imperceptiblement. […] Tout ce que je dois effectuer dans la journée se passe sur mon ordinateur en compagnie de la télévision. Je ne rate rien de ce qu’elle me dit du monde et de ses actualités. » (p. 58) |
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| « En ce début de deuxième mois je me suis vue parler à la télévision, oui, lui parler et lui répondre. À la fin de l’intro de chaque documentaire ou programme approchant, je lui demande pourquoi. Elle me répond tout de suite, par le biais de la voix off ou d’un témoin quelconque. Parfois l’animateur sait même anticiper. Je partage désormais le rythme de pensée de la télévision. Agencement et orchestration, j’adhère à sa syntaxe, son flux m’est familier à un point inconnu et toujours pénétrant. » (p. 77) |
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| Lors d'une pause de deux jours, sa première après presque trois mois d'expérience, elle réalise bien vite que la télé lui manque : « Je sais que j’irais mieux, beaucoup mieux et tout de suite, si je passais ne serait-ce qu’une demi-heure avec elle [la télévision]. » (p. 93) |
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| Les relations de la narratrice avec le monde hors-télé deviennent de plus en plus minimales puisqu'elle est de plus en plus conditionnée à appréhender la réalité par le biais de la télévision. Finalement, elle finit par disparaître dans la télévision. |
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| Voici également un extrait dans lequel on voit bien comment le cerveau de la narratrice se soumet à la télévision, comment il se détache de plus en plus de la réalité, perd son libre-arbitre et sa faculté de réagir normalement: « Le cerveau reptilien attire les convoitises, parce que c’est en son sein que sont prises toutes les décisions d’action. Le cerveau reptilien a le désavantage d’être ce que l’homme a en lui de plus primitif. Ses réactions sont prévisibles face à certains dispositifs, le cerveau reptilien est con comme un balai, il est rigide et compulsif, on ne peut pas lui faire confiance je tiens à vous prévenir tout de suite. » (p. 33) |
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==== V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES ==== | ==== V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES ==== |
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Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.) | Point délicat puisqu'il ne s'agit pas //vraiment// d'un roman. L'aspect documentaire/scientifique est tantôt exploité à fond tantôt mis de côté au profit d'un plus grand investissement romanesque/fictionnel. La chronologie est de mise pour rendre plus éloquents les effets de la télévision sur le personnage et on peut dire qu'il y a une certaine résolution (romanesque plus que scientifique) à la fin, lorsque Chloé Delaume est avalée par la télévision. |
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[[J'habite dans la télévision - Ancienne fiche]] | [[J'habite dans la télévision - Ancienne fiche]] |