Notice bibliographique : BLAIS, François, Iphigénie en haute-ville, Québec, L'instant même, 2006, 201 pages.
Résumé de l’œuvre :
Après une soirée très arrosée dans un bar de la Grande-Allée, Érostate a tout oublié, sauf le numéro de téléphone d'une certaine Iphigénie, numéro gribouillé sur les murs des toilettes du bar. Un soir, Érostate se risque à composer le numéro et fait la « rencontre » d'Iphigénie, une étudiante à l'université Laval originaire de Grand-Mère. Asociale et un tantinet mésadaptée, Iphigénie refuse de voir le jeune homme « en vrai », mais accepte tout de même de noter son adresse courriel. Naîtra de ce coup de fil une relation épistolaire d'un été. Tour à tour, Iphigénie et Érostate s'échangent confidences et fabliaux, et envisagent même de faire fortune en écrivant un ouvrage ésotérique à quatre mains. Le désir trop pressant d'Érostate de rencontrer celle dont il est, par ses lettres, tombé amoureux, rebute Iphigénie, et met fin à leur belle histoire virtuelle.
Narration : Omnisciente, autodiégétique
Explication : Un narrateur omniscient encadre et ponctue l'échange épistolaire entre Érostate et Iphigénie. Il rappelle d'ailleurs sa toute-puissance quant au déroulement de l'histoire, s'identifiant par le fait même à l'auteur.
Personnage(s) en rupture : Iphigénie (surtout) et Érostate
A) Nature de la rupture : Actionnelle
Explication : Iphigénie : profondément asociale, indifférente au sexe, au monde “vrai”, y préférant la Russie tsariste des romans: même si elle habite tout près, elle ne s'est jamais aventurée jusqu'au Château Frontenac, mais elle avait ses entrées dans le Palais d'hiver des tsars; elle ignore le nom de son député, mais peut “discourir pendant des heures sur chacun des autocrates à avoir régné sur la Sainte Russie” (18-19). Elle ne parle à personne, sauf à ses deux amies de Grand-mère qu'elle s'efforce de supporter. Elle trouve les gens particulièrement inintéressants: “Elle avait au monde une chance honnête de se faire valoir, lui avait laissé le temps de faire son petit numéro, avait observé les humains un bon moment, sans préjugé, ne les avait pas trouvés de son goût et avait décidé, en fin de compte, de ne point les fréquenter.” (17-18) Quant à son intérêt pour Érostate repose uniquement sur le fait qu'il n“existe que partiellement à ses yeux, leur relation n'étant que virtuelle. Elle utilise ses études comme alibi pour interagir le moins possible avec les autres (allant jusqu'à choisir ses cours le lundi - jour férié par excellence- uniquement pour aller à l'université le moins souvent possible).
Érostate : moins asocial qu'Iphigénie, Érostate vit tout de même un peu en marge de la société : paresseux parasite, il est ostensiblement snob, mais cherche tout de même à plaire aux autres et n'est pas insensible aux belles filles.
“ce refus [d'Ératostrate] de prendre part à l'action, cette prétendue indifférence professée par notre héros n'était au fond que l'effet de sa dignité le poussant à se rebiffer à l'idée de toucher un plat dont la portion était trop chichement rationnée, à dédaigner une richesse dont il n'avait que l'usufruit. […] À quoi bon vivre si ce n'est que pour un temps ? À quoi bon vouloir être quelque chose si on ne peut pas être tout ? Si on ne peut pas être à la fois Napoléon et Wellington” (21), etc. S'ensuit une liste de personnages historiques célèbres.
B) Origine de la rupture : Mondaine
Explication : Dans les deux cas, les personnages opèrent une rupture volontaire avec le monde par pure indifférence; ils ne se reconnaissent à peu près pas dans ce monde et n'ont pas non plus tellement envie d'en faire partie: Iphigénie: “Disons seulement, pour employer un monstre euphémisme, que le monde et moi ne sommes pas sur la même longueur d'onde, pas rendus à la même page du livre des règlements. Comment je vous expliquerais ça ? Voilà: c'est que je n'arrive pas, malgré tout mon bon vouloir, à m'intéresser au jeu auquel le monde joue.” (92)
C) Manifestations : isolement, dédain, cynisme
Explication : Iphigénie et Érostate portent un regard très cynique sur le monde (particulièrement sur le couple, le sexe, l'ésotérisme, les relations sociales, etc.) Leur projet de faire fortune en vendant de livres de croissance personnelle aux « Tarés », entre autres,montre bien combien ils se dissocient des masses. Ils ont aussi des routines qui les isolent au maximum des autres : Érostate est un promeneur nocturne tandis qu'Iphigénie, bien contente d'être exilée à Québec durant l'année scolaire, fait tout pour être seule pendant les vacances.
Comme beaucoup des personnages de François Blais, Iphigénie et Érostate sont présentés par le narrateur comme des personnages issus d'un auteur de bas étages pas assez créatif pour leur donner de l'envergure. Ses personnages se complaisent d'ailleurs dans leur rôle de parasites ou de loser, d'asociaux, etc.
D) Objets : ...
Explication :
E) Manifestations spatiales :
Lieux représentés : Grand-Mère, le centre-ville de Québec, l'université Laval
Explication : Rien à signaler, sinon que presque tous les romans de Blais se déroulent en Mauricie ou dans la capitale.
F) Autres extraits
« D’Érostrate aussi on pouvait dire qu’il n’était parmi nous que techniquement, qu’il traversait la vie avec un visa de tourisme. Dès les premières pages du Mythe de Sisyphe, Camus, qui ne rechigne pas devenir lourd lorsque son propos l’exige, pose le suicide comme étant le seul problème philosophique réellement important. Après avoir constaté l’absurdité du monde, l’Homme, nous dit Albert, est aux prises avec l’alternative suivante : ou bien il refuse ce monde qui n’a pas de sens (et donc se suicide) ou bien il demeure vivant et doit alors trouver la force de suppléer à ce vide en attribuant arbitrairement à l’existence un sens qui n’existe pas intrinsèquement. Mais pour son malheur, au contraire de « l’Homme » camusien, faisant son frais avec son H majuscule, Érostrate était, d’une part, dépourvu de la force morale nécessaire pour s’inventer un destin malgré l’absurdité du monde et, d’autre part, trop pissou pour se faire sauter le caisson. Pas assez niaiseux pour accepter le deal mais pas assez intense pour se crisser en bas du pont. Il vivait assis entre deux chaises, tel un aristocrate qui, invité à une fête populaire, fait acte de présence mais refuse de compromettre sa dignité en dansant la bourrée. Dans ses conditions, l’indifférence était tout ce qu’il pouvait s’offrir. La vie n’a pas de sens ? Big fucking deal ! » (19)
“Si nous convenons que l'ennui se définit par un déficit de stimuli, par un état d'esprit égal, dans ce cas l'ennui, ou du moins ce que la majorité des gens appelle ennui, n'avait aucune prise sur [Iphigénie]. On pourrait même dire qu'elle y aspirait par-dessus tout. ”(37)
“Mais Érostrate n'était pas un héros de bon polar, ni même de mauvais polar, Érostrate n'était qu'un pauvre type venu dans une ville inconnue de lui, y poursuivre de ses assiduités indésirables une fille qu'il ne connaissait pour ainsi dire pas du tout.” (173)