Table des matières
FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Trudel, Sylvain
Titre : Du mercure sous la langue
Éditeur : Les allusifs
Collection : -
Année : 2001
Éditions ultérieures : Chez 10/18 (Domaine étranger) en 2005
Désignation générique :
Quatrième de couverture :
« Du mercure sous la langue raconte les dernières semaines de Frédéric Langlois, un adolescent qui, arrivé prématurément au terme de sa vie, fait le bilan de sa courte existence. Maudissant la compassion et la complaisance, le narrateur fustige l'espoir, l'amour, le bonheur, l'âme, la religion, c'est-à-dire toutes les illusions dont les hommes ont besoin pour adoucir leur condition tragique. »
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Frédéric Langlois, 17 ans, est hospitalisé pour un cancer de l'os iliaque et sait qu'il n'en a plus que pour quelques semaines à vivre. C'est l'occasion pour lui de réfléchir, d'écrire des lettres, des poèmes (il s'est d'ailleurs baptisé Métastase, du nom d'un poète italien oublié du XVIIIe siècle), de discuter de choses plus sérieuses que ce à quoi les jeunes de son âge sont habitués. Dans l'antichambre de la mort, Frédéric déverse son fiel sur le monde qui l'entoure et qu'il n'a jamais considéré aussi lucidement qu'à ce moment de la mort. Il se lie aussi avec d'autres adolescents malades à l'hôpital, dont la belle Marilou qui écrit de plus beaux poèmes que lui, s'entretient avec sa psychothérapeute Maryse de sujets graves, insulte l'abbé de l'hôpital qui cherchait à obtenir sa confession et reçoit des visites de ses proches, prenant alors conscience de l'amour mutuel qui les unit.
Thème(s) : Maladie, mort, adolescence, religion, amour.
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Autre exemple de surinterprétation du monde provoquée par un handicap ou une maladie. Frédéric n'est pas vraiment déconnecté du monde, mais il est tout de même en rupture avec lui. En étant très - trop, par rapport aux autres - lucide, il est plutôt trop “connecté”, il a trop conscience du monde qui l'entoure et de ses travers, contrairement aux gens en santé qui vivent dans une illusion bienheureuse. Lui, même s'il va mourir et parce qu'il va mourir, sait.
Appréciation globale : Comme Frédéric est passé en coup de vent dans la vie, ce roman-là se lit d'une traite, mais pas comme une petite brise chatouillante; plutôt comme une tornade ou un ouragan. La narration vitriolique arrache tout sur son passage et c'est bon autant que ça fait mal.
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture
interprétative : Excentricité interprétative: Frédéric interprète trop, il s'acharne à détruire toutes les illusions des hommes.
La maladie a rendu Frédéric plus lucide non seulement que les autres adolescents de son âge, mais aussi que tous les humains en santé: « C’est drôle, mais je m’écoute gargouiller de la cervelle et je comprends pourquoi ma pauvre psychothérapeute s’inquiète de ma santé mentale, mais je suis inconscient, ou peut-être trop conscient, je ne sais plus, mais dans cette bouillie j’ai quand même saisi une vérité : je mourrai, oui, mais sans espoir, sans le vulgaire besoin d’être aimé et regretté. » (p. 27) Il s'attaque particulièrement aux illusions de la science et de la religion dont les humains se servent pour nier les travers du monde et enrober leur existence d'un voile bonheur et d'idéaux insipides : « C’est bien beau l’intelligence, mais il faut oublier qu’on sait tout, si on veut décoller ses paupières au saut du lit. Moi, quand je file un mauvais coton, j’ai quasiment le goût e m’excuser de savoir tout trop bien, de ne pas croire aux bonnes paroles rassurantes, de sentir grouiller la vermine sous les tapes dans le dos, mais c’est pas de ma faute : je suis un petit athée de naissance et l’eau sainte du baptême n’a pas déteint sur mon âme méchante » (p. 7)
L'approche de la mort a modifié - peut-être a-t-elle poussé à son extrême ? - la conception de la vie qu'avait Frédéric. Dans Du mercure sous la langue, il se détache de plus en plus du monde qui l'entoure puisque ce monde, celui des gens en santé, ne peut comprendre le dédain de la vie qui est comme la morphine de Frédéric (p. 121), qui lui permet d'attendre la mort avec le moins d'angoisse possible. « Je les dégoute par ma façon d’être en vie et de croquer la mort, les étoiles et le bon Dieu. Jusqu’à ma pauvre mère qui fond en larmes parce que l’abbé des causes désespérées crie par tous les corridors que j’ai mal tourné et que je me suis perdu dans la révolte et l’égoïsme ; parce que les infirmières et mon oncologue trouvent malsaine ma relation avec la maladie ; et que ma psychothérapeute parle de complaisance dans la morbidité ou quelque chose comme ça qui essaie de vouloir dire quelque chose. Fuck ! On peut-t’y crever comme on veut, icitte, tabarnac ? (p. 91) Les gens qui l'aiment ne peuvent s'empêcher d'éprouver pour lui une certaine affection que Frédéric perçoit souvent comme de la pitié, tandis que lui, à ses yeux, possède quelque chose de plus que les autres, sa lucidité, son absence d'espoir : « L’homme en santé n’imagine pas tout le mal qu’il a en lui et c’est une bonne chose, parce que ça lui permet d’exister sans s’éclater la tête contre les murs, mais moi je possède le feu de la connaissance que j’ai dérobé aux dieux » (p. 37-38). Frédéric croit probablement que la liberté qu'il trouvera dans la mort l'affranchira de devoir se plier aux bons sentiments des gens et qu'à l'inverse, sa mort permettra aux autres de vivre plus intensément, loin des futilités.
Les pensées de Frédéric tournent presque toutes autour de la mort et du sens de la vie, ce qui n'est pas habituel chez un adolescent de cet âge.
Les sentiments de Frédéric envers les gens en santé qu'il côtoie changent souvent assez drastiquement. Par exemple, il est d'abord presque amoureux de Maryse Bouthillier, sa psychothérapeute à la magnifique poitrine, puis il la fait fuir en lui disant ses quatre vérités. C'est que l'approche inéluctable de la mort a rendu Frédéric différent des autres adolescents. Il ne peut plus se satisfaire des illusions et abhorre la pitié: “Ça paraît peut-être pas aux yeux crevés qui m'entourent, mais je suis plus humble, plus généreux et plus humain que jamais, mais ma façon d'être humain leur est si étrangère qu'ils n'y voient que de l'inhumanité.” (p. 92). En refusant ces facilités qui permettent d'endurer la vie, il se coupe du reste du monde avec lequel il ne peut partager de “choses simples comme le bonheur sans nuage, parce que je crois que les choses bonnes et mauvaises à la fois, vraies ou fausses selon le jour » (p. 14).
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Rien de marquant.
VI - EXTRAIT BONUS !
« C'est bien beau l'intelligence, mais il faut oublier qu'on sait tout, si on veut décoller ses paupières au saut du lit. Moi, quand je file un mauvais coton, j'ai quasiment le goût de m'excuser de savoir tout trop bien, de ne pas croire aux bonnes paroles rassurantes, de sentir grouiller la vermine sous les tapes dans le dos, mais c'est pas de ma faute : je suis un petit athée de naissance et l'eau sainte du baptême n'a pas déteint sur mon âme méchante, et puis j'ai toujours eu la nuque et les genoux raides. Je suis un jeune baveux, comme qui dirait, un crotté, un rebelle de centre d'achats, un grand sans-dessein qui n'aime rien. Au moins, je vis tout enroulé en escargot dans mon intérieur et je ne mords personne ; au fond, je suis pas si pire. Hors de moi, je vois qu'on vit dans la tristesse des choses, loin du temps où les romantiques aimaient mourir, parce que, aujourd'hui, on n'aime plus mourir. La preuve : on se tire une balle dans la bouche, on se pend dans la cave, on s'ouvre les veines, on avale du poison ou on se jette dans le fleuve ou devant un train. C'est pas mourir […] » (Extrait, p. 7-8 ; Les Allusifs, 2001) (tiré de auteurs.contemporain.info)