Grille de pré-analyse – théorie implicite du récit dans le discours critique de l'oeuvre de Chevillard
Caractéristiques du récit à observer chez la critique :
Personnage
* Quels éléments retient la critique pour présenter le personnage? S’attache-t-elle à sa description physique ? À ses actions ? À son rôle dans le récit ? En quels termes ?
Le narrateur-personnage ne se nomme pas ; le critique en est réduit à le désigner comme « un homme ».
Harang retient du personnage qu'il a une chaise sur la tête - ce qui, par ailleurs, est l'argument du livre (j'y reviendrai).
« Le narrateur est un savant, érudit de l'histoire de la chaise ».
C'est à peu près tout ce qu'on en saura, du moins de la plume même du critique ; autrement, il laisse le soin au narrateur de se décrire lui-même, notamment l'origine de la chaise sur sa tête.
Harang mentionne également d'autres personnages, dont il fait état du statut (« Kolski, le sculpteur, Topouria le grutier, Malton et Lanson, inséparables […] ») ou des réactions.
* Comment réagit-elle au traitement du personnage chez Chevillard ?
Je ne saurais dire si c'est en réaction directe, mais on remarquera qu'après avoir établi que le narrateur-personnage évitait de se nommer - et, donc, privait le critique d'en rendre compte en bonne et due forme -, Harang laisse largement la parole au narrateur quand vient le temps de révéler quelque détail sur lui. D'ailleurs, il laisse pour beaucoup les personnages se présenter ou réagir d'eux-mêmes, en les citant.
Autrement, Harang n'est pas déstabilisé par le personnage-narrateur peu conventionnel - en raison, selon toute apparence, de sa connaissance de l'oeuvre de Chevillard. « C'est comme ça », accepte-t-il tout bonnement.
* De ces informations, quelle conception du personnage est véhiculée par la critique ?
En dépit d'un narrateur-personnage qui refuse de se nommer, Harang lui accorde une place d'importance dans sa critique du roman, signe que le personnage est un moteur, un agent du récit, même si son contour reste flou.
La conception du personnage semble être construite à partir de l'oeuvre de Chevillard elle-même, c'est-à-dire que Harang n'aurait pas lu Au plafond en fonction d'une conception standard, mais en fonction de ses attentes envers Chevillard. D'où son réflexe de laisser la parole au narrateur-personnage, comme si de le saisir en ses propres mots ne saurait lui rendre justice.
Intrigue / histoire
* Quels éléments retient la critique pour proposer un résumé de l’histoire ?
C'est en citant l'incipit que Harang relève « l'argument des deux premiers tiers du livre : un homme vit avec une chaise sur la tête ». Un résumé qui se limite donc à une mention de l'état d'un personnage-narrateur à l'identité minimale, inconnue.
« Il va la garder [sa chaise] quelques décennies, jusqu'à ce que les circonstances le conduisent, lui et ses copains à vivre au plafond chez les parents de son amie Méline. Nous verrons cela ». Outre ce petit saut dans le temps pour compléter le dernier tiers du livre, Harang résume l'histoire de façon linéaire, en relatant l'enfance du narrateur, puis la vie dans les cabanes abandonnées, et enfin l'installation chez les Raffin. Les personnages occupent une place d'importance dans ce résumé : Harang décrit (succinctement) leur statut et leurs réactions. La majeure partie de la critique, au final, s'attarde aux faits qui composent l'histoire du roman.
Cela dit, Harang établit un sens plus profond, dissimulé sous « l'immense partie de rigolade » : chacun des romans de Chevillard raconterait, en fait, « un drame absolu, celui de la difficulté d'être né, et de s'en apercevoir, somme toute, un peu tard. Et l'élégance de n'en rien dire ». Ainsi relève-t-il deux niveaux de lecture, l'un sérieux et distancié, l'autre ludique et léger : « On peut lire Au plafond comme on l'entend, y voir une fable sur la tolérance et l'exclusion, le droit à la différence et le devoir d'être soi, ou s'y laisser bercer par l'inéluctable logique du fou, dans le hoquet des rires ».
* Comment réagit-elle au traitement de l’histoire chez Chevillard ?
Harang prévient (et, donc, suppose que le lecteur réagira ainsi) la perplexité du lecteur qui apprend que l'argument du livre repose sur un homme qui vit avec une chaise sur la tête : « C'est comme ça, ni un caprice, ni une fantaisie, ni une extravagance, c'est un fait ». Autrement dit, Harang semble suggérer que, d'ordinaire (partout sauf chez Chevillard, ou à peu près), un tel personnage relèverait de la fabulation ; mais chez Chevillard, il faut l'accepter comme un fait avéré, comme si l'écrivain induisait sa propre logique des choses, comme s'il commandait la réception de son livre - et Harang de se soumettre sans rechigner à cette autorité de l'auteur.
* De ces informations, quelle conception de l’intrigue / histoire est véhiculée par la critique ?
L'histoire s'articule pour l'essentiel autour des personnages - de la raison pour laquelle le narrateur est coiffé d'une chaise, jusqu'au déménagement des sept marginaux au plafond de l'appartement des Raffin. L'intrigue apparaît linéaire et plutôt resserrée ; sa particularité tient plutôt de son absurdité. Mais Harang parvient à établir un sens supérieur, sérieux, distancié - une fable sur la tolérance, car il refuse de faire passer Chevillard « pour ce qu'il n'est pas, un auteur de bons mots, de vastes blagues […] ». Bref, l'intrigue ne se réduirait pas à son caractère comique.
Là encore, comme pour le personnage, Harang semble aborder le roman de Chevillard à partir de sa connaissance de l'oeuvre. L'histoire d'un homme qui vit avec une chaise sur la tête serait perçue ailleurs « comme un caprice, […] une fantaisie, […] une extravagance » mais, chez Chevillard, « c'est un fait ».
Narrateur / narration / discours
* Quels éléments retient la critique de la figure du narrateur et/ou de son discours ?
* Parce que le narrateur raconte au « je » et qu'il se dévoile peu - sinon sa caractéristique première, celle de la « ressemblance » -, Harang relève la confusion entre le narrateur et l'auteur : « Cette fois, le narrateur dit “je”, ce qui le dispense de se nommer et le rapproche inévitablement de l'auteur, mais ce n'est qu'une présomption de ressemblance. Car une des caractéristiques du narrateur, outre son caractère incomparable, est d'être extrêmement ressemblant, jusqu'au risque de confusion ».
* Comment réagit-elle au traitement de la figure du narrateur et/ou du discours chez Chevillard ?
* De ces informations, quelle conception du discours, dans son rapport au récit et/ou à l’histoire, est véhiculée par la critique ?
Harang ne se prononce pas sur le discours ; sa critique tourne essentiellement autour du personnage et de l'histoire [comme s'il y avait suffisamment à dire de celle-ci pour s'attarder au discours?].
Autrement, la confusion entre narrateur et auteur permet de donner toute autorité à Chevillard.
Digression
* Impact sur la progression de l'intrigue, sur la structure narrative ?
* Réaction de la critique
Fragmentation
* Impact sur la progression de l’intrigue, sur la structure narrative, sur l’œuvre ?
* Réaction de la critique
Cohérence de l’ensemble
La cohérence de l'ensemble est construite par l'oeuvre de Chevillard elle-même : ce qui serait ailleurs perçu comme une « fantaisie » doit ici être pris au pied de la lettre. D'où que l'incohérence devient « l'inéluctable logique du fou », ou se résorbe dans le sens supérieur d'une fable sur la tolérance.
Varia
Stratégies rhétoriques à observer chez la critique
(Par rapport aux caractéristiques indiquées ci-dessus, mais aussi de façon générale ; ces stratégies tendent à trahir les limites des théories narratives dont fait usage la critique pour tenter de saisir l’œuvre de Chevillard) :
Citations de l’œuvre
* Reprises et citations de l’œuvre de Chevillard pour décrire celle-ci, dans un geste circulaire. Autrement dit, la critique utilise (ou transforme ?) l’œuvre de Chevillard comme matière théorique pour commenter l’œuvre.
La critique semble avoir le réflexe de citer l'oeuvre de Chevillard en réaction à sa difficulté : « Le trop peu qu'on s'autorisera à en citer, de peur de laisser croire qu'on a fait écrire l'article par l'auteur lui-même, à son insu, et enfermé dans l'impossibilité courtoise qu'il s'en plaigne, trompera comme à chaque fois le lecteur en donnant Chevillard pour ce qu'il n'est pas, un auteur de bons mots, de vastes blagues, un humoriste de l'absurde, un inventeur, un contorsionniste de la pensée, et là où d'autres sortent grandis d'une réputation d'auteurs de dictées, suivez votre regard, il risque, lui, de s'en tirer diminué, voire de n'en sortir pas, alors que l'immense partie de rigolade de chacun de ses romans est un drame absolu, celui de la difficulté d'être né, et de s'en apercevoir, somme toute, un peu tard. Et l'élégance de n'en rien dire. Prenons ce risque ».
Harang ne cite pas moins abondamment, jusqu'à laisser le narrateur relancer sa critique plutôt que d'y aller de ses propres mots. Bref, Harang se tient très près de l'oeuvre de Chevillard, et pas seulement pour illustrer le comique de l'auteur.
Déclarations de l’écrivain
* Recours aux entrevues de l’écrivain pour appuyer ses idées – comme figure d’autorité ou pour d’autres usages qu’il faudrait identifier, le cas échéant.
Comparaisons / rapprochements intertextuel(le)s
* Lesquel(le)s ? Vérifier si ces rapprochements intertextuels sont énoncés faute de pouvoir rendre compte de l’œuvre (incapable de décrire celle-ci, la critique se résout à comparer pour donner au moins « une idée » de l’œuvre). Vérifier si ces rapprochements sont seulement énoncés ou expliqués.
Vocabulaire approximatif
* Étrange, singulier, bizarre, incongru, déroutant, insaisissable : les qualificatifs passe-partout qui empêchent d’avoir à décrire l’œuvre.
Varia