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I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Chloé Delaume
Titre : Certainement pas
Éditeur : Verticales/Le Seuil
Collection : Aucune
Année : 2004
Éditions ultérieures :aucune
Désignation générique : aucune
Quatrième de couverture : Dans un pavillon de l'hôpital Sainte-Anne, trois hommes et trois femmes se confrontent à leur passé, lourd d'abjections quotidiennes. Une étrange partie de Cluedo, orchestrée par le fantôme du Docteur Lenoir, va les conduire à se démasquer tour à tour. Victimes ? Certainement pas. Tous sont des assassins ; leurs crimes sont symboliques, résultent d'un compromission, d'un passage à l'ennemi, d'un asservissement au système. Six personnages en quête de coeur, dont les pathologies ne sont que des refuges, ultime échappatoire après une trop tardive prise de conscience. Le récit se démultiplie au gré des personnages, de la folle arborescence de leurs paroles et de leurs aveuglements.
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Thème(s) : psychiatrie (amnésie, dépression…), crime
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix :
Appréciation globale : Il m'a fallut presque 100 pages pour commencer à apprécier ma lecture, mais je dirais que c'est un livre agréable à lire. Je ne le conseillerais toutefois pas du tout aux lecteurs débutants (et même intermédiaires) puisque l'histoire est dure à suivre, et ce notamment parce que les phrases sont elles aussi souvent difficiles à comprendre.
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture
a) actionnelle : remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc. b) interprétative : difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc.
Je présenterai les personnages un à un tout en m'assurant, à chaque fois, de décrire leur(s) rupture(s) actionnelle et/ou interprétative.
Le cas d'Aline Maupin, ou Mademoiselle Rose : Personnage supposée mourir qui, toutefois, et on ignore pourquoi, survit. Toutefois, le problème est qu'elle souffre alors de grave amnésie rétrograde. Sa maladie ne touche pas tant ses souvenirs du monde externe, mais plutôt ceux touchant sa propre personne : “la vraie inconnue résidait davantage dans le m apostrophe que dans les faits radiés de sa base de données.” (29) Son passé lui est désormais presque entièrement inconnu. Cela va jusqu'à dire qu'elle ne se rappelle plus ce qu'est sa personnalité (colérique, humoristique… ?), son aspect physique (elle sait seulement qu'elle a les cheveux blonds car elle peut les voir sur ses épaules), etc. Elle dit d'ailleurs que tant qu'elle resterait seule, elle ne serait personne (elle a besoin des autres pour savoir qui elle est. Elle s'aperçoit, à un certain moment, dans un miroir, mais même là elle trouve que son corps n'est pas assez éloquent : “Mon corps ne m'apprend rien” (36), “je suis le vide” (37). Comme mentionné précédemment, cet oubli ne touche que les informations la concernant elle-même : “Ainsi Aline Maupin ne savait plus rien d'elle, mais du reste du monde n'avait rien oublié. Elle se souvenait des guerres, de l'âge du capitaine, de la règle de trois et de Coco Chanel [et la liste continue].” (41) On dit aussi que les “seuls souvenirs qu'elle ait lui viennent d'objets littéraires, sauf qu'elle les perçoit comme réels. […] Elle a la mémoire fictionnelle” (62). Et alors qu'elle est dans cet état, on contact avec le monde extérieur se résume à la télévision, à la presse écrite, à la radio, etc. En ce qui concerne la rupture actionnelle, on constate qu'Aline ne désire pas vraiment retrouver la mémoire. Elle dit : “Je voudrais que tout cela s'éternue lettre morte, je voudrais que l'oubli grignote avec emphase toutes ces larves sinistrose implantées au-dedans. […] Je voudrais tant avoir la mémoire des poissons.” (112)
Mathias Roualt ou le Professeur Violet : “Mathias Rouault n'a plus de place dans sa cervelle pour faire tourner des mots durant durant ses insomnies.” (126) “Mathias n'est pas une victime de la fracture sociale. Il est juste martyr du ravin culturel.” (127) “Mathias souvent se dit je suis une cervelle et un sexe, juste une cervelle et juste un sexe, mais les deux très distinctement.” (132) “Mathias Rouault est quelqu'un quelque part mais il n'est rien partout. C'est une soeur Anne mainte à l'envers. Mathias Rouault sait qu'il n'est rien et sa cervelle pourrit chque jour davantage, encore davantage, une obsession déliquescente de n'être rien partout et quelqu'un quelque part. […] Mathias n'est rien parce que. […] Mathias n'est rien parce qu'il est médiatiquement néant […].” (151-153) “S'en suit toujours un grand accablement dans sa cervelle, sa cervelle que Mathias n'entend plus, définitivement plus mais alors plus du tout.” (157) “De nombreuses grappes de corps qui ne font rien d'autre qu'émettre, émettre éperdument.” (158) “Mathias ne saura pas tout cela. Mathias ne saura pas ce qu'il est advenu et ce qu'il adviendra de sa cervelle d'alors qui toujours susurrait la valse houleuse des mots voltigeant au-dedans, Mathias ne saura pas et s'en fout complètement.” (168) “Mathias sans sa cervelle désormais vieux souvenir est un corps allégé, un corps voué mécanique des pas sur le parquet. Mathias glisse. Mathias se laisse porter, déporter serait juste. Mathias n'est plus qu'un corps qui cherche à s'imprimer. [etc.]” (179) “Je suis en train de devenir pour tous un personnage de fiction. J'articule des répliques comme venues de nulle part, enfin pas si de nulle part que ça. Ma bouche vomit des mots programmés par un script, j'ai souvent l'impression de n'être qu'une interface.” (184)
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.)
La narration est complètement délurée. D'abord, l'un des chapitres est réservé au narrateur omniscient (on précise, dans ce cas-ci, que c'est une narratrice). Celle-ci présente brièvement son rôle et remercie le narrateur du chapitre précédent, docteur Lenoir, pour sa confiance. Par la suite, elle n'hésitera pas à faire de nombreuses transgressions, notamment en prenant possession d'un chapitre qui devait être narré par le docteur Lenoir (“Jardins”).
Parce que oui, on retrouve dans Certainement pas plusieurs types de narrateurs et de narrations. D'une part, il y a la narratrice omniscience, mais il y a aussi de la narration à la première personne (“je”) et la narration par discours indirect libre (une sorte de narrateur-témoin). Le docteur Lenoir, victime du roman, prend lui aussi parfois le contrôle du roman. D'autre part, la forme (et la police d'écriture) varie sans cesse. À tout instant, on y retrouve plusieurs pages de définitions, des lettres, des courriels, des articles de presse, des formulaires, des leçons, une partition de musique, etc. À un certain moment, les personnages déclarent même la grève, trouvant que la narratrice omnisciente prend trop de place.
Les phrases sont également parfois coupée en plein milieu et sont alors incomplètes. Ou alors elles ne sont formées que d'un mot (ou quelques mots) sans pour autant constituer la syntaxe d'une phrase ou bien de sens logique : “Mathias n'est rien parce que.” (151)
Chloé Delaume s'est plu à mettre en scène un livre dont la narration est complètement décalée et inconstante. Sans doute l'un des cas les plus fragrants ayant été étudié dans le cadre de ce projet.
Il est à noter que le texte se présente sous la forme, en quelque sorte, du partie du jeu d'enquête policière “Clue”. Les personnages se voient affublés des noms des personnages du jeu (Mademoiselle Rose, Professeur Violet, etc.) Certains chapitres sont également des “tours” où les dés sont lancés.