1. Degré d’intérêt général
Projet enquête : ?
Projet diffraction : Disparition de la quête du personnage dans les nombreuses couches superposées de récit d'espionnage. On pourrait associer ce roman au concept de “feuilleté narratif” puisque les récits se chevauchent et se multiplient en plusieurs trames narratives que l'on croit d'abord parallèles puis qui deviennent interreliées. Ces trames narratives sont aussi métafictionnelles dans la mesure où la narratrice écrit un récit qui ne s'avère pas être un récit, mais bien la réalité. C'est comme si au sortir de chaque trame narrative, le lecteur apprenait que le récit qu'il venait de lire était en fait faux et ainsi de suite pour chacun des récits racontés.
2. Informations paratextuelles
2.1 Auteur : Yolande Villemaire
2.2 Titre : Meurtres à blanc
2.3 Lieu d’édition : Montréal
2.4 Édition : Typo
2.5 Collection : Roman
2.6 (Année [copyright]) : 1986 (1974)
2.7 Nombre de pages : 125 p.
2.8 Varia :
Récit d'espionnage métafictionnel
3. Résumé du roman
Il y a deux récits parallèles : celui de Marie, une espionne qui parcourt l'Amérique du Nord pour éviter de se faire piéger par ses ennemis (inconnus); celui de Caroline, la soeur de Marie qui est en voyage au Maroc. D'emblée, cela paraît simple, mais c'est l'écriture des récits même qui pose problème. En effet, Marie écrit le récit de Caroline que l'on pense d'abord fictive, puis que l'on sait vivante et réelle ensuite. Marie se met à commettre des meurtres sans s'en rendre compte, atteinte d'une sorte de dédoublement de la personnalité (comme plusieurs autres personnages d'ailleurs, notamment Paul, un amant, qui est en réalité la femme déguisée qui poursuit Marie depuis un moment, habillée d'une cape rouge et de bottes de cuir). Sa soeur Caroline vit, quant à elle, des aventures au Maroc auprès d'un homme riche, Abdul. Elle revient ensuite au Québec auprès de sa soeur qu'Abdul assassinera parce qu'il croira qu'elle est au fait du trafic illégal dans lequel il est engagé. Caroline se suicide et finalement, on apprend que tout cela est l'oeuvre d'une écrivaine qui ne sait plus si ses propres personnages sont réels ou fictifs (voir dernier extrait).
4. Singularité formelle
Les différents niveaux de récit sont séparés par des carrés (même fonction que l'astérisque), rendant la lecture plus aisée. De plus, on retrouve des extraits de journaux et une lettre. On ajoute donc au texte des archives fictionnelles pour nourrir d'indices l'intrigue.
5. Caractéristiques du récit et de la narration
Récit enchâssé, récit d'espionnage, récit métaficitionnel Sur la quatrième de couverture, on qualifie d'ailleurs le roman d'“[h]istoire à multiples tiroirs”, de “roman policier pour rire”.
6. Narrativité (Typologie de Ryan)
6.1- Simple
6.2- Multiple
6.3- Complexe
6.4- Proliférante Justifiez : Il y a plusieurs récits, que l'on croit organiser selon une certaine hiérarchie (les aventures de Marie représentant le récit cadre). Les niveaux se mélangent ensuite pour se présenter ensuite sur le même plan, sans gradation.
6.5- Tramée
6.6- Diluée
6.7- Embryonnaire
6.8- Implicite
6.9- Figurale
6.10- Anti-narrativité
6.11- Instrumentale
6.12- Suspendue
7. Rapport avec la fiction
Il y a un roman en cours d'écriture à l'intérieur du récit, roman qui s'avère finalement inspiré de la vraie vie de la soeur de l'écrivaine. Fiction et réalité cohabite constamment et cela est évoqué explicitement dans le texte par l'entremise de personnages fous, délirants qui peinent à reconnaître une version définitive et réelle des faits. La fiction et la réalité sont remises en doute au cours du récit, mais aussi à la fin, lorsque l'écrivaine, celle qui chapeaute finalement l'ensemble de tous les récits transmis, avoue ne plus savoir si ces personnages sont réels ou fictifs.
8. Intertextualité
Il y a plusieurs références à des récits policier et à des récits d'espionnage, sans nécessairement les nommer (exemple : Marie affirme être en train de lire un roman policier). Marie se compare aussi à Mata Hari (célèbre espionne des Pays-Bas tuée en France lors de la Première Guerre mondiale pour espionnage).
9. Élément marquant à retenir
La surconscience du texte.
10. Extraits
Caroline, après que Marie ait été assassinée: “Pour faire un peu justice à ses talents d'écrivain […] j'ai tout de même recopié ces fragments qu'elle rédigeait, non pas sur une super-dactylo électrique comme je le laisse entendre (romançant la réalité, mais dans un vulgaire cahier spirex quadrillé. Ces passages-là, je ne les ai même pas retouchés. Pas le moindrement.” (113-114)
Toujours Caroline: “Mais Marie est bel et bien morte tandis que je suis encore en vie. C'est là toute la différence. C'est moi qui hérite de la tâche ingrate de départager le réel et le fictif, de tracer la ligne de démarcation entre ce qui est vrai et faux, ce qui revient à Marie et ce qui me revient à moi dans cette histoire en blanc sur laquelle j'hallucine comme dans l'enceinte de ma prison maghrébine.” (117)
Caroline, encore: “Les données parallèles de cette histoire sans queue ni tête m'échappent au fil des pages au lieu de venir se ranger bien sagement dans une structure cohérente. Elles vont dans tous les sens et débordent presque toujours la question. Mais comment déceler ce qui est fonctionnel dans un tel fouillis ? Comment faire pour découvrir la raison pure qui a régi cette suite de non-sens ? Marie aurait-elle fait un héritage dernièrement ? Tout ne se ramènerait-il qu'à une sordide question d'argent ? Ça expliquerait tout et ça serait tellement plus simple… Mais ce n'est pas cela, ça ne colle pas. Ça peut tout juste, à la rigueur, servir de finale à un roman policier.” (123)
→ Le jeu fictionnel que l'on retrouve dans Meurtres à blanc serait-il donc une manière de dépasser le roman policier ?
Fin du roman
Caroline se suicide avec ces derniers mots: “…réduisant à néant la soeur indigne que je suis” (124).
Tout de suite après, une puce marque une séparation, puis c'est l'écrivaine évoquée dans le résumé (et qui pourrait possiblement être Marie, morte ?) qui débarque le temps de quelques lignes:
- “Je n'ai jamais eu de soeur. Et je n'en ai toujours pas. En lisant ces dernières pages, j'ai failli croire, moi aussi, à l'existence de cette Caroline racontant ma mort. Mais Caroline n'est que l'héroïne d'un roman inachevé. Quel fantôme m'a donc habitée pour que je rédige ainsi, sous le nom d'une autre, la fin fatalement tragique de cette aventure en cul-de sac ? Caroline avait quelques certitudes. je n'en ai toujours aucune. Et je tremble à l'idée de ce coup de poignard qui m'est destiné. J'ai peur de cet Abdul, personnage fictif, qui menace de basculer d'un moment à l'autre du côté du réel.” (124-125)