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FICHE DE LECTURE COLLECTION « L'UN ET L'AUTRE »
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Antoine Billot Titre : Le Désarroi de l'élève Wittgenstein Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : « L'un et l'autre » Année : 2003 Pages : 208 Cote : BANQ, niveau 1, romans, B5991d Désignation générique : Aucune
Préface : Aucune.
Rabats : Deux rabats. Sur l'un d'entre eux apparaît un extrait du Mein Kampf d'Hitler où il est fait allusion à « un chercheur international de vérité », dont l'identité n'est par contre pas dévoilée par l'auteur, même si Billot hasardera plus loin –– sous le couvert de la fiction ––, l'hypothèse qu'il pourrait s'agir de Wittgenstein. Sur l'autre rabat figure le programme de la collection.
Image de la couverture : D'après une photographie, où apparaissent Wittgenstein et Hitler, prise à la Realschule de Linz. Billot attire d'emblée l'attention du lecteur au moyen de ce portrait représentant les deux individus alors qu'ils fréquentaient, en 1904-1905, une même école, occasion pour l'auteur d'introduire le thème central de son livre : l'amitié qu'ont noué, comme il se plaît à l'imaginer, le politique et le philosophe durant leurs séjours dans un même établissement.
Autres : Un épigraphe. Il s'agit d'un extrait du Livre des nuits de Sylvie Germain : « il ne trouve pas ce qu'il cherche/ceux qu'il cherche/les siens », peut-on lire. Cet épigraphe, seulement cité ici en partie, prépare le développement de l'intrigue du Désarroi de l'élève Wittgenstein, axée sur la quête identitaire (et mémorielle) menée par les personnages.
INFORMATIONS SUR LE BIOGRAPHE :
Pays d'origine : France.
Profession : Professeur et chercheur en économie, et écrivain.
Bibliographie : Billot a publié quatre titres dans la collection « L'un et l'autre ». Il s'agit, outre Le Désarroi…, de La Part de l'absent (2004), de Monsieur Bovary (2006) et de Portrait de Lorenzaccio en milicien (2010). S'ajoutent à ces livres non seulement deux ouvrages concernant l'économie (Préférences et utilité floues [1987], Economic Theory of Fuzzy Equilibrium : An Axiomatic Analysis [1992]), mais un roman publié chez Gallimard en 2008 et intitulé La Conjecture de Syracuse.
INFORMATIONS SUR LE BIOGRAPHÉ :
Identification du biographé : Ludwig Wittgenstein.
Brève biographie du biographé : Wittgenstein publie Tractatus logico-philosophicus en 1921. Le langage est l'un des principaux champs d'investigation du philosophe.
Autres informations : Non.
Époque du biographé : 1889-1951.
Pays d'origine : Autriche.
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Ils ont des statuts distincts. Le narrateur, de race sémite, se prénomme Nathan. Il abhorre les fanatiques en tous genres. Soit les intégristes religieux et les justiciers assoiffés de vengeance (tels ces protagonistes, inventés par Billot, qui procèdent presque systématiquement à des condamnations irrévocables à l'endroit de ceux ayant entretenu de quelconques rapports avec les nazis [2003 : 125]). Ainsi, la judéité de Nathan, bien qu'elle ait attiré des persécutions à ses proches, dont son père, une victime des nazis, est incompatible avec l'attitude des Juifs hassidiques et fanatiques, décrits péjorativement dans Le Désarroi…
Narrateur/personnage : Le narrateur prend part à l'action en tant que personnage principal. Il ne cessera, au cours du déroulement du récit, de se rapprocher de Wittgenstein, au point de devenir son principal, sinon unique, confident.
Biographe/biographé : À défaut de pouvoir parler d'un travail de biographe au sujet de Billot (son texte n'offrant pas suffisamment de prises pour procéder de la sorte), je remarque cependant que le narrateur du Désarroi…, Nathan, entretient un rapport conflictuel avec Wittgenstein. Celui-là préfère « la ``vieille philosophie occidentale``», décriée par celui-ci, aux « propositions aphoristiques », aux « maximes un peu vives » et autres « injonctions lapidaires », soit les formes préconisées par Wittgenstein lui-même (2003 : 75). Un respect mutuel gagne toutefois les deux protagonistes du roman de Billot; en tant que personnage clé de ce livre, Wittgenstein se lie d'amitié, sinon d'amour, avec Nathan, agacé, toutefois, à un certain moment du récit, par la propension du philosophe à « [noyer] sa réponse [à une lettre écrite à son attention par Nathan] sous une pluie de concepts et d'exemples abstrus » (2003 : 152).
Autres relations : Encore là, on parlera de personnages entretenant des relations avec le narrateur plutôt que de protagonistes liés à l'auteur. Il suffira pour ce faire de souligner l'importance d'Abraham Lutz, un personnage de mathématicien qui s'associe, avec quelques autres protagonistes, à une organisation pour le compte de laquelle oeuvre également Nathan lorsqu'il enquête sur le passé soi-disant trouble (j'y reviendrai) de Wittgenstein : la JOSS, acronyme composé des initiales des termes Jewish Organisation for Strategic Studies. C'est Lutz qui confie à Nathan la mission consistant à soutirer des informations relatives à l'amitié que, insinue celui-là, Wittgenstein aurait supposément nouée, pendant ses études, avec l'individu appelé à plusieurs reprises dans Le Désarroi… l'« enfant Moloch » –– Hitler (2003 : 87).
L'ORGANISATION TEXTUELLE :
Synopsis : L'intrigue du Désarroi… se situe principalement sur deux plans. Je les envisage à l'instant. Billot consacre d'importants développements à l'enquête menée par Nathan sous la supervision de Lutz dans le but d'établir la culpabilité de Wittgenstein à partir de la prise en considération des accointances de ce dernier avec Hitler; voilà pour le premier plan sur lequel se situe le récit de Billot, plan dont on pourrait également affirmer qu'il présente, pour l'essentiel, le héros-narrateur du Désarroi… en train de s'adonner à des interprétations, quand ce n'est pas à des lectures herméneutiques, des propos énigmatiques que lui adresse soit oralement, d'abord, soit par écrit, ensuite, Wittgenstein. Le difficile est alors de décrypter, comme essaie de le faire Nathan, le message quasi secret qui se trouve à être encodé, suspecte ce dernier, au sein des exposés parfois sibyllins du philosophe. Se pose, en ce sens, et de façon lancinante, la question suivante dans Le Désarroi… : ce que Wittgenstien a voulu taire pour n'avoir pu le dire, comme il est écrit quelque part dans le Tractatus…, sans que soient fournies davantage de précisions à ce sujet (Wittgenstein cité par Billot, 2003 : 50), n'est-ce pas justement son amitié avec Hitler ?
Afin de répondre (par l'entremise de la fiction) à cette question, Billot conclue son ouvrage au moyen du récit de la confession recueillie par Nathan alors qu'il se trouve au chevet d'un Wittgenstein à l'agonie. Il s'agit là de ce qu'on peut appeler le deuxième plan sur lequel se situe le récit présenté dans Le Désarroi… Un coup de théâtre survient dans cette portion de l'ouvrage. Alors que les membres de la JOSS délaissent Nathan, estimant, devine-t-on, avoir recueilli suffisamment d'informations au sujet de Wittgenstein et pouvoir, par conséquent, se passer de leur enquêteur, celui-ci comprend, lors de l'ultime confession du philosophe, que l'auteur du Tractatus… n'a été pour rien dans l'évolution qu'était appelé à suivre Hitler.
Ainsi, la phrase prononcée à plusieurs reprises ``par Wittgenstein`` à son propre sujet : « Je suis un salaud » (2003 : 51), n'est pas l'aveu d'une culpabilité de sa part –– conclusion hâtive et inappropriée, à laquelle Lutz souhaite vraisemblablement parvenir ––, car c'est en fait une forme de réminiscence de l'épisode, inventé par Billot (tout porte à le croire), lors duquel Hitler, aidé de plusieurs étudiants, battit le jeune Wittgenstein afin d'assouvir la vengeance qu'il conçut à l'égard de celui-ci, dont le tort fut d'avoir prononcé un jugement défavorable au sujet des premiers essais artistiques de l'« enfant Moloch », essais ratés, selon l'avis de l'élève agressé.
Ancrage référentiel : Les références au Mein Kampf contenues dans Le Désarroi… (2003 : 126-127) de même que les commentaires faits par les personnages de Billot au sujet de la photo présentée sur la couverture du Désarroi… et où apparaissent Wittgenstein et Hitler (2003 : 126-127), constituent autant de données factuelles. Elles renvoient directement au réel.
Indices de fiction : Introduction d'éléments de suspense, recours au mode de focalisation interne.
Indices autobiographiques : Ne s'applique pas.
Rapports vie-œuvre : Écrivant le Tractatus…, Wittgenstein aurait, peut-on présumer à la lecture du Désarroi…, songé à sa judéité plus ou moins inavouable et aux affres que lui ont fait subir ses confrères de classe en raison de son appartenance à la race sémite (2003 : 197-200).
Thématisation de l'œuvre du biographé : Billot met à plusieurs reprises l'accent sur le dualisme dont témoignent et l'œuvre et le comportement de Wittgeinstein, à la fois enclin à délirer, même s'il fait alors preuve d'une « lucidité douloureuse » (2003 : 113), et à préconiser le raisonnement logique. Voilà la raison pour laquelle le Tractatus…, aux dires de Wittgenstein, se présente sous la forme d'un texte « comport[ant] en fait deux parties » (2003 : 149) et dont la deuxième se dérobe à l'attention du lecteur puisque le philosophe a cru bon de dissimuler ce qui relève de l'indicible, quoique ce soit par ailleurs « cette autre partie qui avait fécondé la première que l'on pouvait [à la différence de l'autre] lire et commenter » (2003 : 149).
Thématisation de l'œuvre elle-même : Rien là-dessus.
Rapport entre le texte et le programme de la collection : En racontant une vie de Wittgenstein telle que « l'imagination [la] recrée », selon les termes employés dans le descriptif du programme de la collection, Billot prend des libertés, mais il a licence de le faire, et sa biographie fictive ne départ pas la collection.
Topoï : Amitié, interprétation de discours et de textes, enquête, quête mémorielle, Holocauste.
Hybridation : Le Désarroi… peut être envisagé comme une biographie fictive.
LA LECTURE :
Pacte de lecture : Sous-entendu, ce pacte. Par ailleurs, le lecteur sait, dès les premières pages, à quoi s'en tenir. Le narrateur s'apprête, c'est évident, à raconter un récit (fictif) dont il sera le héros.
Remarques générales sur la collection : Le Désarroi… semble relever davantage de l'esthétique romanesque que ne le fait la majorité des ouvrages de « L'un et l'autre ».
Lecteur/lectrice : Charles-Philippe Casgrain.