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FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Peeters , Benoît Titre : Paul Valéry, une vie d’écrivain? Lieu : Paris Édition : Les impressions nouvelles Collection : Année : 1989 Pages : 236 Cote UQAM : PQ2643A26Z822 Désignation générique : « Essai », même si le titre annonce une « vie ».

Bibliographie de l’auteur : Des romans (Omnibus, 1976; La bibliothèque de Villers, 1980; L’Irrésistible bibliographie critique et polissonne de Carl-Emmanuel Derain, écrivain décédé, par Lucien Maréchal et quelques mains amies, 1987), des romans-photos (Fugues, 1983; Droit de regards, 1985; Le mauvais œil, 1986), deux études / essais sur Hergé et son personnage de Tintin et cinq bandes dessinées sur des thèmes divers. Productions très variées!

Biographé : Paul Valéry

Quatrième de couverture : S’annonce comme la première biographie de Valéry : « Alors que tous ses contemporains ont vu depuis longtemps leurs existences passées au peigne fin, la vie de Valéry, quarante-quatre ans après sa mort, n’a pas été écrite. » Cette trajectoire que Peeters se propose de faire connaître est celle d’un écrivain dont la vie serait une véritable « aventure littéraire », de bout en bout marquée par la contradiction entre le désir et le refus d’écrire. Le texte est présenté comme « mi-chronologique, mi-thématique, mais fondé sur de nombreux documents rarissimes ou inconnus » qui permettront de mieux comprendre le parcours littéraire de Valéry. Biographie centrée sur l’œuvre donc, mais, paradoxalement (le paradoxe est partie intégrante du « mythe Valéry ») : « Ce qui se dessine peu à peu, à travers anecdotes et analyses, c’est le portrait d’un artiste douloureusement problématique, le plus grand, peut-être, des écrivains sans œuvre. » !

Préface : Non, mais le premier chapitre titré « Le problème biographique » fait office d’avant-propos. L’auteur y expose, entre autres, la position de Valéry par rapport à l’écriture biographique, reprenant les propos de ce dernier : « J’estime, - c’est là un de mes paradoxes, - que la connaissance de la biographie des poètes est une connaissance inutile, si elle n’est nuisible, à l’usage que l’on doit faire de leurs ouvrages. » (Œuvres I, p. 428) Peeters remarque pourtant que Valéry s’est lui-même adonné à certaines « évocations biographiques » sur Degas, Mallarmé, Hugo et Descartes, confessant : « Mais, cette fois, le problème biographique est inévitable. Il s’impose et je dois faire ce que je viens de discriminer. » (Ibid., p. 429) Mais la vie qui intéresse le plus Valéry, c’est la sienne propre, l’écrivain usant presque continûment du « je », développant au fil des ans une écriture qui constitue en même temps son mythe : « Une vie, plus que tout autre, ne cesse de passionner Valéry : celle de Valéry. Il est peu d’œuvres aussi constamment préoccupées du Sujet qui leur donna naissance. […] Du ‘’je’’, Valéry use presque continûment. Certes, pour celui qui déclara parfois vouloir construire un système du Moi, l’Ego a une forte signification théorique. Mais là ne se limite pas son usage et les fragments proprement autobiographiques sont innombrables. Jamais Valéry ne craint de faire retour sur lui-même, de commenter ses écrits antérieurs, de préfacer des livres à lui consacrés. Le cas Valéry, de toute évidence, est un bon objet de méditation pour le penseur Valéry. Au fil des ans, l’auteur de Propos me concernant s’est construit une vie sur mesure, biographie ad hoc aussi largement fictionnelle, même si plus fragmentaire, que les Confessions ou Les Mémoires d’outre-tombe. Il se forge sa légende, propose lui-même arguments et métaphores, et chacun lui emboîte le pas, croyant ingénument découvrir ce qui a été disposé pour lui. » (p. 10) La fiction se trouve donc au cœur de la vie de Valéry, qui se fabrique lui-même, au gré de son imagination et de ses intuitions. L’écrivain, malgré son mépris pour la littérature, qu’il transposera en mépris littéraire, finira pourtant sa vie chargé d’honneur de toutes sortes,. Le paradoxe au centre du personnage de Valéry est donc ce qui le fait écrire, mais également ce qui l’empêche de trouver quelque consolation que ce soit dans cet acte.

Rabats : Non.

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Épigraphe de Paul Valéry : « Voici un conte merveilleux, dans lequel tout est vrai, et non seulement vrai, mais vérifiable. S’il était imaginaire, ce serait un chapitre de la mythologie de l’esprit humain, et le personnage dont je parle se rangerait parmi les héros et les demi-dieux de la fable intellectuelle. Mais toutes les preuves de sa prodigieuse existence sont à la disposition de quiconque les exige et ses hauts faits, sous les yeux de qui veut les voir. » Comme dans les Vies minuscules de Michon, ce ne sont pas les hauts faits qui font les grands hommes, mais la trajectoire effectuée et l’intérêt porté par un tiers aux particularités d’une existence.

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : La forme de l’essai induit évidemment que c’est Peeters le narrateur - extradiégétique et omniscient - qui a accès à toute la documentation possible sur son biographé. L’auteur et narrateur profite de sa position pour expliquer son projet et émettre ses opinions personnelles quant à la « trajectoire valéryenne » : « J’ai voulu proposer dans ces pages les étapes de cette aventure littéraire, proposer une vie d’écrivain qui soit vraiment vie d’écrivain. […] Le premier intérêt d’une biographie d’artiste ou d’écrivain ne devrait-il pas être de mettre à jour la figure particulière qu’il dessine, de nous faire mieux saisir le désir de l’œuvre, la naissance des projets, les circonstances qui infléchirent leur élaboration – chose particulièrement importante dans le cas de Valéry. » (p. 12) En ce qui concerne le « grand projet » de Valéry, un texte immense sur la constitution de la pensée qu’il attribue au concept de self-variance (« instabilité propre, essentielle, de tout ce qui est psychique – connaissance, pensée sont avant tout des changements. » Cahiers I, p. 854), Peeters évalue les motifs de son échec, puisque le « projet » prendra rapidement une allure de cul-de-sac : « Que s’est-il passé entre temps? Comment en est-il [Valéry] arrivé à ce constat d’échec? On peut risquer quelques hypothèses. [C’est moi qui souligne] D’abord, il semble bien que son ambition de découvrir la ‘’mathématique cachée des propriétés de l’esprit’’ se soit heurtée à sa curiosité incessante et changeante : ‘’J’ai beau faire, tout m’intéresse’’ notait-il joliment dans un de ses petits carnets. […] Une autre difficulté vient sans doute de son refus de s’appuyer sur les travaux des autres. Lisant de moins en moins et voulant tout reconstruire à partir d’une table aussi rase que celle de Descartes, Valéry court le risque de chercher interminablement ce qui a déjà été trouvé par un autre. […] Tout aussi problématique paraît l’insuffisance de ses connaissances scientifiques et notamment mathématiques. Valéry vit davantage sur une mythologie des mathématiques que sur un véritable savoir, même d’amateur. Lui qui réclame sans cesse la rigueur use des concepts comme de simples métaphores, se servant avec une certaine imprudence de ‘’vocables mathématiques dont il ne domine pas entièrement le contenu.’’ De telles approximations, qui ne seraient qu’anecdotiques s’il se contentait d’évoquer incidemment les mathématiques, deviennent pour le moins gênantes au moment où il veut s’appuyer sur elles pour refaire un dictionnaire plus précis qu’aucun autre. » (p. 89) Peeters se fait donc le juge des projets de Valéry, mais un juge clément et compréhensif, qui y reconnaît le caractère unique de son biographé, dont la vie d’homme ne se fait pas en parallèle (comme chez Kafka pour qui l’écriture se passe à côté de sa vraie vie), mais en parfaite symbiose avec sa vie d’écrivain. Même sorte de jugement en ce qui a trait au silence de l’écrivain, qui a fait couler beaucoup d’encre de la part des critiques et des penseurs : « Rien de mystique ou d’absolu dans son silence. Il ne se passe guère d’année sans qu’il ait quelque projet de publication ou de travail extérieur. Mais jamais les contraintes ne sont assez fortes pour que les choses aillent jusqu’au passage à l’acte. » (p. 101) C’est dans une perspective d’ensemble que Peeters considère la vie de Valéry, ce qui lui permet de saisir les thèmes, subtilités et répétitions qui s’en dégagent. Lorsqu’il fera le récit de la rencontre entre Valéry et André Breton, Peeters reviendra sur le silence de l’écrivain, mais cette fois pour approfondir ce qui avait été effleuré : « Le mythe du silence quasi rimbaldien dans lequel Valéry semblait s’être enfoncé était si fort que toute production prenait l’allure d’une trahison. En se remettant à publier, ‘’Monsieur Teste’’ ne pouvait que déchoir aux yeux de son jeune admirateur. » (p. 127) L’auteur envisage donc la trajectoire littéraire de Valéry dans son entièreté, cherchant à éclaircir la constitution d’un véritable mythe, qui se serait construit sur la base d’incompréhension profonde des motivations de l’écrivain, dont l’œuvre n’est plus aujourd’hui qu’un vague souvenir. À titre d’exemple : « Plus encore que la conclusion des articles de Williams, Un conquête méthodique sera la touche finale de ce séjour à Londres. Ce texte, sur lequel s’édifiera la réputation de compétence politique de Valéry, n’est pas du tout le résultat d’une intuition ex nihilo; c’est la leçon qu’il a tirée de trois semaines de travail pour la Chartered Company. » p. 67 En même temps qu’il l’explique, Peeters, en somme, démythifie le mythe!

Narrateur/personnage : L’approche essayistique de Peeters rend difficile la présentation d’un récit de vie narratif, empêchant l’auteur de s’intégrer à son texte en tant que personnage. La vie de Valéry est toujours envisagée avec beaucoup de recul, et si Peeters s’intéresse à cette vie, c’est manifestement davantage pour sa valeur littéraire, ce dont le chercheur et essayiste veut rendre compte, que pour ses possibilités imaginatives. L’auteur suit pourtant Valéry à la trace, grâce à l’immense banque de documents qu’il a constituée sur la vie et surtout l’œuvre du grand homme. On imagine sans peine Peeters épiant Valéry, notant ses moindres travers, sa paresse, son éparpillement et, biographie oblige, les événements marquants de sa vie (littéraire). Dans un passage sur la relation avec Pierre Louÿs, grand ami et écrivain contemporain de Valéry, Peeters explique : « Ce spectacle de la déchéance et de la ruine de son brillant ami de jeunesse n’est certainement pas étranger à la boulimie de carrière que manifeste Valéry en ce début des années vingt. Et lorsqu’il évoquera, dans un courrier à son frère de 1922, ‘’les Lettres, avec les libertés, les dangers, les incertitudes infinies’’, c’est très probablement l’image de Louÿs qu’il a en tête. » p. 137. Cette remarque est évidemment très subjective et dénote une réflexion personnelle de l’auteur, qui s’aide des documents dont il dispose pour étoffer son propos.

Biographe/biographé : L’auteur s’identifie très peu à son biographé et reconnaît en lui les vestiges (autant littéraires que sociaux) d’une époque révolue. Plusieurs extraits sont éminemment critiques envers l’œuvre de Valéry, où sont autant reconnus le talent de l’artiste que ses velléités : « […] Même si on peut donner entièrement tort à Valéry, force est de reconnaître que Mallarmé ose infiniment plus que lui : en radicalisant le poétisme, il fait exploser le cliché; en bouleversant la syntaxe, il réinvente le vers. Valéry n’a pas de ces audaces : lui qui en 1892 avait renoncé à la poésie de crainte d’écrire ‘’du Mallarmé très inférieur’’, il proposera bientôt une version édulcorée, assimilable, de l’art mallarméen. Épris de joliesse, il évoluera de plus en plus vers la fadeur. » p. 147. Valéry est également présenté comme un écrivain majeur de son époque, ce dont attesterait les nombreux prix qu’il a reçus. Peeters envisage pourtant ceux-ci comme des accidents de parcours, à l’instar de Valéry lui-même : « On veut que je représente la poésie française. On me prend pour un poète! Elle ne m’intéresse que par raccroc. C’est par accident que j’ai écrit des vers. Je serais exactement le même si je ne les avais pas écrits. C’est-à-dire que j’aurais, à mes propres yeux, la même valeur. » [Citation de Valéry de 1922, tirée du Journal d’André Gide, p. 749] p. 146. Plus loin : « ‘’Tout se passe comme si j’étais ambitieux’’ note-t-il dans ses Cahiers avec une ironie peut-être involontaire.[…] Il semble d’ailleurs que l’accumulation de ces honneurs ne lui ait apporté que peu de joie, comme si, même en leur abondance, ils ne parvenaient pas à effacer ce qu’il avait perdu, ou croyait avoir perdu, vers 1897 [L’amour de la poésie]. » p. 189. Certaines remarques sensibles de cette sorte marque la position d’analyste qu’endosse Peeters, un analyste qui juge non seulement les choix de Valéry dans sa propre vie, mais aussi ses choix littéraires, qui sont semble-t-il intrinsèquement liés : « [Si Valéry] fut très tôt un déçu de la poésie, c’est notamment, me semble-t-il, en raison de deux écueils sur lesquels il a constamment buté, bien qu’étant mieux préparé que quiconque à pouvoir les éviter. Le premier est son lexique. Valéry se conforme, en presque tout, à la langue poétique dans ce qu’elle a de plus conventionnel et souvent de plus usé. […] L’autre limite de la poésie valéryenne est plus surprenante encore. Il trouvait la découverte du sonnet plus admirable que n’importe quel sonnet, mais qu’apporta-t-il à la poésie sinon quelques beaux vers? Beaucoup moins inventif qu’Hugo ou que Verlaine – et même qu’Apollinaire ou Aragon -, il reprit les formes et les mètres traditionnels sans y toucher le moins du monde. » p. 146-148. On est ici très loin du discours hagiographique : Peeters se permet des critiques négatives de l’œuvre, évaluant après coup son vieillissement, ses erreurs, son enlisement dans des formes obsolètes. La relation entre biographe et biographé est somme toute divisée entre deux pôles : celui du critique pédagogique qui estime la valeur littéraire d’une œuvre, et celui du lecteur de longue date qui s’est pris de sympathie pour un écrivain majeur en son temps, mais aujourd’hui plus connu par son mythe que pour son œuvre. « Triomphateur amer, aveugle visionnaire et moderne réactionnaire : tel m’apparaît aujourd’hui ce vivant antinôme qui s’appelait Valéry. […] Car, pour ma part au moins, ce qui me touche chez lui, plus encore qu’œuvres et Cahiers, c’est cette béance où demeure l’œuvre à faire, ce perpétuel entre deux chaises, cette impression qu’un moment de l’aventure littéraire est, avec lui, en train de toucher à sa fin. Non qu’il n’y ait eu, après lui, de grands livres. Mais peut-être parce qu’est morte en même temps que lui, si française, une certaine idée de l’écrivain. Cela méritait bien, n’est-ce pas, des funérailles nationales. » p. 234-235 Le texte se conclut donc sur une note de compassion de la part de l’auteur, qui veut garder vivant le souvenir de ce « grand poète ».

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Peeters passe d’abord rapidement sur les années d’enfance de Valéry, précisant notamment qu’il a composé ses premiers vers de treize ans et que ses lectures étaient déjà abondantes à ce jeune âge. Les événements ne semblent souvent que des trames de fond pour expliquer ce qui se passe à l’intérieur de Valéry : la naissance de son goût prononcé pour la littérature et surtout la poésie, qui est contrebalancé par sa haine du « devoir écrire ». On passe ainsi de ses années de baccalauréat à ses premières amours inaccomplies, jusqu’à ses rencontres plus littéraires : avec Pierre Louÿs (qui l’encourage dans sa vocation d’écrivain comme aucun autre) puis, la plus marquante sans doute, avec Mallarmé (qu’il admire profondément).Il est brièvement question de son mariage avec une certaine Jeannie Gobillard (« qui s’apparente à la famille du peintre Manet »), et beaucoup moins brièvement question de sa passionnée et tortueuse liaison avec Catherine Pozzi, dont le nom (ou les pseudonymes « K, CK, Karin, Béatrice ou Eurydice », p. 150) revient comme un leitmotiv dans ses écrits de toutes sortes. Peeters évoque les différents projets littéraires de Valéry, jusqu’à son silence de près de vingt ans qui n’en est pas un, l’écrivain multipliant les œuvres avortées, délaissées, préférant à la publication l’écriture de ses Cahiers fragmentaires et désordonnés. Peeters passe au crible les différents et contradictoires intérêts de Valéry, qui vont de la physique einsteinienne la plus complexe aux simples dîners entre écrivains où il peut exprimer ses idées à propos de… tout, quitte à parfois s’emmêler les pinceaux! Après une longue période de procrastination littéraire, Valéry se remet à publier, entre autres son poème le plus célèbre, La jeune Parque, qui connaît un vif succès et qui contribue à faire de lui « le plus grand poète français vivant », ce dont l’écrivain doute fort! Les publications se feront plus fréquentes, mais elles sont presque toutes des commandes, Valéry se soumettant à la loi de la demande et étant plutôt réticent à voir ses œuvres « imparfaites » entre les mains du public. Dans la dernière période de sa vie, Valéry aurait largement profité de sa propre valeur marchande, ce qui est confirmé par plusieurs de ses contemporains; Léautaud : « Un jour le libraire Lang alla voir Valéry pour lui dire qu’il avait un amateur qui voudrait bien avoir le manuscrit d’Eupalinos. Le manuscrit qui avait servi à l’impression avait été fait à la machine, avec les papiers de Valéry, détruits ensuite par lui. Valéry explique cela à Lang et aussitôt lui ajouta : ‘’Je pourrais vous en faire un si vous voulez?[…]’’. Valéry a fait de même, dans un autre genre, pour La jeune Parque. Il reçut plusieurs demandes pour le manuscrit de ce recueil. Il en fit lui-même plusieurs, avec des variantes et des corrections différentes pour chacun. » (p. 167-168 de Peeters). Pozzi : « Noter, pour mémoire, à propos des manuscrits de V. qui se promèneront plus tard, que tous ceux qu’il a vendus depuis que je le connais étaient truqués – fabriqués après coup -, et qu’il n’est pas de mois (peut-être de semaine) où il ne ‘’fasse’’ un autographe de ‘’travail’’ avec ratures, petite équation (généralement dérivée) et dessin fantastique, acheté au grand prix par l’amateur qui croit posséder l’équation pure du premier travail. » (p. 168 de Peeters) Sur le directeur du mensuel Le Crapouillot : « Évoquant ‘’le miracle de la multiplication des originales’’ par l’ajout de ‘’quelques mots de préface ou un quatrain inédit à une œuvre déjà maintes fois éditée’’, [Jean] Galtier-Boissière analyse minutieusement trois exemples : La jeune Parque, La soirée avec Monsieur Teste et Charmes. Ses arguments paraissent peu contestables. » p. 169 (Je ne rapporte pas tout ici de ce curieux rapport aux manuscrits chez Valéry, mais disons simplement que celle-ci ne facilite pas la tâche des biographes et exégètes…) Le poète vieilli finira par se cloîtrer dans ses conceptions archaïques de la littérature, son caractère réactionnaire renforcé par son siège à l’Académie pour lequel il s’est longtemps battu. « L’Académie n’est que le plus spectaculaire des honneurs qui lui échoient dans cette période. En peu d’années, Valéry va cumuler un nombre impressionnant de charges et de titres : il gravit tous les échelons de la Légion d’Honneur de 1923 à 1938, est Président du Pen Club de 24 à 34, Administrateur du Centre Universitaire méditerranéen en 33, Professeur du Collège de France en 37. Sans compter les médailles, les prix, les présidences de commission, les inscriptions aux frontons de Chaillot et les doctorats Honoris causa. » p. 189 Il est finalement question de la rencontre avec Madame Jean Voilier, sa dernière maîtresse, qui lui fera goûter une dernière fois, peu avant la mort, la tendresse de l’amour. Le Valéry de Peeters est plutôt chronologique, même si l’auteur fait quelques écarts dans le temps pour rejoindre certains chapitres qui portent sur des thématiques particulières. Curieusement, plus on avance dans l’œuvre, plus la biographie semble fragmentaire, chose que reproche justement Peeters au Valéry des dernières années dont les écrits ne sont plus que des pièces accolées les unes aux autres par nécessité de publication (Cahiers).

Ancrage référentiel: Peeters a manifestement fait un énorme travail documentaire pour l’écriture de son essai biographique, à un point tel qu’une bibliographie des références aurait été nécessaire. Outre les œuvres de Valéry, Peeters cite des correspondances (Louÿs, Gide, Gustave Fourment, Jeannie Valéry, Fontainas, Lettres à quelques-uns), des études sur l’œuvre (Sollers, Valéry pour quoi?, 1987; Larbaud, Paul Valéry; Mondor, Précocité de Valéry, Les premiers temps d’une amitié : André Gide et Paul Valéry, 1947, Propos familier de Paul Valéry, 1957; Entretiens sur Paul Valéry, 1971; Frédéric Lefèvre, Entretiens avec Paul Valéry, 1926; Oster, Monsieur Valéry, 1981; Fontainas, Paul Valéry vivant, 1946; Monod, Regard sur Valéry 1947; Guy Thuillier, « Valéry au ministère de la guerre. », 1962; Cahiers Paul Valéry; Féline, Souvenirs sur Paul Valéry, 1954 etc, etc.). Peeters va aussi chercher des informations pertinentes dans des œuvres des contemporains et amis de Valéry et des études (Gordon Millan, Pierre Louÿs ou le culte de l’amitié, 1979; Pierre Champion, Marcel Schwob et son temps, 1927; Marcel Thomas, Les écrivains et l’affaire Dreyfus, 1983; Catherine Pozzi, Journal 1913-1934, 1987; Maurice Martin du Gard, Les Mémorables, 1960; Léautaud, Journal littéraire I.) Les citations et notes de bas de page pullulent dans ce texte où les références sont envahissantes. Autre ancrage intéressant et moins conventionnel : chacun des chapitres prend son titre de paroles prononcées par Valéry (sauf peut-être deux ou trois qui reprennent les paroles de proches de Valéry), et qui introduisent un thème particulier. Ex : « Sa tête d’adorable méduse » : Chap. 4 où Peeters parle du premier grand amour – déçu – de Valéry. « La seule tête à couper » : Chap. 8 où il est question de l’admiration presque aliénante de Valéry pour Mallarmé; l’écrivain cherchera toute sa vie (vainement) à se défaire de cette influence. « La pesante administration de la guerre » : Chap. 10 sur l’expérience de Valéry comme rédacteur au Ministère de la guerre. « On m’a toujours traité de réac » : Chap. 11 qui traite des opinions politiques de Valéry et ainsi de suite.

Indices de fiction : À quelques reprises, Peeters précise qu’il s’appuie sur des sources inédites ou éludées dans la plupart des études sur Valéry, et tente des extrapolations à partir de celles-ci : « Le manuscrit que lui [Louÿs] enverra Valéry peu après […] sera à l’origine d’un événement plus significatif qu’il n’y pourrait d’abord paraître. » p. 31 Le dit manuscrit se retrouvera entre les mains de Mallarmé, qui en parlera à Gide, qui lui en parlera à Valéry, sans toutefois connaître toute l’histoire, ce qui aurait gravement heurté la sensibilité de l’artiste… Autre exemple de supposition : « Une semaine plus tard, par contre, va survenir un événement important – et jusqu’ici passé sous silence […] » p. 80 Sur Gide et son opinion (contraire à celle de Valéry!) dans l’affaire Dreyfus. Encore : « Malgré sa brièveté, le séjour que Valéry fait à Londres en 1896 représente une étape si importante – et si mal connue - qu’il mérite d’être raconté en détail. » (En note de bas de page, Peeters précise qu’il connaît ces informations grâce aux documents recueillis par Cecily Makworth dans son livre English Interludes, 1974. Passage peu fictionnalisé donc, malgré la forme qu’il prendra tout de suite après.) Suit un passage narratif qui dénote pourtant une certaine fictionnalité : « Valéry est encore au lit, le dimanche 29 mars 1896, lorsqu’on lui apporte une lettre postée la veille par un certain Lionel Decle. » p. 61 Londres aurait été pour Valéry une école du politique. Peeters va parfois mettre en doute sa propre documentation; notant dans le corps du texte : « ‘’J’ai le secrétaire qu’il te faut, un génie!’’ aurait annoncé Lebey à son vieil oncle. », Peeters précise en note de bas de page, après la référence du texte : « La fiabilité des souvenirs de Maurice Martin du Gard, particulièrement riches en anecdotes sur Valéry, est mise en cause par certains. » p. 98 Peeters se fait aussi lecteur des pensées profondes de Valéry, qu’il ne peut évidemment pas connaître : « Mais après l’élan de 1913, qui lui a permis de composer les premiers mouvements du poème [La jeune Parque], celui-ci reste longtemps en panne. La mauvaise santé de Jeannie, le départ pour une station de cure dans les Pyrénées, la déclaration de guerre sont autant de soucis qui l’éloignent de son poème. Curieusement, c’est pourtant la guerre qui va le faire revenir sur ses vers. Valéry, qui s’attend chaque jour à être mobilisé et souffre de se sentir inutile, est incapable de penser librement. Les exigences de la poésie classique parviennent seules à le retenir à sa table. » p. 109

Rapports vie-œuvre : Que ça! Comme le projet de Peeters est de donner une vie d’écrivain, son texte est constitué de sorte qu’on puisse retracer, essentiellement, la vie littéraire de Valéry. La relation à Mallarmé sera particulièrement importante en ce qui a trait au rapport entre la vie et l’œuvre de Valéry : d’abord, l’œuvre est très influencée par les écrits de Mallarmé, mais l’écrivain cherche aussi à se libérer de l’emprise qu’a sur lui l’œuvre de son idole. L’intérêt que porte Valéry à l’œuvre de Mallarmé existe toujours en parallèle avec un sentiment d’aliénation, que Valéry fuit en même temps qu’il le recherche. Le rapport à Mallarmé est donc très semblable à celui qu’il a avec l’écriture elle-même : asservissante mais essentielle. L’inaccomplissement des commandes au sujet de Mallarmé traduit bien le mouvement de recul qui accompagne inlassablement l’intérêt de Valéry pour le poète de l’hermétisme : « C’est à Mallarmé qu’aurait dû être consacré son premier grand essai littéraire, qu’il travaille et abandonne en 1897; Mallarmé aussi qui est l’objet de la dernière commande importante qu’il accepte, en 1944, et ne finira pas. » p. 56 L’existence littéraire de Valéry est tout exprimée là, l’écrivain étant sans cesse déchiré entre son amour de la littérature et sa haine des littéraires ou des littérateurs, qui résultent chez lui en un éternel évitement (qui ressemble à de la paresse) lorsqu’il est question de l’œuvre : « Comme s’il fallait à tout prix que cette carrière se soit faite sans se faire, et toute mentalement. Comme si cette pratique-là ne pouvait, davantage que les autres, se trouver exercée sans dommage. » p. 190 Les rencontres de Valéry qui sont exposées dans le volume de Peeters se veulent toujours des moyens de mieux comprendre l’œuvre et sa genèse : la rencontre avec Pierre Louÿs qui incite, qui pousse même Valéry à poursuivre ses projets, à ne pas laisser tomber la carrière littéraire, qui l’encourage lorsqu’il est prêt à tout abandonner; la rencontre avec Catherine Pozzi qui, plus qu’une simple rencontre amoureuse, sera un autre incitatif à l’écriture, celle-ci se refusant à laisser sombrer le talent littéraire de Valéry, l’enjoignant à la rigueur, au travail, à l’application des idées éparses et éparpillées de l’écrivain dans des œuvres plus construites; la rencontre avec André Breton, ce jeune admirateur de l’écrivain et de son œuvre qui sera vite déçu par l’homme, par sa légèreté, ce qui incitera paradoxalement Valéry à reprendre la plume; les rencontres avec Gide, Einstein, des mathématiciens, des savants, qui vont toutes avoir une influence certaine sur l’œuvre, et dont les noms reviennent sans cesse dans les Cahiers et autres oeuvres. Il convient également de noter ici les remarques de Peeters sur le « quant-à-soi » et le « quant-à-tous », qui expliquent bien le rapport entre Valéry et son œuvre propre (autant qu’entre « Valéry-à-soi » et « Valéry-à-tous »!) : « Par quelque bout qu’on la prenne, la complexion valéryenne paraît reposer sur une bipolarité. De même que sont devenus inséparables les deux blocs symétriques des Œuvres et des Cahiers, de même sont solidaires comme les deux côtés d’une pièce la crudité de maintes formulations privées et la politesse académique de beaucoup de discours. Il y a deux tons : l’un pour l’extérieur, noble, prudent et parfois compassé; l’autre pour les intimes et pour soi-même, libre, vif et volontiers cynique. Les lettres, les Cahiers et la conversation opèrent comme parfait exutoire : déchargeant prématurément toute violence, ils interdisent aux textes de la maturité de se départir d’une certaine bienséance. » p. 211 Là se trouve résumé le personnage de Valéry, qui s’est constitué petit à petit, au fil des ans.

Thématisation de l’écriture et de la lecture : Peeters évoque surtout la difficulté qu’a Valéry de s’astreindre à la tâche de l’écriture, qui expliquerait son silence littéraire de plusieurs années. L’écrivain aurait butiné d’un projet à l’autre, d’une idée à l’autre jusqu’à la fin de sa vie, ses accomplissements ressemblant la plupart du temps à des effets du hasard pour lesquels Valéry n’aurait finalement pas tant de mérite (c’est lui-même qui penserait ainsi). « Praticien lucide et bougon d’un art qu’il aurait voulu n’être pas le sien, il achève une certaine idée de l’écrivain, lui qui, de toutes ses forces, désirait ne pas en être un. D’où cette déviance néo-classique qui lui fit revivre, sur le mode du simulacre, la perfection d’un certain idéal français : celui qu’incarnent – dans l’ordre – Descartes, Racine et Bossuet : il fut chacun d’eux, somptueux souvent, une façon de retour en farce. Intelligence admirable, il parvint à passer obstinément à côté de tout ce qui se faisait de neuf autour de lui – si près de lui parfois. Styliste éblouissant, il pressentit des pans entiers de notre modernité, mais – méfiance à l’égard de la fiction, manque d’un certain courage – il ne s’y investit jamais. » p. 234-235 L’écriture rejoint encore la vie, vice-versa, Valéry ne s’intéressant qu’aux idées et délaissant leurs applications.

Thématisation de la biographie : Le premier chapitre intitulé « Le problème biographique » laisse présager une réflexion sur le biographique, qui est assez brève et se limite finalement à ce seul chapitre. En fait, Peeters y révèle principalement la dualité fondamentale de Valéry, qui se refusait à l’approche biographique en littérature mais qui s’adonnait quand même à l’écriture de textes biographiques. De la part de Peeters, qui n’en est pas à sa première biographie d’écrivain, on aurait pu s’attendre à retrouver une réflexion plus étoffée sur ce genre particulier, mais le biographe veut surtout justifier l’écriture d’une biographie de Valéry, sans amener presque aucune ambition théorique : « Alors que tous ses contemporains ont vu depuis longtemps leurs existences passées au peigne fin, la vie de Valéry, quarante ans après sa mort, n’a pas été écrite. Monsieur Teste, dirait-on, n’en pouvait pas avoir. Il se devait de rester pur esprit. Mais cette vie, diront certains, n’en est pas une : les événements qui la marquent sont rarissimes. C’est se faire de l’événement une notion bien réductrice. Une lecture, une rencontre, l’élaboration d’une œuvre peuvent compter bien davantage qu’un voyage autour du monde. » p. 12 On reconnaît bien là la tendance biographique actuelle qui présente le plus souvent des vies qui sont événements en elles-mêmes, plutôt que des vies chargées en événements. La chose est particulièrement vraie dans le cas de Valéry, dont la vie méritait assurément quelques éclaircissements…

Topoï : amour / haine, dualité, incertitudes, vocation littéraire

Hybridation : Évidemment hybridation entre essai et biographie, mais les deux sont si bien amalgamés qu’on retrouve difficilement la trace de l’un ou de l’autre. Hybridation réussie, donc!

Différenciation :

Transposition : Biographie dans essai.

Autres remarques :

LA LECTURE

Pacte de lecture : L’auteur annonce une vie d’écrivain, et s’en tire plutôt bien dans ce cadre. Il ne dévie pratiquement jamais de son projet initial, et donne raison au point d’interrogation de son intitulé en montrant bien que Valéry, quoiqu’il ait eu une véritable vie d’écrivain (écrits, publications), n’entretenait pas pour autant un rapport unilatéral avec la littérature, s’y consacrant comme un taulard aux travaux forcés.

Attitude de lecture : Bien que l’étude de Peeters sur Valéry soit très intéressante, la fiction y occupe une place négligeable. J’aurais particulièrement aimé y lire une rencontre entre Valéry et son Monsieur Teste, qui est à la base de son œuvre, surtout pour voir l’évolution de la carrière de l’écrivain par rapport à ses écrits de jeunesse. Une espèce de chronologie, peut-être pas de la vie mais au moins de l’œuvre aurait également été la bienvenue, surtout que ce ne sont précisément pas les événements qui permettent de situer l’œuvre dans le temps. Les faits et les œuvres sont parfois enchevêtrés dans un texte où se sont davantage les thématiques qui font le déroulement narratif. Même si le texte de Peeters se présente comme un essai, celui-ci est finalement beaucoup plus biographique que purement académique, et m’encourage à conserver ce titre dans notre corpus de biographie fictive d’écrivain, surtout à cause des nombreuses déductions et extrapolations que fait l’auteur sur la vie et l’œuvre de son biographé. Biographie riche et touffue, pas le moins du monde assommante malgré l’énorme documentation qui la soutient et les nombreuses citations présentes dans le corps du texte. Une biographie qui se dévore comme un roman…

Lecteur/lectrice : Catherine Dalpé

fq-equipe/valery_par_peeters.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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