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fq-equipe:tremblay_michel_1992_douze_coups_de_theatre

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 - Porosité entre les niveaux de langue (populaire-soutenu / enfant-adulte). - Porosité entre les niveaux de langue (populaire-soutenu / enfant-adulte).
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 - Porosité entre les genres (théâtral, romanesque, autobiographique). - Porosité entre les genres (théâtral, romanesque, autobiographique).
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 - Porosité du populaire et du savant.  - Porosité du populaire et du savant. 
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 - Porosité d’esthétiques contradictoires (réalisme magique, baroque minimaliste, tragi-comédie).  - Porosité d’esthétiques contradictoires (réalisme magique, baroque minimaliste, tragi-comédie). 
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 - Porosité entre les voix du personnage, du narrateur et de l’auteur.  - Porosité entre les voix du personnage, du narrateur et de l’auteur. 
 +
 - Porosité du réel et de la fiction. - Porosité du réel et de la fiction.
  
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 « Ça fait que quand la lumière est verte on peut traverser mais quand la lumière est rouge c’est les chars qui traversent. » « Ça fait que quand la lumière est verte on peut traverser mais quand la lumière est rouge c’est les chars qui traversent. »
- Petite grimace de la mère de Daniel. +Petite grimace de la mère de Daniel.  
- « Michel, on ne dit pas ‘‘char’’, on dit voiture. » +« Michel, on ne dit pas ‘‘char’’, on dit voiture. »  
- Je me repris donc. +Je me repris donc. 
- « Les voitures partent quand la lumière est rouge. » +« Les voitures partent quand la lumière est rouge. » 
- Autre petite grimace de la mère de Daniel. +Autre petite grimace de la mère de Daniel. 
- « Mais non, les voitures elles aussi partent au feu vert. +« Mais non, les voitures elles aussi partent au feu vert. 
-– Ben non. Si tout le monde part quand la lumière est verte, tout le monde va partir en même temps pis on va toutes se tuer! (p. 18-19)+–Ben non. Si tout le monde part quand la lumière est verte, tout le monde va partir en même temps pis on va toutes se tuer! (p. 18-19)
  
 Le discours des parents de Michel, qu’il avait appris par cœur, est donc disqualifié par la mère de Daniel, d’abord parce que le niveau de langage qu’il utilise lui paraît fautif, puisqu’elle corrige le terme « char » par celui de « voiture », mais également parce que le contenu lui semble aussi erroné, les voitures démarrant à la lumière verte et non à la lumière rouge. C’est alors la tante de Daniel rappelle que ce quiproquo vient du fait que Michel est un enfant. La distance entre ce que dit Michel et ce qu’il faudrait dire en tant qu’adulte est alors attribuée à son statut d’enfant. Pourtant, lorsque Michel accompagne Daniel et sa tante pour assister à sa première représentation théâtrale, cette dernière le corrige encore sur des termes qui lui viennent de ses parents, le langage de la classe populaire étant montré comme un langage qu’on se permettait de corriger lorsqu’on appartenait à une classe supérieure. Ainsi, Michel lui demande : Le discours des parents de Michel, qu’il avait appris par cœur, est donc disqualifié par la mère de Daniel, d’abord parce que le niveau de langage qu’il utilise lui paraît fautif, puisqu’elle corrige le terme « char » par celui de « voiture », mais également parce que le contenu lui semble aussi erroné, les voitures démarrant à la lumière verte et non à la lumière rouge. C’est alors la tante de Daniel rappelle que ce quiproquo vient du fait que Michel est un enfant. La distance entre ce que dit Michel et ce qu’il faudrait dire en tant qu’adulte est alors attribuée à son statut d’enfant. Pourtant, lorsque Michel accompagne Daniel et sa tante pour assister à sa première représentation théâtrale, cette dernière le corrige encore sur des termes qui lui viennent de ses parents, le langage de la classe populaire étant montré comme un langage qu’on se permettait de corriger lorsqu’on appartenait à une classe supérieure. Ainsi, Michel lui demande :
  
 « Un théâtre, c’est là qu’y’a des vues, hein? » « Un théâtre, c’est là qu’y’a des vues, hein? »
- Elle n’eut pas l’air de comprendre immédiatement ce que je voulais dire.  +Elle n’eut pas l’air de comprendre immédiatement ce que je voulais dire.  
- «  Ah! du cinéma! Non, non, Michel, le cinéma est projeté dans les salles de cinéma, et le théâtre est joué dans des théâtres. »  +«  Ah! du cinéma! Non, non, Michel, le cinéma est projeté dans les salles de cinéma, et le théâtre est joué dans des théâtres. »  
- […] +[…] 
- J’avais envie de lui demander : « Du théâtre qui est joué dans une église, ça s’appelle comment, d’abord? » (p. 31-32)+J’avais envie de lui demander : « Du théâtre qui est joué dans une église, ça s’appelle comment, d’abord? » (p. 31-32)
  
  
- S’imprègne donc dans le langage de Michel celui de ses parents, qu’il tend à corriger lorsqu’il fréquente la culture artistique. Pourtant, la force de ce niveau de langage et ses couleurs particulières originales sont aujourd’hui reconnues comme la singularité de l’auteur et le titre, Les vues animées, est un clin d’œil ironique par lequel il rend hommage à cette poésie sienne qui l’a rendu écrivain.+S’imprègne donc dans le langage de Michel celui de ses parents, qu’il tend à corriger lorsqu’il fréquente la culture artistique. Pourtant, la force de ce niveau de langage et ses couleurs particulières originales sont aujourd’hui reconnues comme la singularité de l’auteur et le titre, Les vues animées, est un clin d’œil ironique par lequel il rend hommage à cette poésie sienne qui l’a rendu écrivain.
  
  
-- Porosité générique (théâtral, romanesque, autobiographique). +**- Porosité générique (théâtral, romanesque, autobiographique).** 
  
 Puisque l’œuvre faite acte de mémoires en même temps que de récit autobiographique, les différents genres littéraires pratiqués par Michel Tremblay apparaissent en plusieurs endroits. Les récits ont du théâtre de grandes mises en scène imagées, ponctuées de dialogues très expressifs et de coups de théâtre. Par exemple, dans le récit « Le hockey », le narrateur raconte le jour où son père lui a offert d’assister à une représentation du Canadien de Montréal comme s’il s’agissait d’un grand drame dans sa vie, allant jusqu’à qualifier cet instant de « soir fatidique » (p. 211). Le narrateur raconte cet instant sous le mode du théâtre social qui s’y joue, décrivant surtout les personnages, l’ambiance, le décor et le type de dialogues installés dans cet espace, plutôt que la partie en elle-même, qu’il n’a pas vue puisqu’il s’est endormi. Il explique : « Au contraire du public de cinéma que j’avais côtoyé jusque-là, celui du hockey était familier (on s’abordait, on se demandait d’où on venait, on se donnait rendez-vous devant les stands à hot-dogs…). » (p. 215) Il en va de même avec le rituel des gestes posés par sa mère lorsqu’elle prépare la sauce à spaghetti, qu’il décrit de manière théâtrale et qu’il associe explicitement à une mise en scène quotidienne : « Toute ma vie j’ai vu les femmes de la maison poser les mêmes gestes, comme dans un rituel, sans jamais rien changer. » (p. 240) C’est aussi sous le mode de l’exagération, de l’hyperbole, qui érigent sa mère au statut d’un héros de roman, que dans la même scène le narrateur exprime : « c’est ce soir seulement que tout ça prend sa place, sa signification dans ma vie, dans notre vie : le ciment de notre famille, la gardienne de nos trésors et de nos laideurs, l’organisatrice de notre existence va disparaître, et ce qui nous guette, mon père, mes frères et moi, c’est la désagrégation à petit feu dans la douleur d’être séparés de l’être qui nous a, tous, les plus influencés. » (p. 241) De plus, entrent en contradiction les descriptions réalistes par rapport au point de vue avoué du narrateur, qui n’a pas vraiment été témoin de tout ce qu’il raconte et qui vient remettre en question une part de référentialité à son récit, comme dans cet extrait sur sa mère : « C’est une des images les plus puissantes que j’ai gardées d’elle : son corps massif penché par en avant, ses seins lourds qui tendaient le tissu de sa jaquette légère d’été, l’inquiétude, la peur dans ses yeux, son menton qui tremblait, et pourtant je ne l’ai pas vue puisque je ne la regardais pas! » (p. 63) Puisque l’œuvre faite acte de mémoires en même temps que de récit autobiographique, les différents genres littéraires pratiqués par Michel Tremblay apparaissent en plusieurs endroits. Les récits ont du théâtre de grandes mises en scène imagées, ponctuées de dialogues très expressifs et de coups de théâtre. Par exemple, dans le récit « Le hockey », le narrateur raconte le jour où son père lui a offert d’assister à une représentation du Canadien de Montréal comme s’il s’agissait d’un grand drame dans sa vie, allant jusqu’à qualifier cet instant de « soir fatidique » (p. 211). Le narrateur raconte cet instant sous le mode du théâtre social qui s’y joue, décrivant surtout les personnages, l’ambiance, le décor et le type de dialogues installés dans cet espace, plutôt que la partie en elle-même, qu’il n’a pas vue puisqu’il s’est endormi. Il explique : « Au contraire du public de cinéma que j’avais côtoyé jusque-là, celui du hockey était familier (on s’abordait, on se demandait d’où on venait, on se donnait rendez-vous devant les stands à hot-dogs…). » (p. 215) Il en va de même avec le rituel des gestes posés par sa mère lorsqu’elle prépare la sauce à spaghetti, qu’il décrit de manière théâtrale et qu’il associe explicitement à une mise en scène quotidienne : « Toute ma vie j’ai vu les femmes de la maison poser les mêmes gestes, comme dans un rituel, sans jamais rien changer. » (p. 240) C’est aussi sous le mode de l’exagération, de l’hyperbole, qui érigent sa mère au statut d’un héros de roman, que dans la même scène le narrateur exprime : « c’est ce soir seulement que tout ça prend sa place, sa signification dans ma vie, dans notre vie : le ciment de notre famille, la gardienne de nos trésors et de nos laideurs, l’organisatrice de notre existence va disparaître, et ce qui nous guette, mon père, mes frères et moi, c’est la désagrégation à petit feu dans la douleur d’être séparés de l’être qui nous a, tous, les plus influencés. » (p. 241) De plus, entrent en contradiction les descriptions réalistes par rapport au point de vue avoué du narrateur, qui n’a pas vraiment été témoin de tout ce qu’il raconte et qui vient remettre en question une part de référentialité à son récit, comme dans cet extrait sur sa mère : « C’est une des images les plus puissantes que j’ai gardées d’elle : son corps massif penché par en avant, ses seins lourds qui tendaient le tissu de sa jaquette légère d’été, l’inquiétude, la peur dans ses yeux, son menton qui tremblait, et pourtant je ne l’ai pas vue puisque je ne la regardais pas! » (p. 63)
  
- +**- Porosité du populaire et du savant.** 
-- Porosité du populaire et du savant. +
  
 La porosité du populaire et du savant apparaît surtout par le traitement non hiérarchisé d’œuvres dramaturgiques qui ont influencé l’auteur, que ces pièces soient télédiffusées (Un simple soldat), qu’il s’agisse d’un théâtre social (« Le hockey ») ou que ce soit une mise en scène de Babar adressée aux enfants, une pièce d’été jouée à l’extérieur (La Tour Eiffel qui tue) ou sa première composition récompensée (Le train). Cette manifestation de la porosité passe aussi par le langage populaire reproduit par l’enfant et celui savant maîtrisé par l’auteur qui sait habilement en rendre compte. Ce mélange plus ou moins indifférencié du populaire et du savant crée souvent un effet ironique dans le texte, notamment à travers les scènes de la vie intime de Michel, montrant souvent le rituel d’un souper minimaliste qui précède le visionnement de grandes pièces de théâtre par Michel. L’exemple le plus frappant de l’effet ironique provoqué est celui du récit « Le temps des lilas », dans lequel la mère de Michel fait brûler les « petits poissons des chenaux » rapportés par son père. C’est donc avec honte que Michel doit se rendre ensuite au théâtre pour visionner Le Temps des lilas de Marcel Dubé : « C’est donc convaincu de puer le poisson à plein nez que je pris le tramway pour me rendre au théâtre Orpheum où se donnait depuis quelques semaines la nouvelle pièce de Marcel Dubé, Le Temps des lilas, dans une mise en scène de Jean Gascon, avec quelques-uns des plus gros canons du théâtre montréalais de l’époque […]. » (p. 110-111) La porosité du populaire et du savant apparaît surtout par le traitement non hiérarchisé d’œuvres dramaturgiques qui ont influencé l’auteur, que ces pièces soient télédiffusées (Un simple soldat), qu’il s’agisse d’un théâtre social (« Le hockey ») ou que ce soit une mise en scène de Babar adressée aux enfants, une pièce d’été jouée à l’extérieur (La Tour Eiffel qui tue) ou sa première composition récompensée (Le train). Cette manifestation de la porosité passe aussi par le langage populaire reproduit par l’enfant et celui savant maîtrisé par l’auteur qui sait habilement en rendre compte. Ce mélange plus ou moins indifférencié du populaire et du savant crée souvent un effet ironique dans le texte, notamment à travers les scènes de la vie intime de Michel, montrant souvent le rituel d’un souper minimaliste qui précède le visionnement de grandes pièces de théâtre par Michel. L’exemple le plus frappant de l’effet ironique provoqué est celui du récit « Le temps des lilas », dans lequel la mère de Michel fait brûler les « petits poissons des chenaux » rapportés par son père. C’est donc avec honte que Michel doit se rendre ensuite au théâtre pour visionner Le Temps des lilas de Marcel Dubé : « C’est donc convaincu de puer le poisson à plein nez que je pris le tramway pour me rendre au théâtre Orpheum où se donnait depuis quelques semaines la nouvelle pièce de Marcel Dubé, Le Temps des lilas, dans une mise en scène de Jean Gascon, avec quelques-uns des plus gros canons du théâtre montréalais de l’époque […]. » (p. 110-111)
  
  
-- Porosité d’esthétiques contradictoires (tragi-comédie, réalisme magique, baroque minimaliste). +**- Porosité d’esthétiques contradictoires (tragi-comédie, réalisme magique, baroque minimaliste).** 
  
-Des affiliations esthétiques contradictoires s’allient sans créer de dissonance apparente dans l’œuvre de Tremblay. Nous avons relevé à la page précédente cet extrait dans lequel Michel comprend, sous le mode tragi-comique, que le décès de sa mère approche : « c’est ce soir seulement que tout ça prend sa place, sa signification dans ma vie, dans notre vie : le ciment de notre famille, la gardienne de nos trésors et de nos laideurs, l’organisatrice de notre existence va disparaître, et ce qui nous guette, mon père, mes frères et moi, c’est la désagrégation à petit feu dans la douleur d’être séparés de l’être qui nous a, tous, les plus influencés. » (p. 241) Un réalisme magique vient aussi souvent remettre en question la référentialité et le sérieux des récits, notamment la description que le narrateur fait de son lit d’enfant : « Le lit de fer dans lequel je dormais depuis ma naissance était mon royaume, le seul endroit de la maison où je pouvais me retrouver vraiment seul quand je le voulais. C’était une espèce de tombereau à côtés coulissants, assez vaste pour que j’y dorme encore même si c’était un lit de bébé, une citadelle imprenable élevée contre les habitants du garde-robe ou les bilous qui s’amassaient sous le lit de mes parents et qui se transformaient, la nuit, au dire de mes frères, en mal faisants petits démons friands de doigts et d’orteils d’enfants tannants. » (p. 27) De plus, la profusion de détails insignifiants qui parent le récit d’un événement minimaliste du quotidien fait apparaître une porosité stylistique intéressante entre le baroque et le minimalisme, comme nous pouvons le noter dans cet extrait qui suit la longue description du parc Lafontaine en temps de chaleur et qui s’attarde encore plus sur la description du zoo du Parc Lafontaine détruit pour donner place au Théâtre de la Verdure, qui est finalement l’objet central du récit : « Moi, j’étais là pour le Théâtre de Verdure qui venait d’ouvrir ses portes sur les décombres du petit zoo qui puait tant mais que j’avais tellement aimé enfant. Le Jardin des Merveilles n’existait pas encore et on venait de démolir les quelques cages malpropres où se morfondaient pendant tout l’été deux ou trois renards malades, un ours qui sentait le yable, des oiseaux de proie aux ailes rognées et, mon endroit favori entre tous, la pauvre petite pièce d’eau grillagée où survivaient tant bien que mal des tortues à la carapace ramollie. » (p. 44)+Des affiliations esthétiques contradictoires s’allient sans créer de dissonance apparente dans l’œuvre de Tremblay. Nous avons relevé plus haut cet extrait dans lequel Michel comprend, sous le mode tragi-comique, que le décès de sa mère approche : « c’est ce soir seulement que tout ça prend sa place, sa signification dans ma vie, dans notre vie : le ciment de notre famille, la gardienne de nos trésors et de nos laideurs, l’organisatrice de notre existence va disparaître, et ce qui nous guette, mon père, mes frères et moi, c’est la désagrégation à petit feu dans la douleur d’être séparés de l’être qui nous a, tous, les plus influencés. » (p. 241) Un réalisme magique vient aussi souvent remettre en question la référentialité et le sérieux des récits, notamment la description que le narrateur fait de son lit d’enfant :
  
 +« Le lit de fer dans lequel je dormais depuis ma naissance était mon royaume, le seul endroit de la maison où je pouvais me retrouver vraiment seul quand je le voulais. C’était une espèce de tombereau à côtés coulissants, assez vaste pour que j’y dorme encore même si c’était un lit de bébé, une citadelle imprenable élevée contre les habitants du garde-robe ou les bilous qui s’amassaient sous le lit de mes parents et qui se transformaient, la nuit, au dire de mes frères, en mal faisants petits démons friands de doigts et d’orteils d’enfants tannants. » (p. 27) 
  
-- Porosité entre les voix du personnage, du narrateur et de l’auteur. +De plus, la profusion de détails insignifiants qui parent le récit d’un événement minimaliste du quotidien fait apparaître une porosité stylistique intéressante entre le baroque et le minimalisme, comme nous pouvons le noter dans cet extrait qui suit la longue description du parc Lafontaine en temps de chaleur et qui s’attarde encore plus sur la description du zoo du Parc Lafontaine détruit pour donner place au Théâtre de la Verdure, qui est finalement l’objet central du récit : « Moi, j’étais là pour le Théâtre de Verdure qui venait d’ouvrir ses portes sur les décombres du petit zoo qui puait tant mais que j’avais tellement aimé enfant. Le Jardin des Merveilles n’existait pas encore et on venait de démolir les quelques cages malpropres où se morfondaient pendant tout l’été deux ou trois renards malades, un ours qui sentait le yable, des oiseaux de proie aux ailes rognées et, mon endroit favori entre tous, la pauvre petite pièce d’eau grillagée où survivaient tant bien que mal des tortues à la carapace ramollie. » (p. 44) 
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 +**- Porosité entre les voix du personnage, du narrateur et de l’auteur.** 
  
 Il serait difficile de déterminer clairement dans le récit à quelle instance appartient la voix qui nous est donnée à lire. Le narrateur adopte parfois le point de vue de l’enfant, d’autres fois celui de l’adulte qui rend intelligible les fabulations de l’enfant et presque toujours à la fin des récits, la voix de l’auteur commente ce décalage par rapport à sa pratique ou sa conception de l’art. Par exemple, lors de la description du personnage de Babar, le narrateur adopte le point de vue de l’enfant, mais utilise un vocabulaire dépréciatif et comique pour représenter le malaise vécu par l’enfant en d’autres termes : « lui aussi était transposé, je savais bien que quelqu’un se cachait sous la grosse bedaine et la trompe molle, mais j’y croyais parce que je voulais y croire. » (p. 36-37) La voix de l’auteur apparaît quant à elle dans ce type de bouclage du récit, notamment dans « Tristant und Isolde », qui met en scène l’aventure qu’a eue Michel à l’adolescence avec un comédien admiré par sa mère. Le narrateur termine le récit en indiquant clairement l’influence qu’aura eu cette aventure sur le cours de sa carrière, puisqu’il lui aura fait découvrir Wagner : « Nous n’avions vraiment pas été les partenaires idéaux mais, et j’en suis encore infiniment reconnaissant à cet acteur, cette aventure m’avait fait découvrir l’un des plus grands héros de ma vie (pas l’homme, le musicien)! » (p. 195). Il serait difficile de déterminer clairement dans le récit à quelle instance appartient la voix qui nous est donnée à lire. Le narrateur adopte parfois le point de vue de l’enfant, d’autres fois celui de l’adulte qui rend intelligible les fabulations de l’enfant et presque toujours à la fin des récits, la voix de l’auteur commente ce décalage par rapport à sa pratique ou sa conception de l’art. Par exemple, lors de la description du personnage de Babar, le narrateur adopte le point de vue de l’enfant, mais utilise un vocabulaire dépréciatif et comique pour représenter le malaise vécu par l’enfant en d’autres termes : « lui aussi était transposé, je savais bien que quelqu’un se cachait sous la grosse bedaine et la trompe molle, mais j’y croyais parce que je voulais y croire. » (p. 36-37) La voix de l’auteur apparaît quant à elle dans ce type de bouclage du récit, notamment dans « Tristant und Isolde », qui met en scène l’aventure qu’a eue Michel à l’adolescence avec un comédien admiré par sa mère. Le narrateur termine le récit en indiquant clairement l’influence qu’aura eu cette aventure sur le cours de sa carrière, puisqu’il lui aura fait découvrir Wagner : « Nous n’avions vraiment pas été les partenaires idéaux mais, et j’en suis encore infiniment reconnaissant à cet acteur, cette aventure m’avait fait découvrir l’un des plus grands héros de ma vie (pas l’homme, le musicien)! » (p. 195).
  
- +**- Porosité du réel et de la fiction.**
-- Porosité du réel et de la fiction.+
  
 Comme nous l’avons remarqué dans la section concernant la porosité générique, plusieurs marques de fictionnalisation (oublis, hésitations, exagérations, dramatisations) s'insèrent au sein du récit autobiographique. Plus encore, le procédé de transposition est utilisé par Michel Tremblay afin de distinguer le point de vue de l’enfant et celui du narrateur adulte, le premier confondant souvent les fictions dramatiques auxquelles il assiste à la réalité. C’est ce qui se produit lorsque le personnage de Michel enfant veut se lever sur sa chaise pour avertir Babar du danger qu’il court comme le font les autres enfants et qu’il ressent une réelle culpabilité de ne pas être capable de prendre la parole en public pour épargner son idole, comme s’il perdait conscience du cadre fictif de l’histoire racontée dans la pièce. Pourtant, ce n’est pas seulement l’illusion référentielle propre à la fiction qui est montrée dans cet extrait, mais bien la confusion de cette fiction avec les sentiments réels qu’elle fait naître chez l’enfant et dont se souvient le narrateur adulte. Finalement, la contamination réciproque du réel et de la fiction apparaît dans le dernier récit du roman, « Le Train ». Dans celui-ci, le narrateur raconte la réaction qu’a le jury de Radio-Canada devant lequel il doit défendre sa pièce Le train. Les évaluateurs de son texte critiquent l’incohérence de la description du train dans la pièce par rapport au lieu de l’intrigue, puisque l’histoire se déroule en Amérique et que le train est conforme à ceux retrouvés en Europe. Pour sa défense, Michel avoue : « Écoutez, j’ai pris le train une fois dans ma vie, pour aller chez ma tante Marguerite à l’île Perrot, et j’étais trop petit pour remarquer ces choses-là, c’est la seule explication que je peux vous donner. Ma connaissance des trains me vient probablement des films européens que j’ai vus et des livres que j’ai lus… Chus désolé… » (p. 267). Le schème d’intelligibilité par lequel il est en mesure de se figurer un train appartient aux descriptions qui lui ont été transmises par des œuvres majoritairement européennes, d’où sa conception décalée. Par cet exemple, nous comprenons que les fictions lues par Michel ont forgé sa conception imaginaire de la catégorie « train » et ont donc réellement influencé sa manière de remettre en scène un train dans des fictions, aussi américaines soient-elles.  Comme nous l’avons remarqué dans la section concernant la porosité générique, plusieurs marques de fictionnalisation (oublis, hésitations, exagérations, dramatisations) s'insèrent au sein du récit autobiographique. Plus encore, le procédé de transposition est utilisé par Michel Tremblay afin de distinguer le point de vue de l’enfant et celui du narrateur adulte, le premier confondant souvent les fictions dramatiques auxquelles il assiste à la réalité. C’est ce qui se produit lorsque le personnage de Michel enfant veut se lever sur sa chaise pour avertir Babar du danger qu’il court comme le font les autres enfants et qu’il ressent une réelle culpabilité de ne pas être capable de prendre la parole en public pour épargner son idole, comme s’il perdait conscience du cadre fictif de l’histoire racontée dans la pièce. Pourtant, ce n’est pas seulement l’illusion référentielle propre à la fiction qui est montrée dans cet extrait, mais bien la confusion de cette fiction avec les sentiments réels qu’elle fait naître chez l’enfant et dont se souvient le narrateur adulte. Finalement, la contamination réciproque du réel et de la fiction apparaît dans le dernier récit du roman, « Le Train ». Dans celui-ci, le narrateur raconte la réaction qu’a le jury de Radio-Canada devant lequel il doit défendre sa pièce Le train. Les évaluateurs de son texte critiquent l’incohérence de la description du train dans la pièce par rapport au lieu de l’intrigue, puisque l’histoire se déroule en Amérique et que le train est conforme à ceux retrouvés en Europe. Pour sa défense, Michel avoue : « Écoutez, j’ai pris le train une fois dans ma vie, pour aller chez ma tante Marguerite à l’île Perrot, et j’étais trop petit pour remarquer ces choses-là, c’est la seule explication que je peux vous donner. Ma connaissance des trains me vient probablement des films européens que j’ai vus et des livres que j’ai lus… Chus désolé… » (p. 267). Le schème d’intelligibilité par lequel il est en mesure de se figurer un train appartient aux descriptions qui lui ont été transmises par des œuvres majoritairement européennes, d’où sa conception décalée. Par cet exemple, nous comprenons que les fictions lues par Michel ont forgé sa conception imaginaire de la catégorie « train » et ont donc réellement influencé sa manière de remettre en scène un train dans des fictions, aussi américaines soient-elles. 
fq-equipe/tremblay_michel_1992_douze_coups_de_theatre.1444671562.txt.gz · Dernière modification : 2018/02/15 13:56 (modification externe)

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