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fq-equipe:reves_de_reves_par_tabucchi

FICHE DE LECTURE∗ « Les postures du biographe »

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Antonio TABUCCHI (1943- ) Titre : Rêves de rêves (titre original : Sogni di sogni) Lieu : Paris Édition : Christian Bourgeois Collection : — Année : [1992]1994 Pages : 162 Cote UQAM : PQ 4880 A33S06514 1994

Biographés : Dédale (personnage de la mythologie grecque), Ovide (poète d’origine italienne), Lucius Apulée (écrivain d’origine algérienne, si l’on prend pour référence la géographie actuelle), Cecco Angiolieri (poète italien), François Villon (poète français), Rabelais (écrivain français), Michelangelo (artiste italien), Francisco de Goya (peintre espagnol), Samuel Taylor Coleridge (poète et critique britannique), Giacomo Leopardi (poète et philosophe italien), Carlo Collodi (écrivain italien), Robert Louis Stevenson (écrivain écossais), Rimbaud (poète français), Anton Tchekhov (dramaturge russe), Claude Debussy (compositeur français), Henri de Toulouse-Lautrec (peintre français), Fernando Pessoa (écrivain portugais), Vladimir Maïakovski (écrivain russe né en Georgie), Federico Garcia Lorca (écrivain et artiste espagnol) et Freud (origine autrichienne).

Pays du biographe : Italie

Pays des biographés : La plupart d’entre eux sont Européens (trois exceptions). Le choix des biographés dénote, à première vue, une prédilection pour la latinité (13/20).

Textes critiques sur la biographie :

Anna Botta, « An Interview with Antonio Tabucchi », Contemporary Literature, 35:3, Automne 1994, p. 421 à 440. [source : MLA]

Emmanuel Bouju, « Portrait d'Antonio Tabucchi en hétéronyme posthume de Fernando Pessoa: fiction, rêve, fantasmagorie », Revue de littérature comparée, vol. 77, no. 2, 2003, pp. 183-195. [source : Francis]

Ariane Eissen et Denis Mellier, « Rêves de rêves : un dialogue à trois voix », dans Vies imaginaires, Otrante n° 16, Éditions Kimé, automne 2004 (novembre), p. 141-154.

Ariane Eissen, « Le récit de rêve comme récit de vie chez Antonio Tabucchi », dans Anne-Marie Moluçon et Agathe Salha, Fictions biographiques : XIXe-XXIe siècles, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, coll. « Cribles - Essais de littérature », 2007, 365 pages.

Frances Fortier et Caroline Dupont, « Érudition et fantaisie biographiques : le recueil de vies chez Tabucchi, Savinio, Tremblay et Zweig », dans Irène Langlet (dir.), Le recueil littéraire. Pratiques et théorie d'une forme, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p. 61-82.

John F. Miller, « Tabucchi's Dream of Ovid », Literary Imagination: The Review of the Association of Literary Scholars and Critics, 3:2, Printemps 2001, p. 237 à 247. [source : MLA] Sur Rêves de rêves

Jean-Pierre Naugrette, « L’étrange cas du Doutor Pereira et du Docteur Cardoso : Essai sur la fonction cognitive et politique d’un mythe littéraire », dans Eissen, Ariane et Jean-Paul Engélibert, La dimension mythique de la littérature contemporaine, Poitiers, Université de Poitiers, La Licorne, no 55, 2000, p. 277 à 292.

Sophie Rabau, « Ce dont se souvient Ovide, ou la mémoire impossible du commentaire: à propos du 'Rêve d'Ovidius Publius Naso, poète et courtisan' d'Antonio Tabucchi », In (pp. 143-58) Bessière, Jean (ed. and introd.); Sinopoli, Franca (ed.) , Storia e memoria nelle riletture e riscritture letterarie/Histoire, mémoire et relectures et réécritures littéraires. Rome, Italy: Bulzoni, 2005. 260 pp. [source : MLA]

ASPECT INSTITUTIONNEL

Position de l’auteur dans l’institution littéraire : Auteur d’une vingtaine de livres qui ont connu un large succès international, Antonio Tabucchi est l’un des écrivains italiens importants de son temps. Spécialiste de littérature portugaise, il est également professeur à l’université de Siena, critique, philologue et traducteur (il a traduit en italien l’œuvre complète de Pessoa). Son œuvre « a été couronnée par de nombreux prix, en France et à l’étranger. Notamment, le prix Médicis étranger en 1987, le prix européen Jean Monnet en 1995 et l’European State Prize de la République autrichienne en septembre 1998. » [Note sur l’auteur, à la fin de La nostalgie, l’automobile et l’infini : lecture de Pessoa, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La Librairie du XXe siècle », 1998, 118 pages.]

Position des biographés dans l’institution littéraire : Tous sont reconnus comme écrivains ou artistes de génie, auteurs de chefs d’œuvre.

Transfert de capital symbolique : La note qui précède les Rêves de rêves est claire, à cet égard : « Le désir m’a souvent gagné de connaître les rêves des artistes que j’ai aimés » [Note]. L’entreprise de Tabucchi n’est donc pas guidée par autre chose que par une curiosité bienveillante à l’endroit des artistes et des écrivains pour lesquels il s’est pris d’affection. Il ne semble donc pas y avoir d’enjeux institutionnels en cause ici.

II. ASPECT GÉNÉRIQUE

Oeuvres non-biographiques affiliées de l’auteur : Voir la bibliographie préparée sur le cas Tabucchi (dans le dossier Tabucchi).

Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur :

• « Monsieur Pirandello est demandé au téléphone », dans Dialogues manqués : théâtre, Paris, Christian Bourgois, 1988, 73 pages. Pièce de théâtre de nature biographique qui met en scène le personnage de Fernando Pessoa

• Les trois derniers jours de Fernando Pessoa. Un délire, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La Librairie du XXe siècle », 1994, 88 pages. Biographie imaginaire.

• Rêves de rêves, Paris, Christian Bourgois, 1994, 161 pages. Récits imaginaires de rêves d’écrivains et d’artistes.

• Requiem : une hallucination, Paris, Christian Bourgois, [1991] 1998, 127 pages. Roman écrit en portugais, qui met en scène (vers la fin du récit) le personnage de Fernando Pessoa (éléments biographiques somme toute importants)

Stratégies d’écriture et dynamiques génériques : La stratégie d’écriture principale pour laquelle opte Tabucchi, dans Rêves de rêves, est la transposition de la vie et de l’œuvre de ses biographés dans le récit qu’il élabore à propos de leurs rêves. Par exemple, dans le rêve que fait Pessoa, on reconnaît l’écrivain à certains traits (il fume la cigarette, porte la moustache, etc.); le rêve entremêle confusément ses deux cultures (origine portugaise et éducation à l’anglaise en Afrique du Sud) – ce qui nous ancre du côté du « réel », du « biographique attesté ». Or, au milieu de son rêve, Pessoa rencontre son hétéronyme Alberto Caiero – c’est donc dire qu’il rencontre l’un de ses personnages, et que l’œuvre se confond, par l’intermédiaire du rêve, avec la vie de l’écrivain. Il en est ainsi de Stevenson qui, âgé de 15 ans dans son rêve, voit en songe ses voyages futurs (voyages réels qui serviront de matériau pour son œuvre). Ou de Michelangelo qui est visité par Jésus (transposition de la toile peinte par Michelangelo, « La vocation de Saint Matthieu », qui représente la visite de Jésus à Matthieu). Cette stratégie d’écriture traverse tout le recueil, et permet à Tabucchi de tisser étroitement la relation vie/œuvre dans ses récits de rêve. La dynamique générique à l’œuvre dans Rêves de rêves rappelle celle qui traverse les Vies imaginaires de Schwob, les Morts imaginaires de Schneider, etc. : de courts récits qui transposent, comme je l’ai mentionné, la vie et l’œuvre d’artistes, et dont l’enjeu générique se situe à la lisière de la fiction et du biographique. Il y a par ailleurs une dimension de ce texte qui m’apparaît intéressante et que je nommerai, à défaut d’autre terme, dynamique intermédiale : Tabucchi, en transposant les œuvres de différents artistes (musiciens, peintres, etc.) dans le récit de leurs rêves, rend possible la rencontre entre la littérature et d’autres médias. Ainsi, il met en scène, par l’écriture, la pièce musicale L’après-midi d’un faune, de Debussy; il décrit, sans les nommer, les tableaux de Goya (et on les reconnaît : Saturne dévorant ses enfants, Les Vieilles, Le chien, etc.) – et tout finit par se confondre : le récit de rêve, l’œuvre (quelque soit son média) et la vie de l’artiste dont il est question… Il s’agit d’une piste que nous n’avons pas encore explorée dans le cadre de nos travaux, mais qui pourrait représenter un intérêt significatif (notamment en ce qui concerne les biographies écrites par des écrivains à propos d’artistes oeuvrant dans divers champs disciplinaires – et inversement).

Thématisation de la biographie : La biographie n’est jamais thématisée dans cet ouvrage. Pour Tabucchi, les Rêves de rêves sont des « récits de substitution » [Note] et ses biographés ne sont pas autre chose que des « personnages » [Note].

Rapports biographie/autobiographie : Aucun.

III. ASPECT ESTHÉTIQUE

Oeuvres non-biographiques affiliées du biographé : Les sujets portraiturés sont ici trop nombreux pour que cette question soit étudiée.

Œuvres biographiques affiliées du biographé : Idem.

Échos stylistiques : Les œuvres-sources convoquées ici sont si nombreuses que j’ai du mal à déterminer si les Rêves de rêves en portent la trace…

Échos thématiques : Les allusions/références thématiques aux œuvres-sources sont très nombreuses. En voici quelques exemples :

- Le récit du rêve d’Ovide est celui d’une métamorphose, thème éponyme de l’œuvre du poète.

- Le récit du rêve de Villon reprend certains thèmes de la Ballade des pendus.

- Le thème de la nourriture est omniprésent dans le récit du rêve de Rabelais.

- Les thèmes de la folie et de la peinture sont très importants dans le récit du rêve de Goya.

- Le thème du monstre marin apparaît dans le récit du rêve de Carlo Collodi (ce dernier est avalé par un requin, à l’instar de Pinocchio, avalé par une baleine).

- Le thème du voyage est omniprésent dans le récit du rêve de Stevenson.

- Etc.

IV. ASPECT INTERCULTUREL

Affiliation à une culture d’élection : Aucune affiliation culturelle proclamée. En revanche, le fait que treize (sur vingt) des biographés choisis par Tabucchi soient issus de pays latins (France, Italie, Espagne ou Portugal) retient mon attention.

Apports interculturels : Il n’y a pas d’apports interculturels à signaler dans Rêves de rêves, compte tenu de la diversité culturelle des biographés auxquels Tabucchi s’intéresse. J’aimerais néanmoins traiter ici d’un cas qui m’intrigue sur le plan culturel : le récit du rêve de Pessoa. Il s’agit du seul texte de Tabucchi consacré à Pessoa dans lequel il est question de la double appartenance culturelle et linguistique de l’écrivain (j’ai cependant noté que, dans Requiem, lorsque le narrateur-personnage s’entretient avec son « Invité », ce dernier s’exprime en anglais – ce qui rappelle l’éducation à l’anglaise qu’a reçue Pessoa en Afrique du Sud). Dans ce récit de rêve, donc, Tabucchi met en scène cette double appartenance culturelle : Pessoa reçoit d’abord des lettres d’Afrique du Sud qu’il lit dans un train à destination de Santarém (Portugal); défilent alors devant lui les paysages du Ribatejo (Portugal). Une fois arrivé à Santarém, Pessoa monte dans un fiacre; il réalise soudain que les paysages qui défilent devant ses yeux sont ceux de l’Afrique du Sud (cases de paille, hommes noirs sur le pas de la porte, etc.). Puis, le rêve mêle les éléments culturels (et biographiques) du Portugal et de l’Afrique du Sud (dans une maison du Ribatejo, Pessoa reconnaît le Headmaster Nicholas, son professeur de la High School), tandis que Pessoa rencontre l’un de ses hétéronymes, Alberto Caiero, qui prendra pour lui figure de maître. Fait intéressant : Pessoa fait ce rêve lors de la nuit du 8 mars 1914, «“jour triomphal” de sa vie […], quand les poètes qui l’habitaient commencèrent d’écrire par l’intermédiaire de sa main » [section Ceux qui rêvent dans ce livre]. Je me demande ce que nous révèle cette association entre la double appartenance culturelle de Pessoa et cette date à retenir entre toutes. Pourquoi ce biographème plutôt qu’un autre? Tabucchi verrait-il dans cette identité culturelle multiple un facteur déclencheur de la fragmentation identitaire de son biographé – elle-même vectrice d’écriture ?

Lecteur/lectrice : Audrey Lemieux

fq-equipe/reves_de_reves_par_tabucchi.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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