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RAPPORT DE RECHERCHE SUR LE MINEUR

Au Québec :

Le seul article que relève une recherche sur les mots clés « mineur », « littérature québécoise » est celui de Marie-Pascale Huglo (Huglo, Marie-Pascale, « Le Quotidien en mode mineur: Le Bruit des choses vivantes d'Elise Turcotte », Voix et Images: Littérature Québécoise, vol. 34, no. 3 [102], pp. 99-115, Spring 2009.

Au Québec, il semble que le « mineur » est pensé surtout dans une relation à la langue, à l’institution littéraire :

Littératures mineures en langues majeures, BERTRAND Jean Pierre et Lise Gauvin, Bruxelles, Presses Interuniversitaires Européennes, 2003.

le mineur relié avec la langue dans la littérature québécoise :

GAUVIN Lise, « Autour du concept de littérature mineure », p. 19-

Écrire dans une langue dite mineure produit une « surconscience linguistique », « c’est-à-dire une conscience particulière de la langue qui devient ainsi un lie de réflexion privilégié et un désir d’interroger la nature du langage et de dépasser le simple discours ethnographique. » (p.19)

BIRON Michel, « L’écrivain liminaire », p. 57-67

« Dans la perspective sociocritique […], l’idée de “littérature mineure” ne suppose pas seulement un certain rapport d’étrangeté au langage, mais aussi un rapport incertain à l’institution littéraire et, de façon plus générale, à la légitimité sociale. » p. 57

La littérature québécoise, excentrée, s’élabore dans une « marginalité perpétuelle, dans une périphérie qui aurait fait le deuil du centre. » p. 58

LAROSE Karim, « Jacques Ferron : L’absolu littéraire en mineur », p. 89-99.

« Cette statégie culturelle originalle [le concept de mineur] traduit une volonté d’assumer la fragilité tout en broulliant les certitudes identitaires, dans un contexte politique où la société québécoise dans son entier se percevait comme une minorité. C’est un tel parti pris qui explique que, dès la fin des années 50, Ferron ait accordé autant d’attention à la situation de la langue française au Québec, qu’il voyait diminuée par les effets de l’hégémonie de l’anglais, “langue majeure” en Amerique du Nord. » p. 89

BIRON, Michel, François DUMONT et Élisabeth NARDOUT-LAFARGE (2007)

Les romans en « mode mineur » - dont Poulin représente une figure de proue, s’opposent donc aux « gros romans » du chapitre précédent. Son œuvre devient donc prédominante pour définir un courant de la littérature québécoise contemporaine, courant dans lequel s’inscriront d’autres écrivains mais qui seront d’abord situés par rapport à Poulin. Par exemple : « Si JP se caractérise par la constance de son écriture, tout entière placée sous le signe de la retenue, il n’en va pas ainsi chez quelques autres romanciers qui, à l’inverse, parcourent un assez long chemin avant d’arriver à ce roman en mode mineur. » (549) Il s’agit de Louis Gauthier et d’Yvon Rivard. Poulin : « À l’aliénation collective le roman poulinien oppose une aliénation individuelle, qui ne s’exprime plus que sur le mode mineur et dont les causes restent obscures, liées à une vie ancienne dont on n’entendra à peu près jamais parler. » (545)

AUDET, René et Andrée MERCIER (dir.) (2004) : La Narrativité contemporaine au Québec. (tiré da la fiche sur le Wiki, faite par Manon Auger)

LA NARRATIVITÉ À L’ÉPREUVE DE LA DISCONTINUITÉ (Clément) Elle aussi opte pour une réflexion plus générale (sur la notion de fragmentation et sur celle de récit), en prenant appui sur le cas québécois pour étayer son analyse ; elle insiste donc très peu sur le côté « québécois » de l’affaire : « J’ai choisi de retenir la notion de discontinuité dans l’analyse du corpus, jugeant que celle-ci constitue un paramètre majeur à considérer dans une réflexion sur la narrativité contemporaine. En effet, la discontinuité appartient à l’épistémè de la modernité et de la postmodernité en raison de son opposition à la continuité liée à l’idée classique de totalité et de complétude. Plusieurs termes qui lui sont apparentés – rupture, inachèvement, fragmentation, désordre, hétérogénéité, présence du pluriel – sont essentiels à la description et à la compréhension de larges pans de la littérature contemporaine et permettent de cibler le lieu d’une certaine sensibilité. Je veux prendre pour postulat que la discontinuité observable dans une partie de la production romanesque actuelle est en soi une façon de figurer la difficulté de raconter selon le modèle conventionnel, qui s’appuie sur la cohérence, la complétude, la totalité. » (108-109)

Selon Clément, la discontinuité dans le récit contemporain aurait deux fonctions : 1) empêcher le récit canonique et, donc, le remettre en cause 2) fabriquer un nouveau visage au récit, plus en lien avec les préoccupations de son époque, donc, instaurer une possibilité de narrer autrement (109)

Elle choisit son corpus parmi des romans québécois des années 1990 « quelques œuvres qui se distinguent par une discontinuité formelle liée à une segmentation prononcée du texte » (109-110) et elle juge cette tendance assez répandue.

Elle distingue différents effets : accumulation de petits faits, succession de moments, emphase sur la difficulté de raconter, sur l’absence d’événements, etc. Ces récits mettent finalement en scène à la fois la difficulté de raconter quand il n’y a rien à raconter mais, paradoxalement, la possibilité de raconter tout de même, possibilité motivée par un besoin de communication. « Raconter se fait sous un mode mineur, mais pluriel. L’événement se développe sur une petite surface, jamais sur l’étendu du roman, ce dernier étant davantage porté par la dynamique narrative que par l’élaboration d’un récit configuré. » (130)

En France :

Tout comme au Québec, on ne parle pas beaucoup de « mode mineur » en France. Les références trouvées sur le « mineur » sont surtout sur le sens deleuzien du terme (voir addendum), et sur les genres dits mineurs (récits de voyage, journaux intimes, etc) (1). Afin de savoir ce qui pourrait constituer un « mode mineur », on pourrait chercher plutôt du côté de « réduction », « minimalisme », « pauvreté », « le presque rien », « épuisement », « minorisation », « retenue ». Scarpetta (2) sur « l’idéologie du mineur » et le « Moi de la séduction » (voir : fiche sur l’intime) me paraît tout particulièrement intéressant. Le mot « mineur » a plusiers sens, qui peuvent aider à parler d’un « mode mineur » en littérature : -Qui est de moindre importance (thème : le quotidien, l’intime, le pas-grand-chose) -Quelqu’un qui n’a pas atteint l’âge de 18 ans (valeur : maturité de la littérature, retour à l’intimisme vu comme retour à l’enfance – infans – aussi relié au rejet de la narration) -Se dit d'un intervalle dans lequel les notes extrêmes sont à leur distance minimale. (Langue : québécoise vs. française. L’idée de discord avec un quelconque norme) -Quelqu’un qui travaille dans un mine (aussi relié à l’intime)

Dans ce sens, l’intime (revendiquée au Québec, rejetée en France) paraît comme une fonction du mineur.

(1)Fraisse, Luc, « Les hiérarchies littéraires », Revue d'histoire littéraire de la France, vol. 99, n° 2, 1999. → Qu'est-ce qui décide de la hiérarchie des auteurs et des genres dans nos classifications rhétoriques ou nos panthéons esthétiques ? Qu'est-ce qui décide qu'un écrivain est, presque instinctivement et d'un commun accord, rangé parmi les grands créateurs ou relégué au rang des auteurs secondaires ? Pourquoi au fond un genre est-il tenu pour noble ou pour mineur ?

(2)Scarpetta, L’Impureté : L’idéologie du mineur « se caractérise, en gros, par trois postulats : 1° La revendication d’une totale liberté dans le choix des styles et des matériaux (par opposition au “purisme” des avant-gardes), d’un primat du plaisir (par contraste avec leur ascétisme) ; 2° Le constat de la fin des avant-gardes, justement, de leur exténuation, et le soupçon porté à partir de ce constat sur l’ensemble des arts majeurs (c’est tout une culture qui est rejetée sous prétexte des impasses de sa toute dernière période ; 3° Le “populisme”, soit l’idée d’un recours aux éléments culturels populaires comme signes d’authenticité, forces de subversion, ou “lignes de fuite”. » (p. 78-79)

Addendum : Deleuze et le mineur

« Une littérature mineure n’est pas celle d’une langue mineure, plutôt celle qu’une minorité fait dans une langue majeure » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka : pour une littérature mineure, Ed. Minuit, 1975, p. 29). Elle fait subir à une langue dominante un traitement qui la rend étrangère à elle-même et la fait « tendre vers ses extrêmes ou ses limites » (ibid., p. 42), afin de la soustraire à ses usages officiels au service du pouvoir. » (Mathieu Duplay, « Littérature mineure », in Le vocabulaire de Gilles Deleuze (sous la dir. Robert Sasso et Arnaud Villani), Les Cahiers de Noesis n° 3, Printemps 2003, p. 216.)

- « Une littérature mineure comporte trois caractéristiques principales : « la déterritorialisation de la langue », « le branchement de l’individuel sur l’immédiat-politique » et le recours à un « agencement collectif d’énonciation » (Kafka : pour une littérature mineure, 1975, p. 33).

1) La « déterritorialisation de la langue » passe par l’instauration d’une « distance irréductible avec la territorialité primitive » (ibid., p.30). Il s’agit d’arriver à « écrire dans sa propre langue comme un juif tchèque écrit en allemand, ou comme un Ouzbek écrit en russe » (ibid., p. 33). Le but de cette opération est de soustraire la langue à tout usage d’assignation et de contrôle, notamment territorial ou identitaire, pour la rendre « nomade » et l’entraîner sur une « ligne de fuite ».

2) Du fait de cette déterritorialisation, « chaque affaire individuelle est immédiatement branchée sur le politique » (ibid., p.30). Alors que, dans les « grandes » littératures, le milieu social n’est présent qu’à l’arrière-plan et constitue le fond sur lequel se détache l’affaire individuelle, toute littérature mineure, mue par une dynamique de rupture avec les puissances établies, s’affronte en permanence à la question de l’assujettissement et du pouvoir.

3) Par conséquent, « les conditions ne sont pas données d’une énonciation individuée, qui serait celle de tel ou tel ’’maître’’, et pourrait être séparée de l’énonciation collective » (ibid., p. 31). Une littérature mineure n’est pas le fait de sujets d’énonciation isolés ayant la prétention de dominer leur discours, car c’est précisément à ce type de maîtrise que s’oppose le travail de déterritorialisation. Au contraire, une littérature mineure s’attache à inventer « les conditions d’une énonciation collective qui manquent partout ailleurs » : reflet, non d’une unité préexistante, mais d’une multiplicité en devenir, elle est « l’affaire du peuple » (ibid., p.32). » (Mathieu Duplay, « Littérature mineure », in Le vocabulaire de Gilles Deleuze (sous la dir. Robert Sasso et Arnaud Villani), Les Cahiers de Noesis n° 3, Printemps 2003, pp. 216-217.)

« Minorité et majorité ne s’opposent pas d’une manière seulement q u a n t i t a t i v e . M a j o r i t é i m p l i q u e u n e c o n s t a n t e i d é a l e , c o m m e u n m è t r e - é t a l o n p a r r a p p o r t a u q u e l e l l e s’é v a l u e , s e c o m p t a b i l i s e . S u p p o s o n s q u e l a c o n s t a n t e o u l’é t a l o n s o i t H o m m e - b l a n c - o c c i d e n t a l - m â l e - a d u l t e - r a i s o n n a b l e - h é t é r o s e x u e l - h a b i t a n t d e s v i l l e s - p a r l a n t u n e l a n g u e s t a n d a r d […] I l e s t é v i d e n t q u e l’h o m m e a l a m a j o r i t é , m êm e s’ i l e s t m o i n s n o m b r e u x q u e l e s m o u s t i q u e s , l e s e n f a n t s , l e s f e m m e s , l e s n o i r s , l e s p a y s a n s , l e s h o m o s e x u e l s… e t c . C’e s t q u’ i l a p p a r a î t d e u x f o i s , u n e f o i s d a n s l a c o n s t a n t e , u n e f o i s d a n s l a v a r i a b l e d o n t o n e x t r a i t l a c o n s t a n t e .

[…] L a m a j o r i t é s u p p o s e u n é t a t d e d r o i t e t d e d o m i n a t i o n , e t n o n l’ i n v e r s e . U n e a u t r e d é t e r m i n a t i o n q u e l a c o n s t a n t e s e r a d o n c c o n s i d é r é e c o m m e m i n o r i t a i r e , p a r n a t u r e e t q u e l q u e s o i t s o n n o m b r e , c’ e s t - à - d i r e c o m m e u n s o u s - s y s t è m e o u c o m m e h o r s - s y s t è m e ( s e l o n l e c a s ) . M a i s à c e p o i n t t o u t s e r e v e r s e . C a r l a m a j o r i t é , d a n s l a m e s u r e o ù e l l e e s t a n a l y t i q u e m e n t c o m p r i s e d a n s l’é t a l o n , c’ e s t t o u j o u r s P e r s o n n e - U l y s s e - t a n d i s q u e l a m i n o r i t é , c’ e s t l e d e v e n i r d e t o u t l e m o n d e , s o n d e v e n i r p o t e n t i e l p o u r a u t a n t q u’ i l d é v i e d u m o d è l e […].

C’ e s t p o u r q u o i n o u s d e v o n s d i s t i n g u e r l e m a j o r i t a i r e c o m m e s y s t èm e h o m o g è n e e t c o n s t a n t , l e s m i n o r i t é s c o m m e s o u s - s y s t è m e s , e t l e m i n o r i t a i r e c o m m e d e v e n i r p o t e n t i e l e t c r éé , c r é a t i f . » ( D e l e u z e , « P h i l o s o p h i e e t m i n o r i t é » , C r i t i q u e , P a r i s , M i n u i t , f é v . 1 9 7 8 , n ° 3 6 9 , p . 1 5 4 - 1 5 5 )

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