INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Jérôme Prieur Titre : Proust fantôme Édition : La Pionnière Collection : Le Cabinet des lettrés Année : 2001 Désignation générique : aucune
Bibliographie de l’auteur : Nuits blanches (1980), Séances de lanterne magique (1985), le Spectateur nocturne (1993), Jésus contre Jésus (1999), Jésus, illustre et inconnu (2001), Guerre éclair (1997), Petit tombeau de Marcel Proust (2000).
Quatrième de couverture : rien
Préface : aucune
Rabats : Premier : « Qu’est-ce qu’une vie d’écrivain, et surtout qu’en reste-t-il? Ce livre n’est pas une biographie, mais une aventure. Une expédition sur les traces de l’auteur de la Recherche, dans les pas de cet homme incroyable et improbable, de ce personnage de roman, et même de roman noir. » Des traces, des indices, des souvenirs parcellaires « servent de talismans ». « [R]edonner corps à l’être invisible », le deviner, « évoquer son image comme on invoque les fantômes. » : tel est le projet biographique qu’annonce Prieur. Deuxième rabat : les productions de Prieur : essayiste; inspiration de l’image; cinéaste; « portraitiste »; etc.
Autres (note, épigraphe, etc.) : Épigraphe : « Mais le présent inscrit ainsi devant nous des mots dont nous ne saurons que plus tard ce que notre avenir en fera. Et une chaîne circule à travers toute notre existence reliant ce qui est déjà mort à ce qui est en pleine vie. » Marcel Proust, Textes retrouvés.
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : L’auteur semble être le narrateur de son livre. Le « je » semble être Prieur lui-même; le « nous » semble l’inclure (quand il fait partie d’un groupe de visite guidée des appartements de Proust, par exemple).
Narrateur/personnage : L’auteur-narrateur est un personnage de la biographie. En effet, dans plusieurs fragments, Prieur se met en scène enquêtant sur Proust. Il visite les lieux qu’il a fréquenté, il rôde au Père-Lachaise, il interroge les employés du cadastre, etc. Il est en « quête de l’autre » (Ina Schabert).
Ancrage référentiel : Les documents et les témoignages invoqués par Prieur semblent authentiques. Le témoignage de Céleste et de ceux qui ont connu Proust; les anecdotes et les événements de la vie de Proust; l’apparence physique et les goûts de Proust; les paroles que Proust a prononcées; les photographies commentées comme celle imprimée sur la première de couverture; etc. : tout cela paraît (et est sûrement) vrai.
Indices de fiction : D’une part, il est difficile de savoir si l’enquête de Prieur est vraie, s’il l’imagine ou la mène (probablement la mène-t-il, mais certes pas au moment où il l’écrit, au présent de l’indicatif…). Une chose est sûr : cela apporte une touche romanesque (un air de roman policier) à la biographie. D’autre part, Prieur se plaît à imaginer des (im)possibles de la vie de Proust. Il voudrait une biographie qui commence ainsi : « Mort à Paris le 18 novembre 1922, Marcel Proust demeure actuellement dans le vingtième arrondissement, non loin de la place Gambetta » (p.20) Il raconte que cinq ans après la mort de Proust, Jacques-Émile Blanche et d’autres amis l’imaginèrent vivant : « Il était devenu académicien Goncourt, docteur honoris causa d’un nombre incroyable d’universités d’Europe et d’Amérique, accaparé par les discours, les jurys, les prix, les banquets, les articles de revue, les préfaces, les manuscrits à lire, les interviews, les missions à l’étranger. » (p.20), et ainsi de suite. Ailleurs, Prieur se demande « À quoi ce film aurait-il ressemblé si jamais Proust avait accepté, si jamais les deux hommes [Sacha Guitry et lui] ne s’étaient pas cordialement ignorés? À qui l’auteur de Du côté de chez Swann aurait-il ressemblé? À Sherlock Holmes? » (p.50) Prieur imagine aussi la voix de Proust : « Irrésistiblement, nous l’entendons comme celle d’Apollinaire qu7i psalmodie d’un ton las […] » (p.51) Encore là, la biographe crée une fiction biographique – même s’il reconnaît être dans le domaine de l’imagination. Par ailleurs, Prieur peuple sa biographie d’instruments magiques, par conséquent fictifs, comme le « célestrographe » (p.79). Aussi, Prieur use de procédés littéraires comme la métaphore – « Un clown triste tel l’éternel dandy dont il ne se sépara jamais, le Pierrot lunaire, le Pierrot mondain […] » (p.132) (la métaphore du Pierrot se retrouve aussi chez Citati, dans la Colombe poignardée) ; la multitude de papiers qui lui fait comme un linceul quand il est couché sur son lit (p.119) ; etc. – procédés qui engendrent une fictionnalisation. Enfin, l’univers de la biographie est peuplé de spectres et de fantômes. Par exemple, au Père-Lachaise, Prieur se dit ceci : « Les fantômes allaient bien finir par se laisser apprivoiser, ils viendraient à ma rencontre. » (p.77) – ultime désir fictionnel d’un biographe.
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : Jérôme Prieur, auteur et narrateur, part à l’aventure, en quête de l’écrivain de la Recherche. Découpées en très courts fragments, la biographie tantôt montre Prieur explorant les lieux fréquentés par Proust (mort ou vivant); tantôt se compose de réflexions sur Proust, sur sa façon de vivre, sur ses goûts, sur son caractère, sur ses habitudes, sur sa démarche d’écriture, sur les possibles de sa vie et de sa mort; tantôt aborde le sujet de la trace, de l’indice (photographique, cinématographique, phonique, scriptural) – que Proust en ait laissés ou pas – et des témoignages. À travers cette enquête, il se demande ce qu’est une vie d’écrivain : « Vivre la vie d’écrivain, est-ce encore appartenir à l’espèce humaine? » (p.144)
Rapports vie-œuvre : L’œuvre est assez secondaire par rapport à la vie, bien que Proust soit vu avant tout comme un écrivain. Mais à la toute fin, Prieur dit que l’œuvre de Proust est comme un souffle de vie, qui l’immortalise en quelque sorte : « […] elle le maintiendrait, jusqu’au bout, vivant. » (p.149) La vie, elle, est consacrée à l’œuvre. Prieur n’épargne pas au lecteur le récit de l’isolement de Proust derrière ses murs de liège et de son ensevelissement sous un tas de papiers.
Topoï : résurrection, écriture, traces, indices, appareils (caméra, enregistreur, etc.), spectres, fantômes, enquête, mort, enterrement, « faire biographique », théâtre.
Thématisation de l’écriture : Il est un peu question des idées proustiennes sur l’écriture. Par exemple, Prieur dit qu’il n’aimait pas la photographie parce que c’était contraire à sa conception de la vision (p.59-60). Aussi, le biographe parle de l’écriture morcelée de Proust, qui prend des parties de personnages historiques et les réorganise pour créer des personnages romanesques (p.90). Sans parler qu’il compare son timbre de voix à celui d’un « conteur oriental » (p.51) – comme le fait Macé dans son Proust d’ailleurs. Mais c’est surtout l’aspect physique de l’écriture que Prieur – en cela schwobien – développe. Par exemple, il précise qu’ « Il écrit allongé, comme Michel-Ange peignant la voûte de la chapelle Sixtine. » (p.118)
Thématisation de la biographie : Comme je l’ai dit plus haut, l’œuvre de Prieur montre le « faire biographique ». Mais en plus de cela, elle développe une petite réflexion sur la biographie. Prieur dit que le biographe est un rôdeur (p.77), puis un profanateur (qui déterre les morts, ouvre leurs cercueils – p.88), et enfin un comédien. Ailleurs, il parle des Vies imaginaires de Marcel Schwob (p.23), sans vraiment faire le lien avec Proust et avec le reste de sa biographie. Toutefois, la simple évocation de cette biographie et de cet auteur montre sans doute un goût chez Prieur pour les bizarreries (celles de Proust ne sont en effet pas épargnées) et pour la fiction, l’imagination, l’art en biographie.
Hybridation : Le roman policier : la dimension de l’enquête, si importante dans la biographie de Prieur, témoigne d’un certain emprunt au roman policier, avec la recherche de traces, d’indices et de témoignages que cela implique. Vers la fin, Prieur dit conclue même que « Depuis longtemps, il [Proust] s’est mis à ramener des cadavres dans sa chambre. Il les cache sous son lit. Sinon pourquoi tous ces débris qu’il entasse dans les pièces condamnées de son château, ces restes, ces reliques, ces pièces à conviction? » (p.137) Il faut dire que Prieur emprunte également des techniques qui relèvent du roman en général. Le fragment : ce genre philosophique et littéraire, surtout utilisé par les Romantiques allemands (l’Athénium) – Schlegel, Schleiermacher, etc. – est ici repris par Prieur et greffé au genre biographique. Le théâtre : Prieur écrit quelque part que le biographe doit se faire comédien. De fait, il y a dans son œuvre tout un paradigme théâtral. « Il fait encore nuit lorsqu’on m’habille, me peigne, me frise, me postiche, me poudre. Les moustaches, d’un coup, me font vieillir d’un siècle. Le fantôme du boulevard Haussmann m’a jeté un sort depuis que j’ai violé sa maison déserte. » (p.28-29), dit Prieur. Ailleurs, celui-ci cite Cocteau qui raconte : Proust offrait sur son lit d’enfant un admirable profil de vizir. Il portait cette barbe qu’il ôtait et remettait à tour de rôle […] Cette barbe qui, de son vivant, semblait presque une farce, un postiche de [Sadi] Carnot mort au musée Grévin […] » (p.37) L’aspect théâtral est d’ailleurs inséparable de l’aspect comique, de la comédie : « Son sens comique allait avec une sorte de don pour les imitations. » (p.97)
Différenciation :
Transposition :
Autres remarques :
LA LECTURE
Pacte de lecture : Prieur convie son lecteur à un singulier parcours de lecture et de relecture. D’abord, on lit les fragments comme s’ils étaient interdépendants, vectorisés : on tente de trouver la cohérence, le fil conducteur; et on le trouve : au début, Prieur entre chez Proust et à la fin apparaît le mot « Fin » de la Recherche. Mais le paratexte apprend ensuite au lecteur que chaque fragment porte un nom qui lui est propre et qui l’isole des autres fragments. Ainsi, le lecteur peut relire la biographie sans chercher de vecteur; il peut considérer chaque fragment indépendamment des autres.
Attitude de lecture : La lecture est agréable et tout sauf accablante, étant donné la brièveté des fragment et de la biographie dans son ensemble.
Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage