INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Pietro Citati Titre : la Colombe poignardée. Proust et la Recherche Édition : Gallimard Collection : Du monde entier Année : 1995 (1997 pour la traduction française) Appellation générique : aucune
Bibliographie de l’auteur : le Printemps de Chosroès (1919, ouvrage sur la Perse); livres consacrés à Tolstoï (1987), à Katherine Mansfield (1987), à Kafka (1989), à Alexandre le Grand (1990) et à Goethe; Histoire qui fut heureuse, puis douloureuse et funeste (prix Médicis étranger 1991).
Quatrième de couverture : Un temps, le jeune Proust sut être heureux, « [m]ais il découvrit, peu à peu, qu’il était un être de souffrance, telles ces “colombes poignardées” longuement contemplées dans un jardin parisien. » Il s’abandonna à l’asthme, son « mal sacré », et s’isola, préparant la dernière partie de sa vie, consacrée à la Recherche. Conteur, critique et essayiste, Citati nous conduit au plus près du mystérieux Marcel Proust, cet être sensible et doux qui fut un des plus grands penseurs métaphysiques et un des plus grands architectes occidentaux. Il nous conduit aussi au cœur de la Recherche, éclairant autant ses détails que son ensemble.
Préface : aucune
Rabats : aucun
Autre : Note de l’auteur à la toute fin : « Bien que comportant des pages sur la vie de Proust, La Colombe poignardée n’entend pas être, et n’est pas une biographie. » (Citati n’explique cette déclaration : le reste de la note n’est que remerciements. Peut-être ne faut-il pas trop le croire.)
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : L’auteur est le narrateur. La narration est somme toute assez classique. Citati utilise le « je » pour exprimer son point de vue, faire de la polémique ou exprimer des réserves ou des doutes : « Je ne puis dire s’il [Reynaldo Hahn]était un bon musicien […] » (p.40). Il utilise le nous 1) pour englober tous les biographes ou tous ceux qui montrent un intérêt pour la vie de Proust, lorsqu’il parle des informations que « nous » possédons, ou non, sur l’écrivain; 2) pour inclure les lecteurs : « Nous avons fini, pour le moment, de feuilleter nos images, auxquelles bien d’autres pourraient s’ajouter. » (p.23)
Narrateur/personnage : L’auteur-narrateur n’est jamais un personnage de sa biographie.
Ancrage référentiel : Les événements de la vie de Proust, les gens qu’il a côtoyé, les lettres citées, les lieux qu’il a fréquenté : tout est vrai. Citati énonce d’ailleurs souvent ses références : « [P]uis il y a d’autres lettres à propos de ces événements, un article du Figaro et un épisode de la Recherche qui reproduit fidèlement la situation originelle. » (p.63)
Indices de fiction : Il n’y a pratiquement rien de volontairement fictionnel dans cette biographie. Toutefois, Citati use de quelques figures de style, comme la comparaison (qui devient métaphorisation) : « […] on eût dit un Pierrot. », dit-il de Prout. La narration est parfois omnisciente : « Chacun d’eux [Proust et Reynaldo Hahn] pouvait s’imaginer coupé de toute vie humaine, contemplant seulement, au-dessus du sable, le ciel et la mer et le vol incessant des mouettes. Parfois ils s’endormaient en plein air, et leur esprit vide, leur corps bienheureux étaient libres de toute pensée. » (p.48) Par-dessus tout, Citati imprime un destin à Proust : l’écrivain, dit-il, est comme poignardé par la culpabilité; son destin est la souffrance perpétuelle; il n’a pas la force d’être heureux.
Rapports vie-œuvre : 1) L’œuvre comme document : nonobstant ses précautions (« […] aussi, malgré de justes réserves sur la possibilité d’user d’une œuvre littéraire comme d’une chronique, ajouterai-je à mes pâles couleurs les couleurs scintillantes dont Proust sema son premier roman [Jean Santeuil]. » (p.45)), Citati utilise bel et bien l’œuvre de Proust comme un document à plusieurs reprises. « Proust et sa mère ont conservé presque toutes les lettres qu’ils avaient échangées; et certaines pages de Jean de Santeuil ont un caractère quasi documentaire […] » (p.63); « […] Jean Santeuil est presque un journal de bord de la vie de Proust auprès de Hahn […] » (p.45), va-t-il jusqu’à dire. 2) L’œuvre comme reflet : « Mais jamais Proust ne connut de période plus heureuse : joie de l’âme, du corps, des pensées, des mouvements, qui se reflète dans les pages de Jean Santeuil, écrites du temps de leur amour [à Hahn et à lui]. » (p.44, je souligne) Citati dit souvent que les événements de la vie de Proust (comme le baiser de sa mère, retenu puis accordé, ou la madeleine) sont reproduits dans son œuvre. 3) L’œuvre comme preuve : pour Citati, l’œuvre est parfois aussi une preuve de connaissance : « Comme le prouve la Recherche, Proust avait des névroses une connaissance très précise. » (p.87) 4) L’œuvre comme glaciation de la vie : « Toutes les personnes qu’il avait connues – et pour beaucoup d’entre elles, son cœur s’était brisé – se confondaient désormais avec la masse des personnages qui peuplaient la Recherche. Cette glaciation n’était pas totale […] » (p.225) 5) L’œuvre comme autobiographie? : Citati conserve l’ambiguïté de la question : le narrateur est Proust et ne l’est pas (p.279). D’un côté, il aime reconnaître des personnes réelles derrière les personnages (lire l’œuvre comme un roman à clef) – ce que Proust aurait détesté – de l’autre, il admet et montre très bien l’aspect architectural de l’œuvre de Proust, qui est avant tout une construction. [Le terme « roman autobiographique » qu’affectionne Baudelle s’applique bien ici.]
Topoï : L’adolescence, le bonheur, la culpabilité, l’amour, l’amitié, la souffrance, l’isolement, l’écriture, l’empathie, le fondu, l’argent, la maladie, la drogue, l’agonie, la mort, l’œuvre.
Biographé : Pacte de lecture : Le titre et les premières pages invitent à la poésie, à la métaphore, à la réflexion littéraire sur le bonheur. Or la biographie s’avère assez classique et sa partie critique plus grande que prévu. Le poétique et le romanesque cèdent vite la place à l’analyse de la vie et de l’œuvre de Proust.
Thématisation de l’écriture : Le thème de l’écriture est un des plus importants de l’œuvre. Citati retrace ses premiers écrits. Il parle de ses textes sur Ruskin, de son Contre Sainte-Beuve (en terme de mauvaise foi). Il dit sa difficulté d’écrire : « Jamais […] il n’eut le don de la forme rapide et absolue […] » (p.73). Il montre de quelle manière Proust a trouvé ses idées maîtresses (sur le monde, la vision, le sujet, l’autre, etc.; l’Analogie).
Attitude de lecture : Bien que cette biographie ne présente que peu de procédés et de contenu pouvant nous intéresser, elle se lit agréablement. La vie de Proust que Citati décrit est intéressante, et son analyse de la Recherche est extrêmement fine (son point de vue est très biblique), bien que divisée de manière plutôt grossière.
Hybridation, Différenciation, Transposition : Hybridation : la biographie annexe la critique (et l’essai, dit la quatrième, mais je n’en suis pas convaincu); il y a aussi quelques écarts poétiques ou romanesques. Transposition : il y a bien transposition critique et transposition du vécu (sans que cela prête à des jeux, des dynamiques ou des procédés particuliers cependant), mais c’est surtout la transposition que Citati observe de la vie à l’œuvre de Proust qui est intéressante : la transposition des personnes qui deviennent des personnages; la transposition des idées de philosophes et d’écrivains dans la Recherche.
Autres remarques : L’ouvrage de Citati est une véritable biographie critique. Les deux premières parties sont surtout consacrées à la biographie; la troisième à la critique de la Recherche. Selon moi, l’œuvre convient peu à notre projet.
Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage