Table des matières
9. Atelier de définition (hétérogène, hybride, porosité)
(Extrait de la réunion du 4 septembre 2014)
A- Présentation :
Lors des précédentes réunions, le projet d’un ouvrage collectif auquel contribueraient les chercheurs et les collaborateurs de l’équipe a été mis de l’avant. Il est entendu que ce col-lectif, à l’image, par exemple, de La narrativité contemporaine au Québec, constituera le point d’aboutissement du projet « Porosité ».
Plus spécifiquement, il a été entendu, lors de l’atelier de mars 2014, que l’atelier d’aujourd’hui sera l’occasion de définir minimalement la notion de « porosité » et que les résultats seront envoyés aux collaborateurs (en plus de cibler certains textes représentatifs). Il s’agit donc de définir les trois concepts clés : porosité, hétérogénéité et hybridité.
B- Rappel des étapes :
La prochaine étape serait un atelier avec les collaborateurs intéressés à participer au dos-sier. Cet atelier aurait pour but d’arriver à une table des matières qui préciserait la pro-blématique et l’angle d’approche (auteurs, les esthétiques, etc.) qui serviront de fil conducteur à l’ouvrage.
L’idéal serait un ouvrage qui rendrait compte des trois volets principaux de la recherche : 1/ théorique (autour de la notion de porosité et de sa pertinence) 2/ institutionnel (com-ment cette notion est-elle à l’œuvre dans le champ institutionnel) 3/ des lectures d’œuvres.
Cependant, les chercheurs préfèreraient que, avant que cet atelier ait lieu, inviter quelqu’un du domaine de l’histoire de l’art afin d’avoir un état plus global du débat sur ces questions. RD suggère une rencontre avec Joanne Lalonde (qu’il se chargera de contacter). On s’entend pour une rencontre le soir du 3 décembre (soit la veille de la rencontre de mi-parcours du FRQSC au CRILCQ à l’Université de Montréal). MPH suggère également de voir les travaux de Georges Didi-Huberman.
La rencontre avec les collaborateurs devrait quant à elle se faire en janvier 2015. Il faudra ainsi prévoir assez rapidement une invitation.
C- Documents préparatoires :
Afin d’appuyer la réflexion, le « carnet de recherche » autour de la notion de porosité (préparé par MA) a été relu , ainsi que deux articles :
1. L’HÉRAULT, Pierre (1991), « Pour une cartographie de l’hétérogène : dérives identi-taires des années 1980 », dans Sherry Simon, Pierre L’Hérault, Robert Schwartzwald et Alexis Nouss, Fictions de l’identitaire au Québec, Montréal, XYZ, coll. « Études et do-cuments », p. 53-114.
2. PATERSON, Janet (2001), « Le paradoxe du postmodernisme. L’éclatement des genres et le ralliement du sens », dans Robert Dion, Frances Fortier et Élisabeth Haghebaert (dir.), Enjeux des genres dans les écritures contemporaines, Québec, Nota bene, coll. « Les cahiers du CRELIQ », p. 81-101.
D- Compte rendu de la discussion :
Le consensus s’est fait très rapidement. Le terme de porosité ne recoupe pas les deux autres no-tions et permet de prendre une certaine distance avec elles, tout en les interpelant. Voici une liste concernant chacun des termes :
L’hétérogène :
- • est idéologiquement défini et est lié à la question identitaire
- • souhaite s’opposer à un discours homogène
- • rend compte d’une façon de concevoir des phénomènes discursifs et sociaux qui sont au-jourd’hui acquis
- • est, en somme, un terme appartenant à un autre paradigme de lecture qui est en quelque sorte « daté ».
L’hybridité :
- • est plus strictement générique que porosité et ne désigne pas les mêmes phénomènes que la porosité
- • a été définie dans le collectif « Enjeux des genres » : elle « consiste en la combinaison de plusieurs traits génériques hétérogènes mais reconnaissables, hiérarchisés ou non, en un même texte » et tient, directement ou de biais, un discours sur les genres (2001 : 353).
La porosité :
- • est un instrument de travail, une façon différente de lire la production contemporaine qui n’est pas du tout liée à la question identitaire ni à aucune forme de connotation idéologi-que, polémique ou sociale. Autrement dit, le terme est neutre et invite à faire montre de prudence.
- • ne s’inscrit pas dans une logique strictement transgressive comme pouvaient le faire les phénomènes d’hétérogénéité et d’hybridité qui sont, aujourd’hui, plutôt devenus la norme.
- • permet de cerner le phénomène actuel voulant que les frontières se touchent sans forcé-ment se mélanger ni remettre en question la structure des textes.
- • nous place du côté de l’esthétique, des questions de formes et de discours.
- • est en quelque sorte une métaphore dont les virtualités de sens sont intéressantes.
- • opère un déplacement plutôt qu’une réelle opposition. Ainsi, alors que l’hybridité et l’hétérogénéité procède d’une forme de négociation de l’expérimentation, la porosité prend davantage l’aspect d’une fusion. Qui plus est, dans certains cas, c’est la perte de sensibilité aux différences qui induit une porosité qui exsude à la lecture.
- • s’applique à un ensemble d’œuvres et, surtout, est investi de manière plus locale à l’intérieur d’une œuvre. La porosité est en effet circonstancielle et contingente, plus diffu-se que les deux autres procédés. Si la logique n’est plus oppositionnelle, elle rend en re-vanche la lecture ambigüe.
- • permet de montrer la flexibilité du roman actuel et son ambition romanesque de « tout avaler », d’absorber. En fait, le romanesque, la narrativité et la fiction sont eux-mêmes des catégories poreuses.
- • imprègne les discours ambiants, de telle sorte que cela se trouve restitué dans les œuvres (chacun se bricole son petit glissement, mélangeant souvent savant et populaire).
Quelques précisions et bémols sont également apportés :
ENL souligne la pertinence d’une question de Paterson, à savoir « est-ce que ce phéno-mène est signifiant ? » et considère que nous devrions aussi la poser : les porosités cons-truisent-elles des significations ? Est-ce que ce phénomène fait naitre des pratiques si-gnifiantes ? La porosité semble surtout générique mais convoque aussi d’autres aspects, comme la conjonction du populaire et du savant. Est-ce que ces « effets de genres » sont porteurs de significations en termes esthétiques ? RA ajoute qu’il faut d’ailleurs poser la question « Est-ce un porteur STABLE de significations ? »
MPH souligne pour sa part que les marques d’hétérogénéité sont toujours présentes dans la littérature actuelle (bien que pas toujours revendiquées comme telles) et qu’il ne faudrait pas non plus les passer sous silence. Elle remarque également que « porosité » donne l’idée d’une forme d’absorption des frontières, contrairement à l’hybride et à l’hétérogène. Est-ce aussi une question de perception et de lecture?
RA et RD rappellent l’importance du « roman » dans ce phénomène : la porosité joue, d’un côté, sur la capacité du roman à tout absorber, mais, de l’autre, se construit sur un re-fus du roman « traditionnel » ou du moins en tension avec celui-ci. MPH demande toute-fois si cette absorption est passive ou active (montrée) ? RD donne l’exemple de la tran-slation opérée par François Bon, comme un cas d’absorption qui se passe hors de la réfé-rence au roman ou sans le roman.
MA demande en quoi l'idée de porosité se démarque de ce que les théoriciens français ont proposé pour définir la littérature française, dont le concept « d'impureté » de Scarpet-ta, celui « d'écarts de la littérature » de Rabaté et celui de « posture dialogique de la litté-rature » formulé par Viart. AM croit qu’on peut se référer à l’appareil conceptuel français sans y recourir explicitement. D’ailleurs, ENL rappelle la fonction polémique de la notion d’impureté, déjà absorbée par la pensée québécoise.
ENL demande ce que devient l’expérimental dans ce contexte. Est-il encore transgressif ou l’expérimentation est-elle seulement visible pour être visible ? L’écriture expérimentale est-elle là pour faire des expérimentations plutôt que pour occuper une case idéologique ? Elle propose toutefois que si, aujourd’hui, les coutures sont visibles, ce n’est pas pour les mêmes raisons qu’avant, qu’il ne s’agit plus de s’opposer à un autre modèle. MPH parle de « mayonnaise romanesque » dans la mesure où l’hétérogène a été absorbé au profit d’autre chose, que celui-ci est inscrit dans les habitudes de lecture. Même que, selon ENL, l’ambigüité est devenue une attente, à tel point qu’on a du mal à adhérer au pacte fictionnel conventionnel. Paradoxalement, pour être lisibles et recevables, les œuvres ont besoin de cette dimension de porosité ; il y a un horizon d’attente pour des vies fantasmées, fragmentaires, qui passent par l’image. On ne veut plus des « mondes possi-bles », on veut des dimensions métafictionnelles – un dialogue du lecteur avec l’œuvre, etc. RD avance aussi l’idée que l’expérimental aujourd’hui se réoriente autour de la gim-mick propre à un auteur. Les œuvres sont à la fois expérimentales et tout à fait lisibles (RA donne l’exemple du récit de Daniel Canty, Les États-Unis du vent). Dans tout cela, le fragment occupe une grande place.
* Finalement, AM suggère que réfléchir à la notion de porosité avec celle d’hétérogène serait une piste intéressante pour la communication qu’elle présentera avec RD au colloque de juin.
ANNEXE - Trois concepts (Hétérogène, Hybridité et Porosité)
par Manon Auger (3 septembre 2014)
I- Hétérogène d’après L’Hérault
- Refus du discours d’autorité qui représente l’homogène.
- Pratique de l’écriture qui refuse les cloisonnements : « Il est certain par ailleurs que ces textes appartiennent tous trois à une pensée de l’après-formalisme et de l’après-structuralisme qui s’en prend aux discours d’autorité et de maîtrise, se réclamant d’une pratique de l’écriture qui refuse le cloisonnement fiction/théorie et est très sensible à l’interférence des discours culturels qui la travaillent. » (1991 : 58)
- Textes comme vecteurs d’altérité = s’oppose donc à un « nous », un soi, un même qui enserrent ou encore garde l’autre à distance (64)
- Les « dérives identitaires » sont toutefois des parcours singuliers non exemplaires
- L’hétérogène a quelque chose de la transgression, alors que, peut-être (c’est de moi), l’hybridité relève du jeu formel et on est du côté du conscient, de la volonté. De quoi relèverait la porosité?
- L’Hérault propose sept termes en référence explicites (qui sont souvent les titres d’une revue ou d’un essai de la période) : i. dérives (centre vs périphérie, le triangulaire); ii. Bilica (signifie « équilibre »); iii. Triangulation des cultures; iv. Territoires imaginaires; v. Vice Versa; vi. Parole métèque (ces trois derniers renvoyant à l’idée de transculture); vii. L’amour de l’autre (ouverture et don à l’autre)
- L’hétérogène : « Lieu de croisement de différents discours : ethnicité et féminisme, postmodernité et questionnement identitaire, etc. Il s’énonce de différents lieux in-tellectuels, idéologiques, de diverses appartenances à la [105 :] réalité québécoise. » (104-105)
- phénomène qui relève en partie de la postmodernité (107)
- « Pour éviter le plafonnement ou le piétinement, il faut, me semble-t-il, voir l’hétérogène non comme pure extériorité, mais aussi comme intériorité du discours culturel et littéraire québécoise, en d’autres mots l’y dépister à l’œuvre. Car l’hétérogène n’est-il pas d’abord une attitude, une aptitude de lecture qui résiste aux réductions, simplifications, cloisonnements, fermetures, censures de toutes sortes, en somme aux clichés, et prend en compte les codes du lecteur, de la lectrice [?] » (107)
II- Hybridité d’après Paterson
- Liée à un éclatement des genres et à une poétique postmoderne
- Serait une forme de l’hétérogène
- Serait culminant durant la période contemporaine (bien que le phénomène existe depuis toujours), activerait une effervescence créatrice aujourd’hui.
- Les trois textes qu’elle utilise (Trou de mémoire d’Aquin, Le désert mauve de Bros-sard et L’immense fatigue des pierres de Robin) utilisent « une forme hybride pour exprimer une vision iconoclaste du sujet au sein de la société » (84).
- Encore là, il y a un modèle homogène qu’il s’agit de subvertir. Il s’agit d’une « prati-que transgressive qui produit une rupture des normes » (86-87)
- Forme de revendication contre l’homogène : « L’hybride constitue en effet la forme par excellence d’une revendication de la multiplicité et d’un refus des notions d’hégémonie et de légitimation de métarécits. » (88)
- Contribuerait à l’avènement de nouvelles formes : « Ainsi, entre dissolution et re-nouvellement, il y aurait non pas une opposition, mais une charnière, c’est-à-dire un point de rencontre selon lequel l’éclatement des genres constituerait à la fois la dé-sintégration d’une conception normative du roman et l’avènement d’une autre forme d’écriture » (87.)
- Forme privilégiée d’expérimentation : « Par ses structures hétérogènes, par son re-fus, dans certains cas, de distinguer le littéraire du non-littéraire, par sa volonté de renouveler les pratiques littéraires, enfin, par son désir d’innover, l’hybride se pré-sente comme une forme privilégiée d’expérimentation. » (90)
Notes :
- L’hybridité aurait-elle contribuée à l’avènement du phénomène de porosité? Pater-son mentionne bien que, maintenant, cela ne bouleverse plus vraiment nos habitu-des de lecture : « elles s’inscrivent aujourd’hui tout naturellement dans nos systèmes cognitifs et épistémologiques. Nous vivons dans une époque de mélange. Aussi l’écriture hybride est-elle, en fin de compte, l’écriture par excellence de notre temps : cohérente dans son incohérence, signifiante dans son éclatement. » (91)
- Je me demande, en littérature, est-ce toujours lié au roman? (Paterson parle aussi de l’hybride en théorie littéraire avec des critiques qui écrivent comme des littéraires, mais ça ne me convainc pas…)