Notes pour une synthèse : Histoire du Québec contemporain, Tome II, « Troisième partie : Sous le signe de la Révolution tranquille. De 1960 à nos jours »
Construction du contemporain dans le discours critique
D’entrée de jeu, il est intéressant de constater que les auteurs ne font pas nécessairement achever la période dont ils traitent dans cette partie (plus ou moins de 1960 à 1989), mais ils relèvent un point de rupture en 1980 pour différentes raisons que j’exposerai sous peu. Cette rupture laisse penser qu’une nouvelle période commence en 1980, période plus ou moins bien cernée par l’ouvrage en question, probablement en raison du peu de recul (nouvelle édition révisée qui paraît en 1989).
Donc, on mentionne un point de rupture. À plus forte raison encore, 1980 est présenté, en introduction, comme la marque de la fin d’une époque :
« La première moitié des années 1980 marque ainsi la fin d’une époque, caractérisée par la Révolution tranquille et ses “acquis” : le nationalisme économique et politique, le réformisme social, l’État interventionniste et la société de l’opulence. Tour à tour, certaines des têtes d’affiche de la période disparaissent. En 1984, Pierre Elliott Trudeau démissionne et le Parti libéral, au pouvoir à Ottawa depuis une vingtaine d’années (sauf pour un bref épisode en 1979-1980), doit céder la place au Parti conservateur. L’année suivante, c’est au tour de René Lévesque de quitter son poste après avoir dirigé le Parti québécois depuis sa fondation ; peu après son parti est défait par les libéraux de Robert Bourassa. Enfin, en 1986, Jean Drapeau, maire de Montréal sans interruption depuis 1960 et qui a orchestré certains des grands projets de la période, tire lui aussi sa révérence. Le décès de René Lévesque, en 1987, et l’émotion populaire qu’il provoque accentuent cette impression de fin d’époque. » (431-432)
Au niveau économique, la crise de 1981-1982 marque aussi un point de rupture :
« La dépression de 1981-1982 marque ainsi un point de rupture fondamentale. Elle signale la fin d’une époque et l’amorce d’une révision des stratégies de la Révolution tranquille. La nouvelle bourgeoisie francophone, renforcée par deux décennies d’appui de l’État, se sent en mesure de voler de ses propres ailes. » (475-476)
Le vocabulaire employé par les auteurs est sans équivoque : pour plusieurs raisons, 1980 annonce une nouvelle ère. Par exemple, en rafale :
- « À la charnière des années 1980, on remarque une nouvelle tendance » (568, sur le travail à temps partiel) ;
- « Le vent tourne cependant à l’orée des années 1980. » (592, concernant la diversité ethnique) ;
- « Au début des années 1980, le mouvement féministe, tant réformiste que radical, entre dans une période de recul et de remise en question. » (616) ;
- « Au cours des années 1980, l’État-providence est remis en question. » (647) ;
- « Au cours des années 1980, l’intervention de l’État est vue de moins en moins comme une solution et de plus en plus comme un problème. » (700) ;
- etc.
Ce qui est (fort) intéressant, c’est qu’on n’attribue pas ces changements à la défaite du oui au référendum de 1980 sur la souveraineté du Québec. Il est question de ce référendum – évidemment –, mais on n’insiste pas sur son rôle comme on le fait ailleurs. Ce qui est davantage symptomatique du début d’une nouvelle période, c’est plutôt la crise économique de 1981-1982, les remises en question du rôle de l’État, de l’État-providence, etc. Les auteurs parlent de rupture idéologique au début des années 1980 :
« Le début des années 1980 semble marquer, au point de vue idéologique, une certaine rupture. Les grands thèmes qui ont passionné tant de groupes et de militants au cours des deux décennies précédentes, et suscité des débats si animés, paraissent s’épuiser. Le nationalisme québécois a du mal à se remettre de la morosité où l’a plongé la victoire du non au référendum. La confiance que le réformisme néo-libéral ou social-démocrate a mise dans l’État se refroidit. La gauche se tait. Le féminisme est en crise et arrive difficilement à mobiliser les jeunes. Le climat, parmi les militants de naguère, est à la désillusion, et d’aucuns parlent même de “la fin des idéologies”. Cette évolution se produit dans la plupart des sociétés occidentales. Elle tient à divers facteurs, parmi lesquels la récession économique de 1981-1982 et le vieillissement de génération du baby boom jouent sans doute un rôle important. » (687)
** Le référendum n’est donc qu’un facteur parmi d’autres, et aussi il n’est pas le plus important dans l’instigation des changements. Ce qui est intéressant aussi, c’est qu’on ramène cette rupture à toutes les société occidentales : le cas n’est pas particulier au Québec. L’ère contemporaine débute plus ou moins en 1980, selon la société, et pour différentes raisons, mais dont certaines sont globales, mondialisation oblige : la dépression économique de 1981-1982, le vieillissement de la population, la dénatalité, etc. Tout cela me semble fort intéressant. On ne parle peut-être pas de littérature, mais un changement sociétal ne peut pas être sans influence sur la production littéraire de cette société.
Lorsqu’il est question de littérature, à tout le moins de culture, les époques qui précèdent celle qui nous intéresse sont bien cernées. On la fait débuter en 1960, avec des changements « spectaculaires et extrêmement rapides. » (769) Par la suite, les auteurs identifient deux mouvements : « Le premier correspond en gros aux années 1960, qui sont une phase intense de rattrapage, de mise en place et de transformation : un nouveau public émerge, l’État fait son entrée dans le secteur, l’amélioration des infrastructures se met en marche. Puis ce climat de réforme et d’innovation fait place, à partir de 1970 environ, à une phase marquée surtout par la consolidation et la croissance de ce qui a pris forme au cours de la décennie précédente. » (769)
Bien sûr, il est question du désengagement des artistes après 1970. Aussi, de l’âge d’or de la littérature dans les années 1960 (on ne parle peut-être pas explicitement d’âge d’or, mais c’est tout comme : « En somme, à aucune autre époque peut-être la littérature et les écrivains n’auront occupé une position aussi centrale dans le vie culturelle du Québec ni n’auront joui d’un tel rayonnement. » (780))
À noter : le roman devient le genre majeur au milieu des années 1970, détrônant ainsi la poésie.