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Michel de Certeau (1975), L’écriture de l’histoire

Gallimard, « Folio Histoire » (notes de lecture - par Manon Auger)

Résumé en une phrase de Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire (2002, 1975). Pour Michel de Certeau (1925-1986), l'histoire est écriture: écriture en miroir qui renvoie au présent; fiction qui fabrique secret, mensonge et en même temps vérité; écriture performative qui “ouvre au présent un espace propre” en construisant un “tombeau” pour le mort, qui est à la fois honoré et éliminé, ce qui permet le travail de deuil. http://lethiboniste.blogspot.ca/2007/02/resume-michel-de-certeau-lecriture-de.html

Note : Ma lecture de cette œuvre se fera en diagonale, dans la mesure où j’estime que l’important est de trouver les concepts clés plutôt que de rendre strictement compte de l’ouvrage lui-même.

« Avant-propos à la seconde édition »

« L’écriture de l’histoire est l’étude de l’écriture comme pratique historique. » (10)

ÉCRITURES ET HISTOIRES [INTRODUCTION]

« L’historiographie tend à prouver que le lieu où elle se produit est capable de comprendre le passé : étrange procédure, qui pose la mort, coupure partout répétée dans le discours, et qui dénie la perte, en affectant au présent le privilège de récapituler le passé dans un savoir. Travail de la mort et travail contre la mort. Cette procédure paradoxale se symbolise et s’effectue en un geste qui a valeur de mythe et de rite à la fois : l’écriture. En effet, l’écriture substitue aux représentations traditionnelles qui autorisaient le présent un travail représentatif qui articule en un même espace l’absence et la production. […] Mais l’activité qui re-commence à partir d’un temps nouveau, séparé des anciens, et qui prend en charge la construction d’une raison dans ce présent, n’est-ce pas l’historiographie? » (18-19)

« Aussi le passé est-il fiction du présent. Il en va de même en tout véritable travail historiographique. L’explication du passé ne cesse de marquer la distinction entre l’appareil explicatif, qui est présent, et le matériau expliqué, les documents relatifs à des curiosités concernant les morts. » (24)

« Du fait de cette situation triangulaire [entre, si je comprends bien, un « pouvoir » politique, la « maîtrise des techniques » et « l’intérêt » d’un public], l’historiographie ne peut donc pas être pensée dans les termes d’une opposition ou d’une adéquation entre un sujet et un objet : ce n’est là que le jeu de la fiction qu’elle construit. On ne saurait supposer non plus, comme elle tend parfois à le faire croire, qu’un “commencement”, plus haut dans le temps, expliquerait le présent : chaque historien situe d’ailleurs la coupure inaugurante [sic] là où s’arrête son investigation, c’est-à-dire aux frontières que lui fixe sa spécialité dans la discipline à laquelle il appartient. En fait, il part de déterminations présentes. L’actualité est son commencement réel. » (26)

PREMIÈRE PARTIE : PRODUCTIONS DU LIEU

CHAPITRE 1. FAIRE DE L’HISTOIRE : PROBLÈMES DE MÉTHODE ET PROBLÈMES DE SENS

De Certeau entend par histoire la pratique (une « discipline »), son résultat (le discours), ou leur rapport sous la forme d’une « production ». (37)

« Bien que ce soit une lapalissade, il faut rappeler qu’une lecture du passé, toute contrôlée qu’elle soit par l’analyse de documents, est conduite par une lecture du présent. L’une et l’autre, en effet, s’organisent en fonction de problématiques imposées par une situation. Elles sont hantées par des préalables, c’est-à-dire des “modèles” d’interprétation liés à une situation présente du christianisme. » (40)

« [C]elui qui fait de l’histoire aujourd’hui semble perdre le moyen de saisir une affirmation de sens comme objet de son travail, mais trouver cette affirmation sous le monde de son activité elle-même. Ce qui disparaît du produit apparaît dans la production. » (49-50) « Cela ne signifie nullement que l’histoire renonce à la réalité et se retourne sur elle-même pour se contenter d’examiner ses démarches. C’est plutôt, nous le verrons, que le rapport au réel a changé. Et si le sens ne peut être saisi sous la forme d’une connaissance particulière qui serait tirée du réel ou qui lui serait surajoutée, c’est parce que tout “fait historique” résulte d’une praxis, qu’il est déjà le signe d’un acte et donc l’affirmation d’un sens. Il résulte des procédures qui ont permis d’articuler un mode de compréhension en un discours de “faits”. » (50)

« Pas plus que le discours ne peut être désolidarisé aujourd’hui de sa production, il ne peut l’être de la praxis politique, économique ou religieuse, qui change les sociétés et qui, à un moment donné, rend possible tel ou tel type de compréhension scientifique. » (51)

« [L]a situation de l’historiographie fait apparaître l’interrogation sur le réel en deux positions bien différentes de la démarche scientifique : le réel en tant qu’il est le connu (ce que l’historien étudie, comprend ou “ressuscite” d’une société passée) et le réel en tant qu’il est impliqué par l’opération scientifique (la société présente à laquelle se réfèrent la problématique de l’historien, ses procédures, ses modèles de compréhension et finalement une pratique du sens). D’une part, le réel est le résultat de l’analyse, et, d’autre part, il est son postulat. Ces deux formes de la réalité ne peuvent être ni éliminées, ni ramenées l’une à l’autre. La science historique tient précisément dans leur rapport. Elle a pour objectif propre de le développer en un discours. Certes, suivant les périodes ou les groupes, elle se mobilise de préférence sur l’un de ses deux pôles. Il y a en effet deux espèces d’histoire, selon que prévaut l’attention à l’une de ces positions du réel. » (56-57)

« L’histoire tomberait en ruine sans la clé de voûte de toute son architecture : l’articulation entre l’acte qu’elle pose et la société qu’elle reflète; la coupure constamment remise en cause, entre un présent et un passé; le double statut de l’objet qui est un “effet de réel” dans le texte et le non-dit impliqué par la clôture du discours. Si elle quitte son lieu propre – la limite qu’elle pose et qu’elle reçoit –, elle se décompose pour n’être plus qu’une fiction (la narré de ce qui s’est passé) ou réflexion épistémologique (l’élucidation de ses règles de travail). Mais elle n’est ni la légende à laquelle une vulgarisation la réduit, ni la critériologie que ferait d’elle la seule analyse critique de ses procédures. Elle joue entre les deux, sur la limite qui sépare ces deux réductions […]. » (70)

« Telle est l’histoire. Un jeu de la vie et de la mort se poursuit dans le calme déploiement d’un récit, résurgence et dénégation de l’origine, dévoilement d’un passé mort et résultat d’une pratique présente. Il réitère, sur un régime différent, les mythes qui s’édifient sur un meurtre ou une mort originaire, et font du langage la trace toujours rémanente d’un commencement aussi impossible à retrouver qu’à oublier. » (74)

CHAPITRE 2. L’OPÉRATION HISTORIOGRAPHIQUE

Dans ce chapitre, de Certeau veut « montrer que l’opération historique se réfère à une combinaison d’un lieu social, de pratiques “scientifiques” et d’une écriture » : « Cette analyse des préalables dont le discours ne parle pas permettra de préciser les lois silencieuses qui organisent l’espace produit comme texte. » (78-79)

I. Un lieu social

« Le discours “scientifique” qui ne parle pas de sa relation au “corps social” ne saurait articuler une pratique. Il cesse d’être scientifique. Question centrale pour l’historien. Cette relation au corps social est précisément l’objet de l’histoire. Elle ne saurait être traitée sans mettre aussi en cause le discours historiographique lui-même. » (85)

II. Une pratique

Dans cette partie, l’auteur définit dans le détails (et en expliquant les différents enjeux) la pratique historiographique (l’articulation nature-culture, l’établissement des sources, la mise en relief des « différences », etc.).

Remarque intéressante : « Il faut en effet constater un phénomène étrange dans l’historiographie contemporaine. L’historien n’est plus homme à constituer un empire. Il ne vise plus le paradis d’une histoire globale. Il en vient à circuler autour des rationalisations acquises. Il travaille dans les marges. À cet égard, il devient un rôdeur. Dans une société douée pour la généralisation, dotée de puissants moyens centralisateurs, il s’avance vers les marches des grandes régions exploitées. Il “fait un écart” vers la sorcellerie, la folie, la fête, la littérature populaire, le monde oublié du paysan, l’Occitanie, etc., toutes zones silencieuses. Ces nouveaux objets d’étude attestent un mouvement qui se dessine depuis plusieurs années dans les stratégies de l’histoire. » (109) « La biographie même joue le rôle d’une distance et d’une marge proportionnées à des constructions globales. La recherche se donne des objets qui ont la forme de sa pratique : ils lui fournissent le moyen de faire sortir des différences relatives aux continuités ou aux unités d’où part l’analyse. » (110)

« Le bref examen de sa pratique semble permettre de préciser trois aspects connexes de l’histoire : la mutation du “sens” ou du “réel” en la production d’écarts significatifs; la position du particulier comme limite du pensable; la composition d’un lieu qui instaure dans le présent la figuration ambivalente du passé et du futur. » (115) Il précise ensuite chacun de ces points dans les pages suivantes. À propos du 3e, il écrit : « Plus importante que la référence au passé est son introduction au titre d’une distance prise. Une faille est insinuée dans la cohérence scientifique d’un présent, et comment pourrait-elle l’être effectivement sinon par quelque chose d’objectivable, le passé, qui a pour fonction de signifier l’altérité? […] le passé est d’abord le moyen de représenter une différence. L’opération historique consiste à découper le donné selon une loi présente qui se distingue de son “autre” (passé), à prendre de la distance par rapport à une situation acquise et à marquer ainsi par un discours le changement effectif qui a permis cette distanciation. Elle a un double effet. D’une part, elle historicise l’actuel. À proprement parler, elle présentifie une situation vécue. Elle oblige à expliciter le rapport de la raison régnante à un lieu propre qui, par opposition à un “passé”, devient le présent. […] Mais d’autre part, la figure du passé garde sa valeur première de représenter ce qui fait défaut. Avec un matériau qui, pour être objectif, est nécessairement là, mais connotatif d’un passé dans la mesure où d’abord il renvoie à une absence, elle introduit aussi la faille d’un futur. Un groupe, on le sait, ne peut exprimer ce qu’il a devant lui – ce qui manque encore – que par une redistribution de son passé. Aussi l’histoire est-elle toujours ambivalente : la place qu’elle taille au passé est également une manière de faire place à un avenir. Comme elle vacille entre l’exotisme et la critique au titre d’une mise en scène de l’autre, elle oscille entre le conservatisme et l’utopisme par sa fonction de signifier un manque. » (118-119)

III. Une écriture

L’écriture est un passage qui « conduit de la pratique au texte » qui serait dans un rapport de « servitude » « car la fondation d’un espace textuel entraîne une série de distorsions par rapport aux procédures de l’analyse. Avec le discours, semble s’imposer une loi contraire aux règles de la pratique. » (120) Ces contraintes sont : 1/ « prescrire pour commencement ce qui, en réalité, est un point d’arrivée, et même un point de fuite dans la recherche. Alors que celle-ci débute dans l’actualité d’un lieu social et d’un appareil institutionnel ou conceptuel déterminés, l’exposé suit un ordre chronologique. Il prend le plus ancien comme point de départ. » 2/ « La priorité que la pratique donne à une tactique de l’écart par rapport à la base fournie par des modèles semble contredite par la clôture du livre ou de l’article. Alors que la recherche est interminable, le texte doit avoir une fin, et cette structure d’arrêt remonte jusqu’à l’introduction, déjà organisée par le devoir de finir. » (120)

« […] La vraisemblance des énoncés se substitue constamment à leur vérifiabilité. D’où l’autorité dont ce discours a besoin pour se soutenir : ce qu’il perd en rigueur doit être compensé par un surcroît de fiabilité. » (130) « À cette exigence, on peut rattacher une autre forme de dédoublement », entre un discours et son « autre », le document sur lequel le discours se donne le pouvoir de dire ce qu’il signifie. » Il renvoie à celui-ci par un appareil paratextuel important. (130) / « En citant, ce discours transforme le cité en source de fiabilité et en lexique d’un savoir. » (132)

Sur l’écriture de l’histoire et le rapport « aux morts », plusieurs passages sont intéressants pour nous : « La pratique, en effet, trouve le passé sur le mode d’un écart pertinent relatif à des modèles présents. En réalité la fonction spécifique de l’écriture n’est pas contraire, mais différente et complémentaire par rapport à celle de la pratique. Elle peut être précisée sous deux aspects. D’une part, au sens chronologique et quasi religieux du terme, l’écriture joue le rôle d’un rite d’enterrement; elle exorcise la mort en l’introduisant dans le discours. D’autre part, elle a une fonction symbolisatrice [sic]; elle permet à une société de se situer en se donnant dans le langage un passé, et elle ouvre ainsi au présent un espace propre : “marquer” un passé, c’est faire une place au mort, mais aussi redistribuer l’espace des possibles, déterminer négativement ce qui est à faire, et par conséquent utiliser la narrativité qui enterre les morts comme moyen de fixer une place aux vivants. Le rangement des absents est l’envers d’une normativité qui vise le lecteur vivant et qui instaure une relation didactique entre le destinateur et le destinataire. » (139-140)

« L’écriture ne parle du passé que pour l’enterrer. Elle est un tombeau en ce double sens que, par le même texte, elle honore et elle élimine. Ici, le langage a pour fonction d’introduire dans le dire ce qui ne se fait plus. Il exorcise la mort et il la case dans le récit qui lui substitue pédagogiquement quelque chose que le lecteur doit croire et faire. Ce processus se répète sur bien d’autres modes non scientifiques, depuis l’éloge funèbre dans la rue jusqu’à l’enterrement. Mais à la différence d’autres “tombeaux”, artistiques ou sociaux, la reconduction du “mort” ou du passé dans un lieu symbolique s’articule ici sur le travail visant à créer dans le présent une place (passée ou future) à remplir, un “devoir faire”. L’écriture recueille le produit de ce travail. Par là, elle libère le présent, sans avoir à le nommer. Aussi peut-on dire qu’elle fait des morts pour qu’il y ait ailleurs des vivants. Plus exactement, elle reçoit les morts qu’a faits [sic?] un changement social, afin que soit marqué l’espace ouvert par ce passé et pour qu’il reste possible cependant d’articuler ce qui apparaît sur ce qui disparaît. Nommer les absents de la maison et les introduire dans le langage de la galerie scripturaire, c’est libérer l’appartement pour les vivants, par un acte de communication qui combine à l’absence des vivants dans le langage l’absence des morts dans la maison. Une société se donne ainsi un présent grâce à une écriture historique. L’instauration littéraire de cet espace rejoint donc le travail qu’effectuait la pratique historique. » (140-141)

« Substitut de l’être absent, renfermement du mauvais génie de la mort, le texte historique a un rôle performatif. Le langage permet à une pratique de se situer par rapport à son autre, le passé. En fait, il est lui-même une pratique. L’historiographie se sert de la mort pour articuler une loi (du présent). Elle ne décrit pas les pratiques silencieuses qui la construisent, mais elle effectue une nouvelle distribution de pratiques déjà sémantisées. Opération d’un autre ordre que celle de la recherche. Par sa narrativité, elle fournit à la mort une représentation qui, en installant le manque dans le langage, hors de l’existence, a valeur d’exorcisme contre l’angoisse. Mais, par sa performativité, elle comble la lacune qu’elle représente, elle utilise cette place pour imposer au destinataire un vouloir, un savoir et une leçon. En somme, la narrativité, métaphore d’un performatif, trouve précisément appui dans ce qu’il cache : les morts dont elle parle deviennent le vocabulaire d’une tâche à entreprendre. » (141)

DEUXIÈME PARTIE PRODUCTION DU TEMPS : UNE ARCHÉOLOGIE RELIGIEUSE

Note : plus j’avance dans ma lecture et plus je constate à quel point le propos central de de Certeau est de faire prendre conscience à quel point l’histoire – et qui plus est l’écriture de l’histoire – est subjective, s’inscrit toujours dans le présent. Tout son livre s’attarde alors à faire prendre conscience de tous les aléas de cette « subjectivité » et de leurs différentes répercussions à toutes les étapes de la démarche historique. Il revient en effet souvent sur cette idée. Par exemple, dans l’introduction de cette partie : « L’historiographie bouge constamment avec l’histoire qu’elle étudie et le lieu historique d’où elle s’élabore. » (146) « Mais c’est dire simplement que les analyses scientifiques interviennent, classent et opèrent sans jamais pouvoir intégrer ni surmonter par le discours, l’histoire, le réel dont elles parlent; elles en font partie, et elles en dépendent comme d’un sol dont les déplacements commandent leurs mouvements. » (152)

Son programme pour cette partie : « Il a paru intéressant d’examiner, selon ce schéma global, le mouvement qui se produit au niveau des pratiques religieuses au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Il met simultanément en cause des modifications sociales et des changements dans l’axiomatique de l’agir […] » (152-153)

[Comme c’est un peu loin de notre propos, je saute cette partie.]

TROISIÈME PARTIE SYSTÈMES DE SENS : L’ÉCRIT ET L’ORAL

Chapitre V (1er chapitre de cette partie) : Étude de l’articulation de l’histoire et de l’ethnologie dans l’ensemble des sciences humaines, basée sur la différence entre l’oral et l’écrit. [Je laisse aussi de côté ce chapitre, bien qu’il semble très intéressant]

Chapitre VI (2e de cette partie) : question de sorcellerie dans l’histoire, de la question du « discours de l’autre » dans la possession et sur comment étudier les documents qui attestent de cela. [Intéressant, encore une fois, mais sans lien direct avec nous]

« D’une part, la possibilité d’accéder au discours de l’autre, problème de l’historien : que peut-on saisir du discours de l’absent? Comment interpréter des documents liés à une mort insurmontable, c’est-à-dire à une autre période, et à une expérience “ineffable”, toujours abordée par le côté où elle est jugée de l’extérieur? D’autre part, l’altération du langage par une “possession”, objet propre de cet exposé. » (284)

Chapitre VII (3e de cette partie) : sur l’hagiographie. « À l’extrémité de l’historiographie, comme sa tentation et sa trahison, il existe un autre discours. On peut le caractériser de quelques traits qui ont seulement pour but ici de le situer dans un voisinage, comme le corpus d’une différence. » (316) [Bien que cette réflexion puisse nous intéresser dans un cadre plus large, je la passe ici, faute de temps.]

QUATRIÈME PARTIE LES ÉCRITURES FREUDIENNES

Chapitre VIII (1er de cette partie) : « Ce que Freud fait de l’histoire. À propos de “Une névrose démoniaque au XVIIIe siècle” »

Ici aussi, revient en introduction de ce chapitre, l’idée que l’histoire n’est toujours que du présent et sur l’idée que l’histoire n’est pas objective, mais une science qui est elle-même historique (il introduit sans doute les bases de la métahistoire, des historiens de l’histoire comme l’est François Hartog?) : « Quand nous recevons le texte, une opération a déjà été effectuée : elle a éliminé l’altérité et son danger, pour ne garder du passé, intégrés dans les histoires qu’une société entière se raconte à la veillée, que des fragments encastrés dans le puzzle d’un présent. Ces signes arrangés en légende restent pourtant susceptibles d’une autre analyse. Alors commence une autre histoire. Elle tend à instaurer l’hétéronomie (“cela s’est passé”) dans l’homogénéité du langage (“cela s’est dit”, “cela se lit”). Elle produit de l’historique dans l’élément d’un texte. À proprement parler, c’est faire de l’histoire. Le mot histoire vacille entre deux pôles : l’histoire qui est racontée (Historie) et celle qui s’est faite (Geschichte). Ce poncif garde le mérite d’indiquer, [p.340 :] entre deux significations, l’espace d’un travail et d’une mutation. Car l’historien part toujours du premier sens et il vise le second, pour ouvrir, dans le texte de sa culture, la faille de quelque chose qui est arrivé ailleurs et autrement. À ce titre, il produit de l’histoire. Dans les morceaux qu’organise à l’avance l’imaginaire de sa société, il opère des déplacements, il ajoute d’autres pièces, il établit entre elles des écarts et des comparaisons, il discerne à ces indices la trace d’autre chose, il renvoie ainsi à une construction disparue. En somme, il crée des absences. De ces documents […], il fait un passé pris mais non pas résorbé dans son nouveau discours. Son travail est donc aussi un événement. Parce qu’il ne répète pas, il a pour effet de changer l’histoire-légende en histoire-travail. Un même processus opératoire transforme le rapport de l’historien avec l’objet passé dont on causait et le rapport interne entre les documents qui désignaient cet objet. » (339-340)

Propos du chapitre : « C’est en ce dernier sens qu’il sera ici question d’histoire. […] pour déceler ce à quoi répondent et aboutissent les incursions de Freud dans la région “historique” de sa culture. Comment traite-il cette part de son langage, où sa curiosité a rejoint le goût de tant de ses contemporains? Comme analyste, que fait-il de l’histoire? » (340) Étude menée à partir d’un cas particulier.

Chapitre IX (2e de cette partie) : « La fiction de l’histoire. L’écriture de “Moïse et le monothéisme” »

Ce texte de Freud instaure, selon de Certeau, « un jeu entre la “légende” religieuse (Sage) et la “construction” freudienne (Kunstruction), entre l’objet expliqué et le discours analysant. Ce jeu se déploie dans l’entre-deux d’une ambivalence, celle qui fait signifier à la fiction tantôt une production (fingere, façonner, fabriquer), tantôt un déguisement ou une tromperie. Il se déroule dans le champ des relations entre le travail qui construit et la feinte qui “fait croire”. Terrain mixte de la production et du leurre. Là se rencontrent ce que l’histoire crée et ce que le récit dissimule. Moïse et le monothéisme se situe à cette articulation de l’histoire et de la fiction. Mais l’élucidation n’échappe pas à ce qu’elle explique. Elle raconte, en manière de “fantaisie”, ce qui se produit dans une tradition. Cette théorie de la fiction est une “fiction théorique”. » (365-366)

La conclusion de ce chapitre réélargit brièvement à la question de l’historiographie : « Techniquement, elle postule sans cesse des unités homogènes (le siècle, le pays, la classe, le niveau économique, ou social, etc.) et ne peut pas céder au vertige qu’entraînerait l’examen critique de ces fragiles frontières : elle ne veut pas le savoir. Par tout son travail, fondé sur ces classements, elle suppose la capacité qu’a le lieu où elle se produit elle-même de donner sens, car les distributions institutionnelles présentes dans la discipline soutiennent en dernier ressort les répartitions du temps et de l’espace. À cet égard, politique dans son essence, le discours historique suppose la raison du lieu. Il légitime une place, celle de sa production, en “comprenant” les autres dans un rapport de filiation et d’extériorité. Il s’autorise du lieu qui permet d’expliquer comme “étranger” le différent, ou comme unique de l’intérieur. » (414)

fq-equipe/miche_de_certeau_1975_l_ecriture_de_l_histoire.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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