Table des matières
Ginette Michaud et Élisabeth Nardout-Lafarge (dir.) (2004),Construction de la modernité au Québec,
Actes du colloque tenu à Montréal les 6, 7 et 8 novembre 2003, Montréal, Lanctôt Éditeur
Note technique : cette fiche se situe dans le prolongement de celle faite par Mariane Dalpé: Fiche de //Construction de la modernité au Québec. Je recopie ici certaines de ses notes et en ajoute, autour de la question des termes de « modernité », « postmodernité », « contemporain », etc. Dans sa fiche, MD signale toutefois que la notion de contemporanéité n’est pas convoquée dans l’ouvrage. Le terme « contemporain » n’y est utilisé que pour désigner un événement qui est du même temps qu’un autre, et non pour renvoyer spécifiquement à une esthétique propre à notre époque.
Ginette MICHAUD et Élisabeth NARDOUT-LAFARGE, « Introduction », p. 7-22.
Les auteures : - situent d’emblée la réflexion à la base du colloque qui a donné lieu à leur ouvrage dans le prolongement de celle qu’on retrouvait dans le collectif L’Avènement de la modernité au Québec (paru en 1986, sous la direction de Yvan Lamonde et Esther Trépanier) - font aussi valoir qu’elles ont privilégié un croisement, un entrelacement entre des discours critiques divers : histoire, philosophie, histoire de l’art, littérature. Elles écrivent : « Les points de contact, les convergences, et les divergences entre ces différents discours sur la modernité sont d’ailleurs en eux-mêmes révélateurs de la labilité (d’abord conceptuelle, philosophique, épistémologique) extrême du concept. » (2004 : 9)
La conclusion de l’introduction donne lieu à la formulation de trois points qui se dégagent de ces modernités plurielles dont l’ouvrage traite.
1/ D’abord : « [I]l semble que les différentes modernités explorées ici se développent moins selon le modèle européen de la rupture, que depuis cette ‘‘logique parasitaire’’ ni tout à fait extérieure ni tout à fait intérieure, mise au jour par Éric Méchoulan […]. » (2004 : 21)
2/ Ensuite : « [I]l s’avère également que la modernité s’est moins dressée contre la religion […] comme on l’a souvent affirmé, qu’elle ne s’est élaborée en relation intense avec elle, souvent de l’intérieur même de l’institution et même grâce à certains de ses animateurs, à partir d’un dialogue et d’une tension avec le religieux. Manifestement, cette tension est apparue comme l’un des points aveugles des travaux critiques sur la modernité dont nous disposons actuellement […]. » (2004 : 22)
3/ Enfin : « [P]ar rapport aux arts et à la littérature, qui selon lui [Georges Leroux] ouvrent le terrain, opèrent des passages, risquent des expériences et construisent ainsi, fût-ce pauvrement, une pensée moderne, la philosophie fait défaut et ne vient relayer ce projet que bien plus tard, peut-être trop tard. On comprend mieux ainsi pourquoi, dans ce processus, au Québec et de manière différente qu’ailleurs, une place a priori considérable, sinon exorbitante, ait été dévolue aux arts. » (2004 : 22)
[Je ne relis pas le texte introductif]
Yvan LAMONDE, « ‘‘Être de son temps’’ : pourquoi, comment ? », p. 23-36.
Yvan Lamonde affirme d’entrée de jeu que son propos s’arrête moins sur l’existence de la modernité au Québec que sur l’existence d’un discours sur la modernité. Son article interroge donc la signification du contemporain et de la modernité dans l’histoire intellectuelle du Québec. L’auteur revient notamment sur le colloque qu’il avait organisé en 1985 (et qui a donné lieu au collectif dont parlaient les auteures en introduction) en soulignant que, depuis, d’autres champs de savoir se sont réclamés de la modernité. Il insiste également sur le fait que s’il est question de « constructions » de la modernité, c’est que celle-ci n’est jamais donnée comme un fait accompli, mais qu’elle se définit plutôt comme un parcours.
Sur le concept de modernité : Puisque le terme de modernité est applicable à différents savoirs et pratiques, Lamonde rappelle que le colloque de 1985 avait cherché à déterminer quel pourrait être l’élément commun qui caractériserait la modernité au sein de ces différents domaines. La conclusion à laquelle ils en étaient venus à cette époque était que la modernité – dans les arts de la création, du moins – résidait dans « l’affirmation de la liberté des sujets ou thèmes abordés et l’affirmation conséquente de la liberté des formes ou des esthétiques susceptibles d’exprimer ces ‘‘butins’’ nouveaux. » (2004 : 33) Selon Lamonde, c’est également de cette affirmation du sujet que relève la modernité philosophique. Lamonde s’intéresse également aux modernités politique et économique, et affirme qu’il devrait être possible de « faire les distinctions qui s’imposent pour comprendre ces modernités ‘‘d’un deuxième type’’ », sans quoi la réflexion « est hypothéquée par les limites de ses moyens conceptuels. » (Lamonde, 2004 : 34)
Sur la modernité au Québec : Enfin, Lamonde évoque le fait que la modernité est toujours en relation de rupture ou de filiation – mais dans les exemples qu’il a convoqués dans son article, il semble s’agir, au Québec, plus souvent de ruptures véhémentes – avec le passé. Selon l’auteur, le poids de l’histoire au Québec est tel que la recherche d’une modernité se fait toujours dans une quête de libération par rapport au passé. Il s’interroge : « Faut-il aller jusqu’à dire que la modernité est, ici plus qu’ailleurs, interminable ? » (2004 : 35)
Changement du contemporain/moderne : Son article s’achève sur une mise en relation de la définition du contemporain à l’époque du colloque de 1985 et celle qui prévaut deux décennies plus tard : il constate que le contemporain a changé d’objet pendant cette période, puisque les deux grands événements de référence du contemporain qu’étaient le Refus global et la Révolution tranquille ont basculé dans le temps et sont désormais traités comme des événements du passé.
Jocelyn LÉTOURNEAU, « Penseurs, passeurs de la modernité dans le Québec des années cinquante et soixante », p. 53-64.
Ainsi, au Québec on opposerait modernité à traditionalité, la première se définissant comme ce qui va dans le sens du temps et la seconde comme ce qui va à rebours du temps. La modernité, au Québec, se caractérise donc par cette incompatibilité totale entre la modernité et la tradition.
Gilles LAPOINTE, « Refus global au seuil de l’âge classique : autour de quelques lectures contemporaines du manifeste », p. 89-105.
Le texte de Gilles Lapointe étudie le Refus global en tant que classique de la culture québécoise, c’est-à-dire qu’il en étudie quelques lectures récentes afin de montrer notamment comment le texte est constamment convoqué.
1. Jusqu’à la fin des années 1970, la modernité artistique québécoise se définissait selon les critères établis dans le manifeste de Borduas.
2. les artistes, à partir du début des années 1980, prennent leurs distances par rapport aux discours de libération associés à la modernité, et qu’on entre à partir de cette époque dans l’ère de la postmodernité. Cependant, celle-ci maintient la redéfinition constante des codes d’opposition et de marginalité qui caractérisent la modernité. Dans ce contexte, affirme Lapointe, le Refus global semble voué à l’usure du temps.
3. Vers la fin de la décennie 1980, certains points de vue plus littéraires et immanents sur le manifeste émergent.
Élisabeth NARDOUT-LAFARGE, « La valeur ‘‘modernité’’ en littérature québécoise : notes pour un bilan critique », p. 285-301.
Nardout-Lafarge souligne d’entrée de jeu que la modernité a été pour les textes littéraires québécois à partir de la Révolution tranquille un critère de légitimité et une garantie de légitimité, jusqu’à ce que survienne dans les années 1980 le concept de postmodernité. L’auteure cite un texte de François Ricard, qui écrivait en 1988 que la littérature québécoise, à partir des années 1980, cesse d’être « à la fois petite, unifiée, et moderne » [dans « Remarques sur la normalisation d’une littérature », Écriture (Lausanne), no 31, p.1988, p.11] (2004 : 285). L’évocation de cette fin de la modernité littéraire québécoise pousse l’auteure à s’interroger sur l’utilisation du concept de modernité dans la critique au Québec entre 1977 et 2001.
Nardout-Lafarge souligne d’abord que le concept de modernité [au Québec] n’a jamais été tout à fait défini, car la théorie littéraire est peu pratiquée au Québec, où on lui préfère largement la forme plus libre de l’essai. Cependant, la modernité au Québec apparaît comme une valeur, comme une attestation de légitimité. « [I]l ressort que ‘‘moderne’’ signifie d’abord actuel, contemporain de la lecture en train de se faire […] ; est moderne également ce qui est lisible à l’étranger et, en tout premier lieu, en France ; est perçu comme moderne, enfin, ce qui n’entretient pas de liens avec l’ancien, donc ce qui est laïque ou même anti-religieux, novateur voire iconoclaste, au sens d’ostensiblement marqué comme différent d’une littérature antérieure, dite traditionnelle, qui sert de repoussoir. » (2004 : 299)
De même, la postmodernité québécoise est un concept moins évident qu’il ne semble, car, malgré un certain consensus par rapport à ses traits esthétiques, une incertitude persiste dans sa définition car elle renvoie soit à l’incertaine modernité québécoise, soit à des visions européennes ou américaines du concept. Selon elle, on est passé d’une modernité singulière à des « modernités plurielles, concurrentes, laissant voir le travail dont elles sont constituées, sinon le chantier qu’elles demeurent » (2004 : 287-288).
Caractéristiques du contemporain – la réévaluation des traditions : Elle évoque aussi le fait que depuis les années 1980, la tradition contre laquelle s’érigeait la modernité a perdu sa force de repoussoir et qu’on entreprend maintenant de réévaluer cette tradition, en cherchant des traces de modernité avant les années 1960. Cette réévaluation met en évidence, selon l’auteure, le fait qu’on néglige fréquemment de faire la distinction entre les différentes sphères de la modernité au Québec et qu’on lie donc modernité, Révolution tranquille, années 1960 et néo-nationalisme. De la même manière, on confond modernité et modernisation, puisqu’on estime que ces deux phénomènes adviennent à la même époque. Ainsi, malgré quelques travaux qui vont à contre-courant, notre perception de la modernité apparaît beaucoup plus positive et optimiste qu’elle ne l’est en Europe.
Janet M. PATERSON, « Le postmodernisme et la ‘‘pensée migrante’’ au Québec », p. 319-331.
Paterson débute son texte en évoquant la difficulté de parler de postmodernité dans un colloque consacré à la modernité puisque celle-ci n’est pas circonscrite dans un temps défini. Paterson se propose néanmoins d’interroger la relation du postmodernisme à la pensée migrante au Québec.
La première partie du texte de Paterson est particulièrement intéressante. L’auteure y analyse la notion même de postmodernisme, dont elle souhaite d’abord dégager si elle « continue à structurer une démarche cognitive et analytique dans les pratiques critiques au Québec et ailleurs. » (2004 : 320) Afin de déterminer l’impact de cette notion, Paterson recourt à une compilation des études parues sur le postmodernisme, qui permet de faire ressortir l’immense intérêt que ce concept suscite particulièrement depuis 1990. Paterson évoque ensuite diverses définitions du postmodernisme : celle de Lyotard (incrédulité à l’égard des métarécits, crise de légitimation des grands discours philosophiques, savoir hétérogène lié à une légitimation fondée sur la reconnaissance des jeux de langage), celle de Scarpetta (impureté des formes et des contenus, et manifestations d’art et de pensée hybrides), celle qui prévaut dans la littérature québécoise (dynamisme créateur, innovations formelles, interrogations multiples et remises en question fondamentales). Paterson mentionne quelques auteurs qui ont écrit des ouvrages postmodernes : Aquin, Bessette, Brossard, Godbout, Ouellette-Michalska et Villemaire. Paterson affirme enfin que la force du postmodernisme, qui se retrouve dans plusieurs disciplines, correspond moins à ses caractéristiques formelles qu’à « son énorme capacité de stimuler une réflexion théorique, de multiplier les voies interprétatives et surtout de décloisonner les discours. » (2004 : 322-323)
Définition du postmodernisme : rejoint l’idée de Lyotard (« l’incrédulité à l’égard des métarécits », p.7), mais demeure une notion « floue » intéressante; « Pour simplifier les débats, je poserais que si le postmodernisme, à l’instar du modernisme, continue à se manifester dans les discours savants et populaires, c’est en grande partie parce que cette notion floue, élastique, polyvalente désigne à la fois un épistémè, c’est-à-dire une pensée philosophique qui s’attache à d’écrire “l’air du temps” et une pratique esthétique. » (321)
Frances FORTIER et Francis LANGEVIN, « De la modernité à la postmodernité ? Le trajet de Nicole Brossard ou l’expérience du lieu commun », p. 332-349.
Le texte de Fortier et Langevin vise à observer le passage de la modernité à la postmodernité à travers trois moments dans l’œuvre de Nicole Brossard. Les auteurs posent en outre l’hypothèse que Brossard subit l’influence du paradigme interprétatif de sa propre œuvre (sa pratique est en dialogue avec les discours qui l’interprètent). Ils en arriveront à la synthèse suivante du parcours de Nicole Brossard : d’abord moderne par la revendication d’un identitaire collectif (Un livre, 1970) ; ensuite postmoderne, par sa facture autoréférentielle et par son appel à la participation du lecteur (Le désert mauve, 1987) ; enfin surmoderne, par sa prédilection pour les non-lieux (Hier, 2001).
Passage du moderne au postmoderne à même Le désert mauve : À travers le jeu qu’on retrouve dans le texte entre référentialité et fiction, les auteurs perçoivent la tension entre le moderne et le postmoderne : alors que le modernisme se caractérise par le refus de l’illusion référentielle, le postmodernisme revendique les procédés de l’illusion et cherche à pousser l’illusion à un paroxysme de manière à ce que ce soit la réalité qui apparaisse comme une illusion.