FICHE DE LECTURE «Les postures du biographe»
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Peter Ackroyd Titre : William et cie (The Lambs of London) Lieu : Paris (London) Édition : Éditions Philippe Rey (Chatto & Windus) Année : 2006 [2004] Pages : 219 p.
Biographé : Charles et Mary Lamb, William Henry Ireland. Par contre, la figure de Shakespeare survole tout le roman. Aussi, Thomas de Quincey sera un personnage secondaire qui arrive à la fin de l’intrigue (150).
Pays du biographe : Angleterre
Pays du biographé : Angleterre
Désignation générique : roman
Quatrième de couverture : Présentation de l’intrigue : «Il a dix-sept ans et beaucoup d’ambition. Passionné de Shakespeare, résolu à se faire un nom en littérature, William Ireland devient vite l’ami de Mary, sœur de l’écrivain Charles Lamb. Il lui confie sa découverte chez une veuve mystérieuse d’un document inédit écrit, justement, de la main de Shakespeare. Mary, exaltée et d’une santé fragile, se retrouve bientôt dramatiquement au cœur de la rivalité qui s’établit entre Charles et le jeune William. D’autant plus qu’une nouvelle trouvaille de l’ardent bouquiniste, une pièce inconnue du Barde, va révolutionner les spécialistes et porter le mystère à son comble…» Se pose aussi l’ambiguïté du statut de vérité de l’intrigue : «Une intrigue de polar et une satire des milieux littéraires de Londres du début du XIXe siècle ajoutent à la séduction de ce roman d’une histoire vraie.»
Préface : non Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Une note de l’auteur : «Le présent ouvrage n’est pas une biographie des écrivains Charles et Mary Lamb, mais un roman. J’ai inventé des personnages et modifié la vie de la famille Lamb pour le bien de l’histoire qui dépasse l’Histoire.»
SYNOPSIS
Résumé ou structure de l’oeuvre : Les deux histoires de la famille Lamb et de la famille Ireland sont racontées et parallèle et dans la mesure où ils se croisent à l’occasion. D’un côté, les Lamb vivent une vie ordinaire et ennuyeuse (Charles est un poète en devenir sans grandes ambitions qui se satisfait d’un emploi à la compagnie des Indes Orientales et Mary souffre d’un ennui mortel à vivre confinée avec ses parents – un père devenu sénile et une mère contrôlante) ; de l’autre, les Ireland sont de petits commerçants (bouquinistes) un peu frustrés par leur état, mais qui ont tout de même une certaine notoriété. Vouant un culte à Shakespeare, Samuel Ireland rêve de voir un jour un document authentique signé de la main du Barde. Lorsque son fils lui présente un premier document, le père s’emballe et le fait authentifier. Du même coup, William Henry tente de se lier avec Charles Lamb qui passe beaucoup de temps à la taverne. Un soir que Charles est ivre, WH voit l’occasion de le ramener chez lui afin de lui éviter de se faire voler. De fil en aiguille, il fera la rencontre de Mary à qui il dévoilera sa découverte de manuscrits shakespeariens ; tous deux se lieront d’une étrange amitié qui permet à Mary de sortir de son isolement tout en la bouleversant davantage (vraisemblablement, elle se jettera dans la Tamise lors d’une excursion avec William à Greenwich, le quartier de Shakespeare). De façon quelque peu suspecte, WH continuera de découvrir nombres de documents, dont une pièce inédite, Vortigen, que son père s’empressera de présenter à un directeur de théâtre. Dès lors, la suspicion publique s’éveille, ce qui divisera le frère et la sœur Lamb. Convoqué devant les autorités pour attester de l’authenticité des documents, William Ireland blanchira toute accusation vis-à-vis de son père, mais lui avouera enfin que c’est lui l’auteur des pièces. Son père fâché, William bouleversé, il mettra accidentellement le feu à la librairie en voulant brûler les faux documents. Mary Lamb découvrira du même coup la vérité et, de retour chez elle, elle se dispute avec sa mère et lui enfonce une fourchette à la gorge. Dès lors, la tragédie est consommé et Ackroyd boucle l’histoire en quelques notes brèves : Mary est jugée incapable de subir un procès et est internée, mais se rétablit peu à peu. Au bout de quelques mois, elle est confiée à la garde de son frère. Ensembles, ils vont écrire des contes pour enfants tirés des œuvres de Shakespeare, contes qui deviendront très populaires – mais elle ne se remettra jamais complètement. Quant au Ireland, le père déménagera après l’incendie et refusera tout contact avec son fils. William Ireland publiera un pamphlet pour dévoiler son méfait et s’excuser et continuera toute sa vie.
Topoï : Ackroyd semble avoir une prédilection pour les histoires de faussaire… L’idée aussi, de la vénération de figures d’écrivains. Shakespeare est tellement vénéré qu’on ferait n’importe quoi pour augmenter son culte. On craint, par exemple (mais c’est un fait attesté ; une hypothèse que Shakespeare serait mort papiste), de découvrir que Shakespeare avait des sympathies catholiques (72) ; devant les documents fabriqués, on se prosterne presque, on tombe en pâmoison : «Samuel Ireland sortit le manuscrit du Roi Lear. Il le tendit à Rowlandson en esquissant une révérence. Le peintre posa son verre et se leva. Ses mains tremblèrent lorsqu’il tourna les pages du manuscrit. “J’ai le front brûlant, s’exclama-t-il, mes joues se couvrent d’incarnat ! Observez : c’est son feu qui m’attise.” À la surprise de William, Rowlandson alla jusqu’à s’agenouiller. “Maintenant, je peux mourir heureux.” Je baise le précieux souvenir du Barde et rend grâce à Dieu qui m’a permis de vivre pour le voir.» (114) – Il faut dire que le Rowlandson en question est un peu ivre ! Dans cette sacralisation de l’écrivain, on craint toujours de découvrir un inédit qui ternirait l’image mythique que l’on se fait de l’écrivain. Ex, à propos d’un poème inédit :
«- Veuillez le lire vous-mêmes.
- J’ai déjà eu ce plaisir. Dans le Westminster Words. Je suis heureux de n’y avoir trouvé aucune indélicatesse. J’avais craint… - Des passages salaces ? - Shakespeare se complaisait dans la grivoiserie. Nous vivons dans la hantise que l’on découvre quelque chose… Tant de paillardise défigurent la poésie.» (102) Je remarque aussi que l’auteur est un des rares Anglais catholique et il semble s’intéresser aux auteurs qui on eu un rapport avec la religion. Voir le curieux rapport Shakespeare/religion catholique. Relation père-fils ; sorte de complexe d’infériorité du fils qui se règle par une duperie du fils. William Henry Ireland connaissait la passion de son père pour Shakespeare et souffrait du manque de considération que celui-ci lui infligeait : « William Henry Ireland, like his father, was an avid reader and a collector of books and antiquities. His biographers suggest he was also familiar with James Macpherson’s Ossian poems and with the life and work of Thomas Chatterton. At some point, the younger Ireland apparently decided to emulate these two figures in an effort to satisfy his father’s desire to obtain a document in Shakespeare’s handwriting.» («William Ireland and the Shakespeare Fabrications», p.1 de 4)
Pacte de lecture : Fictionnel, mais lorsqu’on regarde les faits, il apparaît que beaucoup d’éléments dans cette histoire sont véridiques. Par contre, je n’ai rien retrouvé concernant un lien entre les Lamb et les Ireland, mais tous les éléments les concernant sont véridiques, à l’exception de la mort de Mary qui précède celle de Charles dans le roman alors que, dans la réalité, elle est morte douze ans après lui.
Rapports Auteur/Narrateur/personnage : Narration hétérodiégétique omnisciente. J’ai été frappée par le fait que le personnage de Mary est le plus intéressant de tous, le plus nuancé contrairement aux personnages masculins. C’est intéressant dans la mesure où je trouve qu’Ackroyd n’est pas nécessairement un bon écrivain, qu’il rend justement mal certains passages, mais, au contraire, les passages sur Mary relèvent de la bonne littérature.
I. ASPECT INSTITUTIONNEL
Position de l’auteur dans l’institution littéraire : Semble être un auteur contemporain ayant déjà acquis une place très confortable dans le champ littéraire, à preuve, beaucoup d’articles critiques lui ont été consacrés. Pourtant, ses romans me semblent assez grand public. Cette position enviable vient peut-être du fait qu’il a aussi fait des biographies sur Charles Dickens, sur Shakespeare, sur William Blake et sur Londres – ce qui n’est pas sans originalité.
Position du biographé dans l’institution littéraire : Shakespeare est, bien sûr, une figure connue, mais il n’est pas biographé directement. Par contre, les Lamb et les Ireland le sont beaucoup moins. Ils sont des figures mineures de la littérature anglaise. Cela concorde assez bien avec le désir d’Ackroyd de valoriser sa littérature.
Transfert de capital symbolique : Ackroyd semble aimer la forme romanesque pour mettre en scène ses personnages historiques. Peut-on voir là une façon de faire œuvre de vulgarisateur ? Sa renommée semblant assez bien acquise, le transfert de capital symbolique se ferait donc en chemin inverse ? D’un autre côté, comme Shakespeare est une figure dominante, on peut considérer le rapport entre les deux, c’est-à-dire qu’Ackroyd a une fascination pour cette figure au fondement de la littérature anglaise. Dans cette optique, il se serait intéressé aux admirateurs de Shakespeare, dans la mesure où il se retrouvait en eux. On en a pour preuve la biographie qu’Ackroyd a consacré à Shakespeare (sortie en 2006) et qu’il dit être sa dernière biographie d’écrivain, une sorte d’aboutissement.
II. ASPECT GÉNÉRIQUE
Œuvres non-biographiques affiliées de l’auteur : À compléter une fois l’œuvre entière lue. Il faudra voir la proportion d’œuvres biographiques et d’œuvres non-biographiques, mais il m’apparaît tout de même que toute l’œuvre d’Ackroyd est basée sur une valorisation de sa culture, de son pays, de sa littérature surtout. Ce qui fait que toutes ses œuvres semblent faire place à une figure biographique que ce soit par la transposition du vécu ou la transposition de l’œuvre, comme dans La mélodie d’Albion ; ou encore par l’exploration de diverses formes du biographiques, comme la biographie-pavé documentaire (The life and times of Charles Dickens ; The life ot Thomas More ; ) la vie brève (Chaucer, JMW Turner) et, bien sûr, la biographie fictive (Le testament d’Oscar Wilde, Chatterton, William et Cie, Un puritain au paradis, etc.)
Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : À compléter une fois l’œuvre entière lue, mais on sait déjà que la biographie (les différentes formes du biographiques) occupe une place centrale dans l’œuvre d’Ackroyd, ce qui m’a conduit à en faire une figure type.
Stratégies d’écriture et dynamiques génériques : Diverses. Retenons ici la prédilection d’Ackroyd pour le genre roman. On a pu constater à quel point il déformait peu les faits, se contentant surtout d’une « romanisation » de ceux-ci et non d’une invention. D’un point de vue purement formel et esthétique, soulignons que William et Cie est un roman qui n’innove en rien ; il est intéressant dans la mesure où il s’inscrit dans un réseau biographique créé par le biographe.
Thématisation de la biographie : Ne s’applique pas littéralement. Par contre, Shakespeare étant une figure qui prédomine tout le récit, le point lumineux vers lequel tous les personnages tendent, on peut établir un parallèle entre le rapport biographe/biographé et l’aspiration des Lamb et des Ireland vers cette figure mythique qu’est Shakespeare et qui leur donne accès à un certain statut : «Depuis le jour où il [William] avait l’intention de rédiger lui-même un article sur le sujet. Depuis le jour où il avait montré la première signature à son père, il nourrissait l’ambition d’écrire des essais biographiques sur Shakespeare. Shakespeare serait le sésame qui lui permettrait d’entrer dans le monde merveilleux de l’édition.» (78) Charles Lamb : « Pouvait-il se dire auteur, d’ailleurs ? En aucune façon il n’était un écrivain professionnel ; sa position à la Compagnie des Indes-Orientales ne l’y autorisait pas. Il ne disposait d’aucune vision de l’avenir qui lui aurait permis de surmonter les aléas et les déceptions de la vie littéraire. Il opposait sa situation à celle de William Ireland, qui, en découvrant les documents shakespeariens, avait par la même occasion découvert un thème majeur sur lequel écrire. À ce rythme-là, Ireland pourrait bien finir par publier un livre.» (133)
Thématisation de l’écriture : C’est plutôt central ici puisque tout tourne autour de l’écriture de faux documents shakespearien. Rapport biographie/ autobiographie : Ne s’applique pas.
III. ASPECT ESTHÉTIQUE
Œuvres non-biographiques affiliées du biographé : Dépend du point de vue où l’on se place, il y a différents biographés, mais on peut convenir que l’histoire tourne essentiellement autour de William Henry Ireland et de ses faux documents plutôt qu’autour des Lamb qui, à cette époque, ont une production bien mineure (Lamb n’a écrit que quelques articles et Mary n’écrira que plus tard avec son frère ses contes de Shakespeare – De plus, si on peut situer l’intrigue en 1794, date de la supercherie de WH Ireland, il faut considérer que la production importante en tant que poète de Charles Lamb est postérieure à cela). Si l’on se fie à l’article «William Ireland and the Shakespeare Fabrications», il apparaît que Ackroyd a reproduit fidèlement les étapes de la fraude d’Ireland. Toutefois, comme ces documents ont été détruits, on ne peut faire aucun lien direct entre les œuvres. Particularités esthétiques de l’œuvre : Au mieux, je peux dire que tout le texte n’a rien de Shakespearien, ne s’inspire aucunement de l’œuvre mis en scène. Par contre, on se trouve sans conteste devant un effet de transposition de l’œuvre du biographé, l’intérêt ici étant le fait que tout est imbriqué sans qu’on puisse établir de lignes claires entre les œuvres et les biographies de chacun. Échos stylistiques : ne s’applique pas
Échos thématiques : ne s’applique pas
IV. ASPECT INTERCULTUREL
Affiliation à une culture d’élection : n’est sans doute pas un cas intéressant puisque Ackroyd se passionne pour sa propre culture, mais cette passion elle-même peut être intéressante : A propos de La mélodie d’Albion = Ce roman «explore une fois encore la tradition culturelle et esthétique d’un pays dont Ackroyd déplore que ses compatriotes la tiennent dans l’oubli. “Ils n’ont pas le sens de leur passé, disait-il au British Council, à Paris, la semaine dernière. J’essaie de recréer la tradition anglaise, notamment en faisant revivre le courant catholique, mis sous le boisseau”.» («British Museum», L’Express, no 2205, jeudi 7 octobre 1993, p.140) Apports interculturels :
Lecteur/lectrice : Manon Auger