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Robert Lalonde (2016), Le petit voleur

FICHE DE LECTURE: ORION + POROSITÉ + PERSONNE RÉELLE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Robert Lalonde

Titre : Le petit voleur

Éditeur : Boréal

Collection :

Année : 2016

Éditions ultérieures :

Désignation générique : Roman (couverture)

Autres informations :

Exergue de Tchékhov : « Lorsqu’il est malheureux, l’homme a les yeux grands ouverts. » À la fin : « Toute mon admiration et mes remerciements les plus vifs à Anton Tchékhov, Guy de Maupassant, Maxime Gorki et Constantin Paoustovski. »

Quatrième de couverture : Novembre 1898. À la gare de Melikhovo, Anton Tchékhov prend le train. Il se dirige vers l’ouest. Il traverse la Russie, la Pologne, l’Allemagne. Il s’arrête d’abord à Paris, puis à Nice, où le climat de la Côte d’Azur saura peut-être apaiser l’incendie qui brûle ses poumons. Au même moment, le petit Iégor quitte la steppe où il a grandi pour aller retrouver le maître, à Melikhovo. Celui-ci a répondu à la lettre qu’il lui avait écrite en y joignant un conte de son cru. Le maître a trouvé le conte point trop mauvais et a prodigué quelques conseils à l’apprenti-écrivain, assortis d’une réflexion sur la solitude de celui qui consacre sa vie à l’écriture. Le gamin y a vu une invitation à venir vivre à ses côtés. Après un voyage plein de surprises, au nombre desquelles il faut compter l’amour, Iégor arrivera sans prévenir devant la demeure que l’auteur aura déjà délaissée. De ce rendez-vous manqué, Robert Lalonde tire un bref roman tout empreint de la personnalité du grand écrivain russe. Il s’intéresse surtout au lien qui unit maître et disciple, tentant de discerner ce qui est transmis, reçu, donné ou volé dans une telle relation. Après avoir fait de Marguerite Yourcenar ou de Gustave Flaubert des personnages de fiction, Robert Lalonde rend ici un bouleversant hommage à son cher Tchékhov.

Notice biographique de l’auteur : Robert Lalonde est l’auteur de romans (Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure?, 2005; C’est le cœur qui meurt en dernier, 2013) de nouvelles (Un cœur rouge dans la glace, 2009) et de carnets (Le Monde sur le flanc de la truite, 1999; Iothéka’, 2009). Son œuvre lui a valu un vaste lectorat et de nombreux prix.

II - CONTENU ET THÈMES

Résumé de l’œuvre : Le roman est divisé en deux parties d’inégales longueurs : (1.) Novembre 1898 – février 1899 (p. 11-163) ; (2.) Juillet 1904 (p. 165-183). La première partie comporte 4 chapitres, eux aussi inégaux en longueur. Le roman s’ouvre donc en novembre 1898 alors qu’Anton Tchékhov, atteint de tuberculose, est de plus en plus mal en point, voire épuisé de tous les tracas quotidiens et du rôle de chef de famille que son père, devenu sénile, lui a laissé. Il est toutefois résolu à ne pas mourir tout de suite, puisque tant de gens dépendent de lui et qu’il a encore tant de choses à faire. Il reçoit alors une lettre accompagnée d’un conte d’un jeune homme de dix-huit ans qui se présente comme Iégorouchka de la Steppe, celui, précisément, de la célèbre nouvelle de Tchékhov (il est en réalité un juif du nom de Josapht, mais il cherche à renier cette identité en adoptant celle du personnage puisqu’il vit aussi dans la steppe et qu’il est grand admirateur de Tchekhov). Le roman se bâtira ainsi autour de leurs échanges et de leurs quotidiens à tous les deux. Une certaine symétrie se crée alors que Tchékhov décide soudain de partir à Nice pour enfin se reposer et que le jeune Iégor décide de se rendre à Melikhovo. On suivra leurs itinéraires en parallèle; tandis que Tchékhov se rend tant bien que mal à Paris puis à Nice, divaguant sur des projets de vie et de roman grâce au mauvais alcool qu’il ingurgite d’une station à l’autre et d’une ville à l’autre, Iégor, lui, rencontre Alba dans le train et en tombe amoureux fou. Une fois rendu à Melikhovo, il est pris en charge par Macha et Micha, la sœur et le frère de Tchekhov et restera un temps là-bas à aider à bâtir l’école. De son côté, Tchékhov, qui se désespère seul à Nice, reçoit une lettre d’Olga Knipper, ce qui lui redonne du courage. S’échangent alors des correspondances entre les quatre protagonistes, hommes et femmes, mais c’est entre les deux hommes que la confiance s’installe, au point où Tchékhov envoie 2 000 roubles via Iégor, qui s’enfuira avec. En effet, bafoué, d’une certaine manière, par Alba, il ment à Micha et Macha en disant que son père et malade et se mettra à errer pour les années à venir. Anton, de son côté, revient à Melikhovo, amoureux et décidé à déménager à Yalta. La deuxième partie suit Olga, le jour de la mort de Tchekhov, qui fait les dernières courses et qui trouve dans les poches de la veste de son mari des fragments de lettres qui sont de Iégor ainsi qu’une réponse. Puis, on lit une ultime lettre de Iégor qui se dit enfin guéri de sa folie et qui joint les 2 000 roubles qu’il doit à Anton.

Thème principal : Rapport maître-élève (mentorat littéraire)

Description du thème principal : L’action se résume assez aisément à l’anecdote du rendez-vous manqué, mais le récit se déploie dans la rencontre spirituelle et intellectuelle de ces deux hommes, de ces deux expériences, dans le dévouement du jeune pour le « maître » (au point qu’il se jette dans la tempête pour se rendre chez lui), dans l’échange épistolaire et l’accompagnement en pensées de l’un par l’autre. Plutôt que de se mettre à l’écriture du roman dont il rêve dans le train, Tchékhov écrit ainsi des lettres au « petit » qui ne sont pas sans rappeler les « Lettres à un jeune poète » de Rilke. Se déploie ainsi une sorte de poétique de vie et d’écriture que le maître veut enseigner à son élève alors que lui tendra plutôt vers une forme de révolte révolutionnaire, essentiellement à cause de son identité juive. Alors qu’Anton décèle chez lui un véritable talent littéraire, Iégor finira par affirmer à Micha : « Écrire ne sera jamais mon affaire. Ton frère et moi, ça fait deux. […] Ce qu’il veut, c’est montrer. Ce que je veux, moi, c’est détruire. Parce que si tout reste comme ça, c’est la mort! » (144-145) À propos du thème principal, également, cet extrait du Huffington post : « Automne 1886, Anton Tchékhov prend le train jusqu’à Paris, alors que le jeune Iégor se dirige vers Melikhovo, afin de rencontrer son maître à penser. Histoire d’un rendez-vous manqué, Le Petit Voleur est surtout un vibrant hommage au grand écrivain russe et une incursion privilégiée dans le monde du mentorat littéraire, deux passions au cœur de la vie de Robert Lalonde. » (http://quebec.huffingtonpost.ca/2016/03/16/le-petit-voleur-robert-lalonde-anton-tchekhov_n_9478580.html )

Thèmes secondaires : écriture, inspiration, amour, violence révolutionnaire, judéité, maladie, mort.

III- CARACTÉRISATION NARRATIVE ET FORMELLE

Type de roman (ou de récit) : récit biographique fictif – biographie fictive d’écrivain – roman épistolaire.

Commentaire à propos du type de roman : Il s’agit d’une recréation autour de la vie d’une personne réelle, en l’occurrence Tchekhov. Une grande partie du roman est par lettres.

Type de narration : hétérodiégétique et autodiégétique

Commentaire à propos du type de narration : hétérodiégétique avec focalisation sur les personnages dans les passages qui ne sont pas des lettres. Autodiégétique dans les lettres, bien sûr.

Personnes et/ou personnages mis en scène : Des personnes réelles (Anton Tchekhov, son frère Micha et sa sœur Macha, l’actrice Olga Knipper, future femme de Tchekhov) se mélangent à des personnages fictifs.

Lieu(x) mis en scène : Melikhovo, la datcha de Tchekhov (près de la ville de Lopasnia à l’époque, ville rebaptisée Tchekhov); Paris, Nice.

Types de lieux : trains, gares, cafés français, maison de Tchekhov, campagne russe.

Date(s) ou époque(s) de l'histoire : 1898-1904.

Intergénéricité et/ou intertextualité et/ou intermédialité :

Intertextualité : En entrevue dans La Presse : « Robert Lalonde avoue avoir fait du «piratage par amour» pour rendre dans son roman le style tchékhovien empreint d'une apparente simplicité et de non-dits. “S'il y a des exégètes, ils iront voir. C'est moi et c'est lui, mélangés. On devra s'arranger avec ça”, fait-il, tout sourire. L'écrivain québécois n'a pas cherché à faire la biographie d'Anton Tchékhov, mais à entrer dans la tête du célèbre dramaturge russe qu’il a lu et joué maintes fois. “Je me demandais de temps en temps en faisant ce livre si Anton serait content. S'il trouverait que je ne le démérite pas trop. Il serait gêné qu'il soit question de lui, mais il ne pourrait pas trop me prendre en erreur, je crois.” » (http://www.lapresse.ca/arts/livres/entrevues/201603/18/01-4962066-robert-lalonde-lettres-a-un-jeune-ecrivain.php)

Seront également mis en scène certaines « inspirations » de Tchékhov, comme la « dame au petit chien » (41) et La Cerisaie (148-150). Dans ses lettres, dans la deuxième partie, le « petit voleur » emprunte des phrases de Tchekov (« Voleur un jour, voleur toujours! » crânera-t-il, p. 182). Cela rejoint subtilement l’idée postmoderne que l’originalité est un leurre, que l’on s’inspire et se nourrit des œuvres les uns les autres.

Particularités stylistiques ou textuelles : Roman intimiste, bien fait, concis qui repose sur l’exercice de style poétique, à savoir, la transposition de l’œuvre de Tchekov, qui est une forme de transposition du style. En entrevue, encore dans le Huffington : « Robert Lalonde connait à ce point l’esprit du Russe qu’il s’est permis d’imaginer les pensées partagées à Iegor. “Ça fait 40 ans que je le fréquente de façon assidue et c’est un auteur de théâtre emblématique auquel on se réfère tout le temps. Je le connais par cœur. Et quand on se lance dans une entreprise littéraire, vient toujours un moment où l’on se retrouve dans la peau du personnage, en sachant exactement la façon dont il pense et fonctionne.” Un peu comme il l’avait fait il y a 14 ans en publiant Un jardin entouré de murailles, où il redonnait vie aux mots de Marguerite Yourcenar, le Québécois s’amuse à brouiller les pistes entre la parole de Tchékhov et la sienne. “Je voulais créer une sorte de coïncidence entre lui et moi dans mon propos sur la transmission et sur le danger de s’égarer quand on est un être original et que personne autour de nous le remarque.” » » (http://quebec.huffingtonpost.ca/2016/03/16/le-petit-voleur-robert-lalonde-anton-tchekhov_n_9478580.html)

IV- POROSITÉ

Phénomènes de porosité observés : Porosité des genres; porosité réel/fiction.

Description des phénomènes observés : Je risque à parler de porosité des genres en ce qui concerne le recours à l’épistolaire, mais ça reste un procédé très classique. La porosité fiction/réel renvoie à la mise en scène d’une personne réelle, au jeu intertextuel, très présent dans la littérature contemporaine, où il s’agit de convoquer la voix de l’autre et la sienne en même temps, au point que les deux se confondent et qu’on ne peut les distinguer.

V- ÉCRITURE DE LA PERSONNE RÉELLE

De quel type de personne réelle s’agit-il (écrivain, artiste, inconnu, membre de famille, personne issue d’un fait divers, etc.) ? :

L’écrivain Anton Tchékhov. Sont aussi mis en scène les membres de sa famille. Le personnage du jeune disciple est fictif.

Comment celle-ci est-elle mise en scène (personnage principal, secondaire ; narrateur, personnage, etc.) :

Il est le personnage principal mais partage la vedette avec le personnage de Iégor.

Commentaire sur le rapport réel/fiction : Les deux sont imbriqués comme le veut le genre de la biographie fictive d’écrivain. On est du côté de la recréation intimiste. La plupart des informations biographiques ne sont toutefois pas données. Le livre peut s’apprécier sans ou susciter la curiosité biographique sur la trace, justement, du rapport fiction/réel.

Thématisation de l’écriture (le geste d’écrire est-il thématisé ?) : Très, surtout qu’il s’agit d’un échange entre un écrivain et son protégé. Le récit est entrecoupé de lettres et de missives que s’échangent les différents protagonistes. Sur le sujet, Lalonde, en entrevue au Journal de Québec : « Robert Lalonde a plongé dans la correspondance de Tchékhov. Il pensait faire une nouvelle d’une trentaine de pages… mais ensuite est arrivé le personnage d’Iégor, puis l’idée des trains qui n’allaient pas se rencontrer. ‘Je me suis laissé prendre dans l’histoire, et dans le rendez-vous raté. Ils se rencontrent toutefois par la parole, par l’écriture. Et c’est un livre sur l’écriture que je voulais faire.’ » (http://www.journaldequebec.com/2016/03/20/entre-generations-souvrir-et-se-parler) Est aussi thématisé le rapport complexe de l’écrivain à l’écriture, ses doutes, ses angoisses, mais aussi ses espoirs, ses envolées. Par exemple : « Apprends que celui qui t’écrit ces mots a beau pérorer, en vérité il est dégoûté de sa vie comme de son travail. Entré en littérature par une porte dérobée, il ne songe, ce matin, qu’à mettre le feu au sinistre bâtiment. Le théâtre est une malédiction [il vient d’assister à la première de sa pièce La Mouette ] et la prose un enfer imitant la prison de l’île de Sakhaline, ses forçats de gais lurons ayant à cœur de jour la fleur à la bouche, comparés aux gribouilleurs absurdement acharnés à insuffler du sens à des pauvres mots usés à force de traîner partout. Je n’écrirai plus désormais que des histoires peuplées de démons, de femmes volcaniques et de sorciers. Alors je serai riche, m’ennuierai à périr, mais serai délivré du vrai et du beau, qui sont des fleurs empoisonnées. » (25) Se rendre à Nice n’est pas tant l’occasion pour lui de se refaire une santé que de poursuivre ses rêves d’écrivain et d’écriture : « Ses livres publiés le dégoûtent, les compliments l’assomment, les critiques ne lui font ni chaud ni froid. Son âme n’est plus une âme, mais un muscle déchiré au fond de lui. Il doit se cacher quelque part, oui, et attendre ! Puis se remettre à écrire, cette fois passionnément, subjectivement et en y mettant le temps! Non plus vingt pages par jour, mais quatre, tout au plus ! Et lire, lire ! En finir avec son effrayante ignorance de moujik. Sa jeunesse a fui, qu’il a passé à gribouiller des histoires drolatiques ou tristounettes, à la va-vite, sur le coin d’une table de taverne, pour empocher de l’argent- jamais assez d’argent. » (29) « Enfin, il va l’écrire, ce roman, que depuis toujours il veut écrire et que les tracas d’argent, la fatigue et les soucis de famille lui ont volé. Il y mettra le temps, cabotant d’un café à l’autre, humant la douce brise marine. » (33) « Je vais enfin l’écrire, ce roman dont l’idée principale, l’émotion dominante – qui sait, peut-être le trait de génie ? – sera le soupçon qu’il y a quelque chose à trouver au-delà de la joie et de la souffrance. » (45)

Dimension éthique (telle que mise en scène dans l’œuvre et telle qu’elle peut se poser pour le lecteur) :

S.O.

Pertinence dans le cadre d’une recherche sur la personne réelle : Le roman est pertinent; il répond aux critères de la recherche. Cependant, on est du côté de la biographie fictive d’écrivain telle qu’elle a déjà été travaillée. Il s’agit toutefois d’une belle œuvre, québécoise de surcroît (ce qui est tout de même rare) et fruit d’un auteur qui s’est adonné plusieurs fois au genre (Des nouvelles d’amis très chers, 1999; Monsieur Bovary ou mourir au théâtre, 2001; Un jardin entouré de murailles, 2002).

Autres commentaires : S.O.

Auteur(e) de la fiche : Manon Auger

fq-equipe/lalonde_robert_2016_le_petit_voleur.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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