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Dany Laferrière ([1996] 2006), Pays sans chapeau

ORION + POROSITÉ - FICHE DE LECTURE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Dany Laferrière

Titre : Pays sans chapeau

Éditeur : Lanctôt

Collection : roman

Année : 1996

Éditions ultérieures : Réédition : Montréal, Québec Loisirs, 1997 ; Montréal, Lanctôt (Petite collection Lanctôt), 1999 ; Paris, Le Serpent à Plumes, 1999 ; Montréal, Boréal, 2006. Down Among the Dead Men

Désignation générique : Roman

Autres informations :

Quatrième de couverture :

Après vingt ans passés à l'étranger, un homme rentre chez lui, à Port-au-Prince. Le pays, en apparence, n'a pas changé. L'odeur du café est la même, la pauvreté aussi, crue et violente, jusqu'aux amis qui sont restés fidèles à leur jeunesse.

Mais au fil des jours, des silences de ses proches, des mots chuchotés dans la rue, c'est à une enquête sur les morts que cet homme se livre, zombis et fantômes installés dans le quotidien de chaleur et de bruit de la ville.

Un recensement en Haïti, tu parles… Les gens disent n'importe quoi. « Combien d'enfants avez-vous, madame? - Seize. - Où sont-ils? - Tous les neuf à l'école. - Et les autres? - Quels autres? - Les autres sept enfants. - Mais, monsieur, ils sont morts. - Madame, on ne compte pas les morts. - Et pourquoi? Ce sont mes enfants. Pour moi ils sont vivants à jamais. »

Notice biographique de l’auteur : Dany Laferrière est né à Port-au-Prince. Il est l'auteur de plusieurs romans, dont, au Boréal, Vers le sud (2006), Je suis un écrivain japonais (2008) et L'énigme du retour (2009), qui lui a valu le prix Médicis, le Grand Prix du livre de Montréal et le Prix des libraires du Québec.

II - CONTENU ET THÈMES

Résumé de l’œuvre : Après avoir vécu 20 ans en exil à Montréal, où il est devenu écrivain, un homme retourne à Port-au-Prince, Haïti, pour revoir sa famille et y écrire un livre. Alors qu'il se réhabitue au mode de vie, à la chaleur et aux coutumes, celui que l'on surnomme Vieux Os commence à écrire son livre sur sa vieille Remington. Pour lui, pratiquement rien n'a changé, racontant le quotidien de ses journées avec sa mère, sa tante et les voisins, attentif à transcrire tout ce qui caractérise pour lui ce pays, allant du soleil aux courses de taxi, des mangues à l'odeur du café, de la pauvreté à la vieillesse. Pourtant, son entourage lui assure que le pays a beaucoup changé depuis l'occupation de l'armée américaine. Un climat de peur et de méfiance et l'approfondissement des clivages sociaux caractérisent maintenant ce qu'il nomme « la jungle ». Dans cette torpeur, sa mère lui rappelle l'importance des morts comparé aux vivants dans leur culture. En recommençant à saluer ses morts lorsqu'il rentre chez lui, Vieux Os part à la quête de réponses à propos de cette armée de zombis qui fait tant peur à sa mère, alors qu'il rencontre un professeur d'ethnologie et un psychiatre étudiant ce phénomène, localisé dans la ville de Bombardopolis.

Thème principal : L'imaginaire

Description du thème principal : Le récit traite du pouvoir de l'imaginaire sur le réel et surtout de la place des croyances dans la culture haïtienne. De cette manière, l'imaginaire travaille les rapports entre l'Histoire et la fiction, alors que la frontière entre la réalité et l'imaginaire s'amenuise au fil du récit. D'une part, les morts sont très importants dans la culture créole et l'occupation américaine a instauré un climat de peur dans lequel les habitants se sentent « déjà morts ». C'est à partir de ces croyances que l'hypothèse d'une armée de zombis de la nuit prend forme. Vieux Os est très sceptique, mais après avoir rencontré un ethnologue et un psychiatre étudiant ce phénomène, il commence à y croire lui aussi. En continuant son enquête, il sera amené à passer de l'autre côté, du côté du « pays rêvé ». Dès le début du roman, l'on comprend que les descriptions du quotidien et l'investigation sur l'armée des zombis se chevaucheront, entre réalité et imaginaire : « On dirait que deux pays cheminent côte à côte, sans jamais se rencontrer. Un petit peuple se débat le jour pour survivre. Et ce même pays n'est habité, la nuit, que de dieux, de diables, d'hommes changés en bêtes. Le pays réel : la lutte pour la survie. Et le pays rêvé : tous les fantasmes du peuple le plus mégalomane de la planète. » (p.47)

Thèmes secondaires : La culture, le passé, la politique, la littérature et l'écriture, l'héritage, les traditions, les stéréotypes, les classes sociales.

III- CARACTÉRISATION NARRATIVE ET FORMELLE

Type de roman (ou de récit) : Roman

Commentaire à propos du type de roman : La forme du texte porte à confusion quant à la généricité du récit. Alors que le genre est mis en évidence par la maison d'édition, l'organisation des chapitres ainsi que les intertitres font penser davantage à des chroniques ou de courtes nouvelles. Mis à part la structure binaire du texte, oscillant entre les chapitres du Pays réel et les chapitres du Pays rêvé, les courts intertitres contenus dans les chapitres du Pays réel mettent l'accent sur l'anecdotique et l'éphémère, sur le premier niveau de lecture de chaque court récit raconté (par exemple : le taxi, le soir, la jeune infirmière, la guerre, la frontière). Le rythme du chapitre est ainsi saccadé, les intertitres n'étant pas toujours reliés entre eux dans le temps et l'espace. Empruntant à la chronique et à la nouvelle dans la forme et le contenu, la frontière entre l'aspect réel des anecdotes et le caractère fantaisiste de l'au-delà et de l'armée des zombis s'amenuise au fil du roman. Type de narration : autodiégétique

Commentaire à propos du type de narration : Il est intéressant de noter qu'il y a deux niveaux de narration, mais avec le même narrateur. Le chapitre d'ouverture et celui de clôture mettent en place l'écrivain écrivant son roman sur Haïti. Malgré que le cœur du récit soit divisé entre le Pays réel et le Pays rêvé, cette division n'est pas narrative, alors que les deux types de chapitre mettent en scène les mêmes personnages et semblent arriver dans le même temps.

Personnes et/ou personnages mis en scène : Vieux Os (le narrateur), tante Renée, Marie la mère du narrateur, professeur d'ethnologie J.B. Romain, psychiatre Legrand Bijou, Lucrèce le passeur vers l'autre pays, Lisa l'amour de jeunesse, Philippe et Manu les amis, Antoinette l'ancienne amie et femme de Manu, le dieu Ogou Ferraille et sa femme Erzulie Dahomey Dantor, le peintre Baptiste.

Lieu(x) mis en scène : Port-au-Prince, Petit-Goâve, morne Nelhio (colline), Bombardopolis, Pétionville; des villes et quartiers d'Haïti uniquement.

Types de lieux : rues, maisons, galerie d'art, cimetière, centre-ville, taxis, pharmacie, etc.

Date(s) ou époque(s) de l'histoire : l'été de 1996

Intergénéricité et/ou intertextualité et/ou intermédialité : Mis à part quelques références à la culture nord-américaine et à la culture haïtienne, chaque chapitre est précédé d'un proverbe haïtien en créole, traduit par la suite en français.

Particularités stylistiques ou textuelles :

Le récit est balisé par deux courts chapitres sur la réalité de l'écrivain écrivant un livre sur son retour à Haïti. Alors que celui d'ouverture est intitulé Écrivain primitif, le dernier conclut la structure binaire du développement du récit alors que le titre, Pays réel/Pays rêvé, est suivi de l'intertitre Écrivain primitif. Autrement, l'entièreté du récit alterne entre Pays réel et Pays rêvé.

Alors que les chapitres consacrés au Pays rêvé étaient manifestement plus courts au début du récit, environ à la moitié du roman, deux chapitres du Pays rêvé se succèdent. Le premier des deux revêt la forme des chapitres du Pays réel, c'est-à-dire avec des intertitres désignant de courts récits anecdotiques. Peu de références y sont faites quant à l'imaginaire des chapitres du Pays rêvé, mis à part la clôture du chapitre où le narrateur, observant un homme, mentionne : « Moment de tension. De quel côté est-il? Celui de la mort ou celui de la vie? » (p. 90) Cette singulière confusion (il s'agit de la seule occurrence de ce mélange entre les deux formes jusqu'alors très distinctes) amplifie le rapprochement entre le réel décrit en détails et le fantastique qui s'immisce dans le récit.

IV- POROSITÉ

Phénomènes de porosité observés: porosité entre réel et imaginaire et porosité entre l'Ici et l'Ailleurs

Description des phénomènes observés :

Porosité du réel et de l'imaginaire :

L'imaginaire créole contamine peu à peu le récit. Comme nous l'avons détaillé plus haut, l'écrivain écrit un livre très anecdotique et près du réel, mentionnant lui-même : « J'écris tout ce que je vois, tout ce que j'entends, tout ce que je sens. […] Tiens, un oiseau traverse mon champ de vision. J'écris : oiseau. Une mangue tombe. J'écris : mangue » (p. 13). De cet aveu découle le récit du Pays réel, qui, comme nous l'avons décrit plus tôt, est très près de l'anecdotique du quotidien, sorte de compilation des observations de l'écrivain, où souci romanesque et chronologie sont évacués. Par ailleurs, les chapitres du Pays rêvé mettent en scène le même narrateur tout comme certains autres personnages (notamment sa mère Marie), ce qui crée une première ouverture entre les deux mondes que le texte tend pourtant à délimiter formellement. De par des changements formels, la frontière stylistique entre les deux mondes s'amenuise vers la moitié du récit, ce qui laisse graduellement la place à des suppositions sur le monde des morts dans le Pays réel. L'exemple de porosité le plus probant est l'explication, par la mère, de l'existence de l'armée des zombis. En se référant à un fait historique, l'occupation américaine (ayant réellement duré de 1915 à 1934) pour justifier la présence de l'armée des zombis, Vieux Os remarque : Nouvelle politique. Au lieu de séparer l'espace territorial : les Américains occupent le nord, le nord-ouest, le centre et l'ouest, et les Haïtiens, le sud du pays (comme convenu), ils ont finalement opté pour une division du temps. Le temps. Pas l'espace. L'espace est trop visible pour la presse internationale. Le temps, lui, est invisible. Je commence à comprendre et à apprécier du même coup ce curieux pacte. Donc, les soldats américains rentrent dans leurs casernes, le soir. Au même moment, l'armée des zombis s'apprête à sortir. Simple comme bonjour. Faut dire que la seule panique du soldat américain […] c'était de circuler dans la nuit haïtienne. Ils ont tous entendu parler du vaudou avant d'arriver à Port-au-Prince, et ont tous peur de faire face à l'ennemi invisible dont le rire vous glace les os. (p.64-65)

Mêlant fait historique, description détaillée de l'occupation (qui correspond à la réalité, l'occupation des Américains ayant été principalement à Port-au-Prince et Fort rivière dans le nord), le mélange avec l'imaginaire se fonde sur les préjugés et la méconnaissance du vaudou. Alors que le narrateur devient moins sceptique, mentionnant qu'il se rappelle que les médias aient parlé de cette armée (p.64), le doute persiste quant à l'existence de l'armée. Par ailleurs, ce mélange entre Histoire et imaginaire survient également à propos du premier voyage sur la Lune, mais d'une manière où l'imaginaire est plus évident. En effet, un ami de la famille, Pierre, raconte à Vieux Os et à sa mère que le premier homme ayant été sur la Lune est un haïtien :

« - Je n'ai jamais entendu parler de ça, dis-je. - Qu'est-ce que vous croyez! Que les Américains allaient diffuser l'information qu'ils n'étaient pas les premiers à marcher sur la Lune? Il paraît que Kennedy est entré dans une rage folle quand il a appris la présence d'un Haïtien sur la Lune, visiblement arrivé avant Armstrong. » (p. 113)

Alors que cette porosité entre Histoire et imaginaire semble opérer comme la précédente, après que Vieux Os ait argumenté avec Pierre, celui-ci avoue : « Écoutez, mon jeune ami… Eux [les Américains], ils sont intéressés par le voyage du corps. Nous, c'est l'esprit. En un sens, Kennedy a raison, c'était bien la première fois qu'un corps humain était présent sur la Lune, mais ce n'était pas la première fois qu'un esprit y était, ça, tu peux le dire. […] Bien sûr, Armstrong n'avait pas la berlue. Il l'avait bien vu, mais était-ce un corps réel ou un corps rêvé? » (p. 114-115).

Dans cette « réécriture » de l'Histoire transparaît un désir de s'approprier l'histoire; transparaît la fierté haïtienne, ainsi que l'insertion subtile de cette culture dans laquelle les morts sont presque autant importants que les vivants. De ce fait, l'imaginaire est ici lié à la culture créole, mais aussi au travail de l'écrivain : « - Bon… Voilà… Je m'excuse de vous le dire comme ça. J'aimerais savoir comment pouvez-vous écrire à propos des morts quand vous n'avez jamais été mort? […] - En effet, finis-je par admettre. Je compte me servir de mon imagination. » (p.133)

Porosité de l'Ici et de l'Ailleurs :

Ce type de porosité est plus qu'évident, alors qu'elle caractérise les divisions que forme le texte entre le Pays réel, décrit par les anecdotes vécues par le narrateur à son retour à Haïti, et le Pays rêvé, où celui-ci mène une enquête sur l'invasion de l'armée des zombis dans la réalité. Cette porosité est intéressante sur plusieurs points. D'abord, de par un jeu formel et narratif, alors que la forme du texte et la narration, très différentes au début du texte et se confondant vers la moitié du roman, tendent à confondre les distinctions entre imaginaire et réalité. De plus, de par l'invasion de l'armée des zombis, qui ne doit que sortir la nuit, étant désormais présente le jour avec les habitants. L'Ici et l'Ailleurs correspondent au même endroit, Haïti, et à la même époque, mais non pas au même espace et au même temps. En fait, ils caractérisent plutôt L'Ici et l'Au-delà, ce dernier étant le Pays sans chapeau où le temps est comprimé et l'espace insaisissable, auquel aura finalement accès le narrateur (voir p.248 à 271). Le texte maintient la confusion entre la frontière textuelle et imaginaire délimitant le Pays réel et le Pays rêvé; ce chapitre dans l'au-delà prend la forme narrative du Pays réel, parsemé de courts intertitres, dans lequel le narrateur est d'abord au Pays réel, ensuite dans l'au-delà, puis revient au Pays réel.

Auteur(e) de la fiche : Maud Lemieux

fq-equipe/laferriere_dany_2006_pays_sans_chapeau.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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