1. Degré d’intérêt général
Un délire aucunement amusant, dégoûtant par moments, gratuit, surtout. L’impression que l’auteur a écrit tout ce qui lui passait par la tête, sous prétexte, peut-être, que l’aura d’étrangeté qui entoure son sujet – Michael Jackson – emballe de tout temps l’imaginaire. Si la fiction permet beaucoup, elle ne saurait permettre n’importe quoi.
2. Informations paratextuelles
2.1 Auteur : GAILLIOT, Jean-Hubert
2.2 Titre : Bambi Frankenstein
2.3 Lieu d’édition : Paris
2.4 Édition : Éditions de l'Olivier
2.5 Collection : -
2.6 (Année [copyright]) : 2006
2.7 Nombre de pages : 122 pages
2.8 Varia : Illustration de Michael Jackson sur la couverture
3. Résumé du roman
« En confessant son goût pour les petits garçons, Michael Jackson a achevé de se détrôner. Comment restaurer l’image du Roi de la Pop ? C’est la mission que les avocats de l’artiste confient à Jean-Hubert » (4e de couverture). Celui-ci dispose de 24h, à bord du jet privé (aux allures, plutôt, d’une navette spatiale) de Jackson, pour connaître la star et le réhabiliter dans l’esprit populaire. Si ces prémisses promettent beaucoup à l’imagination, l’histoire verse rapidement dans la folie sans queue ni tête.
4. Singularités formelles
Après trois ou quatre « chapitres » non intitulés – tout au plus une division pour marquer les ellipses entre les divers moments de l’histoire – intervient une « Introduction au Cercle Adolfo Bioy Casares ». On comprend alors (c’était, jusqu’à présent, plus ou moins clair) que le récit sur Jackson vient d’être lu aux membres du Cercle. S’ensuit une discussion, dont les différents objets abordés sont chaque fois annoncés par un sous-titre. Enfin, le livre s’achève sur une « Chronologie » (2003-2005), qui retrace les derniers événements sur Jackson (incluant ceux inventés par le narrateur), des accusations portées contre lui jusqu’au verdict d’acquittement. Les sources d’informations sont citées.
5. Caractéristiques du récit et de la narration
La narration, au « je », est assurée par l’homonyme de l’auteur (Jean-Hubert). Il en résulte une certaine confusion des identités.
Le récit est linéaire, mais ponctué de fréquents retours en arrière dans la vie de Michael Jackson. Si ces épisodes sont justifiés par la volonté d’en connaître davantage sur le chanteur, ils sont lâchement liés à la trame narrative, c’est-à-dire qu’ils sont introduits inopinément, sans nécessairement être motivés par le contexte. D’ailleurs, parce que le roman a quelque chose du délire, les relations de cause à effet se laissent difficilement saisir. Certains faits, tantôt invraisemblables, tantôt incompréhensibles, tantôt encore obscurs ou étranges, nous font perdre le fil du récit. Les variations de ton, oscillant notamment entre la biographie, le jugement de valeur et le fantastique, rendent elles aussi la lecture inconfortable.
« L’introduction au Cercle », intégrée en fin de parcours et qui rappelle le motif de la conférence chez Vila-Matas, ajoute une couche narrative au roman : le récit de Jackson devient partie intégrante d’une histoire englobante, celle de la rencontre avec les membres du Cercle, à qui le narrateur lit le texte en question. Cela dit, la « difficulté » est moins du côté narratif que fictionnel.
6. Narrativité (Typologie de Ryan)
6.1- Simple
6.2- Multiple
6.3- Complexe
6.4- Proliférante
6.5- Tramée
6.6- Diluée
6.7- Embryonnaire
6.8- Implicite
6.9- Figurale
6.10- Anti-narrativité
6.11- Instrumentale
6.12- Suspendue
Justifiez :
Un récit simple, celui de la lecture d’un texte sur Jackson, rédigé à l’occasion de l’adhésion du narrateur-auteur au Cercle Adolfo Bioy Casares. Le récit dans le récit n’entraîne pas de narrativité complexe ou multiple, puisque le récit sur Jackson devient un élément de l’histoire première.
7. Rapport avec la fiction
Le roman joue beaucoup sur l’ambiguïté entre réel (fictif) et invention / mensonge. En témoigne notamment la fictionnalisation de figures avérées : Michael Jackson, Joyce Carol Oates, J.G. Ballard, Jean-Jacques Schuhl, Juan José Saer, avec qui s’entretient le narrateur, lui aussi double fictionnel d’une personne réelle (l’auteur). Si on peut facilement conclure que ces entretiens n’ont jamais eu lieu, ils sont néanmoins émaillés de certains faits véridiques (des moments de la vie de Jackson, par exemple, ou l’existence du Cercle Adolfo Bioy Casares). De sorte que l’ensemble des « informations » est soumis à l’examen de la vérité. Cela contraste largement avec les épisodes clairement délirants, notamment lorsque le narrateur s’enfonce la main dans le « front-vulve » de Jackson (…). Le narrateur se justifie ainsi :
« Comme le prévoit la tradition, j’avais lu devant ses membres un texte inédit, rédigé en vue de la cérémonie, dans lequel, afin de laisser le minimum de prise aux blablas sérieux sur la littérature, j’avais donné libre cours et même carrément lâché la bride à mon obsession pour Michael Jackson » (p. 92-93).
Pourtant, il ne s’essaie pas moins, au final, à interroger les possibles de la littérature :
« Avais-je inventé cette nuit à Paris ? Avais-je inventé le Cercle Adolfo Bioy Casares ? Avais-je inventé Michael Jackson ? Ou avais-je seulement inventé que j’inventais un monde où Michael Jackson serait le nom d’un personnage né de mon « imagination discréditée » - et où je finirais quant à moi, étendu sur mon lit dans le studio de la réalité, incapable de trouver le sommeil malgré l’heure avancée, par me dissoudre dans l’illusion qu’on nomme littérature ? » (p. 106-107).
8. Intertextualité
Les références intertextuelles sont non seulement nombreuses (tant littéraires que télévisuelles et musicales), mais elles sont également explicites. Le narrateur prétend ainsi avoir glissé dans son discours « des allusions plus ou moins furtives à [ses] nouveaux coreligionnaires, en particulier quatre d’eux eux : l’Américaine Joyce Carol Oates, l’Anglais J.G. Ballard, [son] compatriote Jean-Jacques Schuhl, l’Argentin Juan José Saer. Ceux à qui je devais m’estimer relié par une connivence littéraire spéciale, des lumières ou des obscurités partagées, un goût commun pour la déviance et les phrases qui vont vite […] » (p. 93). L’examen intertextuel s’en trouve facilité.
Si Vila-Matas n’est aucunement cité et si Gailliot n’en a ni l’envergure ni le talent, on peut néanmoins relever certains points communs, dont le motif de la conférence, la fictionnalisation de figures avérées qui ressemblent à des spectres et, corollairement, l’ambiguïté entre réel et fiction.
9. Élément marquant à retenir
L’intérêt du roman, quoique nul en ce qui me concerne, se situe essentiellement du côté des jeux fictionnels.