Fiche de lecture / Ginsberg et moi, Frédéric Chouraki
1. Degré d’intérêt général
Très intéressant. Non seulement en ce qui concerne le projet, mais en tant que lecture naïve. C’est un roman complètement hystérique !
2. Informations paratextuelles
2.1 Auteur : Frédéric Chouraki
2.2 Titre : Ginsberg et moi
2.3 Lieu d’édition : Paris
2.4 Édition : Éditions du Seuil
2.5 Collection : - (cadre rouge)
2.6 (Année [copyright]) : 2008
2.7 Nombre de pages : 227
2.8 Varia : Fait intéressant à noter : tout comme Martin Page (Peut-être une histoire d’amour), Frédéric Chouraki a publié trois romans chez Le Dilettante avant de publier celui-ci chez Seuil, éditeur beaucoup plus mainstream. Deux cas ne sont pas suffisants pour généraliser, mais ne s’agit-il pas d’une micro-démonstration, en quelque sorte, de l’intégration dans la sphère de grande consommation d’auteurs autrefois publiés chez des éditeurs plus alternatifs ? J’oserais même dire qu’on ose ( !) le « double encodage des fictions postmodernes » (Jon Thiem) chez Seuil, désormais.
3. Résumé du roman
Attachez vos tuques ! : Simon Glückmann est prédicateur stagiaire à la synagogue du Temple (Paris, le Marais) et étudie la mystique juive tout en menant une existence double ; la nuit, il devient cet amant féroce qui arpente les bars gays du Marais et qui écrit un livre sous forme de feuilleton pour le journal féministe radical Bitch. Ce roman-feuilleton se définit comme étant « post-féministe » (18) et raconte l’histoire de femmes qui « se satisfont elles-mêmes et traitent les mâles comme des animaux de compagnie. » (18) Simon rencontre Allen Ginsberg, le poète beat (mort depuis plusieurs années…) dans un bar gay glauque de Paris et devient obsédé par cette apparition. Il accepte quand même de faire un enfant à sa colocataire Chardonnay Cologne, qui est follement amoureuse de lui. Entre temps, il fait la connaissance d’un stand up comique roux et juif, Samuel Rosenblatt, et les deux hommes se soudent l’un à l’autre par l’entremise de la vision de Ginsberg en plein fisting, qui leur apparaît comme un Messie. Simon se croit lui aussi investi par l’Éternel, par le fait même. Il essaie de communiquer par télépathie avec le poète beat en se masturbant tandis qu’il récite ses poèmes à voix haute. Il se marie tout de même avec Chardonnay, qui se converti au judaïsme. Il tente de la tuer, en quelque sorte, lors d’une soirée où, par mimétisme de William Burroughs, il lui pose une pomme sur la tête et tire sur la pomme (ce qui était déjà, à l’époque des événements aux États-Unis, une imitation de Guillaume Tell…). Chardonnay accouche ; leur bébé est noir et hydrocéphale. Simon rencontre Ginsberg de nouveau dans un sauna. Débute alors une relation sexuelle/poétique/mystique entre les deux hommes. Ginsberg accepte de guider Simon dans son désir d’écriture, à condition que celui-ci devienne « sa pute » (132). Simon accepte, parce que Ginsberg incarne le Messie pour lui : « Simon boit ses paroles comme s’il était sur le mont Sinaï face au visage de l’Éternel. » (133) Chardonnay, en manque de Simon, dégénère : « En proie à une crise d’épilepsie, elle aperçoit dans le ciel du Marais un chariot de feu conduit par des créatures étranges à têtes d’animaux. » (160) Entre temps, Simon et Ginsberg deviennent des sortes de vampires et boivent mutuellement leur sang. Simon introduit son amant à la synagogue et ils distribuent ensemble des hallucinogènes aux fidèles, jeunes et adultes. Simon est, selon ses propres paroles, « le dernier prophète avant l’Apocalypse ! » (178) Chardonnay aussi se met à communiquer avec l’Éternel et met sur pied une sorte de putsch juif féminin pour tenter de reconquérir la synagogue, « les Louves du Pletzl » (183). Les messes sont devenues des orgies où Simon, Samuel et Allen scellent « leur trio dans le sang » (191) et dans le sexe. Une jeune femme de dix-sept ans, Rébecca, qui est aussi follement amoureuse de Simon, se joint à ce revival de hippies. Les Louves débarquent à la synagogue pour stopper l’orgie et la presse s’empare de cette histoire. Simon est renvoyé de son poste de rabbin et Chardonnay et les Louves prennent le contrôle, aidées par le psychanalyste de Simon et d’autres figures imminentes de la communauté juive. Un tribunal juif condamne Simon à des travaux communautaires et l’oblige à épouser Rébecca. Ginsberg doit s’exiler. Samuel, lui rejoint le « binôme » (225) Rébecca-Simon.
4. Singularité formelle
La forme n’est pas très singulière. Quatre parties, comprenant respectivement 17, 16, 14 et 20 courts chapitres.
5. Caractéristiques du récit et de la narration
Pas grand chose à signaler ici non plus. Récit linéaire, narration hétérodiégétique en focalisation interne sur le personnage de Simon, la plupart du temps.
6. Narrativité (Typologie de Ryan)
6.1- Simple
6.2- Multiple 6.3- Complexe 6.4- Proliférante 6.5- Tramée 6.6- Diluée 6.7- Embryonnaire 6.8- Implicite 6.9- Figurale 6.10- Anti-narrativité 6.11- Instrumentale 6.12- Suspendue
Justifiez : Il n’y a pas de grande justification à donner… ! Il n’y a qu’une intrigue, un seul narrateur, pas de digressions ni de perturbations du récit.
7. Rapport avec la fiction
Le roman, dès le titre, se place sous le signe de l’intertextualité, ou à tout le moins sous la protection des fictions et poèmes beat, du moins ceux d’Allen Ginsberg. Il ne s’agit pas, à mon avis, d’une réécriture de quoi que ce soit, plutôt un hommage trash rendu à la génération beat, aux hippies, aux hipsters, à toute cette clique. On parle sans cesse des écrivains beat, au point d’en faire des personnages (Ginsberg, c’est le point central du roman). Simon veut imiter Burroughs, qui a tué sa femme en recréant l’épisode de Guillaume Tell. Il récite des poèmes de Ginsberg en se masturbant, il rêve à un épisode de Sur la route de Kerouac, etc. On fait quelques clins d’œil au roman (le genre…), même : « - J’ai rencontré l’autre jour, de manière tout à fait romanesque, Allen Ginsberg. » (63) Le dernier chapitre du roman porte le titre d’une des biographies de Jack Kerouac : « Angelheaded hipsters » (226).
Il y a aussi beaucoup d’intertextualité (ou de références, à tout le moins) avec le cinéma. On parle souvent de Bergman. Un chapitre, d’ailleurs, tourne autour du visionnement d’un de ses films. Le chapitre s’intitule « Cris et chuchotements », qui est le titre d’un des films de Bergman et, aussi, un « lieu de référence à Paris pour les fétichistes et les amateurs de SM. » (www.cris-et-chuchotements.com) Les descriptions font souvent référence à des films ou à des personnages du cinéma, et les personnages du roman le font aussi lorsqu’ils parlent d’eux ou de quelqu’un d’autre : « - Ça me rappelle Rosemary’s Baby. Chardonnay est comme Mia Farrow. » (99)
Le religieux est le référent principal du roman. Je ne sais pas si on peut parler de rapport à la fiction dans ce cas-là, mais un tas de référents proviennent des textes sacrés du judaïsme. Et comme je ne m’y connais pas beaucoup (on se rappellera que je voulais être juif dans mon enfance afin de posséder une machine à écrire brune et un train électrique !), je ne peux qualifier ce rapport intertextuel. Il ne me semble pas qu’il soit ironique, au contraire, mais il est évidemment l’origine d’un tas de situations loufoques. C’est un peu, en quelque sorte, un hommage à l’humour juif qui est rendu à travers les péripéties incroyables que vivent les héros de la fiction.
Finalement, je me contenterai de mentionner que quelques autres chapitres sont empruntés à d’autres « fictions » : « Ecce homo » (71), qui est un titre de Nietzsche ; « Goodbye, my lover » (219), une chanson de James Blunt.
8. Intertextualité
Oups, je viens d’y répondre… nous devrions joindre ensemble les points 7 et 8.
9. Élément marquant à retenir
L’intrigue « baroque » ( ?) et le rapport avec la fiction.