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Dominique Fortier (2011), La porte du ciel

ORION + POROSITÉ - FICHE DE LECTURE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Dominique Fortier

Titre : La porte du ciel

Éditeur : Alto

Collection :

Année : 2011

Éditions ultérieures : repris en édition « coda » en 2014

Désignation générique : Roman (quatrième de couverture)

Autres informations : Le titre vient d’une citation biblique assez connu (c’est expliqué dans le roman, alors qu’un prêtre fait un discours) : « Jacob se réveilla alors de son sommeil, poursuivait le prêtre, et dit : “Sûrement Dieu est présent ici et je ne le sais pas.” Et il était effrayé et dit : “Il n’y a rien que la maison de Dieu et ceci est la porte du ciel.” » (2011 : 52) Il s’agit donc de « L’échelle de Jacob », tiré de la Genèse. La Porte du ciel serait ainsi réservé – selon l’interprétation d’Ève – à ceux qui ressemblent le plus à Jésus (les Blancs). – L’échelle de Jacob est aussi un motif de courtepointe.

Le livre se termine par une « Note de l’auteur » : « Ce livre ne se veut pas un roman historique au sens strict du terme, en ce que je ne prétends pas y expliquer les tenants et aboutissants de la guerre de Sécession, infiniment complexe, ni livrer un portrait scrupuleusement fidèle de ce que devait être la vie des habitants du sud des États-Unis au milieu du dix-neuvième siècle. Tout en respectant les grandes “charnières” de la guerre, je me suis permis de prendre quelques libertés avec le récit du déroulement de certains événements, ce dont je prierais les puristes de ne point me tenir rigueur, dans la mesure où il m’importait davantage de peindre un ensemble convaincant que de rendre compte minutieusement de l’avancée des armées des uns et des autres. Pour ce faire, je me suis inspirée assez librement de l’histoire, comme il me semble que les femmes de Gee’s Bend s’inspirent depuis plus d’un siècle du réel pour le transformer dans leurs courtepointes, parfois jusqu’à le rendre méconnaissable. Ce sont d’abord elles qui m’ont donné envie d’écrire ce roman. » (2011 : 285) L’auteur fournit ensuite différents détails bibliographiques sur des anecdotes de son récit.

Quatrième de couverture : Sous un morceau de ciel de la Louisiane s’étirent les sillons brun et blanc d’un champ de coton. Deux fillettes grandissent, l’une dans l’ombre de l’autre. On construit au milieu d’un marais une impossible église, un village oublié s’endort dans un méandre du fleuve. Tout près monte la clameur d’une guerre où des hommes affrontent leurs frères sous deux bannières étoilées. Dans ce troisième roman plus grand que nature, l’auteur du Bon usage des étoiles et des Larmes de saint Laurent offre le portrait d’une Amérique de légende qui se déchire pour mieux s’inventer. Roman labyrinthe, livre kaléidoscope, La porte du ciel nous entraîne par cent chemins entre rêve et histoire.

Notice biographique de l’auteur : Dominique Fortier est née à Québec en 1972 et vit à Outremont. Après un doctorat en littérature française à l’Université McGill, elle exerce le métier de réviseure, de traductrice et d’éditrice. La porte du ciel est son troisième roman.

II - CONTENU ET THÈMES

Résumé de l’œuvre : 1860, à la veille de la Guerre de Sécession, en Louisiane. Le Dr McCoy, en visite chez des voisins avec sa fille de huit ans, Eleanor, est témoin d’une altercation au sujet d’une petite esclave noire du même âge que sa fille. Il décide de ramener la petite à la maison mais s’en désintéresse vite. Elle devient alors à la fois sœur et servante d’Eleanor, tout autant compagne de jeu que jouet de la jeune blanche, et c’est leur destin parallèle que l’on suit sur fond de guerre civile. Le roman se construit d’une part sur cette opposition noir/blanc et sur le motif de la courtepointe, rassemblant des morceaux d’histoire et d’Histoire liés au thème principal (la fraternité dans un sens large) : sècheresse et pluie de sauterelles, début des tensions Nord-Sud, scènes domestiques entre les jeunes filles, arrivée du Klu-Klux-Klan après la guerre, etc.; mais aussi d’autres moments de l’Histoire : comment certains lieux ce sont transformés – ou non (ex : p. 117, 147) – ou encore l’exécution d’un prisonnier noir en 2011 (147-156). On suit également l’histoire de June (en fait la mère de la jeune noire finalement appelée Ève) et son destin misérable d’esclave. Le récit prend un autre cours à partir du moment où Eleanor se marie (le 15 mai 1864) et se retrouve sur la plantation Arlington, où elle doit apprendre à composer avec sa belle-famille, un mari renfermé (Michael) et une belle-mère autoritaire. Ève l’y suit. Quelques temps plus tard, un prêtre, le père Louis, tentera d’élever une église sur un marécage, église faite à l’aide de bric et de broc, ouverte à tous. Puis, c’est le retour de Samuel du front. Une attirance mutuelle se tisse entre lui et Eleanor, mais c’est finalement Ève qu’il prendra pour maîtresse. Eleanor les découvre un soir, dans le pigeonnier, et se fait mordre par un serpent, pour succomber au poison une semaine plus tard. Rongée par la culpabilité, Ève s’enfuit sans savoir où aller, traversant les marais, elle se retrouve au bout de treize jours dans l’Église nouvellement construite. Deux jours plus tard, on met le feu à l’église. Ève poursuit sa course à travers les ruines du Sud et se retrouve sur la plantation où June, sa mère, travaillait. Elle y retrouve son jeune frère.

Thème principal : Fratricide, fraternité, le double, la gémellité, le miroir.

Description du thème principal : Josée Lapointe, en entrevue avec Fortier : « La porte du ciel nous transporte en Louisiane, à l'aube de la guerre de Sécession. Eve est noire, Eleonor est blanche, et le destin lié de ces deux jeunes femmes est le noyau du livre, comme si elles étaient les deux facettes d'une seule personne. Le roman parle d'esclavage, mais aussi de désir, d'amour et de trahison. Pour l’auteure, la guerre civile est “la quintessence du conflit fratricide”, et devient le miroir et le révélateur de ce qui se passe dans la vie des personnages. “On ne peut trahir que quelqu'un qui est vraiment proche de soi.” » (Josée Lapointe, « La porte du ciel: l'art de la courtepointe », La Presse, 7 octobre 2011, [en ligne : http://www.lapresse.ca/arts/livres/201110/07/01-4455060-la-porte-du-ciel-lart-de-la-courtepointe.php])

En effet, tout fonctionne par deux ici : le Nord contre le Sud, les Blancs contre les Noirs, les maîtres contre les esclaves, Eleanor et Ève, les frères Arlington (le mari mièvre d’Eleanor vs Samuel, le frère viril qui a combattu [voir description p. 208]), le jeu d’échec, etc. Cela s’oppose en quelque sorte à la figure de la courtepointe, à celles que les femmes esclaves tissent et qui sont composites, de toutes les couleurs, de tous les motifs, sans organisation précise. Par ailleurs, une guerre civile est aussi une guerre entre frères, entre membres d’une même famille : « Dans certaines villes, les volontaires se pressaient pour rejoindre les rangs tant de l’Union que de la Confédération, s’étirant en deux longues files d’un côté et de l’autre d’une même rue, frères, cousins, voisins se saluant de la main avant de prendre les armes les uns contre les autres. » (2011 : 101) De plus, c’est une guerre qui s’érige sur des mots, la liberté souhaitée des esclaves étant toute relative, comme l’exprime le narrateur à propos de June lorsque son fils aîné la quitte : « Ce mot de “liberté” et ses frères – “égalité”, “émancipation”, “union” – étaient des osselets qu’on secoue dans sa main avant de les jeter par terre, où ils forment des amoncellements précaires. La bouche qui y mordait n’était point rassasiée; ils ne protégeaient ni de la pluie, ni du soleil, ni à plus forte raison du fouet ou de la guerre. / Des hommes à Philadelphie s’étaient rassemblés pour déclarer leur indépendance, ils avaient couché sur le papier ces mots disant que les hommes avaient été créés égaux et que chacun avec le droit de chercher le bonheur, et puis ils étaient rentrés chez eux, où il faisait bon auprès de leurs femmes et de leurs enfants. Les mots étaient restés là. » (2011 : 203-204)

Thèmes secondaires : amour, trahison, guerre, liberté; plantations de coton; couture, courtepointe et création.

III- CARACTÉRISATION NARRATIVE ET FORMELLE

Type de roman (ou de récit) : roman d’inspiration historique – nouveau roman historique

Commentaire à propos du type de roman : L’auteur prend ses distances avec la tradition du roman historique mais place son roman dans un cadre historique précis, le fil narratif et la toile de fonds se faisant constamment échos.

Type de narration : multiple - hétérodiégétique, autodiégétique et homodiégétique.

Commentaire à propos du type de narration : Plusieurs types de narration s’entrecroisent sans s’embarrasser trop fortement de la vraisemblance ou, disons, des codes romanesques de la vraisemblance. Ainsi, alors que la moitié du roman était en mode hétérodiégétique – et parfois homodiégétique (voir paragraphe suivant) – le personnage d’Eleonor devient pour un temps narratrice autodiégétique (p. 125-130) pour raconter son mariage (à charge au lecteur de comprendre que c’est elle qui prend la parole). Ève raconte aussi les derniers jours d’Eleanor (p. 255-258), mais cette fois il s’agit d’écrit que la jeune servante dit vouloir glisser « dans le cercueil où on la couchera après-demain. » (258)

Il s’agit d’un cas de narration problématique, bien qu’elle ne soit pas problématisée ou problématique en elle-même. En effet, une part de la narration est assurée par le Roi Coton – grand protagoniste et témoin de la guerre de Sécession –, qui connaît souvent le fin mot de l’histoire (et de l’Histoire) et qui a donc une vue d’ensemble sur ce qui se passe, s’adressant au lecteur, souvent avec une certaine ironie (il est ainsi en mode homodiégétique). La citation suivante en est un exemple fort : « Ces États tout neufs qui avaient choisi de s’unir étaient pleins de promesses. On y comptait quelque trente-trois millions d’habitants. De ce nombre, dix ans plus tard, six cent mille seraient morts. Trente-trois millions – en plus de quatre millions d’esclaves, mais ceux-là, vous vous en doutez déjà, ne comptaient pas tout à fait. » (2011 : 42) Ou encore : « C’est là que vit June, mais elle serait bien incapable de trouver l’endroit sur une carte, n’ayant jamais appris à lire le paysage sur du papier. C’est là que, pendant plus de cent ans, une poignée d’anciens esclaves de la plantation Pettway puis leurs descendants ont vécu, oubliés de tous, dans une misère tranquille. Venez, quelques pas encore. » (2011 : 116) De plus, les chapitres sont entrecoupés de description de courtepointes existantes.

Personnes et/ou personnages mis en scène : Il ne s’agit pas de mise en scène de personnes réelles, bien que la trame de fond du roman soit historique. Comme il arrive souvent chez Fortier, les personnages (surtout les maîtres, ceux qui détiennent le pouvoir) sont souvent un peu fât et vaniteux, en comparaison de certains autres (ici Ève ou June) qui sont un peu plus dignes. Sur Eleanor, par exemple : « Eleanor passait parfois des matinées entières à se regarder dans la glace, faisant rêveusement tourner une boucle de cheveux autour de son index. Quand elle se lassait de contempler son reflet, elle appelait Ève. » (2011 : 55) Puis, quand elle apprend à Ève l’origine et le fonctionnement du jeu d’échec, Ève comprend tout de suite que, à l’époque où ce jeu a été inventé, « la guerre, elle, avait déjà été inventée », tout comme l’opposition entre blanc et noir (77-80)

Lieu(x) mis en scène : La Louisiane – le Sud des États-Unis – les États Confédérés.

Types de lieux : Plantations de coton – domaines du sud – maisons d’esclaves.

Date(s) ou époque(s) de l'histoire : 1860-1865 (19e siècle)

Intergénéricité et/ou intertextualité et/ou intermédialité : Quelques éléments intertextuels, entre autres avec la Bible ou par allusion à des livres que les personnages lisent (ex : Eleanor lit Le moulin sur la floss de George Elliot, mais le titre n’est pas donné) ou consultent. En ce qui concerne le motif de la courtepointe, sans doute peut-on parler d’une certaine intermédialité – artisanat et littérature.

Particularités stylistiques ou textuelles : Comme toujours chez Fortier, roman fragmenté à l’écriture soignée. Changement constant de focalisation et de narrateur.

IV- POROSITÉ

Phénomènes de porosité observés : porosité fiction/histoire, porosité narrative, porosité des voix.

Description des phénomènes observés : Le motif de la courtepointe qui est thématisé dans l’œuvre et dans la structure de l’œuvre (voir autres rubriques pour comprendre les porosité des voix) prend aussi valeur de symbole, entre les pièces qu’on assemble de forces – ici les états – pour former une grande image – ici les États-Unis : « Ce n’était pas un pays en guerre, ni même deux pays en guerre dont l’un cherchait à se détacher de l’autre : c’étaient trente pays tenant ensemble par des liens plus ou moins lâches, qui tantôt se défaisaient et tantôt se renouaient, comme si les pièces d’une courtepointe tout à coup prenaient vie et s’avisaient de changer de place ou de couleur, arrachant les coutures au passage, traînant derrière elles des bouts de fils inutiles. » (2011 : 166) – Au niveau thématique, la courtepointe représente aussi un héritage, le seul héritage de nombreuses esclaves noires, dont June qui, à la fin de sa vie, s’enveloppe dans une courtepointe qu’elle a faite « et qui était peut-être la seule chose qui témoignerait de son passage sur cette terre » (2011 : 261)

Ainsi, le roman, même s’il ne s’agit pas d’un roman historique (du moins, l’auteur prend ses distances avec ce genre), porte assurément un discours sur l’Histoire. Cela est perceptible à travers les commentaires, souvent teinté d’ironie, du narrateur (le Roi-Coton). J’aime particulièrement ce passage où, interpelant le lecteur, le narrateur dit : « Vous aimeriez savoir, peut-être, à quel moment au juste a pris fin ce qu’on appelle aujourd’hui la guerre civile? » Après avoir fourni une série de dates possibles, liées à divers événements du conflit, il ajoute : « Permettez-moi de répondre à votre question par une autre : puisque nul traité de paix n’est venu marquer la fin de cette étrange guerre fratricide, comment prétendez-vous savoir qu’elle est bien finie? » (2011 : 249)

Auteur(e) de la fiche : Manon Auger

fq-equipe/fortier_dominique_2011_la_porte_du_ciel.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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