FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Roger GRENIER Titre : Trois heures du matin. Scott Fitzgerald Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : L’un et l’autre Année : 1995 Pages : 248 p. Cote : PS 3511 19 Z7 Désignation générique : Aucune
Bibliographie de l’auteur : Production importante de romans, de nouvelles et d’essais. Presque toute son œuvre est parue chez Gallimard (ce qui, peut-on en déduire, en fait un écrivain de renom). Il a écrit plusieurs livres dans la collection L’un et l’autre : Fidèle au poste (2001) ; Les larmes d’Ulysse (1998) ; Regardez la neige qui tombe. Impressions sur Tchekhov (1992)
Biographé : Scott Fitzgerald
Quatrième de couverture : Sur les rabats = Présentation de la collection et extrait de l’œuvre (dernier chapitre, p.237) : «Quelle image surgit au nom de Francis Scott Fitzgerald ? Le Fitzgerald de la défaite, de La Fêlure ? L’excentrique de l’âge du jazz qui éprouve toujours le besoin de se faire remarquer et de se rendre insupportable ? Le romancier respectueux de son art, mais qui gaspille son talent à écrire des nouvelles pour les magazines, parce que les besoins d’argent le prennent à la gorge ? Le compagnon de Ring Lardner, de Hemingway, de Dos Passos, toujours prêt à aider les autres de ses conseils et à faire jouer son influence en leur faveur ? Celui qui a la folie de trop demander à la vie et la sagesse de préférer l’écriture à tout le reste ? Celui qui croit que l’on peut “tenir en équilibre le sentiment de la futilité de l’effort et le sentiment de la nécessité du combat ; la conviction de l’inéluctabilité de l’échec et pourtant la résolution de réussir” ?» Cette citation met bien en perspective les éléments marquants de la vie de Fitzgerald ou, disons plutôt, les événements retenus par le biographe.
Préface : Il n’y a pas de préface officielle, mais le premier chapitre intitulé «Les yeux du docteur T. J. Eckleburg» présente le projet biographique de l’auteur. Dès la première ligne, le biographe pose d’emblée son rapport à Fitzgerald qui n’est pas l’écrivain qu’il admire le plus : «Pourquoi Scott Fitzgerald, cet écrivain mièvre, noyé dans les paillettes des années 20, cet homme qui ne s’intéresse qu’aux riches, qui a trop écrit de nouvelles pour The Saturday Evening Post, et dont la langue, en outre, est souvent incertaine, pour ne pas dire incorrecte ? Sans parler de l’orthographe qui faisait le désespoir des correcteurs d’imprimerie. Pourquoi Fitzgerald, alors que l’écrivain américain que je mets au-dessus de tous est Faulkner ?» (p.9) Et il ajoute, plus loin : «Pourtant je n’aime ni les alcooliques, ni les excentriques. Et, dans le genre, il est difficile de faire mieux que Scott Fitzgerald.» (p.9-10) Toutefois, c’est sa fréquentation de l’œuvre de Fitzgerald et plus spécifiquement sa lecture de Gatsby le magnifique qui semble avoir été le plus déterminant dans ce projet : «Plus sérieusement, cela fait des dizaines d’années que je le fréquente. J’ai toujours été sensible à la touche de désastre qu’il pose non seulement sur la vie, mais sur tous ses romans et ses nouvelles. Sans me vanter, j’ai été un des premiers à l’aimer, après la guerre, en France. D’où un attachement sentimental, comme on en garde pour ses amours de jeunesse. Si l’on examine de près la façon dont il mène une histoire et le style de sa phrase, il faut être de mauvaise foi pour ne pas voir sa valeur d’écrivain. Chez lui, le matériau romanesque n’est pas une fin en soi. Il a toujours un sens, et contribue, en serviteur modeste, à nous mener où l’auteur le veut. À mon avis, peu de livres égalent Gatsby le magnifique, à la fois pour la maîtrise du récit, la richesse du sens et l’émotion que l’on est en droit d’attendre d’un roman.» (p.10) Le biographe continue en parlant de la légende de Fitzgerald trop vite occultée, de la position problématique de celui-ci dans l’histoire (puisqu`il regrette d’avoir manqué la première Guerre et est associé aux «années folles» qui sont passées rapidement de mode), de la fierté un peu naïve qu’il tirait de sa profession d’écrivain, du fait qu’il plaçait la littérature au-dessus de tout, etc. Il conclut : «Le propos de cet essai est de chercher l’homme sous la légende, et surtout l’écrivain derrière l’homme.» (p.11)
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Épigraphe de La Fêlure qui explique le titre de l’ouvrage = «…dans la nuit véritablement noire de l’âme, il est toujours, jour après jour, trois heures du matin.»
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : L’auteur est sans conteste le narrateur, entre autres parce qu’il s’agit d’un essai, mais aussi et surtout parce qu’il fait à l’occasion de petits «bonds» autobiographiques à l’intérieur du récit. Cependant, c’est uniquement en tant qu’intellectuel qu’il se présente, ne relatant que des épisodes strictement professionnels et toujours en rapport étroit avec son propos ; par exemple, en parlant du «système de snobisme» religieux qui présidait aux Etats-Unis dans les années 1910, il dira que ce n’était «pas tellement différent de ce qui se passait dans ma jeunesse en France» (p.35) ; ou lorsqu’il parle d’un recueil de nouvelles de Scott : «J’avoue que, lorsque j’ai commencé à écrire quelques nouvelles, ce volume me faisait rêver.» (p.56) ; ou bien sa rencontre avec Orson Welles, devenu caricature de lui-même alors qu’il était symbole de gloire dans une nouvelle (et dans la réalité) de Fitzgerald (p.63), etc. Un bon exemple de l’utilisation de la matière autobiographique pour Grenier se trouve aux pages 148-149, alors qu’il affirme : «Je n’ai guère envie d’ajouter mes commentaires sur l’alcoolisme de Fitzgerald. D’ailleurs, tout le monde connaît la question. Aussi, j’aimerais m’autoriser une digression, pas tellement éloignée du sujet, d’ailleurs.» Il raconte alors les circonstances d’un voyage où il a dû prendre soin d’un ami, écrivain et alcoolique, dont il a par la suite tiré une nouvelle dans laquelle son ami s’est reconnu tout en reconnaissant Fitzgerald.
Narrateur/personnage : Relation franche et bienveillante qui ne verse jamais dans le sentimentalisme, sauf à quelques très rares reprises : «Histoire trop belle pour être vraie mais qu’il semble impossible d’effacer de la vie légendaire et désastreuse de notre héros.» (p.130) Il y a peu à dire, puisque nous sommes dans une narration tout ce qu’il y a de conventionnelle.
Biographe/biographé : Voir la section «Préface». Les sentiments exprimés dans *ce premier chapitre sont reconduits dans les deux derniers chapitres qui suivent la mort de Fitzgerald, «Dans les années 50» et «Ils applaudiront tous». Dans le premier, le biographe revient sur sa passion pour l’œuvre de Scott Fitzgerald : «Avec quelques amis, nous avons été, dans les années 50, comme une petite société secrète à aimer Scott Fitzgerald, avant que lui et son temps ne deviennent à la mode. […] Ce n’est peut-être pas un très joli sentiment, mais une admiration trop générale gâche le bonheur que l’on avait lorsqu’on était seul, ou presque seul, à aimer un écrivain. De sorte que le meilleur de Fitzgerald, pour moi, est lié à l’époque où nous étions si peu à le connaître.» (p.235) Il raconte ensuite qu’il a écrit une pièce radiophonique sur la vie de Fitzgerald. Le dernier chapitre, quant à lui, est essentiellement constitué de l’extrait choisi pour le rabat, chapitre qui met en relief la multiplicité de l’image biographique. J’ai mentionné, dans la rubrique «Auteur/Narrateur» que l’auteur se permet parfois des incartades au cœur du récit, mais son rapport au biographé, dans l’écriture, reste plutôt froid, malgré ce qu’il en dit. Si, par exemple, il mentionne : «Au cours de mon voyage à la rencontre de Dos Passos, j’ai continué à être poursuivi par le fantôme de Fitzgerald.» (p.176), ce fantôme ne semble avoir rien de bien menaçant. Fitzgerald est présenté de façon plutôt neutre, le biographe s’attardant davantage à faire ressortir les nuances pouvant expliquer le comportement excentrique du biographé qu’à le dénoncer ou à l’encenser : «On a dit qu’à Hollywood, il était une épave. Ce n’est pas vrai. C’est un homme rangé, et qui gagnerait bien sa vie, s’il n’avait tant de dettes et de charges. À part, bien entendu, quelques rechutes dans l’alcoolisme, avec les scandales qui l’accompagnent, comme l’expédition du carnaval de Dartmouth, un voyage à Cuba avec Zelda où il ne dessoula pas et se montra plus malade qu’elle, les bagarres avec Sheilah Graham. Mais si on lit les lettres de cette époque, à Zelda, à la famille Sayre, aux médecins, à Scottie, on découvre à quel point, accablé de soucis, il est lucide, méthodique, organisateur, pour remédier aux problèmes d’argent, pour faire face à l’avenir médical de Zelda et aux frasques de sa fille.» (p.205)
Autres relations : J’ai été frappée par la façon dont toute l’attention est focalisée sur Fitzgerald, faisant des personnages autour de lui des espèces de pions sans trop de chair, tout spécialement en ce qui concerne la femme de Fitzgerald, Zelda. En effet, elle a presque l’air d’un poids mort dans la vie de Scott, alors que son destin est des plus tragique, ce qui n’éveille aucunement la compassion du biographe. Sans être misogyne, il ne semble pas comprendre que la «folie» de Zelda se résume assez simplement de la façon dont il la note lui-même : «Quand Zelda met au monde sa fille, en 1921, le romancier Scott Fitzgerald note ses paroles. Il les mettra dans la bouche de Daisy, l’héroïne de Gatsby le magnifique : “(…) je demandai à l’infirmière si c’était un garçon ou une fille. C’était une fille. Je tournai la tête et me mis à pleurer. ‘Très bien, dis-je, je suis heureuse que ce soit une fille. Et j’espère qu’elle sera bien sotte. C’est ce qu’une fille a le plus avantage à être dans ce monde – une jolie petite sotte.’”.» (p.121) Comment ne pas voir là le drame de Zelda ? Elle n’était pas sotte, avait une certaine prédisposition pour l’écriture qui fut en quelque sorte vampirisé par son mari qui n’a jamais voulu lui laisser prendre sa place légitime. Mais bon…
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : C’est au niveau du synopsis seulement que cette biographie innove un tant soit peu. En effet, elle ne respecte aucunement la chronologie, privilégiant le libre vagabondage de la pensée sous sa forme essayistique. Ainsi, chaque chapitre (de longueurs variables, mais souvent très courts), est basé sur une unité thématique que le titre du chapitre laisse à peine deviner, ce qui crée la dimension poétique de l’essai, si je puis dire. Cette façon de procéder fait fonctionner la lecture à la manière d’un puzzle dont il faut assembler les pièces, bien que certaines soient manquantes, dont l’enfance de Fitzgerald.
Ancrage référentiel : Très marqué. Tout, ou presque, me semble vérifiable. Le biographe est très familier avec toute l’œuvre de Fitzgerald, y compris ses carnets et sa correspondance.
Indices de fiction : Aucun indice. Nous sommes dans le registre de l’essai biographique, ce qui double l’impossibilité de la fiction.
Rapports vie/œuvre : C’est le rapport à la fois classique et très actuel du mariage vie/œuvre au profit de l’interprétation ; c’est-à-dire que le biographe s’appuie sur eux pour appuyer la trame de son récit, mais sans faire d’interprétations trop oiseuses. Par exemple : «Quand même, il n’est pas question d’identifier Pat Hobby à l’auteur. Mais, dans le filigrane de ses aventures, on lit facilement les frustrations et les déboires de Fitzgerald.» (p.63)
Thématisation de l’écriture et de la lecture : Plus ou moins. Topos convenu de la compensation par l’écriture : «Les déceptions que la réalité lui inflige, il découvre très tôt qu’elles peuvent être compensées par l’écriture.» (p.41)
Thématisation de la biographie : N’est pas explicitement thématisée, sauf au premier chapitre, où l’auteur thématise l’entreprise de la collection dans laquelle son livre s’inscrit : «Puisque dans “L’un et l’autre”, on doit tout dire, non seulement de son sujet mais de soi-même, j’avouerai que, chaque fois que j’ouvre Gatsby le Magnifique, au chapitre II, ma madeleine proustienne est au rendez-vous.» (p.9) Plus loin, Grenier fait une autre allusion intéressante à «L’un et l’autre» : «Blondin [l’ami, écrivain et alcoolique. Voir section «Auteur/Narrateur»] a écrit une préface pour une édition de Gatsby le magnifique. C’est avec ce texte que l’on pourrait vraiment parler de L’un et l’autre.» (p.150) Il renchérira encore : «L’un et l’autre, ce pourrait être aussi l’histoire couplée d’Ernest Hemingway et de Scott Fitzgerald.» (p.153) Décidément, la ligne de cette collection l’obsède !
Topoï : L’écriture, les années 20, les déboires de Fitzgerald, l’alcoolisme, le monde de l’édition, l’échec, etc.
Hybridation : Essai biographique. Voir section «Synopsis».
Différenciation : Dans l’intention, il y a une volonté de se différencier d’avec l’entreprise biographique traditionnelle (à cause de la collection), mais dans la réalisation, on semble plus près d’une forme postmoderniste de la biographie ; soit recherche d’une «vérité» (ou recherche d’une transcendance du sujet) à travers l’éclatement narratif.
Transposition : Je ne vois aucune forme de transposition dans cette œuvre.
Autres remarques : Je trouve que la collection L’un et l’autre à elle seule forme un bassin intéressant pour une étude sur les pactes de lecture. D’abord, la ligne éditoriale paraît assez stricte pour que le lecteur ne s’y trompe pas : «Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu’une passion les anime.» On est donc dans un registre semi-fictionnel, ce qui pose problème en soi. En contrepartie, c’est peut-être dans cette collection que l’on retrouve les subversions les moins flagrantes si on les compare à l’ensemble de notre corpus, peut-être, justement, parce que la ligne d’écriture est dictée de l’extérieur.
LA LECTURE
Pacte de lecture : Se présente d’emblée, dans le premier chapitre, comme un essai biographique, ce que confirme la lecture, mais contredit la ligne de la collection.
Attitude de lecture : Biographie assez traditionnelle qui ne renouvelle pas grand-chose, mais qui offre un portrait honnête de Fitzgerald, ni complaisant ni dégradant. Offre peu de matière pour le projet «Effets de transposition». Voir la pertinence pour le nouveau projet.
Lecteur/lectrice : Manon Auger