Table des matières
RICHARD MILLET (2010) L’enfer du roman; réflexions sur la postlittérature
Paris, Gallimard.
« Écrire aujourd’hui, c’est être condamné au roman puis tenter d’en sortir, en écrivant, dans un immense effort de recentrement sur la bouche même de la littérature. » (2010 : 238)
I- Note technique :
- Cette fiche se veut un complément d’une fiche plus synthétique que réalisera Pierre-Luc Landry. Après discussion, nous avons convenu qu’il tenterait de dégager les grands éléments de la pensée de Millet par rapport à cette notion de postlittérature, tandis que, de mon côté, je m’appliquerais à repérer les éléments plus spécifiques qui ont trait aux divers chapitres de la première partie de l’ouvrage de synthèse. Ces directives de départ n’excluent bien sûr pas que nous dévions, à l’occasion, de notre ligne de conduite… Étant plutôt charmée par l’argumentaire de Millet, je n’ai pu m’empêcher de tenter de le cerner au plus près.
II- Notes générales
- L’ouvrage de Millet, par sa forme fragmentaire, est difficile à synthétiser. Le choix de cette forme n’est d’ailleurs pas innocent, comme Millet s’en explique lui-même dans son « Avant-propos » : « garder dans l’ordre de leur surgissement, au prix de quelques petites redites, ou contradictions, pour maintenir haute l’attention du guerrier comme celle du lecteur. » (2010 : 12) On pourra donc seulement glaner des éléments ça et là pour parvenir à établir les grands traits de cette « postlittérature ». Le jeu, frustrant au premier abord parce qu’étourdissant, n’est toutefois pas dépourvu de charme, surtout dans la mesure où cela convoque un sens qui n’est recomposable qu’après coup et propose une lecture en quelque sorte reposante parce que non linéaire…
- Par ailleurs, Millet en dit beaucoup et peu à la fois; il est ainsi difficile de bien saisir et présenter les nuances de sa pensée, mais il est facile de synthétiser les grandes lignes.
- En creux, on pourra lire ce qui constituerait de la « bonne » littérature pour Millet; il faudrait, entre autres, que « le roman se débarrasse du roman » (2010 : 198-199). Un roman qui lui enlèverait ce sentiment de « déjà lu » (2010 : 199). Je n’ai pas vraiment faite cette lecture toutefois.
L’ « avant-propos » (relativement court) :
- Millet signale que son essai n’est pas écrit dans une « intention polémique ou de la haine à l’égard du roman », mais qu’il part « d’un désespoir » (2010 : 12).
- Son but : « Je dirais que ce livre tente une définition du cauchemar contemporain nommé roman et qu’on appellera ici tantôt tel, tantôt roman international, tantôt postlittérature. » (2010 : 13)
- Définition générale du postlittéraire : « imposture qui se produit universellement sous le nom de roman et qui n’est qu’un instrument du mensonge général, une falsification, un dévoiement au service du Nouvel Ordre moral ou, si l’on préfère, du moralisme postéthique américain. » (2010 : 13)
Millet donne ça et là des définitions succinctes du postlittéraire :
- « Le roman postlittéraire? Un mixte de roman policier, de gnose sociologique et de psychologisme de magazine féminin, rédigé dans un sous-état de langue par quoi l’idéologie du bien se répand irrésistiblement. » (2010 : 105)
- La postlittérature ne doit pas être confondue avec le postmoderne. « Le roman postlittéraire est à la littérature ce que le protestantisme est au catholicisme : une écriture de la sortie de la littérature. Il s’agit d’en finir avec la littérature comme espace sacral ou solipsiste; refusant d’hériter, l’écrivain postlittéraire n’est plus qu’une figure sociale dont le roman est l’insignifiant curriculum vitae. » (2010 : 117)
- « Qu’est-ce qu’un roman postlittéraire? Un livre où l’on se déshérite soi-même, où l’on accepte d’écrire pour s’effacer non plus dans la langue mais dans l’extériorité de l’insignifiance sociale, dans l’incantation humanisante. » (2010 : 131)
- « Sans doute le journalisme (qui n’est, en ce cas-là, qu’une dégénérescence de la sociologie) abuse-t-il du préfixe “post”, lequel se dévaluerait et ne signifierait plus rien d’autre que l’impensé du contemporain, voire un refus de le penser, une démission suggérée par le Spectacle. La postlittérature s’est pourtant bel et bien installée comme élément du Spectacle, sur les ruines de la langue autant que de cette somme patiemment élevée qu’on appelle œuvre et qui n’a plus de sens, dans un monde horizontal, où le geste d’écrire relève du collectivisme démocratique. » (2010 : 133)
- « Bien qu’elle soit informelle et anhistorique, la postlittérature n’a rien d’un chaos : bien au contraire, elle fonctionne comme un ensemble de séries apparemment divergentes (nationales, linguistiques, ethniques, sexuelles, politiques, éditoriales, etc.) dont le point de convergence est la doxa de leur mimétisme infini, et l’asymptote la reconnaissance symbolique américaine. On n’écrit des romans que dans la mesure où ils sont potentiellement “américains”. » (2010 : 214)
- « …reniement de soi qu’est la postlittérature » (2010 : 242)
- « Postlittéraire signifie non pas que la littérature soit morte mais qu’elle connaît dans le roman un processus continu de dévalorisation, dont la falsification générale n’a plus que la misère des langues pour communauté spirituelle. » (2010 : 247)
Un certain nombre de traits définissent la « postlittérature » :
- L’hégémonie du roman, entre autres, son succès. Celle-ci prend non seulement la forme d’une surabondance de roman sur le marché (qui écrase les autres formes et autres genres), mais aussi le fait que tout est publié avec cette étiquette générique (besoin de vendre, de rejoindre des lecteurs, d’obtenir des prix), de telle sorte que ça finit par ne plus avoir de sens. C’est toutefois le roman qui permet le prestige social (2010 : 19). Quelques citations sur le sujet : « genre hégémonique : un instrument de promotion, voire de domination sociale » (2010 : 12) / « L’hypertrophique développement du roman représente bien la mort de la littérature. » (2010 : 89)
- Hégémonie au détriment des autres formes, mais aussi et surtout des formes inclassables qui rassemblent souvent le meilleur de la littérature (2010 : 18) : « D’une certaine façon, la littérature n’est donc plus que ce qui se dérobe à l’hégémonie romanesque, laquelle a sinon digéré, pour les annihiler, du moins intégré les autres genres au systèmes par lequel elle préserve son hégémonie, son arme majeure restant l’insignifiance, par quoi tout ce qui est faux se donne pour vrai, le vrai même n’étant que la ruse du diable. » (2010 : 59)
- L’Hégémonie de la langue anglaise et, plus généralement, de la culture anglo-saxonne : elle devient en quelque sorte le représentant par excellence de la démocratisation de la culture; la langue anglaise est malléable et « universelle » contrairement au français qui demeure une langue aristocratique (2010 : 17). Conséquemment, « l’épuisement des langues » (2010 : 20), une « hostilité générale envers la langue » (2010 : 92). Ou encore : « L’anglais est bien la langue de la postlittérature : non seulement une langue neutre dans laquelle tout effet de style serait vain, mais aussi le lieu d’effondrement de toute langue, y compris l’anglaise. Écrire en anglais est donc une forme de renoncement à la littérature. » (2010 : 106)
- Le mélange (ou non distinction) du savant et du populaire : « [L]a littérature ne saurait plus être répartie entre grande et populaire, encore moins moyenne; c’est pourtant une des caractéristiques de la postlittérature que d’être médiocre, à l’heure où la haute culture s’est diluée, honteuse, dans la démocratie. » (2010 : 22) / La postlittérature « est toujours prêt de fusionner avec la paralittérature » (2010 : 86).
- La perte de la référence française dans le marché mondial. « Écrire en français, aujourd’hui, revient à produire des romans dans lesquels la langue est un objet de dépit, voire de haine, avec pour surmoi l’anglais international du roman postlittéraire. » (2010 : 69)
- La modification du lectorat : Millet mentionne, à l’instar de Bessard-Banquy, la disparition des « gros lecteurs » qui « est un lettré qui n’écrit pas » (2010 : 193). Il y a plus de lecteurs, mais moins de lettrés qui lisent de tous les genres littéraires et des sciences humaines (2010 : 19).
- Écriture imprégnée de cinéma (faite pour le cinéma). Une littérature de l’image (voir plus bas « Médiatisations »). Dès lors, le statut de l’écrivain perd de son prestige puisqu’il s’agit de faire du roman à la manière d’un scénario de film : « Pas de mot pour désigner l’écrivain postlittéraire. Auteur pourrait convenir, mais il est ambivalent. Écrivain est dévalorisé, tout comme artiste, et poète semble appartenir à un règne disparu. Scénariste conviendrait mieux, vu que la plupart des romans contemporains sont hantés par le cinéma, quand ils ne se réduisent pas à un scénario, le “pitch” à quoi tout roman doit se résumer pour être “lisible”. En vérité, le romancier postlittéraire est un écrivain sans littérature, et son quasi-anonymat n’est pas de même nature que celui de l’écrivain véritable, lequel travaille dans l’innommable. » (2010 : 134)
- En conséquence, le roman se « simplifie » (2010 : 167), se voit assigner « une fonction purement narrative au détriment du style ou de l’introspection » selon une logique marchande et capitaliste (2010 : 39) Le roman devient ainsi plus « marchandable » parce qu’exportable.
- « Pouvoir du spectaculaire » (2010 : 139); « présent du spectaculaire » (2010 : 140)
- Perte du style : « la mort du style comme condition de l’écriture, ce qui nous fait passer du domaine esthétique à une espèce d’ontologie démocratique où l’on serait écrivain de fait – sinon de droit. » (2010 : 40)
- La littérature (et plus généralement la culture) sont devenus des produits de consommation voué à l’éphémère.
Un certain nombre d’attributs permet d’en saisir le sens :
- « la majeure partie du roman contemporain, où s’incarne la postlittérature, est la version sentimentale du nihilisme. » (2010 : 11)
- Le style est, pour Millet, ce qui définit la littérature, la langue en est son cœur. Or, le roman postlittéraire en serait dépourvu dans la mesure où c’est l’action qui prime sur l’écriture (le fond sur la forme), dans la mesure où la langue anglaise est moins stylistique que la langue française et qu’elle est devenue non seulement hégémonique, mais aussi le code par lequel s’établit les normes du roman actuel.
- Cela ne vaut pas que pour la France, mais pour toutes les littératures : « C’est la littérature en tant que telle qui est en train de s’éteindre, partout, pour avoir noué avec le seul roman un pacte servile. » (2010 : ??)
- Millet utilise souvent le terme de « fausse-monnaie » pour désigner la production romanesque actuelle. Les éditeurs deviennent ainsi des « faux-monnayeurs » qui tentent de faire croire que ce qu’ils publient à une valeur réelle. (2010 : 32) Il donne aussi comme exemple de fausse monnaie littéraire certains auteurs de biographies imaginaires (voir « Héritage et filiation »).
- Millet utilise aussi l’expression « commettre un roman ».
- Le politiquement correct serait aussi le credo du postlittéraire, ce qui en terni la valeur.
- « Où les rites ont remplacé le sacré, et la dérision le sacrificiel » (2010 : 42)
- La dimension industrielle du roman dont Dumas et ses nègres serait un précurseur (2010 : 46). La littérature est un produit de consommation : « …le marché est roi, le livre un produit, l’écrivain une marque ou un logo produit par l’objet-livre sur un marché où il est en cours de liquidation. » (2010 : 133)
- La postlittérature n’est qu’un « ersatz du roman américain » (2010 : 66)
- L’héritage du 19e siècle : « époque où le roman a fixé les dérives linguistiques sur quoi reposent les travers du roman postlittéraire, où le ludique est la caution de la tolérance syntaxique. » (2010 : 29)
- Présence de l’argot comme « accomplissement de la démocratie » (2010 : 41) – « Chercher un bain de jouvence dans l’ordure langagière est une des illusions de la postlittérature; la question de l’oralité devient l’unique critère ou enjeu : prôner la voix en tant que songe de l’écriture, c’est reconnaître que cette littérature n’existe que dans le grand collecteur du cinéma, et que, contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas l’image qui a tué le roman mais le fantasme de la parole naturelle, de la voix vive. » (2010 : 186)
- La démocratisation de la littérature (on rejoint ici Ricard), entre autres par le biais des nouvelles technologies : « Le cauchemar de l’autoédition et de sa diffusion sur Internet : redoublement, mise en abyme, vertige de la falsification littéraire, la contingence rejoignant la défaite du langage. Il en va de même des « blogs », qui marquent le passage du journalisme au règne hystérique de l’opinion individuelle et cependant indifférenciée. » (2010 : 79) / « … le roman et le journalisme finissant par se confondre au point de se dénaturer l’un l’autre, Internet les rassemblant enfin dans l’immensité fallacieuse de la toile. » (2010 : 89) / « destin dérisoirement démocratique de la postlittérature » (2010 : 134).
- Haine contre la campagne (ex : 79-80/129)
- Littérature faite pour les femmes et par les femmes (2010 : 189-190/203). Féminisation des études littéraires et de l’enseignement qui font que la littérature « est de plus en plus perçue comme l’apanage des femmes, c’est-à-dire une activité de seconde zone, voire méprisable » (2010 : 95).
- Perte de la qualité des études littéraires qui, autrefois, assuraient une certaine notoriété à la littérature et une certaine postérité aux œuvres. Maintenant, les gens ne savent plus ce qu’est la littérature. (2010 : 105)
- « …nullité quasi générale de la littérature française, non pas tant que telle mais en tant qu’elle n’est pas visible au sein de la postlittérature internationale. » (2010 : 113)
- Omniprésence du roman américain traduit dans le marché culturel français qui devient une sorte de « débouché » (2010 : 116).
- Anonymat et banalisation de l’écrivain (2010 : 133-134); « perte du prestige de l’écrivain » (2010 : 205).
- Le roman postlittéraire a conquis le monde par le biais des cours de creative writing des universités américaines (2010 : 188)
III- Notes pour l’ouvrage collectif :
1/ Précarité (mort du roman, de la littérature, épuisement) :
• « L’hypertrophique développement du roman représente bien la mort de la littérature. » (2010 : 89)
• La littérature « ne perpétue cependant plus que l’idée d’elle-même; une idée creuse, une coquille vide, un simulacre dépourvu de cette substance héroïque, mystique, ou obscure qui faisait d’elle une expérience absolue et qui n’est plus que divertissement, puissance nihiliste qui combat l’unité s’opposant à l’idée même d’œuvre grâce à quoi non seulement l’écrivain et l’individu mais l’époque même seraient sauvés – ce salut demeurât-il un songe » (2010 : 91).
• « Qu’en est-il du roman, dès lors qu’il n’est plus un miroir de la totalité? Qu’en est-il de sa légitimité quand il cesse d’être un moyen de connaissance, de découverte? Lisant des romans contemporains, n’a-t-on pas l’impression d’une incroyable redite qui est le vestibule de l’enfer, dont on sait qu’une des formes est le ressassement? Impression, aussi, de n’apprendre rien d’autre que le fonctionnement des mécanismes de falsification, d’effondrement des valeurs, d’oubli de l’être de la langue. » (2010 : 98)
• « … on pourrait dire que la postlittérature est la mort de la littérature française, donc d’une certaine idée de la littérature. » (2010 : 107)
• « La fin de l’intellectuel français a sonné celle de ce rôle [de grandes figures] dans le monde entier, tout comme chacun se veut écrivain par le seul truchement du roman, signant la mort du grand écrivain. » (2010 : 174)
2/ Héritage et filiation :
• Certains écrivains biographes sont considérés par Millet comme des « faux-monnayeurs » : « Exemple de fausse monnaie littéraire : ces romanciers anglo-saxons, David Lodge, Colm Tóibín, Micheal Cunningham, qui écrivent des romans à partir de la vie de Henry James, Virginia Woolf; on est là non seulement dans la parodie, mais aussi dans le commentaire parodique de la parodie, la littérature comme ludisme. Prendre James et Woolf comme personnages de romans, c’est dénaturer l’idée même de littérature tout en faisant un aveu d’impuissance romanesque. Qu’un David Lodge écrive ensuite sur son propre roman un livre plein d’autosatisfaction, intitulé Dans les coulisses du roman, ne fait que montrer la dimension funèbre et infernale du roman postlittéraire, qui élève son making of au rang de genre pararomanesque. » (2010 : 104-105)
• « Aux yeux du postlittéraire, et nonobstant la vogue du roman dit “historique” (lequel n’est qu’une variante de l’insignifiance “réaliste”), les siècles passés constituent non pas une échelle de vérité, mais un brouillard dont seul le cinéma exploite le fonds et rend visible le costume : le cinéma comme extension du roman du XIXe siècle; la culture historique s’y effondre pour laisser place à sa relecture démocratique, progressiste, “américaine”. » (2010 : 148-149)
• « Ce qui se publie aujourd’hui sous le nom de roman est la plupart du temps ce qui échappe à la littérature, ou la refuse au nom de la littérature même (en détournant, par exemple, le sens du vers verlainien devenu proverbe : “Et tout le reste est littérature”). Nous appelons donc littérature de l’après ce refus d’hériter qui est en vérité le consentement servile à l’héritage du roman dix-neuvièmiste, tandis que la littérature, elle, continue de se confronter à elle-même en un mouvement désespéré mais fécond, cette fécondité eût-elle le silence pour espace. » (2010 : 183-184)
3/ Sur la médiatisation (labilité?) :
• « La puissance littéraire de l’Amérique réside moins dans les vertus de la langue anglaise ou dans les qualités de ses écrivains que dans l’ingéniosité de ces derniers à s’appuyer sur un paysage naturel ou urbain dont le cinéma a planté le décor et qui n’existerait plus sans le septième art. C’est donc d’une littérature télévisuelle qu’il faut parler, plutôt que d’une littérature véritable – à l’exception bien sûr de quelques écrivains auxquels nous pensons en tant que tels et non comme Américains. » (2010 : 38)
• « Au fond, nous devrions nous réjouir que le cinéma nous débarrasse du roman, rendant la littérature à elle-même, c’est-à-dire au silence des langues. Or, il ne nous en débarrasse pas : l’ennui reste tapi dans les replis du temps comme mauvaise conscience, et le roman est hanté par le cinéma au point de se réduire à un scénario. Le roman postlittéraire n’est que du scénario potentiel : un passe-temps dégradé, qui cherche son salut par la nostalgie dans l’art qui l’a détrôné. » (2010 : 68)
• « Un écrivain qui n’a ni blog ni site, et qui ne fréquente pas les espaces prostitutionnels de Facebook et de Twitter, n’est-il pas voué à la marge, voire à l’inexistence, sachant que c’est là que se font et se défont aujourd’hui les réputations, que le silence, le retrait, la discrétion, l’ombre, sont suspects au Nouvel Ordre moral et que le making of d’un roman devient non pas un bonus mais une sorte de devoir plus important que le livre lui-même? » (2010 : 157)
5/ Sur « l’effritement de la quête » (Chapitre « Indécidabilité ») :
• « L’impossibilité de trouver dans le roman contemporain un personnage type qui ne soit pas seulement un “antihéros” mais qui devienne représentatif, exemplaire, cette impossibilité relève-t-elle de la “mort de l’Homme” ou bien de l’impouvoir, de la faillite du roman, qui a fait déchoir le personnage de son rang au profit de l’anonymat ou de l’interchangeabilité des hommes? Faut-il voir dans le roman postlittéraire le lieu d’une indifférenciation comme solution finale de l’humanisme? » (2010 : 45, souligné dans le texte)
• « La modernité a suscité des personnages paradigmatiques, dépourvus d’identité sociale ou psychologique, et qui rejoignent les types classiques dans la négativité d’un contrepoint où ils nous donnent les dernières nouvelles de l’« homme » : Bartelby, Joseph K., Meursault, Molloy et tous les narrateurs sans nom : l’homme du souterrain dostoïevskien, celui de Paludes, le Bavard de Des Forêts, ceux d’Henri Thomas, et qui n’ont rien à voir, dans leur exemplarité tragique (une exemplarité sans éclat, anonyme, vidant tout symbole de son prestige), avec les fantômes d’humanoïdes, les jeux de rôles et les clones peuplant les romans postlittéraires, dont la principale caractéristique est qu’ils sont inexistants – l’inexistence étant la condition sous-humaine du personnage lorsque la littérature se voue elle-même au nihilisme par l’innombrable et l’indifférencié. » (2010 : 63-64)