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Construction de la modernité au Québec

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Ginette Michaud et Élisabeth Nardout-Lafarge (dir.) Titre : Constructions de la modernité au Québec. Actes du colloque tenu à Montréal les 6, 7 et 8 novembre 2003 Lieu : Montréal Édition : Lanctôt Éditeur Année : 2004 Pages : 380 Cote BAnQ: 306.097140904 C7141c 2004

RÉSUMÉ

Ginette MICHAUD et Élisabeth NARDOUT-LAFARGE, « Introduction », p. 7-22.

L’introduction de l’ouvrage n’appelle pas une description très détaillée dans la mesure où l’essentiel du texte consiste en une présentation systématique de chacune des contributions, que je résumerai moi-même de façon plus détaillée. Les auteures situent d’emblée la réflexion à la base du colloque qui a donné lieu à leur ouvrage dans le prolongement de celle qu’on retrouvait dans le collectif L’Avènement de la modernité au Québec (paru en 1986, sous la direction de Yvan Lamonde et Esther Trépanier). Les auteures font aussi valoir qu’elles ont privilégié un croisement, un entrelacement entre des discours critiques divers : histoire, philosophie, histoire de l’art, littérature. Elles écrivent : « Les points de contact, les convergences, et les divergences entre ces différents discours sur la modernité sont d’ailleurs en eux-mêmes révélateurs de la labilité (d’abord conceptuelle, philosophique, épistémologique) extrême du concept. » (2004 : 9) La présentation de chacun des textes montre que ce n’est que dans la cinquième séance, intitulée « Modernité, postmodernité » (regroupant les contributions de Catherine Mavrikakis, Janet Paterson, et Frances Fortier et Francis Langevin), qu’il semble y avoir une différenciation entre les concepts de modernité et de postmodernité.

Enfin, la conclusion de l’introduction donne lieu à la formulation de trois points qui se dégagent de ces modernités plurielles dont l’ouvrage traite.

1/ D’abord : « [I]l semble que les différentes modernités explorées ici se développent moins selon le modèle européen de la rupture, que depuis cette ‘‘logique parasitaire’’ ni tout à fait extérieure ni tout à fait intérieure, mise au jour par Éric Méchoulan […]. » (2004 : 21)

2/ Ensuite : « [I]l s’avère également que la modernité s’est moins dressée contre la religion […] comme on l’a souvent affirmé, qu’elle ne s’est élaborée en relation intense avec elle, souvent de l’intérieur même de l’institution et même grâce à certains de ses animateurs, à partir d’un dialogue et d’une tension avec le religieux. Manifestement, cette tension est apparue comme l’un des points aveugles des travaux critiques sur la modernité dont nous disposons actuellement […]. » (2004 : 22)

3/ Enfin : « [P]ar rapport aux arts et à la littérature, qui selon lui [Georges Leroux] ouvrent le terrain, opèrent des passages, risquent des expériences et construisent ainsi, fût-ce pauvrement, une pensée moderne, la philosophie fait défaut et ne vient relayer ce projet que bien plus tard, peut-être trop tard. On comprend mieux ainsi pourquoi, dans ce processus, au Québec et de manière différente qu’ailleurs, une place a priori considérable, sinon exorbitante, ait été dévolue aux arts. » (2004 : 22)

Yvan LAMONDE, « ‘‘Être de son temps’’ : pourquoi, comment ? », p. 23-36.

Voir l'article complet: y._lamonde_2004_.pdf

Yvan Lamonde affirme d’entrée de jeu que son propos s’arrête moins sur l’existence de la modernité au Québec que sur l’existence d’un discours sur la modernité. Son article interroge donc la signification du contemporain et de la modernité dans l’histoire intellectuelle du Québec. L’auteur revient notamment sur le colloque qu’il avait organisé en 1985 (et qui a donné lieu au collectif dont parlaient les auteures en introduction) en soulignant que, depuis, d’autres champs de savoir se sont réclamés de la modernité. Il insiste également sur le fait que s’il est question de « constructions » de la modernité, c’est que celle-ci n’est jamais donnée comme un fait accompli, mais qu’elle se définit plutôt comme un parcours.

S’arrêtant sur la dimension philosophique des discours sur la modernité au Québec, Lamonde constate que jusqu’après 1945, cette notion est à peu près absente : alors que domine la philosophie catholique dans la société québécoise, le concept de modernité est freiné parce qu’il implique une plus grande liberté de l’individu, donc une minimisation de l’autorité divine (pour Lamonde, la modernité philosophique est associée à la pensée cartésienne). Cependant, à partir du milieu du XXe siècle, les domaines de savoir – notamment les sciences sociales et humaines – s’autonomisent, phénomène qui favorise la pensée de la modernité dans la mesure où cette autonomisation va de pair avec un affranchissement par rapport à la philosophie. Lamonde évoque notamment deux formes d’essais critiques ayant contribué à établir un discours critique sur la modernité au Québec : d’abord, la critique paraissant dans la presse périodique (par exemple le Nigog) et ensuite les textes qui critiquent, qui contestent la pensée, la culture de leur époque. À propos de cette seconde forme de critique, Lamonde écrit que les tenants du libéralisme doctrinal (Lamonde cite en exemple Arthur Buies, les signataires du Refus global, Jean-Charles Harvey, etc.) seraient, au Québec, les fondateurs du discours sur la modernité, un discours caractérisé par sa « non-confessionnalité » (2004 : 27) et par sa reconnaissance de la France contemporaine que les penseurs catholiques, au contraire, ignoraient.

Souhaitant faire l’histoire de la notion de contemporain au Québec et partant de l’idée que ce concept se bâtit toujours en relation (de continuité ou de rupture) avec une autre époque ou culture, Lamonde se questionne sur la conception qu’on en avait au Canada français, à l’époque où émerge notre littérature nationale. Citant un texte de Robertine Barry datant de 1902, Lamonde explique que, à cette époque, on se sent contemporain de la littérature française d’Ancien Régime. Alors que Barry regrette amèrement de ne pas pouvoir « suivre la marche du temps » (2004 : 29), Mgr Laflamme, quant à lui, ne croit pas qu’il soit nécessaire de s’associer à la France républicaine et anticléricale pour « être de son temps » (2004 : 30). Lamonde explique que la modernité a des implications identitaires et culturelles, car elle nécessite de se situer par rapport à un héritage.

S’intéressant ensuite au Refus global, Lamonde évoque son questionnement par rapport aux raisons qui sous-tendent le passage du figuratif au non-figuratif dans la peinture québécoise. Son hypothèse est celle-ci : c’est grâce à une prise de conscience de l’inconscient que se fait ce passage, et en 1948 cohabitent donc l’héritage de Descartes et celui de Freud : « Une certaine postmodernité se serait ou s’était logée au cœur de la modernité. » (2004 : 31) Il y a donc une différenciation de ces deux notions chez Lamonde, la modernité remontant selon lui à Descartes. Cependant, il s’agit de la seule occurrence dans l’article du terme postmodernité. Lamonde montre également, à propos du mouvement automatiste, quel « besoin primal de l’actuel » (2004 : 31) y était lié. Cependant, l’auteur cite un extrait d’une lettre de P.-É. Borduas, où celui-ci évoque un passé qui le trouble encore, montrant par là comment « [l]’exigence du contemporain est un mythe de Sisyphe et la modernité est un harnachement du temps, conscient et inconscient. » (2004 : 33)

Puisque le terme de modernité est applicable à différents savoirs et pratiques, Lamonde rappelle que le colloque de 1985 avait cherché à déterminer quel pourrait être l’élément commun qui caractériserait la modernité au sein de ces différents domaines. La conclusion à laquelle ils en étaient venus à cette époque était que la modernité – dans les arts de la création, du moins – résidait dans « l’affirmation de la liberté des sujets ou thèmes abordés et l’affirmation conséquente de la liberté des formes ou des esthétiques susceptibles d’exprimer ces ‘‘butins’’ nouveaux. » (2004 : 33) Selon Lamonde, c’est également de cette affirmation du sujet que relève la modernité philosophique. Lamonde s’intéresse également aux modernités politique et économique, et affirme qu’il devrait être possible de « faire les distinctions qui s’imposent pour comprendre ces modernités ‘‘d’un deuxième type’’ », sans quoi la réflexion « est hypothéquée par les limites de ses moyens conceptuels. » (2004 : 34)

Enfin, Lamonde évoque le fait que la modernité est toujours en relation de rupture ou de filiation – mais dans les exemples qu’il a convoqués dans son article, il semble s’agir, au Québec, plus souvent de ruptures véhémentes – avec le passé. Selon l’auteur, le poids de l’histoire au Québec est tel que la recherche d’une modernité se fait toujours dans une quête de libération par rapport au passé. Il s’interroge : « Faut-il aller jusqu’à dire que la modernité est, ici plus qu’ailleurs, interminable ? » (2004 : 35)

En conclusion, Lamonde explique comment le fait de voir la « ‘‘pulsion’’ du contemporain » (2004 : 35) chez des gens du passé pousse à se questionner sur sa propre relation au contemporain. Les raisons pour lesquelles nous le faisons sont-elles les mêmes ? « De qui et de quoi voulons-nous être contemporains ? Tenons-nous aussi à ‘‘suivre la marche du temps’’ […] ? » L’auteur réactive ainsi les questions qui sous-tendaient l’analyse menée dans son article, afin de montrer comment elles ont également une pertinence par rapport à notre propre époque. Son article s’achève sur une mise en relation de la définition du contemporain à l’époque du colloque de 1985 et celle qui prévaut deux décennies plus tard : il constate que le contemporain a changé d’objet pendant cette période, puisque les deux grands événements de référence du contemporain qu’étaient le Refus global et la Révolution tranquille ont basculé dans le temps et sont désormais traités comme des événements du passé.

RÉCITS, MYTHES, LIEUX COMMUNS DE LA MODERNITÉ

Esther TRÉPANIER, « La modernité : entité métaphysique ou processus historique ? Réflexion sur quelques aspects d’un parcours méthodologique », p. 39-52.

Esther Trépanier, historienne de l’art et sociologue, revient sur son propre parcours intellectuel afin de rendre compte de certains aspects de la transformation de la réflexion sur l’avènement de la modernité en art au Québec. La première partie de son article est consacré à des considérations épistémologiques : Trépanier explique quelles théories ont marqué sa pensée sur la modernité, distinguant notamment le concept de modernité et celui de modernisme. Alors que modernité est davantage liée à l’art français de la seconde moitié du XIXe siècle et inspirée par le discours critique baudelairien, le modernisme est attaché à la définition anglaise de modernism, qui désigne n’importe quelle manifestation d’un art autre qu’académique. Trépanier ajoute à ces distinctions des considérations touchant le formalisme et l’abstraction.

Par rapport à l’avènement de la modernité en arts au Québec, Trépanier rappelle que, jusque dans les années 1960, on prenait pour acquis que c’était avec l’automatisme et le Refus global que surgissait la modernité. Elle explique en outre que, malgré que bien des artistes ne se reconnaissaient pas dans l’esthétique prônée par les automatistes, la vision de la modernité qui y était développée faisait davantage consensus. C’est ainsi que le Refus global est venu « incarner pour tous l’avènement de la modernité. » (2004 : 44) Or, dans les années 1970, des travaux s’appuyant sur des recherches plus rigoureuses ont montré que l’art avant l’automatisme ne relevait pas uniquement du régionalisme, comme on le pensait généralement, et que certains artistes pouvaient se réclamer d’un certain modernisme. Selon Trépanier, ces découvertes ont confirmé l’idée qu’elle entretenait déjà et d’après laquelle la modernité avait été le fruit d’un processus historique, et n’avait pas été générée spontanément. Ainsi, c’est pendant la période de l’entre-deux-guerres que s’est enclenché le processus de modernisation en art au Québec. Cependant, Trépanier montre pourquoi cette première modernisation a été laissée de côté par l’histoire de l’art pendant aussi longtemps : d’abord, parce qu’aucune figure de proue n’est venue – comme, par exemple, Borduas pour les automatistes – incarner personnellement ce renouvellement artistique (Trépanier fait aussi remarquer que ces artistes étaient dans une bonne proportion des anglophones, et qu’ils étaient généralement plus montréalais que québécois). De cette manière, cette modernisation n’était pas propice à une mythification. De plus, l’auteure fait valoir que « cette modernité n’est pas celle d’une avant-garde se lançant violemment à l’assaut de la tradition » (2004 : 51) et que c’est plutôt dans une lente avancée contre le conservatisme qu’elle s’est développée, liée également aux divers processus de transformations sociales et politiques.

Jocelyn LÉTOURNEAU, « Penseurs, passeurs de la modernité dans le Québec des années cinquante et soixante », p. 53-64.

Létourneau pose comme postulat à son travail – qui a une approche surtout historique et politique – que la modernité est arrivée au Québec en même temps que les premiers explorateurs européens, au XVIe siècle. Il soutient en effet que c’est parce qu’ils avaient déjà une pensée moderne que ces explorateurs ont pu s’aventurer au Nouveau Monde. Selon Létourneau, ce ne serait donc pas la Révolution tranquille qui marquerait l’avènement de la modernité au Québec : elle serait plutôt une réorientation profonde de la modernité (Létourneau affirme qu’on serait aujourd’hui dans une « hypermodernité »). L’auteur indique toutefois à quel point les Québécois sont rébarbatifs à une telle vision de la modernité, qui minimise le rôle de la Révolution tranquille, mythe collectif de l’émancipation du peuple québécois. Ainsi, au Québec on opposerait modernité à traditionalité, la première se définissant comme ce qui va dans le sens du temps et la seconde comme ce qui va à rebours du temps. La modernité, au Québec, se caractérise donc par cette incompatibilité totale entre la modernité et la tradition.

Létourneau analyse ensuite la pensée de la modernité chez trois penseurs québécois : Pierre Elliot Trudeau, Pierre Vallières et Fernand Dumont. Il explique comment Trudeau, dès la fin des années 1940, aspirait pour les Canadiens français à une modernisation allant de pair avec un affranchissement par rapport à leur tradition et avec un enrichissement collectif. Létourneau écrit : « Trudeau voulait à tout prix moderniser les Québécois, mais dans les sens espéré par lui d’une espèce d’universalisation de leur condition dans l’idéal de la canadienneté, une figure identitaire à l’égard de laquelle les conviés sont toujours restés distants. » (2004 : 60) Vallières voyait également dans la modernisation la nécessité pour le peuple québécois de se désaliéner, de se décoloniser. Cependant, il ne partageait pas l’idéal universel de Trudeau, croyant plutôt que l’émancipation des Québécois devait se faire depuis et en fonction de leur lieu. En somme, Vallières offre à ses compatriotes « la dignité et l’humilité de l’Homme libéré. » (2004 : 61) Enfin, selon Létourneau, la pensée de Fernand Dumont, dans un perpétuel questionnement, est à mi-chemin entre celle de Trudeau et de Vallières : « Si Dumont partageait les préoccupations universelles de Trudeau, la poursuite d’une universalité sans bord et sans limite, sorte de lieu désincarné, était pour lui une chimère. […] Si, à l’instar de Vallières, Dumont rejetait l’opulence comme finalité pour les siens, la radicalité ne pouvait être à ses yeux une arme acceptable pour fomenter le changement ou stopper des dérives. » (2004 : 64)

Robert SCHWARTZWALD, « Un apport singulier à l’avènement de la modernité au Québec. Hommage au père Marie-Alain Couturier, O.P. à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa mort », p. 65-86.

L’article de Schwartzwald est consacré à Marie-Alain Couturier, un père dominicain français qu’une erreur a conduit à Montréal alors qu’il devait se rendre à New York, en 1940. La reddition de la France le pousse à rester en Amérique pendant plusieurs années. Passionné par l’art moderne, il fréquente à Montréal l’École du Meuble, où il rencontre plusieurs des futurs signataires du Refus global, dont Borduas et Claude Gauvreau, sur qui il exerce une influence importante. Par son article, Schwartzwald entend restituer à Couturier la place qui lui échoit dans l’avènement de la modernité en arts au Québec, puisqu’on a longtemps passé sous silence l’apport du père dominicain. Ainsi, l’auteur contribue à remettre en question l’émergence ex nihilo de la modernité au Québec au début des années 1960. Il écrit qu’aujourd’hui, dans la réflexion sur la modernité, « l’accent porte sur la continuité plutôt que sur la rupture […]. Dans de nombreuses études récentes, la reconnaissance de cette spécificité [de la formation sociale québécoise] se traduit par un processus de réhabilitation du rôle historique du catholicisme qui aurait établi les paramètres d’une réforme sociale en la promulgant et, en réalité, aurait ouvert la voie qui mènerait le Québec à la modernité. » (2004 : 72)

Le reste de l’article de Schwartzwald est consacré à l’analyse du rapport que Couturier a entretenu avec différents courants de pensée dans la France de Vichy. Il étudie également la vision – celle du clergé, notamment – qui prévaut au Québec à cette époque sur le régime de Pétain.

FIGURES, EMBLÈMES, ICÔNES DE LA MODERNITÉ

Gilles LAPOINTE, « Refus global au seuil de l’âge classique : autour de quelques lectures contemporaines du manifeste », p. 89-105.

Le texte de Gilles Lapointe étudie le Refus global en tant que classique de la culture québécoise, c’est-à-dire qu’il en étudie quelques lectures récentes afin de montrer notamment comment le texte est constamment convoqué. Il montre d’abord que, jusqu’à la fin des années 1970, la modernité artistique québécoise se définissait selon les critères établis dans le manifeste de Borduas. Lapointe cite notamment un article de François Charron, qui schématise ces critères : « non-représentation, non-figuration, éclatement du langage linéaire et des images spéculaires. » (2004 : 91) Se référant également à André Beaudet, qui dans un texte tente d’entrer en dialogue avec le Refus global, Lapointe note que chacun de ces auteurs s’opposent à ce qu’on en fasse une lecture strictement nationaliste. Lapointe remarque également que les artistes, à partir du début des années 1980, prennent leurs distances par rapport aux discours de libération associés à la modernité, et qu’on entre à partir de cette époque dans l’ère de la postmodernité. Cependant, celle-ci maintient la redéfinition constante des codes d’opposition et de marginalité qui caractérisent la modernité. Dans ce contexte, affirme Lapointe, le Refus global semble voué à l’usure du temps. Vers la fin de la décennie 1980, certains points de vue plus littéraires et immanents sur le manifeste émergent. On y étudie alors l’influence de Lautréamont, de Sade, ainsi que du sermon religieux (on souligne d’ailleurs la contradiction entre l’anticléricalisme clamé par Borduas dans son manifeste et le caractère religieux de ses œuvres.) En somme, l’article de Lapointe montre comment, au Québec, on se réfère constamment au Refus global, notamment pour chercher à définir sa propre époque par rapport à ce texte, et que cette icône de la culture québécoise subit sans cesse des interprétations divergentes, ce qui en fait un classique.

Frédérique BERNIER, « Figures d’une absence. Poétique de l’icône chez Saint-Denys-Garneau », p. 106-120.

Le texte de Frédérique Bernier n’est pas très pertinent dans le cadre de cette fiche de lecture, puisqu’il s’applique à analyser spécifiquement l’œuvre de Saint-Denys-Garneau. Il s’agit d’une analyse de la question du religieux chez Saint-Denys-Garneau et de la manière dont ce caractère religieux de l’œuvre s’oppose à une certaine vision de la modernité. Ainsi, Bernier note comment on a de la difficulté, au Québec, à penser ensemble le religieux et le moderne, alors que dans le reste du monde une telle incompatibilité n’est pas si évidente. Bernier convoque également Michel Biron pour évoquer la modernité liminaire liée à une œuvre close et suffisante en elle-même comme l’est celle de Saint-Denys-Garneau (2004 : 115). Je recopie enfin cette phrase, relative à la modernité de Garneau : « Cette éthique proprement religieuse qui refuse à l’art sa prétention à occuper tout l’espace de l’absolu, du sacré, obligera en effet le poète à frayer dans les poèmes posthumes une voie qui, poussant la modernité d’un cran, anticipe sur une modernité de l’insuffisance qui nous est sans doute beaucoup plus contemporaine que celle de l’autonomie et de la suffisance. » (2004 : 115)

Francine COUTURE, « Lumière et mouvement dans la couleur de Jean-Paul Mousseau : la fabrication d’une icône d’entreprise », p. 116-132.

Le texte de Francine Couture n’est pas très pertinent pour nous. Je le résume donc grossièrement : l’auteure se penche sur une œuvre créée par l’artiste Jean-Paul Mousseau pour Hydro-Québec en 1962. Couture montre comment cette œuvre est devenue une icône pour la société d’État sans le truchement de la critique artistique, dans la mesure où l’artiste et Hydro-Québec ont eux-mêmes programmé la réception de l’œuvre.

Karim LAROSE, « Unilinguisme de l’un, monolinguisme de l’autre : langue et modernité au Québec », p. 133-149.

Le texte de Larose n’est pas très pertinent pour nous, alors je résume grossièrement son propos : Larose étudie la différence conceptuelle entre unilinguisme et monolinguisme. Il explique notamment comment le terme unilinguisme a été d’abord créé au Québec à la fin des années 1950 pour désigner l’unilinguisme anglophone et que le concept d’unilinguisme francophone a ensuite émergé comme réaction, comme réplique à cet unilinguisme. Bref, l’unilinguisme québécois des années 1960 était un refus du bilinguisme. Le concept de monolinguisme est associé à Jacques Derrida et évoque l’impossible appropriation de la langue ainsi que l’impossible unité de la langue d’un sujet. Selon Derrida, par l’écriture, la langue éclate à l’infini. Larose montre donc comment une mince nuance sémantique entre ces deux préfixes implique une grande différence au niveau de la signification de ces concepts : alors que l’unilinguisme renvoie à la société et à la politique, le monolinguisme derridien évoque au contraire l’intime, le singulier.

MODERNITÉ ET POLITIQUE

Ginette MICHAUD, « À propos du ‘‘sacro-saint modèle québécois’’ : du politique à l’œuvre, ou la souveraineté impensée », p. 153-175.

Le propos du texte de Michaud n’est pas très pertinent dans le cadre de cette fiche de lecture. De plus, ce texte se présente comme un essai et, à ce titre, l’auteure use d’un style quelque peu obtus. S’inspirant de Derrida, Michaud étudie le concept de souveraineté à l’œuvre dans la culture québécoise.

Éric MÉCHOULAN, « La construction de la modernité historiographique au Québec : Les Normes de Maurice Séguin », p. 176-204.

Le texte de Méchoulan, comme l’indique son titre, n’est pas très pertinent dans le cadre de cette fiche de lecture.

Michel BIRON, « L’héritage du père Chapdelaine », p. 205-219.

Le texte de Michel Biron porte sur la tentation, éprouvée par plusieurs personnages de la littérature québécoise, de tout abandonner pour recommencer sa vie dans un lieu désert, inconnu. Les principaux exemples convoqués par Biron sont Samuel Chapdelaine, le père de l’héroïne de Maria Chapdelaine, Alexandre Chenevert, ainsi que le peintre Pierre de la Montagne sacrée, de Gabrielle Roy. Selon Biron cette tendance se perpétue également dans la littérature contemporaine : « Toute une série de personnages subissent, dans le roman québécois contemporain, une tentation similaire : ils se rencontrent, entre autres, dans les romans de Jacques Poulin, Louis Hamelin, Gaétan Soucy, Suzanne Jacob, Christiane Frenette, Monique LaRue. Inutile de dire qu’aucun de ces romans n’entre dans la catégorie des romans régionalistes. » (2004 : 213)

Biron explique comment la fuite du père Chapdelaine, qui part défricher une nouvelle terre plus au nord à chaque cinq ans, ainsi que la fuite des autres personnages de déserteurs, n’a pas été récupérée par la Révolution tranquille puisqu’une telle libération individuelle se fait en quelque sorte contre la société, pour échapper à la société. Biron souligne également que l’étrangeté du père Chapdelaine correspond à celle d’Hémon, puisque tous deux se sentent coupables de leur fuite : « On touche ici à une des valeurs centrales de la modernité, qui est l’autonomie de l’écrivain par rapport à des obligations d’ordre religieux, politique ou économique. » Toutefois, l’écrivain ne va pas jusqu’à confronter directement la société et ses institutions : tout comme le père Chapdelaine, il se retire. « C’est cette absence de conflit qui caractérise la modernité au Québec : l’individu, qu’il soit défricheur comme Samuel Chapdelaine ou écrivain révolutionnaire comme Hubert Aquin, [s’oppose] à la société non pas par l’épreuve du combat, mais par la violence du détachement. » (2004 : 218) Je cite la conclusion que Biron apporte à son étude : « À bien y penser, c’est peut-être la modernité québécoise tout entière qui a quelque chose de non-romanesque : le personnage y est presque toujours un déserteur, il tourne le dos à la société au lieu de jouer les intrus. Pas d’autonomie suffisante parmi les siens : à l’enracinement dans le ‘‘nous’’ communautaire il substitue un enracinement plus mystérieux, plus archaïque et plus poétique que romanesque. Il va là où la société n’est pas, là où le conflit n’est pas. Pas de voisins, pas de groupe à l’horizon. Sa solitude chronique est son seul héritage. » (2004 : 219)

Brigitte FAIVRE-DUBOZ, « Révolution. Retour critique sur un paradigme aquinien », p. 220-232.

Ce texte n’est pas vraiment pertinent. Faivre-Duboz y va d’une analyse de la conception aquinienne de la Révolution, à partir de trois éléments : la tragédie, l’Ulysse de Joyce et les Rébellions de 1837-1838. Il n’y a pas vraiment de réflexion plus large sur la modernité au Québec.

DISCOURS CRITIQUES : GLISSEMENTS, DÉRAPAGES, REFUS

Jean-Pierre BERTRAND, « ‘‘Macaques flamboyants’’ et ‘‘Jeunes Barbares’’ », p. 235-244.

Le texte de Jean-Pierre Bertrand n’est pas très pertinent. J’en résume les grandes lignes : Bertrand confronte deux textes fustigeant la modernité parus dans les années 1890, l’un au Canada et l’autre en Belgique. Le texte de Bertrand montre surtout comment, à cette époque, la langue est vue comme le garant de l’identité nationale au Canada et, par conséquent, l’institution littéraire incite les jeunes auteurs à se référer aux classiques français plutôt qu’à leurs contemporains décadentistes (alors qu’en Belgique, le modèle français est tout simplement rejeté car on croit que son influence risque d’empêcher le développement d’une littérature nationale). En somme, on craint au Canada que le pays ne rate son devenir historique à cause d’une littérature déficiente.

Martine-Emmanuelle LAPOINTE, « Le motif des deux solitudes », p. 245-264.

Le texte de Lapointe ne touche pas des questions très pertinentes. L’auteure se penche d’abord sur certains travaux de littérature comparée traitant de la littérature francophone et anglophone au Québec, faisant ainsi valoir les nuances importantes qui caractérisent les différentes visions de ces deux littératures jumelles, mais aussi le caractère crucial qu’on leur attribue dans la formation de l’identité nationale. La seconde partie de l’article de Lapointe s’arrête sur la perception que les anglophones et les francophones ont de la littérature anglo-québécoise contemporaine. Il n’est cependant pas réellement question ici du concept de modernité.

Robert DION, « Essai littéraire et référence allemande : modernité(s) de Belleau, Ouellette et Larose », p. 265-284.

Le texte de Dion s’intéresse à la convocation d’écrivains et de penseurs allemands au Québec, principalement entre 1960 et 1980. Par son travail, Dion se propose d’ouvrir la réflexion sur la modernité au Québec à un autre récit de la modernité que celui, omniprésent, de la Révolution tranquille. Il s’intéresse notamment à la référence allemande chez trois auteurs associés à la revue Liberté : André Belleau, pour qui l’Allemagne constitue un lointain et une profondeur, et qui se réfère constamment à des intellectuels allemands dans son discours sur la modernité ; Fernand Ouellette, qui a beaucoup réfléchi sur le Romantisme allemand et qui s’est associé intimement au poète Novalis ; enfin, Jean Larose, qui a adopté la conception de la modernité qui s’est développée à Iéna à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, et qu’il distingue de modernisation, qui correspond pour lui à l’américanisation. En somme, la référence allemande que Dion analyse chez ces trois auteurs, c’est surtout celle du Romantisme, tant littéraire que philosophique. L’auteur conclut en soulignant que les contradictions culturelles et nationales qui marquent l’Allemagne romantique incitent une réaction philosophique, et c’est précisément cette réaction qui, selon Larose, éclaire la situation du Québec. L’auteur montre également que, pour Belleau et Ouellette, la référence au Romantisme allemand « coïncide avec le projet plus global de réaffirmer le droit de la littérature à lire le monde » (2004 : 284).

Élisabeth NARDOUT-LAFARGE, « La valeur ‘‘modernité’’ en littérature québécoise : notes pour un bilan critique », p. 285-301.

Article complet: e.nardout-lafarge_2004_.pdf

Nardout-Lafarge souligne d’entrée de jeu que la modernité a été pour les textes littéraires québécois à partir de la Révolution tranquille un critère de légitimité et une garantie de légitimité, jusqu’à ce que survienne dans les années 1980 le concept de postmodernité. L’auteure cite un texte de François Ricard, qui écrivait en 1988 que la littérature québécoise, à partir des années 1980, cesse d’être « à la fois petite, unifiée, et moderne » (2004 : 285). L’évocation de cette fin de la modernité littéraire québécoise pousse l’auteure à s’interroger sur l’utilisation du concept de modernité dans la critique au Québec entre 1977 et 2001. Nardout-Lafarge souligne d’abord que le concept de modernité n’a jamais été tout à fait défini, car la théorie littéraire est peu pratiquée au Québec, où on lui préfère largement la forme plus libre de l’essai. De même, la postmodernité québécoise est un concept moins évident qu’il ne semble, car, malgré un certain consensus par rapport à ses traits esthétiques, une incertitude persiste dans sa définition car elle renvoie soit à l’incertaine modernité québécoise, soit à des visions européennes ou américaines du concept.

Nardout-Lafarge s’arrête ensuite sur les rapports entre la modernité et la Révolution tranquille. Elle note l’évolution qui s’est produite depuis la parution de l’ouvrage de Lamonde et Trépanier, soulignant qu’on est passé d’une modernité singulière à des modernités plurielles, concurrentes. Elle évoque aussi le fait que depuis les années 1980, la tradition contre laquelle s’érigeait la modernité a perdu sa force de repoussoir et qu’on entreprend maintenant de réévaluer cette tradition, en cherchant des traces de modernité avant les années 1960. Cette réévaluation met en évidence, selon l’auteure, le fait qu’on néglige fréquemment de faire la distinction entre les différentes sphères de la modernité au Québec et qu’on lie donc modernité, Révolution tranquille, années 1960 et néo-nationalisme. De la même manière, on confond modernité et modernisation, puisqu’on estime que ces deux phénomènes adviennent à la même époque. Ainsi, malgré quelques travaux qui vont à contre-courant, notre perception de la modernité apparaît beaucoup plus positive et optimiste qu’elle ne l’est en Europe.

L’auteure fait remarquer que si, historiquement, la décennie 1960 n’a peut-être pas eu l’impact qu’on voulait lui attribuer, il n’en demeure pas moins que, en littérature, la production de cette décennie est si importante que c’est par rapport à elle qu’on évalue les œuvres produites avant et après. Nardout-Lafarge estime que « [d]eux tendances marquées apparaissent dans l’attribution de la valeur ‘‘modernité’’ à des textes ou à des phénomènes littéraires ». La première consiste à débusquer une modernité qui s’ignorait, et la seconde repose dans l’analyse de textes qui se sont bruyamment autoproclamés modernes. Cependant, entre ce « pas assez » et ce « trop » moderne, Nardout-Lafarge pense que la question de la modernité, pendant la décennie 1960, cesse de se poser tant elle est considérée comme une évidence. Toutefois, l’attribution de la modernité à cette période pose certains problèmes, notamment celui-ci, formulé par Annette Hayward : une littérature liée à une revendication identitaire peut-elle être considérée moderne – dans la mesure où le néo-nationalisme ne peut pas être perçu comme un engagement moderne ? Pour André Lamontagne, au contraire, il ne fait pas de doute que la modernité soit associée à la lutte pour la souveraineté, mais pour lui le problème repose dans le fait que la poursuite de cette lutte empêche le dépassement postmoderne. Cependant, Nardout-Lafarge souligne qu’on commence de plus en plus à questionner l’importance du thème national dans la littérature de la Révolution tranquille et qu’on en vient à se demander si « cette soumission de la littérature à l’idéologie néo-nationaliste constitue davantage un effet de lecture, dû à la force d’un paradigme d’interprétation bientôt figé en orthodoxie critique, qu’une caractéristique des textes eux-mêmes. » (2004 : 294-295)

Nardout-Lafarge montre ensuite que, malgré l’évidente modernité de la décennie 1960, la modernité n’y est pas pour autant homogène et que des luttes s’y jouent pour « le monopole de la modernité authentique » (2004 : 295). Elle examine ainsi l’attitude ambivalente de la revue d’avant-garde La Barre du jour à l’égard de Réjean Ducharme et de Marie-Claire Blais. Ducharme y apparaît d’abord comme le porte-étendard de la modernité puisque ses textes résistent à une lecture nationaliste (ce qui n’est pas, par exemple, le cas de ceux d’Hubert Aquin). Ducharme s’inscrit alors parfaitement dans la fonction qu’on attribue à la modernité et qui est de permettre le rattrapage social et culturel qui permet au Québec de se situer dans une contemporanéité étrangère, en l’occurrence française. L’auteure traite également du rapport à la tradition entretenu par la modernité des années 1960. Elle souligne par exemple que, malgré que La Barre du jour loue sans cesse le caractère innovateur de l’œuvre de Ducharme, on ne précise jamais à quelle tradition cette œuvre s’oppose. Selon l’auteure, parmi les critiques, Gilles Marcotte est le premier à remettre en cause l’opposition modernité/tradition et ouvre la voie à une pensée de la liminarité qui prenne en compte un fond d’archaïsme. Bien que ce rapport au passé soit peut remarqué par la critique, il « n’échappe pas aux tenants de la ‘‘Nouvelle Écriture’’ » (2004 : 297) de La Barre du jour et à partir des années 1970, Ducharme et Blais ne sont plus considérés comme authentiquement modernes, au nom d’un refus de faire survivre le passé. Cette avant-garde prône désormais une littérature tournée vers le changement social, et non plus strictement littéraire : « Ainsi, écrit Nardout-Lafarge, au-delà des ruptures formelles qu’elle pratique, l’avant-garde défend ici une modernité où des œuvres phares conduisent à la liberté, étroitement solidaire de la modernisation de la Révolution tranquille tendue vers le progrès. » (2004 : 298) La postmodernité, considérée comme porteuse de négativité, est également rejetée par l’avant-garde.

En conclusion, Nardout-Lafarge réitère combien la modernité au Québec apparaît comme une valeur, comme une attestation de légitimité. « [I]l ressort que ‘‘moderne’’ signifie d’abord actuel, contemporain de la lecture en train de se faire […] ; est moderne également ce qui est lisible à l’étranger et, en tout premier lieu, en France ; est perçu comme moderne, enfin, ce qui n’entretient pas de liens avec l’ancien, donc ce qui est laïque ou même anti-religieux, novateur voire iconoclaste, au sens d’ostensiblement marqué comme différent d’une littérature antérieure, dite traditionnelle, qui sert de repoussoir. » (2004 : 299) Nardout-Lafarge insiste enfin sur le caractère optimiste, positif, de la modernité au Québec.

MODERNITÉ, POSTMODERNITÉ

Catherine MAVRIKAKIS, « ‘‘Qu’on en finisse donc…’’ : l’inscription du posthume, de la survivance et du prénatal modernes », p. 205-318.

Le texte de Catherine Mavrikakis prend davantage la forme d’un essai que d’un exposé savant et, par conséquent, il apparaît difficile d’en rendre compte. Il y est question de la modernité comme deuil, comme fatigue, comme épuisement, comme piétinement du temps. Mavrikakis parle de la sensation d’un devenir moderne sous le signe de l’épuisement du sujet et de l’histoire. Elle évoque également le fait que le travail de monumentalisation de l’histoire qui caractérise la modernité se répercute également sur notre vision de l’avenir, qui apparaît ainsi déterminé par le passé. Par le recours à Hubert Aquin, l’auteure montre comment cette logique de répétition historique pèse sur la conscience du sujet. Ainsi, la modernité apparaît comme une forme de colonisation, d’auto-domination et de domestication du sujet. Ce faisant, l’auteure propose une vision de la modernité qui va à contre-courant de celle qui est développée dans presque tout l’ouvrage, d’où il ressort que la modernité est véritablement perçue au Québec comme une valeur positive (notamment parce qu’elle est généralement confondue avec la modernisation).

Janet M. PATERSON, « Le postmodernisme et la ‘‘pensée migrante’’ au Québec », p. 319-331.

Article complet: j.m.paterson_2004_.pdf

Paterson débute son texte en évoquant la difficulté de parler de postmodernité dans un colloque consacré à la modernité puisque celle-ci n’est pas circonscrite dans un temps défini. Paterson se propose néanmoins d’interroger la relation du postmodernisme à la pensée migrante au Québec.

La première partie du texte de Paterson est particulièrement intéressante. L’auteure y analyse la notion même de postmodernisme, dont elle souhaite d’abord dégager si elle « continue à structurer une démarche cognitive et analytique dans les pratiques critiques au Québec et ailleurs. » (2004 : 320) Afin de déterminer l’impact de cette notion, Paterson recourt à une compilation des études parues sur le postmodernisme, qui permet de faire ressortir l’immense intérêt que ce concept suscite particulièrement depuis 1990. Paterson évoque ensuite diverses définitions du postmodernisme : celle de Lyotard (incrédulité à l’égard des métarécits, crise de légitimation des grands discours philosophiques, savoir hétérogène lié à une légitimation fondée sur la reconnaissance des jeux de langage), celle de Scarpetta (impureté des formes et des contenus, et manifestations d’art et de pensée hybrides), celle qui prévaut dans la littérature québécoise (dynamisme créateur, innovations formelles, interrogations multiples et remises en question fondamentales). Paterson mentionne quelques auteurs qui ont écrit des ouvrages postmodernes : Aquin, Bessette, Brossard, Godbout, Ouellette-Michalska et Villemaire. Paterson affirme enfin que la force du postmodernisme, qui se retrouve dans plusieurs disciplines, correspond moins à ses caractéristiques formelles qu’à « son énorme capacité de stimuler une réflexion théorique, de multiplier les voies interprétatives et surtout de décloisonner les discours. » (2004 : 322-323)

Sur la pensée migrante, Paterson insiste sur le fait que celle-ci favorise une réflexion théorique, critique et artistique sur les concepts d’identité, d’altérité et d’hybridité. L’auteure souligne que cette pensée est proche de celle du postcolonialisme, mais qu’elle se déploie selon des cadres et des conceptualisations qui lui sont propres. Cette pensée migrante, affirme Paterson, s’érige en relation avec le postmodernisme puisque tous deux valorisent la différence et le refus des systèmes hégémoniques. En outre, les métarécits que, selon Lyotard, le postmodernisme s’emploie à rejeter se trouvent remplacés dans la pensée migrante par les paradigmes identitaires du nous et de l’autre. Les principaux exemples convoqués par Paterson sont La Québécoite de Régine Robin et Le Pavillon des miroirs de Sergio Kokis. Selon Paterson, on retrouve dans ces textes – ainsi que dans la production littéraire qui ressortit à la pensée migrante – un exemple éloquent de l’état de l’être postmoderne : l’entre-deux perpétuel où se trouve le sujet migrant (entre-deux tant spatio-temporel qu’identitaire) illustre l’inadéquation entre soi et le monde qui caractérise la condition du sujet postmoderne.

Frances FORTIER et Francis LANGEVIN, « De la modernité à la postmodernité ? Le trajet de Nicole Brossard ou l’expérience du lieu commun », p. 332-349.

Article complet: fortier_et_langevin_2004_.pdf

Le texte de Fortier et Langevin vise à observer le passage de la modernité à la postmodernité à travers trois moments dans l’œuvre de Nicole Brossard. Les auteurs posent en outre l’hypothèse que Brossard subit l’influence du paradigme interprétatif de sa propre œuvre. Le premier texte à l’étude, Un livre, paru en 1970, raconte l’histoire de sa propre genèse ; il marque moins l’émergence d’une modernité que l’appropriation des codes de la modernité. Bien que ce concept reste essentiellement imprécis et hétérogène, c’est d’une certaine modernité que s’inspire Brossard. Le Désert mauve, publié en 1987 et présenté comme le premier roman postmoderne québécois, introduit le féminisme comme piste interprétative. Les auteurs expliquent : « La réorganisation épistémique engagée par les théories de l’énonciation, en réintroduisant la subjectivité au cœur du langage, redessine autrement le clivage, à première vue irréconciliable, entre la modernité et le féminisme. » (2004 : 338) À travers le jeu qu’on retrouve dans le texte entre référentialité et fiction, les auteurs perçoivent la tension entre le moderne et le postmoderne : alors que le modernisme se caractérise par le refus de l’illusion référentielle, le postmodernisme revendique les procédés de l’illusion et cherche à pousser l’illusion à un paroxysme de manière à ce que ce soit la réalité qui apparaisse comme une illusion. Évoquant une analyse de la question de la traduction fictive dans Le Désert mauve par Robert Dion, les auteurs notent que Dion inscrit Brossard parmi une série d’auteurs postmodernes : Jacques Brault, Monique LaRue, Normand Chaurette, Victor-Lévy Beaulieu, Gérard Bessette et Rober Racine (2004 : 342). Enfin, Hier (2001) joue également sur la frontière entre la référentialité et la fiction. L’espace-temps y est traité de manière postmoderne, par l’abolition de toute distance qu’on y trouve. Empruntant ce concept à Marc Augé, les auteurs qualifient Hier d’œuvre « surmoderne », se déroulant dans des « non-lieux ». Les auteurs citent Augé explicitant sa vision des non-lieux : « Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. L’hypothèse ici défendue est que la surmodernité est productrice de non-lieux, c’est-à-dire d’espaces qui ne sont pas eux-mêmes des lieux anthropologiques et qui, contrairement à la modernité baudelairienne, n’intègrent pas les lieux anciens […]. » (2004 : 347) Enfin, Fortier et Langevin résument le parcours de Nicole Brossard, dont ils rappellent que la pratique est en dialogue avec les discours qui l’interprètent : d’abord moderne par la revendication d’un identitaire collectif ; ensuite postmoderne, par sa facture autoréférentielle et par son appel à la participation du lecteur ; enfin surmoderne, par sa prédilection pour les non-lieux.

Georges LEROUX, « De la résistance au consentement. La philosophie au Québec et les enjeux de la modernité », p. 351-374.

Le texte de Georges Leroux traite de l’absence de la philosophie dans le développement de la modernité au Québec. Je passe rapidement sur ce qui s’attache plus spécifiquement la philosophie et je résume brièvement ce qui concerne les arts et la littérature. L’auteur souligne d’abord que la modernité est liée de manière privilégiée à la littérature et aux arts puisque ce sont d’abord des artistes et des écrivains – Leroux évoque Borduas et Aquin comme les principales icônes de la modernité au Québec – qui s’en sont réclamés. Leroux explique que l’espace herméneutique où aurait dû être réfléchie la modernité de l’art et de la littérature est la philosophie, mais qu’au moment fondateur de la modernité au Québec, la philosophie était tout sauf moderne : l’auteur explique que, au contraire, la philosophie au Québec est la discipline de l’autorité. Leroux évoque par exemple la réception philosophique du Refus global : au lieu de réfléchir sur la revendication de liberté qui y est formulée par Borduas et de rationnaliser le propos du manifeste, le discours philosophique, lorsqu’il a commencé à s’y intéresser, n’a retenu que l’aspect esthétique. Leroux explique également que le fait que la philosophie n’ait pas été liée à la modernité artistique a fait en sorte qu’elle a finalement effectué le rattrapage en sautant par-dessus l’essentiel moment de révolte pour simplement s’attacher aux discours contemporains européens et américains. Selon Leroux, les principaux penseurs qui ont tenté de réfléchir la modernité du Québec (Fernand Dumont, Charles Taylor et Jacques Lavigne) se sont heurtés à une réception inexistante ou négative. L’auteur évoque également le fait que même si la pensée marxiste a eu une influence importante au Québec, agissant comme point de convergence entre la littérature et la théorie, ce ne sont pas les philosophes, mais plutôt les artistes eux-mêmes qui l’ont relayée. Il souligne également que cette prépondérance de la pensée marxiste au Québec a eu pour effet de renforcer l’intimisme des philosophes.

SYNTHÈSE

À la lumière de l’ensemble de l’ouvrage, plusieurs caractéristiques semblent se dégager globalement du concept de modernité. Je résume ici les principaux traits que j’ai pu observer (et qui sont complémentaires à ceux dégagés en introduction) :

- D’abord la grande malléabilité du concept, qui s’applique aussi bien à des domaines de savoir tout à fait divers : les arts, la littérature, l’histoire, la philosophie, la politique, l’économie et même certaines disciplines plus techniques (l’un des auteurs souligne que pour que le processus de modernisation puisse s’enclencher, une pensée de la modernité est nécessaire).

- Le moment de l’avènement de la modernité au Québec est loin de faire consensus : alors qu’on considère généralement que le Refus global et la Révolution tranquille sont les deux moments fondateurs de la modernité (le manifeste de Borduas est associé à l’émergence de la modernité, alors que la Révolution tranquille marque sa généralisation), certains auteurs estiment que la modernité est plus ancienne. Plusieurs auteurs la font remonter aux premières décennies du XXe siècle, tandis que Létourneau affirme que les premiers explorateurs avaient déjà une certaine forme de pensée moderne.

- À partir des années 1980, les auteurs parlent plus volontiers de postmodernité que de contemporain. Ce choix terminologique est peut-être motivé par le désir de faire écho au concept de modernité autour duquel s’organise l’ouvrage autant que par le recours aux théoriciens de la postmodernité (Lyotard, Scarpetta).

- Les auteurs insistent beaucoup sur la connotation positive qui entoure l’idée de modernité au Québec. On amalgame ces différents éléments qui évoquent l’émancipation collective des Québécois : modernité (artistique, littéraire), modernisation (sociale, politique, économique, infrastructurelle, etc.) Révolution tranquille. La modernité est donc indissociable de ces autres éléments qui marquent, dans l’imaginaire collectif québécois, une période de grande effervescence et d’optimisme.

- Les auteurs de l’ouvrage s’entendent sur le fait qu’on a eu tort de croire aussi fermement que la modernité au Québec était née ex nihilo avec le Refus global. S’ils ne récusent pas l’importance du texte de Borduas, ils tentent pourtant de démontrer que la modernité existait avant 1948. Ainsi, la modernité au Québec adviendrait moins comme une violente rupture que comme un lent processus.