1. Degré d’intérêt général
Pour le projet de quête et enquête : Quête, élevée.
Pour le projet de diffraction : moyen
En général : Élevé. Il s’agit d’un excellent roman, drôle et novateur, ayant peu d’analogues dans la production romanesque québécoise contemporaine.
2. Informations paratextuelles
2.1 Auteur : Éric Dupont
2.2 Titre : La logeuse
2.3 Lieu d’édition : Montréal
2.4 Édition : Marchand de feuilles
2.5 Collection : -
2.6 (Année [copyright]) : 2006
2.7 Nombre de pages : 297 p.
2.8 Varia : -
3. Résumé du roman
Fourni sur la quatrième de couverture : Rosa, jeune Gapésienne du village côtier Notre-Dame-du-Cachalot, a été élevée dans une utopie marxiste organisée par le MERDIQ (le ministère de l'épanouissement des régions désolée et isolées du Québec). Peu après la mort de sa mère, elle prend la route de Montréal où elle loge chez la maléfique Jeanne Joyal, trouve un travail dans un motel de passe et tombe amoureuse d'un policier. La logeuse est un magnifique roman satirique où il est question d'éoliennes, d'effeuilleuses cubaines, du Empress of Ireland et de rencontres fortuites qui changent le cours d'une vie.
Mon résumé :
Rosa vit seule avec sa mère et sa grand-mère; elle est orpheline de père comme la plupart des enfants de Notre-Dame-du-Cachalot, une communauté d’environ 2200 habitants fonctionnant sous la tutelle du MERDIQ. Un jour où elle joue au Scrabble en compagnie de sa mère et de sa grand-mère, Rosa reçoit une prophétie qui lui fait croire qu’elle est destinée à de grandes choses. Un bigorneau qu’elle pose sur son oreille et qui lui révèle que le vent vient de Montréal achève de la convaincre qu’elle doit partir en mission et retrouver le vent. C’est Jeanne Joyal, une femme austère et ultranationaliste, fervente défenseure de la langue française, qui la conduit à Montréal et lui offre, là-bas, un logis. Comme elle dispose de peu de moyens financiers, Rosa trouve un emploi comme réceptionniste de nuit dans un hôtel fréquenté par des « effeuilleuses » (danseuses nues et prostituées) de tout acabit. Après deux mois, la recherche du vent en est toujours au point mort et Rosa se dédie davantage à la réalisation de son travail, à l’apprentissage de l’anglais à l’insu de Jeanne Joyal et à son éphémère relation amoureuse avec un sergent. La vie chez Jeanne Joyal devient de plus en plus insupportable pour Rosa, la logeuse se prêtant quotidiennement à des leçons d’histoire et de protectionnisme linguistique qui contrastent avec l’épanouissement moral et intellectuel de la jeune Gaspésienne. Les confrontations entre l’une et l’autre augmentent en fréquence jusqu’au jour où les trois locataires de Jeanne Joyal décident, en son absence, de fouiller sa chambre et y découvrent des lettres leur étant destinées, que Joyal a retenues à la source par jalousie et aigreur. D’un même souffle, elles apprennent que la logeuse est en réalité Jeanne d’Arc, rendue immortelle depuis le moment le moment où elle a échappé à la mort en 1430. Jeanne d’Arc serait en réalité un homme de constitution frêle, Jean, au surplus père de Rosa. Pour mettre fin à son immortalité, Jean doit être assassiné par sa progéniture, ce qui se réalise au terme du roman. Abandonnant la recherche du vent – qui finit par revenir par lui-même à Notre-Dame-du-Cachalot – Rosa s’établit à Montréal, dans la maison de Jeanne Joyal dont elle est l’héritière, et elle investit une partie de son héritage dans sa ville natale.
4. Singularité formelle
Le roman est divisé en sept chapitres et il comporte certains échanges épistolaires. Il donne également à voir certaines images, comme la transposition d’un jeu de Scrabble, des copies de cartes postales et un avis destiné à la population de Notre-Dame-du-Cachalot.
5. Caractéristiques du récit et de la narration
Le roman est mené en narration hétérodiégétique à focalisation interne, déléguée au personnage de Rosa. Il arrive cependant que le narrateur reprenne ostensiblement les rennes du récit et qu’il manifeste sa présence d’informateur Exemple : p. 65 - « Nous la voyons seule, devant une immense demeure de pierres grises, à plus de mille kilomètres de son foyer avec pour tout bagage un petit sac à dos. Prenons le temps de bien pleurer le sort de notre Rosa.
6. Narrativité (Typologie de Ryan)
6.7- Embryonnaire
6.11- Instrumentale
7. Rapport avec la fiction
Il s’agit d’un roman où la fiction est assumée et mise en relief; le surnaturel opère d’ailleurs dans un cadre réaliste, ce qui permet de lire l’œuvre comme une forme de réalisme magique. L’immortalité de Jeanne Joyal et la volubilité du bigorneau constituent les exemples les plus manifestes de cette fiction qui assume toute entorse à la vraisemblance empirique pour mieux consolider la vraisemblance diégétique.
8. Intertextualité
Différentes références implicites sont semées dans le texte, mais rien ne semble explicitement déterminant pour la compréhension générale de l’œuvre.
9. Élément marquant à retenir / extraits significatifs.
p. 8 – C’est donc dans ce village éclos au bout d’une dune de sable que naquit, le 20 mais 1980, Rosa Ost, fille unique de Thérèse Ost, piètre syndicaliste et excellente joueuse de Scrabble. C’est le destin tragique de cette enfant qui nous intéressera dans cette histoire de voyage et d’éternité, de mort impossible, de prophéties implacables et de cauchemars navrants. Comme plusieurs enfants de Notre-Dame-du Cachalot, la petite eut la chance de ne pas connaître son père. Il était en effet coutume dans ce village de limiter le plus possible les contacts entre les enfants et leurs pères.
[…] Si Rosa avait réussi à survivre à son père, c’est parce que le destin avait eu la bonne grâce de le faire disparaître en mer pendant une sortir de pêche au hareng, ce jour brumeux de mai 1980 où le phare du cap Cachalot s’était mystérieusement éteint pour ne plus jamais se rallumer.
p. 31 – Honteux de n’avoir même pas eu la politesse de décliner l’invitation à la fête, chaque enfant avait, sous les yeux des trois femmes, mangé jusqu’à la dernière miette, et sans brancher, la part qui lui était réservée de cette pâtisserie socialiste.
« Merci Madame Ost. »
« Il n’y a pas de quoi, jeune camarade. »
Depuis ce jour, un seniment de culpabilité profond et un arrière-goût sucré secouaient les parents de Notre-Dame-du-Cachalot chaque 20 mai par simple défaut d’avoir permis à leurs enfants le plaisir d’une innocente fête d’anniversaire. Le goût douceâtre et la consistance quelque peu granuleuse du glaçage, comme un regret, étaient imprimés dans la mémoire des sens de chacun des enfants. Leur vie durant, ils ne purent goûter aux plaisir d’avaler une bouchée de gâteau sans étouffer un sanglot de honte. Cette pâtisserie était devenue la dernière vengeance de Thérèse et la confirmation de la rumeur qui prétend qu’à l’instar des desserts, le socialisme peut, lui aussi, rester sur l’estomac.
Après l’assemblée mémorable durant laquelle un Danois barbu avait révélé à la population du village qu’elle vivait dans un endroit venteux, le maire Duressac ne savait plus ce qu’il devait inventer pour calmer l’assistance. «Au moins il nous reste la source d’Ennui». ajouta-t-il sur un ton qui se voulait rassurant. Un grognement s’éleva de la masse de villageois qui quittaient la salle paroissiale par la grande porte pour affronter un vent d’ouest incroyable et rentrer dans leurs demeures.
p. 38 – Rosa comprenait, depuis la prophétie du Scrabble, qu’elle était l’élue. Or, cette prophétie demeurait fragmentaire. Il est aisé de se croire destinée à accomplir de grandes choses, encore faut-il savoir distinguer une «grande chose» d’une vétille. Encore une fois, la réponse lui vint des eaux. […] Elle avançait péniblement dans une flaque de varech glacé quand son regard tomba sur une immense coquille de bigorneau. La spirale était aussi grosse qu’une tête. Jamais de sa vie elle n’avait vu un bigorneau de cette taille. Dans une rélfexe enfantin, elle posa l’ouverture du bigorneau obèse sur son oreille pour y entendre chanter la mer. Ce qui lui parvint la pétrifia sur place. La voix, cette voix, la mère de toutes les voix, lui murmurait du creux du coquillage : « Montréal, le vent vient de Montréal. C’est là que tu commettras l’innommable pour sauver ton village.
On dit d’une prophétie qu’elle s’accomplit. Nous notons la forme pronominale. Toute prophétie, même lancée à la plaisanterie des nuits de beuveries, exige accomplissement. Nous le savons mieux que Rosa. Nous saisissons parfaitement le jeu macabre des prophéties qui s’annoncent et se réalisent d’elles-mêmes.
p. 41 – À la hâte, elle mit quelques effets dans un sac et, improvisant à l’aide d’un tricot violet un masque à gaz au cas où elle tomberait sur une effluve mortelle, s’engagea sur le chemin de la dune qui menait vers la route 132. Elle était ruinée, orpheline et amère mais investie d’une mission de vie.
p. 280- - Te voilà enfin ma petite Rosa. Tout sera bientôt fini.
- Pourquoi tu me parles sur ce ton?
Pour toute réponse, Jeanne tendit un bout de carton à Rosa. Il s’avéra être une carte postale de Notre-Dame-du-Cachalot. C’est la même que j’ai reçue sauf que toi, tu l’as eue deux jours avant mon départ de Gaspésie. Tu connaissais tante Zénoïde? Elle ne m’a jamais parlé de toi.
- Tante Zénoïde ne parle plus depuis longtemps, Rosa. Elle a été condamnée à errer de par le vaste monde à semer à tout vent des proverbes français.
- Condamnée par qui?
- Celui dont il faut taire le nom, Rosa. Le même qui a fait tomber le vent. Le même qui m’a sauvé du bûcher en échange de mon âme.
- C’est pour ça que tu es venue me chercher jusqu’en Gaspésie? C’est moi que tu cherchais?