Table des matières
ORION + POROSITÉ - fiche de lecture
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Christine Eddie
Titre : Carnets de Douglas (Les)
Éditeur : Alto
Collection :
Année : 2007
Éditions ultérieures : À vue d'oeil, Cergy-Pontoise, 2009. – Éditions Héloïse d'Ormesson, Paris, 2009. – Alto, 2011 (Coda) – Goose Lane Editions, 2013 (traduction de Sheila Fishman, sous le titre “The Douglas Notebooks: A Fable”).
Autres informations : Un exergue de Christian Bobin qui donne une clé de lecture : « J’ai dans le cœur un arbre » (Mozart et la pluie)
Désignation générique : Aucune
Quatrième de couverture : « Le même jour, deux adolescents parviennent à fuir un destin qui les aurait emmurés. Ils se trouvent, deux ans plus tard, à Rivière-aux-Oies, un village beaucoup trop discret pour figurer sur une carte. Au cœur de la nature généreuse et sauvage, ils s’aiment, à l’abri des rugissements du vingtième siècle. Jusqu’à ce que la vie, comme d’habitude, fasse des siennes. Fondu au blanc. Les années passent, Rivière-aux-Oies se métamorphose avec, en arrière-plan, une révolution à peine tranquille et le saccage des bétonnières. Une famille singulière s’improvise, malgré les ragots et en dépit des blessures. Dans la maison du docteur, les liens se tissent avec tendresse. Un médecin au cœur rafistolé, une institutrice au nom imprononçable et une enfant surgie des bois vont peut-être permettre à Douglas d’entendre enfin la réponse du vent. Une passion comme au cinéma, qui se déploie à l’ombre d’un arbre, d’une clarinette et de la beauté fragile du monde. »
Notice biographique de l’auteur : Née en France, Christine Eddie a grandi en Acadie avant de se poser au Québec. Elle a signé de nombreux articles, publié quelques nouvelles, reçu deux prix littéraires (Prix Arcade au féminin et Concours de nouvelles XYZ) et écrit un livre pour la jeunesse, La croisade de Cristale Carton (Hurtubise HMH, 2002). Les carnets de Douglas est son premier roman.
II - CONTENU ET THÈMES
Résumé de l’œuvre : Romain Brady et Éléna Tavernier sont deux adolescents nés dans la mauvaise famille. Pour l’un, l’entreprise du père et les codes sociaux qui viennent avec la richesse ne sont d’aucun intérêt en comparaison à la clarinette et à la beauté de la nature. Pour l’autre, la violence meurtrière du père assombrit les rêves d’une vie paisible. Tous deux s’enfuiront de leur famille respective, le premier pour la forêt où il apprivoisera la dureté de la vie d’ermite et les ressources inattendues de la nature, la deuxième pour un petit village isolé et la maison d’une apothicaire qui lui apprendra le secret des plantes. Les deux jeunes adultes autrefois malaimés se trouveront et s’aimeront. Éléna donnera naissance à une petite fille, Rose, mais les complications de l’accouchement lui prendront sa vie. Incapable de surmonter sa tristesse, Romain, rebaptisé Douglas par Éléna (comme l’arbre le plus grand du monde), confiera la petite Rose au médecin du village, Léandre Patenaude, qui demandera l’aide de l’institutrice, Gabrielle Schmulewitch (une juive rescapée), pour l’éducation de la petite. Alors que le village de Rivière-aux-Oies fait son entrée dans la modernité de l’industrie forestière et du commerce de détail, Douglas, qui après avoir repris courage grâce au mélèze qui a poussé sur la tombe de la jeune femme (son arbre préféré, et Douglas est convaincu que c’est « elle »), décide de partir faire le tour du monde. De divers pays, il envoie des cahiers à Rose que l’enfant conserve précieusement et lit près du mélèze transplanté dans son jardin. Lorsque l’industrialisation a complètement défiguré Rivière-aux-Oies, au point que la forêt a été rasée, la drôle de famille composée de Léandre, de Gabrielle et de Rose décide de déménager à Montréal, là où Rose, devenue jeune femme, a été acceptée au Conservatoire de musique. Ayant toutefois posée comme condition que le mélèze vienne avec eux, Gabrielle a finalement l’idée de le faire transformer en papier sur lequel elle retranscrit les carnets de Douglas. Rose les présente à son père lorsqu’il décide de la retrouver. Le roman se termine avec des épilogues racontant la suite de la vie de tous les personnages.
Thème principal : l’amour et la nature
Description du thème principal : le roman tient de la fable et du roman d’amour. L’amour des deux adolescents, bien sûr, qui les transforme et les embellit, mais aussi l’amour qui les lie à la nature qui est la seule capable de panser leurs blessures et de les transformer. Éléna, se transmuant symboliquement en mélèze, son arbre préféré, après sa mort, est ce qui donne à Douglas le courage de continuer à vivre. L’amour que le médecin donne à l’enfant lui permet de transcender sa peine de n’avoir jamais été aimé d’Éléna et l’amour de Gabrielle pour Rose transforme sa vie et lui permet de faire la paix avec son passé juif, sa mémoire douloureuse (dans « le générique » : « Rose est restée, jusqu'à la fin, son plus grand amour. » - 198). La fable se lit aussi dans ces nouveaux lieux que les enfants choisissent pour vivre et dans la famille improbable qui se crée et qui est plus aimante que n’importe quelle autre (les deux adolescents étant fortement carencés dans leurs propres familles, celles-ci frôlant la caricature, mais ça renforce l’aspect « fable »). Ils en viennent à se donner chacun une filiation qui leur convient mieux. Par exemple : « Les véritables parents de Romain Brady, les seuls qui comptèrent vraiment, se nommaient Amadeus Mozart et la comtesse de Ségur. »
La question de l’héritage problématique, lourd à porter, est aussi un moteur important de l’action. D’ailleurs, l’enlaidissement du village de Rivière-aux-Oies par son industrialisation et sa déforestation signifie aussi que les « racines » avec le passé sont coupées (le camp de Romain a disparu, comme les mélèzes d’Éléna et elle-même, comme arbre, ne peut survivre que sous la forme du papier) et que le nouvel héritage que le père de Romain transmet à tout un monde sera encore plus lourd à porter. Cependant, les « carnets de Douglas » sont eux aussi un héritage, cette fois positif car plein d’amour et de mots… Héritage de la littérature? En tout cas, pour Rose, l’amour de la musique transmis par son père et l’amour des arbres par sa mère seront reconduits dans le bonheur.
Thèmes secondaires : le poids de l’héritage, les relations familiales, la relation aux parents, l’ermitage, la solitude, le deuil, etc.
III- CARACTÉRISATION NARRATIVE ET FORMELLE
Type de roman (ou de récit) : roman
Commentaire à propos du type de roman : Je crois qu’on peut simplement parler de roman, voire même de roman d’amour qui ne déparerait pas dans un palmarès de livres pour la St-Valentin… sans être trop clichée, l’histoire est belle, l’écriture juste et efficace, l’intrigue prenante, les personnages attachants.
Type de narration : hétérodiégétique.
Commentaire à propos du type de narration : la narration est traditionnelle et nous n’avons pas accès aux fameux « carnets de Douglas », sauf dans un espèce de prologue (non nommé ainsi) qui reproduit la dernière entrée du carnet de Douglas, celle où il dit à Rose qu’il revient. Notons que le narrateur hétérodiégétique appartient à cette espèce qui fait des commentaires d’ordre général sur son histoire, ce qui ajoute à l’effet « fable ». Ex : « On s’imagine souvent que l’amour doit jaillir avec fougue, s’entourer d’un trouble désarmant et s’épanouir avec fracas. Pourtant, l’amour s’avance aussi à pas feutrés. » (49)
Personnes et/ou personnages mis en scène : Quelques types un peu caricaturaux, comme l’entrepreneur égoïste (le père de Romain), mais qui servent habilement le propos.
Lieu(x) mis en scène : Villages fictifs du Québec, Montréal.
Types de lieux : villages québécois, forêts, maison bourgeoise de médecin.
Date(s) ou époque(s) de l'histoire : Les dates sont imprécises, mais on suit l’évolution du Québec, depuis le temps des religieuses, des cours classiques et des apothicaires à une époque relativement contemporaine, consécutive de l’industrialisation du Québec. Le roman commence lors d’une guerre qui se déroule au loin et qui profite à la famille Brady (1ère ou 2e ?).
Intergénérité et/ou intertextualité et/ou intermédialité : Une intermédialité est présente et voulue avec le cinéma dans le découpage du roman en différentes parties qui représentent autant de « temps » ou d’« épisodes » et qui s’intitulent : « Repérage » (sur l’enfance des deux protagonistes et leur rencontre); « Gros plan (et fondu au blanc) » (sur leur relation jusqu’à la mort d’Éléna); « Plan d’ensemble » (se concentre sur Léandre et Gabrielle, et l’arrivée de Rose dans leur vie); « Plongée » (le deuil difficile de Douglas – ne fait que quelques pages); « Fondus enchaînés » (les premières années de vie de Rose, la construction du centre d’achat et le départ de Douglas); « Accéléré » (la métamorphose de Rivière-aux-oies pendant que Rose grandit loin de son père); « Musique » (le départ pour Montréal), suivi de la mention « Fin », puis de « Générique (par ordre d’apparition) », composé de divers portrait de ce qui arrive aux personnages par la suite. Le choix de ce clin d’œil évident au cinéma, bien que juste et efficace, ne s’analyse toutefois pas aussi aisément. Il est vrai quand même l’histoire a les proportions d’un film et en ferait un excellent, mais l’écriture est trop bien maîtrisée pour croire que l’auteur ne joue pas des codes pour créer son œuvre. Se lit comme un film… oui, sans verser dans le pastiche ou bien l’expérimental et encore moins le révolutionnaire. Une petite œuvre et un projet d’écriture honnêtes.
Particularités stylistiques ou textuelles : Découpés en parties et avec de courts chapitres. Bien écrit mais sans emphase. Au niveau formel, c’est l’intermédialité avec le cinéma qui est la plus intéressante.
IV- POROSITÉ
Phénomènes de porosité observés : porosité des formes discursives (avec le cinéma), porosité des registres, entre roman et fable.
Description des phénomènes observés : voir la section « thème » et la section « intermédialité ». Je crois en effet que ce que j’appelle les effets de fable sont un phénomène de porosité qui rend la frontière indécidable (notons que dans la traduction, la mention générique est « fable »). Célébration de la nature, personnage d’enfants orphelins, blessés, esseulées mais poétiques et portés par l’amour. La transformation à la fois réaliste et symbolique d’Éléna en arbre, puis en papier sur lequel seront reproduits les mots de Douglas donne une touche d’autant plus poétique à l’ensemble.
Rapport particulier aussi avec les arts, la musique, le littéraire, l’écrit. C’est par des airs de Mozart joué à la clarinette que Romain attire et séduit Éléna. Mentions particulière également pour l’évocation d’Alain Grandbois, lorsque Romain, se rendant à un village, « trouva tout de même un exemplaire presque neuf des poèmes d’Alain Grandbois, ce qui le remplit de joie. » (40) Mentionnons également l’intérêt de Gabrielle pour la lecture, fréquentant « assidûment la bibliothèque paroissiale où il n’était pas facile de trouver, parmi le millier de livres rangés sur les rayons, autre chose que des ouvrages religieux. » (141). C’est là qu’elle fait la rencontre du vétérinaire du village qui l’invite chez lui car il a « les œuvres complètes de Balzac et d’Émile Zola et de bien d’autres auteurs à l’index qu’il serait heureux de lui prêter si elle acceptait de prendre un café avec lui. » (141-142) Pour achever de la convaincre, il ajoute à l’intention de Rose qu’il a aussi un exemplaire illustré d’Alice au pays des merveilles… À propos des carnets que Douglas écrit : « Douglas non plus ne revint pas à Rivière-aux-Oies et s’il téléphona, il ne parla pas. Mais il écrivit. Des enveloppes brunes, sans adresse de retour, arrivèrent régulièrement pour Rose. Chacune contenait un carnet, plus ou moins épais, dans lequel il parlait d’Éléna, mais aussi de Mozart, de Rimbaud et de Whitman. Une prose sage et une écriture serrée recouvraient généreusement les pages lignées. À part Éléna et les artistes d’une autre époque, il n’était que rarement question d’êtres humains dans ces carnets. […] » (159)
Auteur(e) de la fiche : Manon Auger