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Martine Desjardins (2009), Maléficium

ORION + POROSITÉ - FICHE DE LECTURE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Martine Desjardins

Titre : Maleficium

Éditeur : Alto

Collection :

Année : 2009

Éditions ultérieures : édition « coda » en juin 2011

Désignation générique : « fresque baroque » (quatrième de couverture)

Quatrième de couverture : Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent pas ce qu’ils ont fait. Pardonnez à ces sept hommes victimes d’étranges maléfices, venus chercher dans le confessionnal une oreille attentive au récit de leur infortune et implorer le salut de leur âme souillée par la curiosité et la faiblesse de la chair. Pardonnez aussi à cette femme calomniée, emmurée dans un cruel silence, car elle sait bien ce qu’elle a fait. Pardonnez enfin à l’homme de Dieu qui a recueilli leurs aveux et brisé le sceau de la confession en les transcrivant dans un ouvrage impie. Lecteur, vous tenez entre vos mains une version remaniée mais non expurgée du mythique Maleficium de l’abbé Savoie (1877-1913), prêtre sacrilège dont on sait peu de chose, sinon qu’il termina ses jours cloîtré dans un monastère après avoir été mystérieusement frappé de surdité. Sachez que la lecture de cet ouvrage délétère pourrait provoquer un certain malaise chez les âmes pures, exciter les sens ou éveiller des désirs inavouables, et qu’en cédant à ses charmes vous risquez d’encourir l’excommunication. Vous voilà averti. L’auteure du Cercle de Clara et de L’évocation (prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec) nous offre une fresque baroque en huit tableaux, une invitation à voyager aux limites des plaisirs et de la souffrance. Une œuvre rare, parfumée de fantastique, d’exotisme et d’érotisme, portée par une langue somptueuse. Jamais le péché ne vous aura semblé aussi irrésistible.

Notice biographique de l’auteur : Deuxième d’une famille de six enfants, Martine Desjardins a reçu le baptême et la confirmation à Mont-Royal, où elle vit toujours avec son mari et leur fox-terrier Winnie. Après des études de russe, d’italien et de littérature comparée, elle a travaillé pour plusieurs magazines. Elle tient maintenant la chronique Livres à L’actualité. Saluée par la critique pour son premier roman, Le cercle de Clara, ainsi que pour L’élu du hasard, elle a reçu le prix Ringuet en 2006 pour L’évocation. Elle ne fréquente plus l’église et a horreur de voyager.

II - CONTENU ET THÈMES

Résumé de l’œuvre : L’ouvrage commence par un « Avertissement aux lecteurs » qui rappelle les procédés anciens du livre trouvé et simplement publié par un éditeur. Le livre qu’on a en notre possession, le Maleficium est réputé dangereux. Il s’agirait de confessions mises sur papier par l’Abbé Savoie (1877-1913), vicaire de la paroisse de Saint-Antoine à Montréal, après que celui-ci ait été atteint d’une surdité inexplicable et se fut retiré du monde. De fait, les 7 premiers chapitres sont les récits d’une confession, d’une histoire plutôt, qui explique le mal étrange qui frappe chacun des hommes venus se confesser à l’Abbé et qui touche toujours un sens en particulier. Voici dans le détail :

Chapitre 1. Stigma diabolicum : Raconte l’histoire d’un négociant d’épice qui veut se lancer dans le commerce du safran et est envoutée par une jeune mystique dont les stigmates saignent ponctuellement, faisant jaillir un sang qui a l’odeur enivrante du safran. Elle finit toutefois par lui dévoiler qu’elle a « une stigmate diabolique au centre de sa corolle : un long pistil en forme de trompe, musculeux, charnu, de ce rouge foncé qu’on appelle cramoisi » (2009 : 32). La lui ayant arraché, l’homme s’enivre de son odeur, mais perd presqu’aussitôt son nez qui devient crouteux. [odorat]

Chapitre 2. Flagellum fascinorum : Un jeune médecin se rend en Afrique (Zanzibar) où il s’occupe d’un dispensaire et fait la rencontre d’une jeune femme à la croupe alléchante qui lui rappelle la « fameuse toile d’Ingres représentant une odalisque allongée, que les critiques fustigèrent parce qu’il y figurait trois vertèbres de trop » (2009 : 44). Il parvient à voir la jeune fille nue pour découvrir qu’il s’agit d’une queue reptilienne qui tombe et repousse, et à laquelle il ne peut s’empêcher de succomber, se laissant flageller par elle, ce qui provoque des stries sur sa peau. [peau – toucher - luxure]

Chapitre 3. Larvae infernales : un entomologiste se rend au Yemen en poursuivant des locustes ravageurs. À Lalibela, une jeune gouvernante l’amène visiter une église souterraine (le Golgotha-Mikaël) remplie de locustes troglobies. Plus tard, elle lui révèle qu’elle a un spécimen de larve encore plus rare, logée dans son nombril. Elle lui en fait cadeau, mais cette larve devient vite un parasite qui se nourrit de l’énergie vitale de son hôte. [appétit - gourmandise]

Chapitre 4. Incensum nefarium : un architecte se rend au Yémen à la recherche des villes verticales, dans l’espoir de trouver de nouvelles avenues pour les constructions en hauteur. Il y rencontre une photographe aux oreilles en colimaçon, lesquelles produisent des boules d’encens qui, une fois consommées, donnent un vertige épouvantable. [équilibre]

Chapitre 5. Oculus malignus : un fabricant de lunettes d’écaille se rend à Mascate pour faire provision d’écailles de tortues. Au hasard d’une visite guidée, il fait la rencontre d’une jeune missionnaire au regard étrange qui porte un lorgnon fabriqué d’écaille exceptionnelle. Elle lui révèle par la suite que ces écailles sont le fruit de ses larmes et lui en donne quelques-unes. Poussé par la curiosité, il les met dans ses yeux mais ne peut plus les enlever et décide de se rendre aveugle en fixant le soleil. [vue]

Chapitre 6. Corona suppliciorum : un collectionneur de tapis persans se rend à Chiraz et gagne par tricherie un tapis tissé à partir des cheveux de 72 vierges. Il y rencontre l’assistante d’un botaniste dont la chevelure est truffée d’aiguillons. Dès qu’il y aura touché, il ne pourra plus apprécié la douceur de son tapis et ne pourra plus supporter le contact. [toucher – idolâtrie]

Chapitre 7. Oleatum pandaemonium : un propriétaire de savonnerie se rend à Naplouse afin d’obtenir une célèbre formule de savon. Ayant été éconduit, il cherche à en fabriquer un meilleur, et une jeune pèlerine lui fournit l’huile de son corps. Le savon, divin au premier abord, lui laisse toutefois des traces noires au visage et une mauvaise odeur qu’il ne peut plus jamais enlever. [l’apparence]

Le huitième et dernier chapitre est la confession ultime qui vient bouleverser la compréhension des récits précédents. Une jeune femme à la bouche fendue vient se défendre des accusations de ses sept cousins. Elle raconte comment elle a été martyrisée et rejetée par son oncle qui l’a recueilli et comment, après avoir charmé les garçons avec différentes histoires exotiques à la manière des « mille et une nuits », ils l’ont trahi. Pour la punir de ses « mensonges », son oncle lui entaille les lèvres, lui donne « l’osculum infâme », le « baiser de la honte », afin que tous sachent que « derrière cette lèvre fendue se cache une langue fourchue » (181). Elle raconte avoir tenté de se sauver aux quatre coins du monde, mais ses cousins ont continué de s’acharner sur elle. Discréditant dès lors les 7 confessions que le père a entendues, la jeune femme finit tout de même par avouer qu’elle est devenue un « démon de la vengeance » et crache dans l’oreille de l’abbé qui deviendra sourd…

Thème principal : orgueil, cupidité, vanité – vengeance et punition

Description du thème principal : Selon la perspective adoptée, on pourra accorder ou non du crédit au sept premiers récits et les voir soit pour ce qu’ils sont au premier abord, soit comme une mystification. Quoi qu’il en soit, le thème de l’orgueil est capital dans ces 7 tableaux, car les 7 pécheurs mis en scène sont punis par où ils ont péchés… que certains fassent montre d’une certaine vanité (comme le marchand de savon) ou d’une certaine cupidité (comme le collectionneur de tapis qui déclare : « Peut-être m’accuserez-vous de frivolité, mais je ne m’attache à rien et je n’ai aucun scrupule à abandonner ce qui m’appartient pour poursuivre ce qui n’est pas encore à moi. » - 127), tous sont pétris d’orgueil et d’ambition. L’entomologiste, par exemple, décrit ainsi son attrait pour la larve mystérieuse : « Il me fallait coûte que coûte mettre la main dessus pour l’étudier. Je la présenterais à la Société linnéenne et mon nom entrerait alors dans le grand livre de taxinomie entomologique. Cette découverte d’une nouvelle espère d’insecte, voire d’un nouvel ordre, ne valait-il pas toutes les locustes troglobies de la terre? » (2009 : 71-72) « J’étais devenu comme le roi Lalibela. Était-ce le signe que j’étais destiné à devenir Celui que les insectes respectent et à régner sur tous les distinguées sujets de ma profession? » (2009 : 73) En bref, s’ils tentent de se présenter comme victimes, il n’en demeure pas moins qu’ils se rendent chacun coupable non pas précisément des sept péchés capitaux, mais pas loin… Ainsi, le jeune médecin fait péché de luxure, le collectionneur de tapis d’idolâtrie envers son tapis aux cheveux de vierge (2009 : 134), etc. Qui plus est, ils voient les mêmes penchants coupables chez l’abbé Savoie. Le jeune médecin, par exemple, déclare : « Si je suis ici, mon père, c’est pour vous mettre en garde. La jeune fille à la queue reptilienne est arrivée dans cette paroisse, je l’ai vue hier. Elle viendra vous tenter, parce que, comme moi, vous appréciez les beautés d’une croupe féminine. Ne le niez pas, je vous ai vu tout à l’heure suivre du regard les femmes qui sortaient de l’église. » (2009 : 58) Et l’architecte de déceler, pour sa part, de la complaisance et de la vanité chez l’abbé : « Prenez-les donc, mon père, elles vous seront plus utiles qu’à moi [les boules d’encens]. Je vous ai entendu plusieurs fois prononcer l’homélie. Je sais combien vous aimez vous jucher pour faire valoir vos talents d’orateur. » (2009 : 99-100)

Ainsi donc, le sort jeté n’est pas exempt d’une certaine prise de conscience qui rend les pécheurs plus humbles face au monde et à eux-mêmes :

  • • Le médecin, par exemple : « La honte semble avoir strié ma peau comme l’indigo tache celle des hommes bleus du désert. » (2009 : 38);
  • • ou encore le fabricant de savon : « La saleté que j’expose maintenant au monde, c’est celle de la tache originelle qui est réapparue. Seul un second baptême pourrait me laver de ces iniquités […]. » (2009 : 162);
  • • ou bien l’optométriste : « Encore plus que mon regard, c’était celui que je portais sur mes congénères qui avait été transformé. J’étais frappé par leur petitesse, leur ridicule, leur médiocrité. Il faut dire que le jaune des écailles accentuait les défauts, mettait en relief les malformations et les infirmités. […] » (120);
  • • ou l’architecte frappé de vertige : « C’est alors que j’eus une illumination : toutes les constructions de l’homme depuis la nuit des temps avaient été de monumentales erreurs. N’avions-nous donc tiré aucune leçon de la tour de Babel? Il était insensé d’ériger des immeubles qui constamment luttaient contre la gravité. » (2009 : 99), etc.

Ce qu’on découvre, avec le 8e tableau, c’est que l’orgueil n’était peut-être pas leur seul crime et que la vengeance ourdie par la jeune fille prendrait tout son sens… si on accorde crédit à son double récit!

Thèmes secondaires : Péchés, punitions, voyages, exotisme, Moyen-Orient, richesse, découvertes, culture arabe, etc.

III- CARACTÉRISATION NARRATIVE ET FORMELLE

Type de roman (ou de récit) : roman baroque – contes baroques

Commentaire à propos du type de roman : Roman, oui, mais dont l’esthétique est pluriel, empruntant à nombre de modèles narratifs et en particulier au conte, voire au recueil de contes puisque les 7 premiers tableaux font montre d’une étonnante symétrie entre eux, renouvelant chaque fois le thème et sa mise en scène, mais ménageant de nombreux échos stylistiques entre chacun afin de leurs donner un sens plus complexe dans l’interprétation globale de la fiction. L’idée de baroque renvoie à l’éclectisme « calculé » du roman.

Type de narration : autodiégétique

Commentaire à propos du type de narration : tous les récits sont racontés par leur protagoniste. Il y a donc plusieurs narrateurs. Toutefois, l’idée qu’il s’agisse du manuscrit du « Maléficium » et donc une retranscription de confessions faites à l’abbé Savoie nous emmène du côté du littéraire, ou disons de la vraisemblance littéraire. Le tout, dans la réalité, serait improbable – ce serait de la littérature! – mais, dans la fiction, le procédé est assumé et crédible malgré tout.

Personnes et/ou personnages mis en scène :

Lieu(x) mis en scène : Montréal et le Moyen-Orient = 1. Cachemire (région de Srinagar) 2. Zanzibar (Afrique) 3. Lalibela (Yémen) 4. Hadramaout (Yémen) 5. Îles Daymaniyat et Mascate (Oman) 6. Chiraz (Iran) 7. Naplouse (Sisjordanie)

Types de lieux : confessionnal; lieux et sites orientaux, exotiques.

Date(s) ou époque(s) de l'histoire : La date de 1899 est donnée une fois explicitement (2009 : 42). On semble être en effet au tournant du XIXe et du XXe siècle.

Intergénérité et/ou intertextualité et/ou intermédialité : intergénéricité avec le conte.

Particularités stylistiques ou textuelles : Écriture érudite et symétrie de l’ensemble du recueil.

IV- POROSITÉ

Phénomènes de porosité observés :

porosité des registres littéraires (romanesque, savant et érudit, policier, fantastique, récit de voyage, contes, etc.) ; forme de porosité entre le savant (l’érudition) et le populaire (le péché et l’exotisme); porosité de l’ici et de l’ailleurs (mise en scène de lieux exotiques par opposition à une société catholique fermée et un univers familial misogyne); etc.

Note : Porosité des cultures, savantes et populaires : « ‘‘Tu t’es fait ensorceler par un djinn, disait-il, un démon fait de feu subtil sans fumée qui prend apparence humaine pour éloigner les hommes de la piété. Le Prophète aussi rencontra un jour une femme aux yeux jaunes. Il déclara qu’elle avait le mauvais œil et ordonna qu’on l’exorcise. » (2009 : 118)

Description des phénomènes observés :

la porosité des registres littéraires me semblent la plus frappante ici, en même temps que leur utilisation savamment proportionnée…

Par ailleurs, le dernier chapitre, qui a un statut particulier, me semble particulièrement intéressant pour une réflexion plus large sur ce roman. En effet, sans annihiler les interprétations possibles des 7 premiers chapitres, cette sorte d’« épilogue » pousse à s’interroger sur la « vérité » de la « fiction » elle-même, tout en constituant une forme de commentaire sur les pouvoirs de la littérature. La narratrice le dit d’emblée : « La richesse, pour moi, c’était le vieux piano désaccordé de notre salon et l’édition illustrée des Mille et une nuits, dont mon père me lisait quelques pages chaque soir. » (166) Elle est donc familière avec cet univers onirique, transmis par son père. La présence de cette figure, même si elle est mineure dans l’économie du roman, ne me semble pas anodine, puisqu’elle pose le père de la jeune fille en opposition avec son oncle qui représente le masculin en toute chose – autant dans sa manière de mépriser ouvertement les femmes que dans son statut de « très respectable conservateur du Musée des sciences naturelles » (166). L’opposition masculin/féminin ne s’incarne donc pas tant dans les personnages eux-mêmes que dans leur façon d’agir.

Un peu plus loin dans son récit, la jeune femme explique qu’elle est tombée par hasard sur un manuel de géographie dont elle a fait ses délices et qui, curieusement, pointe tous les endroits mis en scène dans les 7 chapitres : « L’ouvrage était agrémenté de gravures montrant la mosquée de Tombouctou, l’oasis d’Al-Hasa, la côte de Zanzibar, les églises de Lalibela, le fort de Mascate, le caravansérail de Damas, les ponts de Mossoul et bien d’autres sites merveilleux. » (168-169) C’est alors que ses cousins surgissent et, pour éviter d’être dénoncée, elle marchande avec eux : « Je connaissais beaucoup de contes et j’offris de leur en réciter un. » (169) Elle réalise alors qu’ils n’ont jamais été initié à la littérature :

« Mes cousins n’avaient jamais entendu parler de Perrault ni des Mille et une nuits. Mon oncle, en digne naturaliste, leur avait raconté la géologie, la botanique et la zoologie; mais ne trouvant aucune valeur aux fantaisies de l’imagination, il avait jugé préférable d’élever ses fils dans l’ignorance de la musique et de la peinture, les soustrayant même à l’influence pernicieuse de la littérature. Pourquoi perdre son temps à se plonger dans les créations imparfaites de l’homme quand on avait l’insigne privilège d’observer l’Oeuvre parfaite de Dieu? J’aurais sûrement dû respecter les volontés pédagogiques de mon oncle et ne pas m’engager davantage. Malheureusement, j’étais déterminée à combler ce vide dans l’éducation de mes cousins. » (170)

Les cousins se révèlent toutefois de très mauvais auditeurs, toujours à l’affut des invraisemblances, mais réclamant tout de même d’autres histoires, auxquelles ils pourraient croire. Ils la mettent alors au défi de raconter une histoire autour d’un pistil de crocus. Armée du manuel de géographie, la jeune femme invente une histoire qui se passe au Cachemire… celle-ci doit donc correspondre au premier chapitre, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’ils réclament une histoire sur la salive qu’ils affectionne tout particulièrement (173). La jeune femme ne trouve alors pas d’inspiration, mais finit par s’introduire dans le bureau de son oncle – véritable caverne d’Ali Baba – où elle trouve son inspiration, ainsi qu’une lettre (pardonnez-moi le zeugme) de sa tante enfermée dans un asile (alors que l’oncle prétend qu’elle est morte). Cependant, les garçons ne veulent plus d’histoire, puisqu’ils ont découverts qu’eux aussi, pouvaient en « inventer », mais ce sont en fait des mensonges et des calomnies sur les gens qui les entourent. Les cousins, un peu tarés, sont en fait incapables de faire la différence entre la fiction et le mensonge :

« ‘‘Tu devrais avoir honte, lui dis-je, de diffamer ce pauvre Joseph, qui ne l’a certainement pas mérité. – Toi aussi tu dis des méchancetés dans tes contes, répliqua Bastien. Quelle est la différence entre tes sornettes et les nôtres?’’ Je me défendis en invoquant que je ne blessais personne, puisque mes personnages n’existaient pas. ‘‘C’est justement la raison pour laquelle nos histoires sont plus intéressantes que les tiennes, dit Anatole, et cent fois plus drôles!’’ » (176)

La jeune femme s’accuse de ces méfaits et se repend alors fortement :

« Comment nier, mon père, que j’avais donné naissance à cette infamie? Malgré mes meilleures intentions, mes contes avaient agi sur eux comme un maléfice qui les avait transformés en monstre à sept gueules, crachant leur venin sur tout un chacun… Je leur rappelai que la calomnie est un péché grave, réprouvé par le huitième commandement, et qu’ils devaient réparer leurs fautes en rétablissant la vérité. » (177)

Elle craint également que la punition ne retombe sur elles et les sept cousins se réjouissent de cette perspective, imaginant des châtiments qui font échos aux sept « contes » précédemment lus : « Il te coupera le nez! – Il te fouettera jusqu’au sang! – Il t’affamera! – Il te fera ramper devant lui! – Il te brûlera les yeux! – Il te roulera dans les ronces! – Il t’écrasera le visage dans la boue! » (177-178) Maltraitée et pourchassée, la jeune femme se dit victime, une fois de plus, des médisances de ses cousins, auxquels l’abbé a malheureusement porté du crédit : « Leurs crimes les plus noirs, ils n’ont pas eu le courage de vous les avouer. Ils les ont camouflées derrière des fables où ils se donnaient le rôle de victimes. Et vous, voyeur de l’oreille, vous les avez écoutés avec une curiosité malsaine. Vous les avez encouragés à débiter leurs mensonges éhontés, à déverser leurs propos fallacieux, à dissimuler leurs intentions malveillantes. » (182) Toutefois, l’abbé paiera pour cela : l’histoire de crachat réclamé par les 7 frères, c’est aussi celle que nous lisons, c’est la 8e confessions, puisque la jeune femme crache dans l’oreille de l’abbé qui ne pourra plus jamais entendre… Ainsi, le « maléficium » ce sont les sorts jetés aux jeunes hommes, le récit des confessions lui-même, ou bien les dangers de la fiction, auxquels le lecteur, tout comme nous en prévenait le préface, se trouve confronté?

Auteur(e) de la fiche : Manon Auger

fq-equipe/desjardins_martine_2009_maleficium.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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