Table des matières
ORION + POROSITÉ - FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Michèle Comtois
Titre : Le tableau de chasse
Éditeur : Héliotrope
Collection :
Année : 2013
Éditions ultérieures :
Désignation générique : Roman (quatrième de couverture et page de garde)
Quatrième de couverture : Claire Gerson, Juive française, arrêtée le 18 décembre 1943, a tué un chien pour manger. Le dossier dit aussi qu’elle a tué un homme.
Dans le Camp, il était prévu que le Nazi Robert Gustloff l’exécute comme toutes ses autres prisonnières. La mention « artiste-peintre » a cependant donné à ce dernier une idée que son épouse, Paulina, trouve réjouissante. Pour édifier les générations à venir, le SS fera peindre par l’artiste un portrait de lui en majesté avec, à ses pieds, les prisonniers du Bloc 10. Il y a là des gens de tous âges, unis par une singulière complicité, dont la petite Lilian Maisel qui rêve d’évasion.
Un roman bouleversant dans lequel l’insoumission et la dignité parviennent à éclairer les horizons les plus sombres.
Notice biographique de l’auteur : Le tableau de chasse est le premier roman de Michèle Comtois.
II - CONTENU ET THÈMES
Résumé de l’œuvre : L’histoire se passe sur quelques jours autour de la fin de 1943 ou du début de 1944. Claire Gerson, une juive française, est dans le bureau du Nazi Robert Gustloff qui lui offre un verre de lait chaud et laisse à sa disposition un revolver. C’est un piège, bien sûr, afin de pouvoir la tuer en plaidant la légitime défense, mais Claire Gerson n’y tombe pas et laisse simplement l’arme en demandant au Nazi ce qu’il attend d’elle. Comme elle est artiste-peintre, il souhaite qu’elle réalise une toile de lui avec des prisonniers juifs, pour la postérité. Amenée dans le Bloc 10 (le bloc des expériences médicales), elle finit par accepter à condition que tous aient du porc à manger, question de reprendre des forces et des couleurs. Cette première entorse au règlement donne de la vigueur au groupe qui, peu à peu, reprend les droits de son humanité. Il y aussi, dans ce groupe, une petite fille, Lili Maisel, une survivante qui élabore dans sa tête un plan de « quand-même-vie » et qui se lie à Claire. On apprend des pans de vie de chacun et comment se passe la vie dans le camp. Le jour où on doit commencer à peindre le tableau, le vieux Salomon, un ancien charpentier, poignarde le Nazi. L’enfant exhorte Claire de les dessiner afin de garder « leur trace » (119) et elle confie ensuite les croquis à Daria Jablonowski, une ancienne coiffeuse devenue gardienne de camp. Après cette échauffourée, les portes du camp sont ouvertes, laissant l’espoir d’une fuite.
Thème principal : la dignité
Description du thème principal : Ce qui se joue et s’oppose, c’est bien la recherche d’une dignité qui nous est déniée. Déniée, évidemment, pour les Juifs du camp, perçus comme des êtres inférieurs et méprisables, comme de la vermine, par les Nazis (de nombreuses focalisations internes sur le personnage de Gustloff ou du Dr Koch reprennent les grands poncifs du discours nazis). Dignité recherchée par le méprisable Gustloff, convaincu de sa supériorité mais voulant se valoriser aux yeux de Dr Koch, de sa femme et de la postérité, en faisant faire de lui ce « tableau de chasse », en tentant d’imiter les grands seigneurs. Réduits à l’état de « masse grise », les prisonniers retrouvent un peu de leur humanité en étant les participants de l’entreprise puérile de leur bourreau. Mais le tableau de chasse se renverse puisque c’est Salomon Goldmann qui tue le Nazi. Cependant, ce geste n’est pas un triomphe pour lui puisque, dit-il : « Même à l’instant de mourir, il n’a vu en moi qu’un rat, non un être humain. […] Je ne lui demandais qu’un sursaut de reconnaissance, qu’un éclair de vraie peur dans les yeux. Mais rien. Rien qu’un regard stupéfait face au rat. Toujours l’éternel désaveu… » (2013 : 116-117)
Thèmes secondaires : le nazisme, la judéité, la Shoah, la guerre, les camps de concentration, l’espoir, le rêve.
III- CARACTÉRISATION NARRATIVE ET FORMELLE
Type de roman (ou de récit) : récit d’inspiration historique
Commentaire à propos du type de roman : récit plus que roman selon moi, étant donné le minimalisme de l’intrigue et des personnages. Rien de romanesque. Un tableau pris dans l’Histoire.
Type de narration : hétérodiégétique
Commentaire à propos du type de narration : focalisation interne et, souvent, dialogues rapportés à même la narration, connotant une certaine oralité.
Personnes et/ou personnages mis en scène : personnages plausibles de l’histoire, mais pas des figures historiques réelles.
Lieu(x) mis en scène : Allemagne, Camp de concentration, Bloc 10.
Types de lieux : Salle éclairée au néon d’un camp de concentration allemand.
Date(s) ou époque(s) de l'histoire : 1943-1944.
Intergénérité et/ou intertextualité et/ou intermédialité : Rien, à l’exception d’une intertextualité avec les Fables de La Fontaine que la petite Lili aime et se répète souvent pour se donner du courage : « Elle en avait profité pour se réciter onze fois Le renard et la cigogne, fable qui faisait partie de son plan de quand-même-vie. Elle en avait été ravie. Peut-être que ce petit dérèglement signifiait que les renards rusés, semblables à celui de la fable, seraient à leur tour trompés. » (55) On mentionne aussi que, dans sa vie d’avant, Liliane lisait avec son ami Les aventures de Quick et Flupke (100)
Particularités stylistiques ou textuelles : Récit minimaliste. Présence d’oralité dans l’écrit.
IV- POROSITÉ
Phénomènes de porosité observés : porosité fiction et histoire, porosité de l’oral et de l’écrit.
Description des phénomènes observés : En ce qui concerne la porosité de l’oral et de l’écrit, elle est manifeste dans l’écriture, où les deux registres s’entremêlent, dans la narration, sans que ce soit forcément un dialogue rapporté. On en trouvera des exemples dans les prochaines citations.
De plus, comme la plupart des romans inspirés de l’Histoire, il contient un certain discours sur l’Histoire à même les personnages et la narration. Je retiens particulièrement ces citations (qui m’ont parus évidentes) :
- « Il [Gustloff] avait cessé de l’écouter [sa femme]. Lui, il avait pensé au grand récit en train de s’écrire, à la postérité de son peuple, aux générations à venir. Souvent, Paulina lui semblait trop petitement maternelle. Mais cela lui plaisait, cet écart entre eux. L’élévation de mes pensées, avait-il souvent remarqué, rend ma supériorité, sur elle, indiscutable. Les femmes préfèrent l’intime, le familial, car elles possèdent un esprit domestique, lui avec enseigné l’Histoire. Et son ami Hermann Koch. » (20)
- Les deux Nazis sont aussi décrits selon leur rapport aux corps et à l’Histoire : « Le médecin-chef ne pensait d’ailleurs pas du tout, comme Gustloff, à la postérité, aux générations à venir. Pour lui, la vie s’arrêterait à l’instant où il la perdrait. Quand il exultait, c’était pour ses propres illuminations : inciser la peau, taillader les tissus, couper les os, enfoncer doigts dans le mou, dans le visqueux, arracher les boyaux… Puis analyser, observer, déduire, comprendre et jouir! Jouir! Jouir! Nul descendant ne naîtrait de ses cobayes, il le savait. C’était le présent du présent qui comptait pour Hermann Koch. Pour ce qui était de l’avenir, ses carnets de notes suffiraient à perpétuer son nom. » (47)
- S’adressant à la masse grise, Gustloff déclare : « Est-ce vraiment du travail ça, poser pour une œuvre de mémoire qui vous inscrira dans l’Histoire? Votre collaboration, le savez-vous, deviendra connue et appréciée à sa juste valeur, car vous êtes, oui, oui, à votre manière, vous êtes des participants essentiels de l’édification des générations à venir. » (48-49)
- Finalement, la scène du meurtre est aussi excessivement pittoresque, teintée d’histoire : « Quand le bras du charpentier s’éleva, décrivant un large demi-cercle, on aurait dit qu’il rassemblait dans son sillage deux milles ans d’interdictions et de bannissement. Puissant et féroce, le bras au couteau descendait vers Gustloff, tel le bec d’un aigle sur sa proie, dispersant, par ses ailes éployées, les cendres grasses en suspension autour de lui. La Mort écarta, sans s’arrêter, la main au drapeau qui venait de s’élever. Pauvre défense qui s’avéra un pur réflexe, tant la stupéfaction du SS déniait toute intention de combat. La Mort avant le bout de la vie inversait les rôles : de chasseur-braconnier, le Nazi était devenu gibier. Bien sûr, nulle parade n’aurait pu arrêter la descente du couteau vers la poitrine à ouvrir. Souveraine, la lame recourbée pénétra dans l’épaisse viande de la race supérieure, trouva le cœur, et entama son antique danse macabre. Quand le flot rouge sang-de-bœuf jaillit en mille rigoles visqueuses… le chien s’approcha. » (115)
Auteur(e) de la fiche : Manon Auger