FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : François Rivière Titre : Agatha Christie Lieu : Paris Édition : Édition du Masque Année : 2001 (nouvelle édition de 1982) Pages : 286 Cote : PR60005 H66Z855 2001 Désignation générique : Biographie
Bibliographie de l’auteur : L’auteur est romancier (surtout du roman policier), critique littéraire et scénariste de bandes-dessinées.
Biographé : Agatha Christie
Quatrième de couverture : Traditionnelle. On présente les grands traits de la carrière d’Agatha Christie pour souligner l’intérêt de la présente biographie. On insiste aussi sur le fait que cette biographie apporte «d’étonnantes révélations» sur Christie, «notamment à propos de sa mystérieuse disparition au cours de l’hiver 1923, disparition qui engendra les hypothèses les plus folles !»
Préface : Un avant-propos riche et substantiel accompagne cette réédition. Dans celui-ci, le biographe explique ce qui est à l’origine du projet biographique ainsi que la relation qu’il entretient avec la figure de la biographée. D’entrée de jeu, il explique que, fasciné depuis longtemps par l’œuvre de Christie, il s’est retrouvé un jour devant une série de photographies la représentant mais s’est vu incapable «d’établir un rapport entre la femme et l’œuvre» (p.12). C’est de cette scission entre la vie et l’œuvre – et son désir d’établir un pont entre les deux - qu’est né son intérêt biographique. C’est aussi son rapport à l’image(s) biographique(s) qui est le moteur de ce dernier, puisque ces photographies sont accompagnées d’un texte qu’il ne lit que distraitement, tant «les images avaient, [lui] semblait-il, un message bien plus important à [lui] communiquer…» (p.12) Mais il est important de préciser que si son intérêt biographique naît à ce moment, le projet du livre apparaîtra plus tard, bien que l’auteur continue, pendant ces années, à collectionner les photographies de Christie, composant même, en août 1978, une série de textes brefs sous le titre Six kodaks d’Agatha (p.14-15). Ce qui le frappe également, c’est le peu d’importance qu’Agatha Christie accorde (du moins dans ses propos) à son œuvre dans son Autobiographie, parlant toujours de celle-ci comme d’une pratique «amateur» ; Rivière y voit une nouvelle façon de déjouer la vérité. Sa démarche vis-à-vis de Christie est bien davantage intime que scientifique, s’inscrivant dans un rapport affectif entretenu par la nostalgie de l’adolescence, par son intérêt, comme je l’ai souligné, pour l’écart qui semble séparer sa vie de son œuvre et son désir personnel de voir cet écart franchi.
Dans la suite de l’avant-propos, il insiste sur la mystérieuse disparition de Christie pendant près d’une semaine, disparition dont la clef est demeurée cachée au public et commente brièvement quelques biographies consacrées à Christie. Il insiste finalement sur le rapport de Christie au public français et le rapport bio/bio sera toujours celui de l’écrivain français lisant et regardant un écrivain anglais :
«Mon propre désir était alors d’une grande prétention, que j’envisageais avec innocence : je voulais la faire reconnaître comme écrivain à part entière [au public français], arguant des tourments de son âme que j’avais cru distinguer, de son attitude farouche au sein d’une famille – celle des auteurs de romans policiers anglo-saxons – qui, au jour de sa mort, lui avait rendu un vibrant hommage. J’aurais pu me complaire en la seule admiration de ses astucieuses intrigues que j’avais disséquées en compagnie des membres de l’Ouvroir de Littérature Policière Potentielle, créé en 1973 par François Le Lionnais, mais il me semblait que j’avais mieux à faire : lui témoigner mon amour… Cette passion n’a pas diminué.» (p.18-19)
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Des plages de photographies accompagnent l’œuvre ; il est dommage que ce ne soit pas la série de photographies ayant inspirés l’auteur, celles dont il parle dans son avant-propos. L’ouvrage est également accompagné d’une importante bibliographie de Christie commentée par le biographe (p.233-276)
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Le narrateur est assurément l’auteur, qui se met à l’occasion en scène et met en scène son vécu. Sa subjectivité occupe une part importante de la narration.
Narrateur/personnage : Le narrateur essaie tant bien que mal de pénétrer la pensée du personnage qui demeure toujours très distant. Des appellations familières du genre «notre amie», «notre héroïne», «notre romancière», etc., ponctuent le récit.
Biographe/biographé : Fascination qui frise l’adulation. Création et recherche tout à la fois d’un mythe de la femme Agatha, mythe qui serait différent de ce qu’il appelle lui-même la «légende». Une certaine familiarité empreinte de respect teinte sa «Lettre» : «Oui, chère Lady Mallowan, il me paraît que décidément votre héroïne la plus romanesque et la plus mystérieuse est bien cette Agatha Christie dont l’œuvre littéraire n’a peut-être pas à vos yeux plus d’épaisseur que celle de son double si souvent ridiculisée par vos soins !» (p.25) / Vous vous amuserez beaucoup de mes efforts à vouloir tout comprendre. Mais je crois que c’est un défaut que nous partageons, vous et moi.» (p.191) À propos de son intérêt pour le rapport vie/œuvre il écrit : «Me séduisait aussi – et surtout – la rencontre fatale du vécu et du créé, qui donnait à la vie de la romancière un sens inouï. Elle devenait à la fois magicienne et sorcière, nimbée d’une aura qui me la rendait encore plus irrésistible…» (p.196)
Autres relations : La relation auteur/lecteur ou, plus exactement, narrateur/narrataire (matérialisé sous le vocable «vous») est très importante puisque nous sommes dans un registre essayistique où l’auteur doit convaincre son lecteur des hypothèses qu’il avance.
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : La biographie s’ouvre par une longue «lettre à Lady Mallowan» dans laquelle le biographe s’adresse directement à la biographée pour lui expliquer son projet biographique. Le deuxième chapitre s’intéresse à la place qu’occupe Christie dans la tradition du Detective Novel (elle s’en démarque évidemment). À partir du troisième chapitre, qui met en scène l’enfance d’Agatha, on entre dans une chronologie classique. De son travail d’infirmière pendant la première Guerre, de sa rencontre et son mariage avec Archibald Christie, de sa mystérieuse disparition qui ne serait finalement qu’une «performance romanesque» (p.87) qui aurait échoué à contrer l’issue dramatique de son mariage, à la rencontre de son deuxième mari archéologue, on passe rapidement à l’œuvre de Christie et à ses personnages phares qui sont dès lors au centre de la biographie. Plusieurs chapitres subséquents sont donc consacrés exclusivement à l’œuvre de Christie qui devient la matière même de la biographie. Les derniers chapitres ont été ajoutés à la première édition. Il s’agit, selon les propres dires de l’auteur, «d’une série de considérations parfois plus prosaïques sur certains aspects de sa personnalité – notamment sur ses rapports à notre pays [la France]» (p.19) Un chapitre est plus particulièrement consacré à faire la lumière sur sa disparition.
Ancrage référentiel : Tous les lieux, les noms des personnes. Biographie factuelle dans l’ensemble.
Indices de fiction : 1- Cela n’indexe pas spontanément la fiction, mais la lettre qu’il adresse outre-tombe à Lady Mallowan a assurément un caractère ludique qui ressemble aux procédés de la fiction, permettant des libertés dans le propos et dans le ton que la biographie factuelle s’interdirait. 2- Il arrive aussi, quoi que très rarement, que l’auteur se permette de spéculer : «Je l’imagine à sa table de travail» (p.151) ; ou encore qu’il construise une scène : chapitre 10 où il recrée la rédaction de l’œuvre Loin de vous ce printemps ; ou encore qu’il ait accès aux pensées de la biographée.
Rapports vie/œuvre : Ce rapport est en fait, comme nous l’avons vu dans la section «préface», le moteur de l’entreprise biographique. L’auteur dira, dans sa «Lettre» : «Mais, voyez-vous, ce qui m’obsède encore et n’est sans doute pas près de me lâcher m’amène à formuler l’hypothèse d’une autre angoisse vous concernant et qui découle de la première : celle relative aux fragiles rapports du créé et du vécu, résumé de tout le drame de l’écrivain moderne en proie à l’œuvre qui le fascine et qu’il redoute, au point parfois – et ceci vous concerne- d’y échapper presque par le biais d’une manière d’œuvre seconde, encore plus terrifiante et pathétique dans sa mise au monde. Tout n’est-il pas là, abîmé dans ces incessants détours de l’être, de son existence visible, quotidienne à celle, souterraine et magiquement nimbée, qui le pousse à laisser derrière lui des traces de son voyage à travers les apparences ? […] La vie et l’œuvre – la vie ou l’œuvre ? La question porte en elle toute la hantise dont je parlais plus haut. Et ni vous ni moi n’y pourrions répondre…» (p.26-27, souligné dans le texte.) Il conclura dans la suite de sa «Lettre» : «Votre vie pourrait ainsi se résumer, me semble-t-il : au désir forcené, aveuglé par une touchante naïveté toute romantique, de la Vie vécue comme un Roman, succéda de l’autre côté du pont jeté sur l’Échec Temporel l’onirique transmutation des Jours par les Écrits… forme définitive d’accession à l’immobilité. Et votre œuvre aurait ainsi trouvé, en son irrésistible ascension vers le succès, une raison d’être seconde, effaçant pour toujours les pathétiques origines de sa mise en forme. La fonction snob du Detective Novel fut là, sans doute, pour faire de votre recours obsessionnel au créé une sorte de très habile jeu de société artificiel et pathétique, sûrement, mais rédempteur, on ne peut désormais plus en douter !» (p.185-186) Le biographe cherche à retrouver l’écrivain à travers son œuvre : «Contre toutes les théories généralement admises, je persiste à croire – j’en reviens à ma “télépathie littéraire” ! – qu’au cœur même du récit le plus invraisemblable – je veux dire le plus romanesque – se découvrent soudain des images précises et précieuses de vous-mêmes, des pans entiers du texte se colorant d’une sorte d’intimité dont je sais qu’elle ne cherche à duper personne du fait même que, de votre part, il ne s’agit que de “faire du roman”. Alors, que j’aie ou non tort de m’obstiner, il m’apparaît que votre pratique, toujours, n’a joué la naïveté du “roman d’archétypes” que pour mieux le détourner, sinon de se finalité, du moins de son archéologie traditionnelle, évacuée tout simplement au profit de la vôtre…» (p.31) […] «Soyez sûre qu’une œuvre aussi vaste que la vôtre méritait plus d’une tentative de mise au jour de la complexité de ses rouages. Cependant, il se peut que, sans avoir voulu me montrer indiscret, j’aie délibérément opté pour l’interprétation des rapports les plus intimes de la vie aux écrits dans l’optique dont je parlais plus haut.» (p.32)
Son hypothèse principale est que Christie aurait constamment transposé l’univers de son enfance (matérialisé symboliquement par des figurine de Dresde représentant les personnages de la Commedia Dell’Arte) à travers ses romans, que cette nostalgie d’un univers protégé mais empli d’histoires aurait nourri son imaginaire. Ainsi, «son amour du home s’exercera tel un fantasme inlassable, à travers son œuvre. Ashfield, lieu générateur de toutes choses, servira de modèle à une série de lieux, dans la fiction comme dans la vie de l’écrivain […] véritable obsession qui sous-tendra bien des épisodes de la mise au monde de l’œuvre.» (p.74) Également, l’hypothèse expliquant sa fugue dans le nord de l’Angleterre serait celle d’une tentative de «performance romanesque» (p.87) : «Et Agatha faisait l’amer constat de l’impossibilité de prolonger les rêves – mais était-ce bien un rêve qu’elle avait vécu là, dans ce décor choisi, digne d’un de ses romans passés ou à venir – qu’importe : ils étaient déjà tous écrits dans sa tête et elle aurait tant voulu les vivre ! Était-ce vraiment un songe ou bien une sorte de pratique hypnotique soumise au désir immense, incoercible, de sortir de la vie d’Agatha Christie pour devenir enfin le personnage de roman le plus fidèle ?» (p.88) Une autre longue tirade retient encore l’attention : «La romancière a conscience de mêler le plus habilement possible le vécu et le créé, puisant sans retenue à l’intarissable source de fiction qu’elle alimente de ses rêves, de café et de lait onctueux du Devonshire, de rencontres estivales et de ces amitiés qu’elle noue l’hiver sous le soleil du Moyen-Orient. C’est absolument irrésistible, et facile, tellement facile ! Son œuvre vit d’elle et elle vit de son œuvre. Toutes ces œuvres qui prennent forme viennent en vérité de si loin, de l’enfance toujours vive et apparaissent avec une netteté tellement rassurante et complice qu’il est impossible pour elle de faire barrage au flot impétueux des fantasmes.» (p.161) Finalement, Rivière insistera sur l’importance de l’œuvre, pour Agatha, comme totalité par l’écriture des romans qui vont clore les cycles de Poirot et de Miss Marple et qui ne sont destinés à être publiés qu’après sa mort : ils «disent assez qu’elle croit en l’œuvre, qu’elle s’occupe déjà de lui assurer une survie qui est en même temps la sienne.» (p.106)
Thématisation de l’écriture et de la lecture : 1) La lecture de l’œuvre de Christie par le biographe est thématisée : «J’ai pratiquement appris à lire dans vos œuvres» (p.27) ; mais, surtout la lecture de l’œuvre d’une façon générale, SA lecture de la vie et de l’œuvre. 2) L’écriture, et plus précisément l’écriture «policière», est thématisée dans le but de rendre hommage à la forme décriée qu’est celle du roman policier : «écrire pour le confort douillet de l’esprit, en méprisant cet exotisme du réel trop souvent répandu depuis la mise au jour de l’inconscient, écrire en s’enfermant délibérément à l’intérieur du décor connu, quotidien, pour y introduire savamment le désordre et l’angoisse dont procède toute écriture – pour y semer en toute innocence l’erreur que procurent le crime et son énigme.» (p.36) 3) La biographé entretient, comme tout écrivain, un rapport salvateur à l’écriture : «Alors, pour la première fois dans sa vie, Agatha échappe au drame de l’existence, à l’inadéquation contrariante de son rêve au monde, en se réfugiant dans l’écriture.» (p.60) / «Agatha comprend d’elle-même, enfin, que l’écriture peut préserver du doute, soulager le désespoir. Je l’ai dit : elle succombe.» (p.71)
Thématisation de la biographie : 1) L’auteur expose clairement, dans sa «Lettre», son projet biographique : Un jour, l’idée m’est venue d’un livre sur vous, à propos de vous. Un livre qui ne serait pas vraiment une étude biographique, pas vraiment non plus un essai analytique – votre œuvre est tellement considérable que le courage me manquera toujours de tenter de l’enfermer dans le cadre d’une quelconque analyse méthodique – mais peut-être une réflexion, toute subjective forcément, sur votre manière de procéder avec l’écriture, votre façon de vous y prendre avec cet étrange besoin de faire des livres et, en l’occurrence, d’intriguer passablement les lecteurs de ces ouvrages baptisés “roman policiers”…» (p.27) «Le livre qu’on écrit sur un auteur, lorsqu’il n’est pas polémique, doit être un hommage : bien souvent, il s’agit encore d’autre chose. Un de mes écrivains favoris, l’ineffable Chesterton disait qu’il parlait surtout de lui-même au fil de ses biographies de Stevenson et Dickens. Je n’ai jamais eu de mal à le croire. Le livre que j’ai voulu faire autour de vous se contentera d’éléments biographiques pour la plupart déjà connus du grand public – éléments de la “légende Agatha Christie”, si l’on veut-, cependant c’est à partir d’un certain nombre d’anecdotes que je considère comme extrêmement significatives, fournies toujours par les sources officielles, que je serai amené à construire mon hypothèse. Et ce qui est sûr, c’est que l’hypothèse en question tentera envers et contre tout d’unir deux subjectivités, par le canal de l’intuition et d’une sorte de télépathie d’écriture à mes yeux capitale.» (p.29) Dans la suite de sa «Lettre à Lady Mallowan» (chapitre 14), il revient sur son entreprise : «Vous direz sans doute : “Mais pourquoi chercher à expliquer comment j’ai écrit certains de mes livres – je ne l’ai jamais su vraiment moi-même…” Et cela me gêne un peu, car j’ai bien l’impression de m’être laissé aller à une sorte d’exagération de votre subjectivité, d`’avoir cédé à la tentation d’une forme d’analyse-fictoin que les esprits chagrins pourraient me reprocher. Pourtant, ce fut pour reconnaître de manière incessante le triomphe du créé sur le vécu, pour admirer sans retenue – et avec, j’espère, assez d’insolence pour vous en amuser – la réalisation progressive d’une existence accordée de plus en plus à l’idéal des rêves originels…» (p.185) 2) L’impossibilité de cerner la biographie d’Agatha Christie (du moins au premier degré) est également évoquée à plusieurs reprises, notamment en ce qui concerne son autobiographie qui cache bien plus qu’elle ne révèle sur son auteur ou qui, sinon, s’amuse à construire une image à pérenniser : «Mais que s’était-il passé dans cette tête de romancière ? Agatha était morte, emportant avec elle le secret de sa vie. Naïvement, certains songeaient que la publication de ses mémoires soulèverait un coin de voile. Illusions ! Le mystère est resté entier. Le mystère d’une vie épaissi du mystère d’une centaine de livres… “Que s’était-il passé dans cette tête ?”, la question lancinante avait aussi, sans doute, quelque chose de très présomptueux. Et pourtant je n’ai jamais cessé de me la poser depuis lors.» (p.183)
3) Rivière insiste également sur les romans plus personnels qu’elle a écrit sous le pseudonyme de Mary Westmacott, arguant qu’elle n’y a pas transposé de scènes de son existence puisqu’elle préfère la fiction (recréation) à la réalité (p.159) : «N’en déplaise à certains, Mary Westmacott n’a jamais dit la vérité sur Agatha Christie. Sinon, peut-être, sur la vérité de son écriture. Mais elle ne relève jamais rien d’une biographie assurément bien plus opaque que celle de tous les personnages mis en scène.» (p.158)
Topoï : Le rapport entre la vie et l’œuvre (triomphe du créé sur le vécu) ; La société anglaise (victorienne) et son mode de vie auquel Christie est particulièrement attachée – par exemple, elle considère sa pratique d’écriture comme «amateur» pour la simple raison qu’elle ne veut pas s’affranchir des modèles féminins qui lui ont été proposés dans son enfance ; le passage à un «état» de romancière qui transforme la femme ; l’enfance et sa sécurité (paradis perdu) ; le décalage entre la véritable Agatha et l’image qu’elle a laissée d’elle-même ; etc.
Hybridation : Entre biographie et essai, la biographie s’intéressant à la «vie» et l’essai à «l’œuvre», les hypothèses de l’auteur se fondant sur ce rapport complexe. Les signes de l’écriture ou de la pensée «en marche» ne sont pas gommés, comme pour respecter le mouvement essayistique. Par exemple : «Tout en écrivant cela, je ne puis m’empêcher de songer…» (p.84) Cet essai biographique, donc, fait recourir un «je» qui puise dans sa propre expérience pour appuyer ses dires, d’où une certaine contamination autobiographique. Cette forme permet également un savant dosage entre la vie et l’œuvre, faisant dévier le propos traditionnel de la «vie» vers «l’œuvre». Il qualifie lui-même son entreprise d’«analyse-fiction» (p.185)
Différenciation : L’auteur se distancie, tant dans son avant-propos que dans sa «Lettre à Lady Mallowan» de l’entreprise biographique traditionnelle pour assumer pleinement la part de subjectivité qu’une lecture de la vie et de l’œuvre requiert, bien qu’il n’appuie que très peu sur le caractère arbitraire de certaines de ses réflexions.
Transposition : Transposition du discours critique : sans doute pas au sens fort, puisque ce type de transposition n’est pas explicitement marqué, mais tout de même très important puisqu’il semble être, un peu comme les rapports vie/œuvre, au cœur du désir biographique. C’est que, procédant à une sorte de réhabilitation de l’écriture «policière» ainsi qu’à un de ses maîtres incontestés, il s’inscrit dans un contre discours dont le discours source traverse comme en filigrane toute la biographie. On sent le désir de contrer le discours littéraire «savant» qui méprise ce genre de littérature. Par exemple : «De la prolifération des écrits de ces romanciers féconds, tenus parfois pour d’habiles fabricants et seulement cela – encore une absurdité répandue par la critique – on a conclu très volontiers que la transparence des livres impliquait la transparence des auteurs. Par contrecoup, certains travaux récents se sont appliquées à donner de ces créateurs une image tellement absconde que les lecteurs ont cru à une supercherie de plus. En réalité, les tenants de l’analyse littéraire ont peur, depuis toujours, de ces œuvres qui résistent avec une force d’inertie étonnante à leurs assauts parfois hystériques.» (p.109-110) Toute sa biographie est une célébration de la richesse sémantique de l’œuvre de Christie et une tentative de légitimation de cette œuvre.
Autres remarques :
LA LECTURE
Pacte de lecture : L’hybridation entre deux genres factuels rend le pacte de lecture facile. On doute peu de la vérité de ce qui est mis en scène, si ce n’est qu’on en vient à s’interroger sur la vérité de la figure biographée que le biographe cherche à construire. Voulant défaire la légende, n’essaie-t-il pas de simplement lui substituer un mythe d’écriture ?
Attitude de lecture : Le ton essayistique est porté par un langage très riche qui rend la lecture agréable. Son ardeur vis-à-vis de Christie et de son œuvre le rend convaincant ; on a presque envie d’aller lire du Christie ! J’estime que cette biographie s’inscrit bien dans le corpus malgré peut-être son peu d’intérêt pour la fictionnalisation.
Lecteur/lectrice : Manon Auger