Table des matières
Oliver CAÏRA (2011), Définir la fiction. Du roman au jeu d’échecs
Paris, Éditions EHESS
Notes de lecture par Manon Auger
Préface de Jean-Marie Schaeffer :
Il présente les innovations et avancées de l’ouvrage et de la réflexion qui le sous-tend. « La fiction se distingue de la connaissance factuelle non pas parce qu’elle est fausse là où l’autre est vraie, mais parce qu’elle met entre parenthèse la question du vrai et du faux. » (12) → Cette réflexion peut être intéressante pour nous : les modalités d’interprétation peuvent se trouver ailleurs que dans la question du vrai et du faux.
Note : il y a plusieurs autres textes de Jean-Marie Schaeffer qu’on pourra éventuellement ajouter à une bibliographie large.
Introduction : présentation de l’ouvrage et des approches sociologiques de la fiction – réfutation des théories de la panfictionalité.
Chapitre premier. La fiction en débat
Une controverse dense mais lacunaire :
Réfutation du « tout littéraire » des théories de la fiction. « La plus grave lacune du débat contemporain est le divorce entre fiction mimétique et fiction axiomatique. Sous-tendu par la coupure entre lettres et sciences, il limite le champ de la discussion aux cadres de fictions qui présentent des versions plus ou moins divergentes de notre monde. » (26)
« Faire sans… » : en quête d’une définition parcimonieuse :
L’auteur élimine quelques concepts associés généralement à la fiction (mimésis, narration, langage, logique) pour arriver à une nouvelle définition.
Chapitre 3. Définition et corollaires
« Dans le seul domaine littéraire, les innovations des auteurs du XXe siècle ont fait voler en éclats les conventions fictionnelles du XIXe siècle, et tout théoricien contemporain doit désormais intégrer, non comme des déplacements marginaux, mais comme des reconfigurations centrales, les œuvres de Kafka, de Borges, de Buzzati ou de Queneau. Parler de transgression ne suffit pas, n’a probablement jamais suffi. » (78)
Sa définition de la fiction : « La fiction ne s’entend pas comme un jeu de contraintes, mais comme la levée des contraintes s’exerçant sur la communication documentaire. Si elle a subi tant de désobéissance thématiques et formelles, migré vers tant de cadres d’expérience et de média, intégré tant de formes de réflexivité, le tout sans jamais être contestée sur ses propriétés fondamentales, c’est que la fiction n’est pas un domaine circonscrit, mais un espace ouvert. » (2011 : 79) « Je définirai donc la fiction comme une instruction pragmatique levant les contraintes de recoupement et d’isomorphisme sur le cadre d’une communication donnée. Débarrassée de ces contraintes typiquement documentaires, la communication au sein d’un cadre fictionnel n’a plus besoin de sources stables et identifiables, plus besoin de séries de versions continues et concordantes, plus besoin d’une consistance propositionnelle autre que celle voulue par les protagonistes engagés dans ce cadre. Cette définition n’implique aucun aspect représentationnel, narratif, linguistique ou logique. Par extension, tout message – version ou formule – qui incorpore cette levée des contraintes de preuve, tout être qui ne peut être engendré qu’au sein d’un tel cadre peut être qualifié de fiction. » (2011 : 79)
« Si la fictionnalité résulte de la transmission réussie d’une instruction pragmatique, la palette des moyens permettant d’engendrer des cadres fictionnels s’enrichit considérablement. » (80) – Il présente alors les divers « moyens ».
L’auteur distingue trois types de fiction :
- 1/ la fiction mimétique : monde alternatif (roman, film, théâtre) (84)
- 2/ les axiomatiques autonomes : validation expérimentale – fictions logico-mathématiques (jeux d’échec, problèmes de math) (85)
- 3/ le jeu de simulation : « hybride plus ou moins viable des deux précédents » (85-86)
Je place aussi ici une autre définition de la fiction qu’il donne plus loin, insistant surtout sur le fait que la fiction se définit dans un rapport au documentaire, et non à la réalité : « Si l’opposition entre “fiction” et “réalité” doit être abandonnée au profit de la distinction pragmatique entre fiction et documentaire, l’une des principales conséquences est la levée des contraintes de recoupement et d’isomorphisme est bien entendu la possibilité de bâtir et d’explorer consciemment des mondes irréels. » (122)
Dans une autre partie, intitulée « Conséquences formelles », il s’intéresse plus spécifiquement aux marques textuelles (le terme étant à prendre au sens large) de la fiction, se basant sur cette remarque : « La définition pragmatique proposée dans cet ouvrage ne doit pas se lire “contre” les approches internalistes, car si la fiction est le résultat d’un cadrage particulier de l’expérience, la question des moyens de ce cadrage demeure posée. » (91). Il dresse ensuite une liste de divers « marqueurs de fictionnalité » (l’expression est reprise de Hamburger).
Dans une autre partie, intitulée « Conséquences ontologiques », Caïra s’attarde à la question des personnages historiques dans les romans, renvoyant aux idées de Cohn et de Hamburger (101), puis à celle des uchronies, là où la question de la mise en scène de personnes réelles est plus complexe : « Comprendre une figure aussi complexe que l’uchronie suppose de laisser exister – au sens fort – les êtres réels en tant que tels, c’est-à-dire chargés de l’ensemble des versions et extrapolations documentaires que nous leur attribuons. » (102, souligné dans le texte) Ainsi, le sens a attribuer à celles-ci ne trouve sa plénitude que lorsqu’on sait de quoi le personnage est en réalité chargé (ex : Hitler ayant été accepté à l’Académie de peinture). Note : on devrait faire mention des uchronies dans la demande. On pourrait donner comme exemple La part de l’autre d’Éric-Emmanuel Schmitt (cet exemple vient de moi)
« Dans une conception nodale, la cohabitation des objets imaginés et réels s’organise sans heurts, par des points de recoupement créés au sein des œuvres. » (102)
Chapitre 4. Hybrides et faux amis
Dans la partie « Des fictions ancrées dans la réalité », l’auteur s’intéresse à la question des romans historiques. Il appert que ce sera essentiellement la question de l’authenticité et de la vraisemblance qui soit au cœur de ces fictions (113). Je retiens surtout ce passage : « S’il y a place pour le documentaire-fiction, ce n’est pas tant du fait d’une carence du fictionnel que de l’incomplétude de notre connaissance du réel. Le roman historique est documentaire au sens où l’auteur tente de ne rien écrire qui soit en discordance avec les connaissances des historiens de son époque. Chacun sait néanmoins que les versions concordantes offertes par les livres d’histoire ne décrivent qu’une part infime du passé dont elles parlent : il est donc possible, pour compléter le roman, d’insérer des dialogues que nul n’a jamais retranscrit, des soldats que nul chroniqueur militaire n’a pris soin de nommer, voire de compter, des parures que nul peintre n’a pu saisir. » (110)
Chapitre 6. La fiction comme zone de non-droit
Dans ce chapitre, l’auteur explore les rapports entre la « fiction » comme contrat et les droits des personnes réelles qui se retrouvent transposées dans les fictions. Il fait état de quelques cas juridiques pour conclure que la mention « fiction », même si elle n’est pas acceptée par tous comme cadre de lecture (au sens large), a souvent valeur de protection, entrainant une sorte d’impunité pour les auteurs : « La coexistence des messages “basé sur une histoire vraie” et “Toute ressemblance…” crée une ambiguïté pragmatique qui, dans l’interprétation actuelle du Premier Amendement fait de la fictionnalité un atout juridique sans diminuer l’effet promotionnel de la documentarité. » (161)
Note : l’idée d’un « effet promotionnel de la documentarité » est intéressante.
Dans un passage, l’auteur parle de « trois procédés typiques de la fiction à base historique » :
1/ La « torsion » des protagonistes, des lieux et des événements advenus pour en faire des personnages, des décors et une intrigue. (souligné dans le texte)
2/ la « fusion » d’éléments historiquement épars en quelques conglomérats aux fonctions narratives plus lisibles.
3/ Enfin, l’utilisation des « coulisses » de l’action, au sens de Goffman (1973), comme lieu de résolution des tensions entre rigueur documentaire – si minimale soit-elle – et contraintes narratives. (155)
« J’ai insisté sur l’impossibilité de caractériser une fiction par son seul contenu […]. Il existe des textes formellement indécidables quant à leur fictionnalité. C’est particulièrement le cas des récits à la première personne […]. » (163)
Deux « Appendices » complètent l’ouvrage. Dans ceux-ci, Caïra passe en revue les différents arguments des principaux acteurs du débat sur la fiction :
I- « Approches internalistes. Sémantiques et syntaxes de la fiction » :
Dans celui-ci il aborde deux pistes :
1. La piste ontologique (mondes possibles, entre autres) pour dire qu’elle est utile pour l’analyse de certaines œuvres mais non pour établir une théorie de la fiction.
2. La piste formelle : Bien qu’il juge nécessaire de ne pas rejeter ces théories (les indices textuels sont utiles quand le statut d’un texte est mal défini), il en vient à la conclusion que leur viabilité est restreindre pour définir la fiction.
II- « Approches externalistes : la fiction comme approche et comme posture »
Dans celui-ci, Caïra distingue d’abord les deux types d’approches externalistes : 1. « Le premier envisage la fictionnalité comme résultat d’un cadrage, d’un échange d’instructions, tant dans le texte que dans le cotexte et le contexte; » 2. « le second se focalise sur la compétence fictionnelle en tant qu’objet de la psychologie et du développement et en tant que moyen d’immersion dans différentes expériences de feintise ludique. » (209) Après les avoir dépeintes toutes les deux, il souligne à quel point elles sont complémentaires et essentielles.
Référence intéressante : Marie-Laure Ryan (dir.) (2004), Narrative across media : the Languages of Storytelling, Linclon, Universit of Nebraska Press. – En particulier l’article de Katharine Young : « Frame and Boundary in the Phenomenology of Narrative », p. 76-107.