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fq-equipe:bertrand_remi_philippe_delerm_et_le_minimalisme_positif_monaco_editions_du_rocher_2005

BERTRAND Rémi, Philippe Delerm et le minimalisme positif, Monaco, Éditions du Rocher, 2005.

« On constate l’émergence, au XXe siècle finissant, d’un courant littéraire minimaliste dévolu à la vie quotidienne » (p. 14). Ces minimilistes « positifs » écrivent une littérature articulée sur le bonheur au quotidien. Philippe Delerm est le plus représentatif de cette mouvance qui surgit dans les années 90. D’autres écrivains qui reçoivent cette étiquette sont : Christian Bobin, Colette Nys-Mazure (Belgique), Éric Holder et Jean Libis, Pierre Autin-Grenier, Pierre Bergounioux, Constance Chaillet, François de Cornière, Serge Joncour, Gil Jouanard, Pierre Michon, Jean-Pierre Ostende, Jean Rolin.

Cette mouvance est caractérisée par l’usage de la fiction pour mieux revenir au réel ; « l’objet et l’enjeu de leur écriture : respectivement, le quotidien et le bonheur débarassé des oripeaux de l’espérance » ; « la revalorisation de l’existence journalière en Occident et la débanalisation de l’ordinaire contingent par une façon spécifique d’être au monde » ; la forme brève, y compris dans la construction des romans et dans le laconisme du style.

Le quotidien échappe, ne peut pas être vu mais seulement « revu ». Selon Bertrand, l’axiome minimaliste serait « rien égale tout ». Ce postulat se manifeste dans les textes de Delerm par « une attention extrême à tous les détails de l’ordinaire, par une décomposition lente et précise de chaque tableau vécu – il faudrait dire recomposition, car le mouvement reste tout entier compris à l’intérieur du tableau, considérant chaque scène élément par élément plutôt que déduisant les constituants de l’ensemble. » Il ne s’agit pas de rien dire mais de dire Rien. Une morale de la satisfaction se substitue à celle de la résignation et c’est, selon Bertrand, l’éthique du minimalisme (positif).

La capacité de l’écrit à tenir un discours sur sa propre signification n’est pas l’apanage du minimalisme positif mais elle y est magnifiée et fondamentale. Pour Bertrand la raison d’écrire est de se souvenir (d’activer la mémoire dans le sens proustien) afin de mieux construire son identité. « En réalité, l’écriture n’est pas fuyante, mais oscillatoire dans la mesure où le code d’action de tout minimaliste positif dirige son mouvement de l’immédiant vers l’enface afin d’en ramener, en retour, l’intensité à vivre le quotidien. » (ce n’est pas du tout le cas pour les minimalistes chez Minuit il me semble) Mais, comme le note Bertrand, si le quotidien échappe, l’écriture vient remplir le vide laisser par celui-ci, et cela est vrai également chez les minimalistes de Minuit (je pense).

L’éthique de l’immanence, du présent et de l’éternité : révalorisation du réel et du moment présent qui est le seul qu’on peut vivre. Or la mémoire est le passé en présent, et l’attente est le futur en présent. Le présent s’avoue être donc chez les minimalistes positifs l’éternité ou bien une éternité d’un présent toujours succèdant à lui-même. Le minimalisme positif est une structure « non métaphysique de la duplication, qui aboutit à enrichir le présent de toutes les potentialités, tant futures que passées ». Le quotidien devient une découverte permanente où tout est, à chaque moment, nouveau. (Mais il prend La première gorgée de bierre comme exemple – ce qui me semble aller en contresens de ce qu’il essaie de montrer – il force le texte je trouve)

La morale de la satisfaction : « Le désir de l’extraordinaire est le grand mal des âmes ordinaires ». Le minimalisme positif a donc quelque chose de commun avec l’épicurisme, en ce qu’il cherche à être constamment étonné par les mêmes plaisirs quotidiens.

Sensualisme : autre postulat minimaliste – sentir, c’est penser. La pensée naît de la sensation. D’où l’importance de la vue et du regard dans le minimalisme. La sensation suffit, il n’y a pas besoin de comprendre ou d’expliquer, juste de regarder et de dire. Au lieu d’être un problème à resoudre, le monde devient tout simplement spectacle.

En réaction contre la modernité et en nostalgie des valeurs anciennes, le minimalisme positif se fait chasse à l’authenticité et recherche de relations humaines. « Faire fusionner passé et présent pour enrichir ce dernier, tel est l’enjeu du minimalisme delermien à travers l’intérrogation sur le temps (et sur son corollaire, l’enfance). » L’enfance est recherchée en tant que façon d’être au monde.

Style : Bertrand analyse le style de Delerm et dit que ses constats ne peuvent pas s’appliquer au mouvement en général. Il note que Delerm « donne l’impression d’écrire avec un pinceau » (cela renvoie à l’importance de la vue et du regard) dans un style que certains critiques nomment postimpressionniste (impressionnisme = la transcription artisitque de l’impression pure telle qu’elle est ressentie dans sa matérialité). Deux procédés stylistiques sont utilisés pour atteindre à cet impressionnisme littéraire : l’hyperbole et l’ellipse descriptives. Le premier est liée à un gonflement de la description par l’usage des épithètes, le deuxième se caractérise par des mesures draconniens dans le choix des qualitatifs. Mais Bertrand ne problématise pas le minimalisme dans sa spécificité littéraire (sauf en tant que rejet de la littérature à la Ernaux).

Pour Delerm, la solitude est le symptôme de la perte de l’enfance. (serait-ce donc lié au langage ? la solitude serait donc la conséquence de l’accès au langage) Selon Bertrand le sujet minimaliste cherche la solitude et l’isolation, mais il ne supporte pas cette solitude une fois atteinte. Il me semble qu’on peut faire une analyse psychologique des personnages du minimalisme positif beaucoup plus facilement que des personnages du minimalisme chez minuit. Le personnage est donc beaucoup plus développé chez ce premier.

Réflexions personnelles :

Par rapport au minimalistes chez Minuit, on peut remarquer une certaine symmétrie. D’un côté, le minimalisme qui raconte la menace toujours présente, le dégout, le hasard et, de l’autre, celui qui raconte le plaisir, le bonheur, etc. Mais les deux le font par les mêmes moyens (l’écriture minimaliste) et aboutissent à l’épiphanie devant le banal (on trouve facilement des distinctions par contre : le ton impassible chez minuit par rapport au ton mystique ou élogieux chez les minimalistes positifs). Les uns arrivent comme par hasard à la sublimation du quotidien, alors que les autres courrent en ligne droite vers cette transcendance. À creuser : les rapports/similarités/distinctions entre ces deux mouvances. Aussi pourquoi Bertrand décide-t-il d’appeler ce minimalisme « positif » ? Est-ce en réaction contre les minimalistes de Minuit qui pratiqueraient un minimalisme plutôt « négatif » ? Il ne s’explique pas sur ce point… J’ai parfois l’impression qu’il essaie de promouvoir une sorte de style de vie à l’exemple de cette demarche d’écriture : « Les minimalistes positifs sont – formulation apparemment paradoxale – des romantiques heureux. Cela signifie qu’ils ont su déceler leur idéaux au sein même du quotidien, ici et maintenant. Cette conception d’idéalisme satisfait constitue la sagesse même : sagesse de bonheur, sagesse de désespoir. » C’est un ouvrage centré plus sur une façon de vivre que sur la fonctionnement des textes. « Vivre en accord avec la nature n’est rien moins qu’un art de vivre – celui des minimalistes. » Si cela est vrai, le minimalisme « positif » se sépare nettement de celui chez Minuit.

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