FICHE DE LECTURE «Les postures du biographe»
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Stephanie Barron Titre : Série policière mettant en scène Jane Austen. Ai lu les deux premières œuvres ; Jane Austen à Scargrave Manor (SM) et Jane Austen et le révérend (JAR). Lieu : Paris (New York) Édition : Librairie des Champs-Élysées (Bantam Books) Année : 1998 [1996] /1997 Pages : 446 p. / 412 p.
Biographé : Jane Austen
Pays du biographe : Etats-Unis
Pays du biographé : Angleterre
Désignation générique : Aucun explicite, mais la description de l’intrigue en quatrième de couverture nous dirige vers le roman dans les deux cas.
Quatrième de couverture : Présentation de l’intrigue.
Préface : SM : Par son appartenance générique, ce roman biographique se situe d’emblée du côté de la littérature populaire. Cela est renforcé par la préface, une mise en scène – procédé convenu depuis le début du 19e siècle – de Barron annonçant avoir retrouvé les manuscrits du journal d’Austen dans le manoir géorgien d’un couple d’ami à Baltimore au Maryland. Je nous épargne la longue explication, mais Barron se présente comme étant l’éditrice de l’ « authentique » journal d’Austen, journal « faisant état d’énigmes rencontrées et résolues par Jane Austen pendant sa courte vie. » (11) L’auteur situe ensuite (toujours dans un contexte fictif) l’entreprise : « Pour une femme dont l’œuvre perdure depuis presque deux siècles, Jane Austen elle-même demeure pour une grande part un mystère. Ce que l’on sait de sa vie provient pour l’essentiel de sa correspondance ou de mémoires rédigés par des membres de sa famille après sa mort, et dont plusieurs chercheurs ont tiré de remarquables biographies. Comme nombre de ses lettres étaient adressées à sa sœur Cassandra qui en détruisit la plupart après la mort de Jane en 1817, des pans entiers de la vie de l’auteur nous sont demeurés inconnus. La présence de lettres inédites à Cassandra, insérées dans ces journaux intimes dont j’ai entrepris la publication, nous ouvre de nouvelles perspectives sur le vécu de la romancière. » (12) Dans la notice biographique qui suit, la préfacière insiste sur le contexte historique dans lequel a vécu Austen et ajoute, pour mieux souligner par avance son propre travail esthétique : « Ces ouvrages lui furent, entre autres, inspirés des événements de sa propre vie ou les expériences de certaines personnes de son entourage, ainsi qu’en témoignent les diverses réflexions consignées dans le journal qui suit. » (12-13) L’auteur situe ensuite la production romanesque d’Austen, les mœurs de son époque et le rôle des femmes dans la société. La préfacière prend aussi ses précautions pour l’accueil de son œuvre biographique : « Je prévois que nombre de gens seront choqués de découvrir Jane Austen sous les traits d’un fin limier ; mais il n’est guère étonnant qu’une femme dotée comme elle d’une grande intelligence et d’une remarquable compréhension de la nature humaine, se soit plu à essayer de démêler les intrigues ourdies par un cerveau criminel, quand l’aventure se présenta à elle. Son génie pour percer à jour les desseins cachés d’autrui, son sens de l’observation et la justesse de ses impressions – sa fertile imagination lui donnant à voir ce qui s’était peut-être passé tout comme ce qui était réellement arrivé – constituaient des atouts essentiels pour élucider une affaire criminelle. Ayant passé la majeure partie de son existence à la campagne, où le maintien de l’ordre était assuré par un juge de paix – et, de façon plus informelle, par la gentry, investie d’une certaine autorité locale – Jane Austen n’hésitait pas à solliciter l’assistance de ses puissantes relations dès lors qu’il s’agissait de punir les coupables et de rendre justice aux innocents. Femme et célibataire, dotée en outre de revenus modestes, elle était contrainte de s’appuyer sur son entourage masculin pour ce faire, car l’accès des hommes aux mondes du commerce, de la loi et de la politique, leur donnait plus de pouvoir qu’elle n’aurait jamais pu en avoir pour servir la cause de la justice. Le fait qu’eux-mêmes acceptaient de mettre à contribution ses compétences intellectuelles dans ce genre d’affaires témoigne de l’excellence de leur jugement. » (p.14) Finalement, l’auteur analyse sa propre intrigue et continue de rhétoriquer sur son rôle d’éditrice.
JAR : L’auteur situe l’épisode dans la vie de Jane Austen et met en contexte ce nouveau récit des «aventures épistolaires» de Jane. Elle place encore une fois l’intérêt de la «découverte» des journaux pour l’avancée des recherches biographiques sur Austen = «Les spécialistes de l’écrivain sont depuis longtemps frustrés par leur ignorance sur cette période de sa vie, car parmi les lettres réunies dans sa correspondance, une seule ayant été écrite à Lyme nous est parvenue.» (5) «Ces détails épistolaires sont frustrants, ne proposant qu’un tableau incomplet du séjour de l’auteur sur la côte du Dorset. Ils n’en suggèrent pas moins l’importance.» (6) Finalement, il semble que l’auteur cherche à combler, par cet ouvrage, un flou dans la biographie d’Austen, soit celui d’une affaire de cœur qu’elle aurait vécu avec un «clergyman» rencontré à Lyme : «Bien que les événements évoqués par Jane Austen dans les pages qui suivent sont assez surprenants, ils permettront peut-être d’élucider certain épisode personnel de sa vie qui a fait l’objet de multiples spéculations et débats. Plusieurs années après la mort de Jane, Cassandra Austen, sa sœur aînée et sa plus intime confidente, révéla à sa nièce Caroline que l’auteur avait vécu une affaire de cœur malheureuse avec un clergyman rencontré lors de son séjour au bord de la mer. Le jeune homme mourut ou disparut avant que des fiançailles eussent été prononcées, et, étant donné l’extrême discrétion de Cassandra concernant la vie privée de sa sœur, ni le nom du gentleman ni le récit exact de l’affaire ne furent jamais divulgués.» (6-7) Elle présente ensuite les différentes hypothèses des spécialistes de l’auteur et conclura : «Évoquer ici d’autres témoignages serait gâcher d’avance le plaisir du récit ; aussi vais-je laisser Jane parler pour elle-même et le lecteur juger seul de la véracité de ces hypothèses.» (7) On devine que Barron n’utilisera aucune des hypothèses «plausibles» avancées par les experts, mais forgera de toutes pièces une intrigue amoureuse, ce qui rapproche cette histoire davantage du roman que de la biographie.
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) :
SYNOPSIS
Résumé ou structure de l’oeuvre : Les romans sont construits comme un journal, bien que ce procédé ne serve pas vraiment l’intrigue, de plus que l’auteur ajoute des titres à ses chapitres. SM = Petite intrigue policière quasi entièrement fictive que la quatrième de couverture résume bien. JAR = Structuré de la même manière que le premier roman, celui-ci est toutefois ficelé avec beaucoup plus de doigté et de finesse. Il est d’autant plus intéressant qu’il s’inspire d’une véritable lettre de Jane Austen et qu’il met en scène quelques membres de la famille Austen, dont le père, la mère et la sœur Cassandra. La fiction et le biographique s’entremêlent alors avec intérêt. Le portrait des parents de Jane est très intéressant parce qu’ils forment un couple qui rappelle les parents de la famille Bennett dans Pride and Prejudice. Ils sont à la fois colorés et très vraisemblables. Mme Austen semble, dans une sorte de jeu de miroir, sortir tout droit d’un roman de Jane Austen.
Topoï :
Pacte de lecture : Le récit se donne comme véritable selon un procédé rhétorique éculé, ce qui pose l’histoire presque d’emblée comme fictif. L’idée du journal aurait pu être intéressante, mais il est si manifestement fictif et romanesque qu’il n’a aucune crédibilité et fait de la Jane fictive un être qui s’éloigne de la Jane historique.
Rapports Auteur/Narrateur/personnage :
I. ASPECT INSTITUTIONNEL
Position de l’auteur dans l’institution littéraire : L’auteur écrit, sous deux noms différents, des romans policiers (la série Jane Austen est parue sous le patronyme de Stephanie Barron et une autre série intitulée Merry Folger et située dans un cadre contemporain sous le nom de Francine Matthews). Elle se place donc du côté de la littérature de grande consommation.
Position du biographé dans l’institution littéraire : Jane Austen est un écrivain célébré et reconnu dans le monde entier. Si elle a pu acquérir une certaine renommée pendant son vécu, il n’en demeure pas moins que sa position dans l’institution littéraire était à l’époque plus ambiguë qu’aujourd’hui : « Novel-writing, in Austen’s day, was regarded as a frivolity, for the simple reason that it depicted life as it was actually lived – and because its primary readers were women.» Barron se place sur le même plan qu’Austen «Mystery novels fill a similar gap in the twenty-first century: in stories of detection, we study conflict and its resolution; we reimpose order on a chaotic world. Had she lived, Jane would be writing detective novels today. How much better, then, to star them? »
Transfert de capital symbolique : Il y a certes une volonté de réinvestir une figure chérie, mais peut-être aussi un certain «transfert» de capital, par la volonté de faire connaître Austen d’une manière tout à fait personnelle, de démystifier cette figure : «I knew Austen’s book, Austen’s characters – but very little about Austen’s life.» / « Writing about Jane was “baldly, a self-indulgence”, Barron says. But she also wanted to enlighten people about the author’s life. “I wanted to destroy the myths about Jane”, Barron says. “That she was a quiet little spinster who led a short, dull life. She actually had many important connections and moved in circles that brought her into contact with many famous and interesting people. » (CSGT)/ Mais Barron le fait avec une certaine gène, consciente sans doute d’occuper une place précaire dans l’institution littéraire parce qu’elle se place dans le champ de grande production littéraire:« “I had to be careful, though”, Barron says. “Mostly, we dislike it when a writer appropriates a real character and places them in fictional setting. But there are so many gaps in what we know about Jane. Many of Austen’s letters were destroyed by her sister and best friend, Cassandra, after Austen died. » / « Barron says she was concern that others who love Austen as she does would be offended. She was afraid it would be interpreted as using a literary icon in a crass manner. “But so far, I’ve only received one really outraged letter”, she says. “I guess that’s pretty good”. » (CSGT)
II. ASPECT GÉNÉRIQUE
Œuvres non-biographiques affiliées de l’auteur : L’auteur écrit essentiellement des romans policiers.
Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : Je ferai de cette rubrique une réponse plus pointue : la place du biographique dans l’œuvre romancée sur Austen. Dans SM, premier roman de la série, Austen est placée dans une situation totalement fictive, ce qui fait que le biographique est presque totalement évacué du tissus romanesque. Dans JAR, par contre, l’auteur s’est plus fortement inspirée de la vie d’Austen et on la retrouve avec toute sa famille lors du séjour qu’ils ont effectivement fait à Lyme Regis. On retrouve donc davantage de personnages historiques qui peuvent divulguer quelques informations biographiques.
Stratégies d’écriture et dynamiques génériques : S’inscrit dans le genre du roman biographique (et non de la biographie romancée). « Of course, choosing a real character creates parameters that would not exist in the world of such a wholly fictional character as Merry Folger. But Barron doesn’t mind; she’s true to the facts about Austen and conjures believable events to fill the gaps. It is known that Austen had a failed romance, an incidence that Barron works into the plot of Man of the Cloth. In the next book, The Wandering Eye, Barron turns to a real event in Austen’s life – the tragic loss of her dearest friend, who dies in a fall from a horse on Austen’s birthday. » (CSGT)
Thématisation de la biographie : Ne s’applique pas.
Thématisation de l’écriture : L’écriture du journal est un peu thématisée. Dans JAR, l’auteur est souvent mise en scène en train de rédiger Les Watson, roman inédit (92/133).
Rapport biographie/ autobiographie : Ne s’applique pas.
III. ASPECT ESTHÉTIQUE
Œuvres non-biographiques affiliées du biographé : Austen n’a écrit que des romans et une énorme correspondance.
Particularités esthétiques de l’œuvre : Dans le premier roman, les échos entre les deux œuvres sont davantage d’ordre thématique, alors que dans le deuxième ils sont davantage d’ordre stylistique, mais c’est en général « l’esprit » d’Austen qu’elle tente de reproduire dans ses romans : « “I’ve always found Austen fascinating, because I share her sense of humour”, she says. “I love the caricatures she draws with words. The amiable man who is really a rogue. The vulgar young woman intent only on marriage. The foolish older woman. And clergymen are the most despicable of all. She really pillories men of cloth, which I find interesting because she was the daughter of one, and there were clergyman all over her family.” » (CSGT)
Échos stylistiques : Barron s’inspire davantage du style épistolaire d’Austen que de ses écrits romanesques : après avoir lu à plusieurs reprises toutes ses œuvres, elle a commencé à s’intéresser à sa vie par le biais des biographies, puis s’est tournée vers la correspondance qui a été une véritable révélation pour elle : «In the letters, however, I discovered the best character of all: Jane herself. When Austen wrote to an intimate – most frequently her sister, Cassandra – she was Unbound : caustic, funny, judgmental, dismissive. She possessed and dominated everyone she knew by subjecting them to her wit – and she delighted by the past time. This was a Jane remarkably equipped to investigate murder, a Jane who understood the power of motivation and the essence of the human heart. She delighted in the absurd, punctured the ridiculous, and demurred for no man. She was heroine to die for.»
1) Scargrave Manor = Les dialogues entre les personnages et les réflexions de la narratrice sont parfois des décalques de dialogues ou de commentaires narratifs empruntés soit à des romans d’Austen, soit à sa correspondance . Quelques exemples = A) Le personnage Austen déclare à un autre personnage : « Je crois discerner une ressemblance entre nos états d’esprit respectifs, vicomte, insistai-je ironiquement, un peu exaspérée. Nous sommes tous deux taciturnes et peu prolixes de nature, dirait-on ; aussi vaut-il mieux que nous nous taisions jusqu’au moment où nous serons en mesure de tenir des propos capables d’étonner la terre entière. » Cette réplique est mot à mot une réplique d’Elizabeth Bennett, l’héroïne de Pride and Prejudice, à Darcy, dans un contexte similaire (une soirée de bal). B) Une paraphrase d’un personnage de Pride and Prejudice, M. Darcy par un personnage fictif, Fanny Delahoussaye : « …je ne puis supporter l’ennui de la vie à la campagne. La société que l’on y rencontre est si restreinte et si peu variée, que l’on arrive à terminer les phrases de son voisin sans grand effort de réflexion. » (p.256) On relève aussi des descriptions de la société, très « austeniennes » dans leur ton, c’est-à-dire teintées d’ironie et d’humour = « La tante d’Isobel, madame Delahoussaye, et sa fille Fanny constituent donc ma seule société. Je doute qu’un terme si heureux, chargé de tant de connotations prometteuses – conversations agréables, sympathie mutuelle, distinction de bon ton – ait jamais été employé avec un tel manque d’à-propos. Que l’on se représente trois femmes confinées dans un salon à cause du mauvais temps, penchées sur des travaux d’aiguille ou des livres qui, de fait, ne leur inspirent qu’un intérêt médiocre, tandis que, de l’autre côté de la porte, gît la dépouille du comte ! La chose devient un supplice intolérable au bout de quelques heures. […] [Madame Delahoussaye] épuise tout le monde par ses bavardages incessants ; c’est à se demander si son mari, décédé deux ans plus tôt, n’est pas mort d’avoir trop subi la conversation de sa femme.» (63) « Ses jolies robes et sa fortune mises à part, Fanny ne se différencie guère de bien des jeunes femmes possédant comme elle de blonds cheveux, de grands yeux vides et un profond décolleté. » (66) « Les femmes s’en retournèrent donc au manoir, où elles purent enfin s’abandonner à leur chagrin, avec cette outrance que l’on juge nécessaire chez toute dame dotée de savoir-vivre et de sensibilité ; vous connaissez ma sensibilité et, mieux encore, mon savoir-vivre ; aussi n’ai-je nul besoin de vous précisez que je versai donc quelques larmes. » (90-91) Une ironie et une lucidité qui ne ménage par ailleurs personne, surtout pas Austen elle-même : « Je crois pouvoir me permettre de dire que je suis point sotte. J’ai plus d’une fois contemplé mon visage et ma silhouette dans un miroir, en l’espace de ces vingt-six – non, vingt-sept années ; et ni l’un ni l’autre ne sont de nature à grandement émouvoir un jeune homme. Ou Tom Hearst s’ennuie à mourir à Scargrave si bien que ma compagnie représente pour lui une amusante distraction ; ou bien il espère me tourner la tête par ses flatteries, poursuivant un but dont je ne sais encore rien. » (p.148)
2) Et le révérend = Ce livre est basé essentiellement sur une lettre écrite par Jane à sa sœur Cassandra, de Lyme, le 14 septembre 1804 et qui relève certains détails d’un bal auquel Jane a participé. Barron a essentiellement puisé dans cette lettre les noms et les caractères de ses personnages = « “I built the whole book on that one letter,” Barron said, adding that she spent a lot of time trying to figure out why Cassandra would be searching for ice. She ended up developing an incident in which a carriage overturns, causing Cassandra to bruise her temple and thus need ice. Both Le Chevalier and Crawford appear in the book, and they are decidedly Austen-like characters. » (AR) Il importe de préciser que Barron met ses cartes sur table, principalement par le biais des notes de bas de page. Par exemple, après une description de Lyme Regis dans le corps du texte, l’auteur fait un appel de note : «Ces paroles, légèrement transposées et développées, correspondent à la principale description que Jane Austen fait de Lyme Regis dans son Persuasion.» (60) Plus loin, après un échange entre Jane et sa sœur : «Cette conversation avec Cassandra sur le mariage a dû marquer Jane, car on la retrouve, sous une forme détournée, dans le manuscrit des Watson.» (95) Plus encore, elle précisera, aussi en note de bas de page, les modalités de la lettre qui l’a inspirée pour ce roman. (158) Mais il y a aussi des reprises plus subtiles de paroles de personnages d’Austen : «J’ai entendu des choses si contradictoires vous concernant, que je vous avoue que je ne sais trop quoi penser.» (107) – réplique d’Elizabeth Bennett à M. Darcy dans PP.
Échos thématiques : Le thème transcendant tous les romans d’Austen (soit, le mariage comme étant la seule issue possible pour toutes les femmes de cette époque et le destin semi-tragique des femmes sans fortune – donc, la situation déplorable des femmes que subissait Austen elle-même) se retrouve à différents niveaux dans tous les livres de Barron : « Mais mes mots sont probablement teintés de mauvaise humeur et d’irritation – je reconnais là mon démon, la jalousie. Recevoir la fortune et l’apparence de Fanny Delahoussaye, mais être en échange privée de la raison et de l’esprit que je me flatte de posséder, me serait assurément intolérable ; mais quand je vois la certitude avec laquelle elle forme des projets de mariage, et les facilités qui sont les siennes pour accéder à l’état conjugal, j’avoue que j’aimerais bien être à sa place, au moins quelques heures. J’ignore ce qu’il en est d’être à la fois belle et riche ; je ne dois mes conquêtes qu’à la vivacité de mon esprit et à mon caractère enjoué, lesquels m’ont permis de vaincre bien des préventions à mon endroit. Mais quelle femme se satisferait de bonne grâce de ce genre de victoires, s’il lui faut comme moi rester célibataire, tandis que d’autres jouissent du privilège de la beauté et de la fortune ? » (SM, 66-67) «Si sa jeunesse et la simplicité de ses manières m’irritent, ce n’est que parce que je reconnais ma ressemblance d’antan avec elle sur ces deux points, et que je crois bien pouvoir prédire l’avenir de Lucy Armstrong. Certes, je ne sais rien de sa fortune, ni de ses chances de rencontrer de bons partis ; je ne puis que conjecturer que les deux doivent être bien minces […]. Bien des choses peuvent l’empêcher de se retrouver dans la même situation que moi – vieillir sans amour et sans ressources.» (JAR, 112-113) Notons toutefois que Barron est plus directe qu’Austen dans ses propos (qu’elle attribue à Austen) : « Le lot des femmes est décidément bien cruel : certaines n’ont d’autre choix que de mourir vieilles filles, honnies de tous et sans ressources, tandis que d’autres sont condamnées à se tuer à la tâche ou en couches – deux épreuves trop libéralement infligées à mes semblables. » (SM, 171)
1) Scargrave Manor = Dans ce premier roman, l’auteur essaie d’expliquer, par des situations fictives, comment Jane Austen a été inspirés pour certains aspects de ses romans (personnages, scènes, caractères, etc.) Elle se sert donc des «thèmes» (au sens large) des romans d’Austen pour construire une fiction biographique «probable». Elle a deux façons de procéder : 1. Elle ajoute des notes de bas de page qui sont hypothétiques, voire analytiques. Ex : «Il est possible que Fitzroy Payne ait finalement inspiré l’un des plus célèbres personnages masculins de Jane Austen…» (p.53) / « Le ton de ce passage n’est pas sans rappeler le suspense morbide des romans gothiques fort populaires à l’époque, sortes de contes macabres destinés à faire frissonner un public essentiellement féminin. Bien que Jane Austen ait souvent tourné en dérision ce type de littérature – Northanger Abbey est dans une certaine mesure une parodie de ces romans -, il semble que ce soir-là, elle ait été un peu influencée par ses lectures. » (p.111) 2. Elle ajoute, à même l’histoire, des scènes qui rappellent énormément des scènes empruntées aux romans d’Austen. La plus remarquable est sans doute celle réunissant Fanny Delahoussaye et Jane Austen, scène qui reprend totalement la dynamique d’une scène entre Lucy Steele et Eleonor Dashwood dans Sense and Sensibility, tant par son contexte, ses propos, ses enjeux et la similarité des personnages des deux scènes. (325-327)
2) Et le révérend = Une réplique de Jane fait effet de mise en abyme des fondements de son entreprise romanesque : «Je dois vous contredire, Eliza, rétorquai-je sèchement, car il me semble que la calomnie est bien plus l’apanage des femmes. Les hommes disposent d’autres armes, capables de porter des coups mortels ; mais une dame n’a que des mots à sa disposition.» (85)
IV. ASPECT INTERCULTUREL
Affiliation à une culture d’élection : Bien que Barron ne soit pas de la même nationalité qu’Austen, on ne peut parler d’affiliation (du moins, celle-ci est loin d’être explicite), d’autant plus que les cultures américaines et anglaises sont plutôt proches.
Apports interculturels : L’auteur semble davantage intéressée par une certaine période de l’histoire (elle a étudié, nous dit-elle, la France Napoléonienne et l’époque de la Régence en Angleterre – époque auxquelles appartient Austen) qu’à une culture précise.
Lecteur/lectrice : Manon Auger