Fiche de lecture
1. Degré d’intérêt général
Une petite part de moi retient de ce roman une certaine originalité dans la configuration narrative, dans la présentation textuelle, dans le ton qui glisse de l'ironie au “tragique” et une érudition certaine de l'auteur.
Par contre, une immense part de moi est encore rebutée par la lecture de ce roman auquel j'ai peine à croire que quelqu'un puisse comprendre quelque chose - si tant est qu'il y a quelque chose à y comprendre - sans avoir lu au préalable la quatrième de couverture (et même en l'ayant lu, ça relève de l'exploit). D'ailleurs, les quelques échos de réception immédiate que j'ai consultés s'en tiennent fréquemment aux éléments fournis par la quatrième de couverture, preuve s'il en faut que les pages intérieures ne parviennent pas - ou pas suffisamment - à donner un sens au roman. En effet, le narrateur-auteur a beau se targuer d'avoir “comprim[é] [s]on vécu pour disséminer dans chaque phrase la force d'une vie », le résultat n'en reste pas moins désagréablement et irrémédiablement décousu et éprouvant. Évidemment, ces propos n'engagent que moi.
2. Informations paratextuelles
2.1 Auteur : Farah, Alain
2.2 Titre : Matamore no 29
Sous-titré “Moeurs de province”
Mention générique: roman
2.3 Lieu d’édition : Montréal
2.4 Édition : Le Quartanier
2.5 Collection : -
2.6 (Année [copyright]) : 2008
2.7 Nombre de pages : 223
2.8 Varia : Quatrième de couverture:
L’agent Mariage est envoyé en mission sentimentale. Matamore suractif, il s’éprend d’une grande blonde polonaise et finit par assassiner Kennedy une seconde fois, à l’aide d’un canon étrange. Du Caire à Paris en passant par Dallas et Los Angeles, voici les aventures d’un écrivain à qui tout arrive, et dont l’alter ego, lancé sur la piste de sa propre vie, se bat sur tous les fronts, réactive le passé, accélère le présent.
En déplacement entre la province et la métropole, galvanisé par des injections de supervitamines, Mariage rencontre une championne de tennis, tombe de Charybde en Scylla, fait la leçon à son employeur (sur la volaille, sur le poisson — grands sujets), retrouve ses ancêtres phéniciens, se planque dans les cinémas, et disserte sur Joyce et Hamlet — tout ça en combattant l’ennemi intérieur.
3. Résumé du roman
À l'exception de la quatrième de couverture, voici un des résumés les plus représentatifs (même si son auteur est pas mal plus enthousiaste que votre humble serviteur à propos de ce roman) que j'ai pu trouver:
“L’auteur envoie un étrange agent et alter ego, Joseph Mariage, à la recherche de son passé - celui de l’auteur -, afin d’y voir plus clair et d’y comprendre quelque chose. Mais entre la vie de l’auteur et celle de Mariage, avec les lieux où ils furent, les personnes qu’ils aimèrent, les filiations dont ils dépendent et les histoires qu’ils traversèrent, c’est tout un capharnaüm de pensées, de chronologie, d’espaces et de hantises qui va déferler. L’écriture et les péripéties semblent partir dans tous les sens, au fil (aux fils, plutôt) des associations d’idées et des épisodes de la vie, c’est une toile d’obsessions et de recoupements polysémiques qui se tisse avec une fantaisie et un humour loufoque réjouissants, où revient sans cesse le nombre 29 (âge de l’auteur au moment de l’écriture du livre), une championne de tennis polonaise, la Pologne qui dérive vers le pape d’un côté et vers Bologne de l’autre, l’Egypte, Dalida, la sole, le lieu, le poulet et les œufs, la façon dont au tennis on compte les points, les pommes de terre et leur usage possible comme projectile du canon nommé patatore - aux moyens duquel sera assassiné une seconde fois, à Dallas, John Fitzgerald Kennedy. Au fil de cette énergie à rebondir - à coups d’onomatopées Bop Bop Bop Bop Bop -, dans ces sauts de puce grisants, dans ce réseau de coïncidences, se dessinent des épisodes de la jeune vie de l’auteur - car les rapporter est la mission de Joseph Mariage -, des épisodes dont on sent la charge émotive et la profondeur de vécu, et avec ce dessin d’événements authentiquement éprouvés, c’est au fur et à mesure de la progression dans le roman une noirceur qui apparaît au sein de la loufoquerie. On rencontre de plus en plus souvent la douleur, la tristesse et la maladie, les personnes disparues, tout ceci rassemblé en une substance générique nommée LE-SOMBRE, autre motif récurrent, lui aussi traité avec alacrité et entrain, croisé puis repoussé avant qu’on y revienne par des chemins détournés, qu’on s’en déprenne et qu’on continue à jouer comme à cache-cache avec lui.” (http://futilesetgraves.blogspot.ca/2010/12/patatore-shots-matamore-n29-dalain.html)
4. Singularité formelle
Le roman est divisé en 29 chapitres, un chiffre plus que récurrent dans le roman.
Le texte est le plus souvent livré par bloc d'une phrase, terminée tantôt par un point, tantôt par une virgule. Par exemple:
"C'est l'histoire d'un ratage, d'une occasion ratée. D'un coin de pays où la critique inquiète, Mon nom est Dollard, Je lance un baril de poudre, Comble de malheur: une branche. Je sens que ma tête va éclater." (104-5)
À l'intérieur de certains chapitres apparaissent également cinq “Leçons” (sur le tennis, un canon à patates…), un opéra, une chanson, un roman historique, un article de journal, un guide pratique sur les proverbes et un discours politique.
Enfin, plusieurs mots se retrouvent en italique, mais j'avoue bien modestement que je ne saurais dire pour quelle raison.
5. Caractéristiques du récit et de la narration
La narration est partagée entre Alain Farah (auteur-narrateur souvent appelé “l'architecte”) et son héros Joseph Mariage qui semble parfois prendre l'ascendant sur l'auteur qui l'a envoyé en mission. Du moins, c'est ce que j'en ai compris, les changements de régime étant tout sauf explicites.
6. Narrativité (Typologie de Ryan)
6.7- Embryonnaire
Justifiez : Il n'y a pas de rapport de causalité entre les événements, pas d'intrigue autre que les différents fils ou récurrences qui traversent le roman, tels le nombre 29, la Pologne, Bologne, les papes, etc.
7. Rapport avec la fiction
Surtout dans la première moitié du roman, le narrateur évoque à plusieurs reprises une lectrice qui évaluerait son projet de roman et il dialogue parfois avec elle:
“Toute ébaubie, la lectrice en roue libre étoffe son hypothèse, trop heureuse de s'engouffrer dans les possibles ouverts par cette triple homonymie.
Vous êtes un Alain [Farah, l'auteur], vous parlez d'un autre Alain [Farah, le narrateur], mais en même temps on peut croire que vous parlez d'un autre Alain [Robbe-Grillet, avec lequel dîne le narrateur]…” (25)
De plus, le narrateur-auteur ne se gêne pas pour commenter son écriture, par exemple:
“avec moi !
avec moi !
avec moi !
En architecte soucieux du détail, j'illustre par cette répétition l'effet dramatique d'une révélation typique du sous-genre littéraire que je pratique désormais.” (43)
Ou encore:
“Je jure de brouiller toutes les pistes, d'appeler tous mes agents pour maintenir la tension entre les deux périls qui menacent le monde(l'ordre, le désordre) et les vrais principes qui régissent mes sujets, moi le matamore, architecte de Paris, de Los Angeles et de Dallas, poursuivant mes délibération mentales sans empêcher que mes membres s'activent, là je serai sur mon terrain, jamais séparé de moi-même même si je suis partout en même temps avec mes vingt-neuf voix, partout où les circonstances le prescrivent, jusqu'à ce que mes pages s'enterrent puis transforment tout en musée puis se transforment en musée.” (70)
8. Intertextualité
À un moment, on a droit à ce qui ressemble à un essai sur Ulysse de James Joyce, puis un autre sur Shakespeare. Il est aussi régulièrement question d'Alain Robbe-Grillet (celui-ci est même un personnage du roman) et plus généralement de l'avant-garde littéraire et de la nécessité de renouveler le roman. David Lynch, et Nathalie Quintane sont également mentionnés.
9. Élément marquant à retenir
Pertinent A et C pour la diffraction. Je ne rajoute rien de peur d'épuiser mes réserves de fiel.