Table des matières
Lise Gauvin (2012), Aventuriers et sédentaires. Parcours du roman québécois
Paris, Honoré Champion, coll. « Unichamp-Essentiel ».
Remarques générales :
- L’auteur s’intéresse au roman québécois qu’on pourrait dire « récent », voire « moderne » (depuis 1945), mais s’autorise des présentations et des explications de textes plus anciens afin de bien situer historiquement les phénomènes qu’elle étudie – et, certainement, au bénéfice du lecteur français. Son objet n’est donc pas une quelconque contemporanéité mais le roman québécois à travers diverses problématiques qui chapeautent les chapitres (la langue, l’écrivain fictif, le voyage, la ville de Montréal, l’écriture migrante, etc.).
- Gauvin distingue toutefois plusieurs phénomènes typiques à partir des années 1980 au cœur de ces problématiques. Ce sont ceux-ci que je vais répertorier dans cette fiche, et non pas faire le résumé du livre.
- But de l’ouvrage : « J’entreprendrai […] un parcours à travers les récits qui, depuis les années 1945, constituent le corpus littéraire québécois. Je tenterai d’identifier les modalités de cette littérature-laboratoire, dont les points de rencontre avec d’autres contextes sont nombreux mais qui n’a rien à envier aux ensembles culturels institutionnellement mieux établis. D’où cet étrange modèle québécois, un modèle voué à l’intranquilité créatrice. » (2012 : 16) / « Cet ouvrage s’est voulu une invitation à lire le roman québécois davantage qu’une histoire de son évolution. » (221)
- À certains moments, ce livre est davantage un inventaire de résumés de romans qu’une véritable réflexion sur le genre.
Notes de lecture :
Caractéristiques du tournant de 1980 :
- « Les années 80 font succéder le je au nous, les voix feutrées aux accords de l’orchestre. C’est l’âge par excellence de la prose, celle d’une Francine Noël, d’une Suzanne Jacob, d’un Louis Gauthier, d’un Jacques Poulin. Au cours de cette phase intimiste, la littérature québécoise rejoint l’acte d’écrire dans ce qu’il a de secret et de suspect. De nécessaire aussi. Les années 90 font entendre des voix venues d’ailleurs, parmi lesquelles Émile Ollivier, Dany Laferrière, Marco Micone, Ying Chen, Régine Robin, qui redessinent les frontières du littéraire et interrogent les notions d’identité, de langue, d’origine. » (2012 : 14)
- Le rapport à la langue devient « variance » : « Littérature de l’intranquillité, la québécoise l’est particulièrement en ce qui concerne la langue. Si la menace d’une disparition de la langue française en Amérique habite à des degrés divers selon les générations, la conscience de l’écrivain et l’oblige à un devoir de vigilance quant au statut du français dans sa société, le sentiment de la langue qui s’exprime à partir des années 1980 privilégie la notion de variance, c’est-à-dire d’invention. » (2012 : 16)
Une littérature comme référence :
- « […] au Québec, les créateurs d’aujourd’hui héritent d’une littérature et n’hésitent pas à inscrire leurs œuvres dans une tradition littéraire dont ils s’inspirent en toute liberté. C’est cette information réciproque qui fait l’originalité de la littérature québécoise par rapport à d’autres littératures francophones, dont elle partage par contre certaines caractéristiques, notamment une intranquillité et une surconscience linguistique dont les auteurs témoignent de multiples façons. » (2012 : 15-16)
Importance du personnage de romancier dans la littérature québécoise :
- « Vu le nombre de romanciers qui ont représenté des personnages en situation d’écriture, on serait tenté de faire de ce typée de récit l’archétype du roman québécois, si on ne savait par ailleurs que ce personnage vient hanter de façon récurrente également le roman américain et plusieurs romans d’auteurs francophones. À la fois délégué de l’auteur et distant de lui par sa personnalité propre, le personnage de l’écrivain est une mise en abîme de la dimension réflexive qui accompagne toute création. » (78) […] « Cette omniprésence de l’écrivain fictif signale cependant un certain inconfort et une certaine intranquillité quant à la fonction même de l’écriture, comme s’il fallait répondre à une question d’autant plus sournoise qu’elle est implicite : ‘’À quoi sert la littérature?’’ Par le biais de leurs récits, les romanciers témoignent de la nécessité de leur travail et du besoin d’en dessiner les contours. » (2012 : 79)
Importance des figures de nomades et sédentaires :
- « Nomades et sédentaires traversent la scène du roman québécois contemporain, retrouvant en cela un imaginaire déjà présent dans les premiers récits de la colonisation. » [référence à Monique Larue] (105)
- « Depuis les premiers écrits, aventuriers et sédentaires sont représentés dans le roman québécois. Entre le désir d’enracinement et le besoin de nomadisme s’inscrivent les étapes d’un parcours qui passe du roman paysan au roman urbain, de la traversée de la ville à celle du continent américain. Le français qui s’y affiche renvoie à une langue décomplexée, arrimée à une culture marquée par l’hétérogène et le non-conventionnel. Une culture portée par la forte présence des écrivaines et riche des apports des nouveaux arrivants, ces ‘’étrangers du dedans’’ devenus peu à peu les témoins privilégiés et les porte-parole [sic] d’une collectivité en mutation. Une culture marquée également par un questionnement constant quant à la légitimité et à la fonction du littéraire dans l’espace social. L’écrivain au Québec est celui qui, sans abdiquer son devoir de vigilance concernant le statut accordé au français dans l’ensemble de la collectivité, rend compte d’une variance infinie de poétiques. Soit d’un imaginaire de et par la langue, d’une surconscience linguistique qui a évolué peu à peu vers une conscience de la langue comme d’un vaste laboratoire des possibles. Tel est langagement dont témoignent ses œuvres. » (2012 : 225)
- « À l’heure de la mondialisation, la notion même de distance étant devenue relative, on constate dans les plus récents textes une mise en réseau des deux modes de présence au monde que sont l’enracinement et le nomadisme. On peut supposer qu’on verra apparaître, dans les romans québécois à venir, une forme d’imaginaire qui présentera ces deux modes dans une forme de complémentarité ou à tout le moins dans une modulation permanente. » (2012 : 225)
Importance de la ville de Montréal et des road novel dans la fiction à partir des années 80 :
- « Pour la littérature québécoise des années 70, Montréal risquait de devenir, au même titre que les grandes capitales européennes ou américaines, un nouvel exotisme. Toutefois, vers la fin de la décennie 70, et à partir des années 80, certains romans marquent un véritable tournant dans les représentations de cette ville. Ce sont ceux de Michel Tremblay, d’Yves Beauchemin et de Francine Noël. Ils ont en commun, en plus d’avoir connu un succès sans précédent, d’être des romans-fresques mettant en scène la ville non plus comme cadre mais comme personnage de la fiction. Cette ville réappropriée est aussi celle d’un langage populaire légitimé et devenu partie intégrante du récit. » (2012 : 116)
- « Bien que la ville soit le cadre romanesque privilégié par les romanciers québécois au cours des dernières décennies, l’exploration du continent nord-américain a également séduit les écrivains qui, à partir des années 1980, ont promené leurs héros d’est en ouest et de Gaspé à San Francisco. » (132) « Chacune de ces histoires américaines se clôt par un retour à la case départ, les protagonistes ayant inscrit leur différence à la faveur d’un déplacement mué en séjour exploratoire et en questionnement identitaire. » (146)
- « Nicolas Dickner décrit moins le récit du voyage que le roman des voyageurs, entrecroisant les destins et jouant sur la notion de déplacement comme emblème du contemporain. » (155)
Littérature migrante et décentrement :
- « Au cours des années 1980, la littérature québécoise est engagée dans diverses pratiques de décentrement, pratiques dont la revue Dérives, fondée par l’écrivain d’origine haïtienne Jean Jonassaint, témoigne éloquemment. Ce lieu d’échanges interculturels de première importance est bientôt suivi par la création de la revue Vice Versa (1984) par les Italo-Québécois Fulvio Caccia et Lamberto Tassinari, ainsi que par la fondation par Ghila Benestry Sroka de la Parole métèque (1986), qui se définit comme ‘’magazine du renouveau féministe’’. La notion de littérature migrante est ainsi apparue pour désigner les textes d’écrivains de diverses origines ayant choisi de publier en français. Bien avant cette décennie, des auteurs avaient immigré au Québec sans que leur présence ne soit soulignée par une désignation particulière. Les Monique Bosco et Naïm Kattan, notamment, ont toujours été considérés comme partie intégrante de la littérature québécoise, sans qu’il semble nécessaire de créer pour leurs œuvres une catégorie particulière. Mais à partir d’une certaine époque, la présence d’écrivains ‘’venus d’ailleurs’’ devient de plus en plus importante, liée à un ‘’effet d’exil’’ que ceux-ci s’appliquent à mettre en évidence et à revendiquer. » (2012 : 181-182)
- Pour une explication sur l’origine de l’expression, voir p. 182