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ROBERT DION (2011), UNE DISTANCE CRITIQUE
RÉFÉRENCE : DION, Robert (2011), Une distance critique, Québec, Nota Bene.
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I- REMARQUES GÉNÉRALES
Il ne s’agit bien sûr pas d’un ouvrage qui a pour but de porter un regard sur la littérature québécoise contemporaine, mais bien d’un recueil qui regroupe divers textes de l’auteur qui était difficilement accessibles. Il n’y a donc aucune ambition totalisante. Cependant, dans la mesure où les préoccupations de l’auteur se situent exclusivement dans le champ de la littérature contemporaine, il est intéressant de jeter un œil plus attentif aux textes qui portent sur des œuvres québécoises récentes (la première section de l’ouvrage y est d’ailleurs exclusivement réservée).
À ce propos, on peut noter que, encore une fois, les propositions de Dion se démarquent par leur « originalité » (j’en faisais mention dans mon rapport final), en ce sens qu’il propose un point de vue souvent radicalement nouveau pour saisir la production québécoise contemporaine. Nombre d’enjeux soulevés dans un seul article mériteraient à mon sens une étude plus globale (idée de l’extraterritorialité, la représentation des langues autres dans le roman, etc.).
II- NOTES DE LECTURE
« Le roman québécois de l’extraterritorialité. Les Silences du corbeau et La bateau d’Hitler », p.13-27.
Son propos, dans cet article, « vise à aborder la mondialisation des cultures sous l’angle de la représentation de l’espace étranger dans le roman québécois récent » (14). Il cherche à voir si les choses ont changé, dans la mesure où jusqu’à tout récemment le roman ne sortait guère du Québec; il veux « voir si la donne a réellement changé, si un imaginaire québécois de l’extraterritorialité, parallèlement à celui, forcément interculturel, de la littérature migrante, est en train de se constituer. Faut-il pour autant parler d’un imaginaire mondialisé? » (14-15)
Dès lors, si l’auteur offre une analyse fouillée et fort intéressante de deux œuvres (respectivement d’Yvon Rivard [1986] et de Pierre Turgeon [1988]), c’est surtout pour entrer en dialogue avec le critique Patrick Imbert et pour mesurer, sur une petite échelle, l’impact de la mondialisation sur la littérature. Il remarque entre autres que « l’on voit de plus en plus de protagonistes de romans ayant à négocier la rencontre des imaginaires propre à l’expérience interculturelle » (25). Et surtout : « Tout se passe en fait comme si le roman québécois […] découvrait le monde au moment où celui-ci, du moins pour les plus “postmodernes” des cultures contemporaines, n’a plus de valeur d’altérité. Si tel était le cas, il faudrait conclure que le roman de la mondialisation n’est pas, du moins pour le moment, à la portée de petites cultures qui ont tout à perdre dans le renoncement à symboliser l’extérieur, car celles-ci ont sans doute besoin d’un dehors, alors que la mondialisation serait, précisément, ce qui n’en possède pas. » (26)
À propos du roman Le silence des corbeaux, qui met en scène un Québécois fuyant en Inde une situation amoureuse triangulaire, Dion en vient à la conclusion que « ce n’est pas parce que la réalité indienne est bien rendue par des notations de décor et d’atmosphère que la rencontre interculturelle a nécessairement lieu. » (19) […] « Si, de toute évidence, les personnages font l’apprentissage d’un certain relativisme culturel […], ils n’arrivent assurément pas à se quitter eux-mêmes. » (20) La saisie du monde serait alors plutôt (et encore) dualiste que ouverte et « antibinariste » comme devrait se caractériser en quelque sorte la « postmodernité mondialisée ».
« Imaginaire de la décadence et du renouveau dans le Triptyque des temps perdus de Jean Marcel », p.29-41.
Œuvre « conçu[e] suivant un point de vue résolument contemporain » (29), les trois œuvres qui forment le triptyque sont « en tout cas exemplaires de l’opposition entre le classique et le moderne, entre l’ancien et le nouveau, entre l’éternel et le transitoire, entre le progrès et la décadence » (31) – Il n’y a plus de rupture entre le passé et le présent dans le roman historique.
« Je voudrais observer pour ma part comment la trilogie de Marcel, qui a pour cadre les temps crépusculaires de la fin de Rome, travaille ces idées de décadence et de renouveau; comment, parlant de temps anciens et de lieux éloignés, elle s’inscrit dans un imaginaire occidental contemporain. » (31)
« Inquiète, la mémoire est, chez Marcel, non pas ce qui fige le passé dans le mythe et l’hagiographie, non pas ce qui consolide l’héritage et s’oppose à la science redresseuse d’impostures et briseuses de légendes, mais ce qui est objet même d’interrogation. À la mémoire sursaturée d’images trop nettes qui ne nous touchent pas et que nous regardons de manière aliénée, au devoir de mémoire qui nous assigne à la commémoration, l’écrivain oppose un rapport en quelque sorte expérimental et ludique au geste de se souvenir. C’est peut-être ce jeu avec la mémoire qui rejoint le plus directement notre imaginaire contemporain, qui ne conçoit le sérieux que cerné par cela même qui risque de le miner. » (40-41)
« “Let’s talk English here”. Les représentations de l’anglais dans Copies conformes et dans Volkswagen Blues », p.43-65.
S’ouvre sur le constat que le roman québécois contemporain « non seulement intègre les divers registres et variantes de son idiome principal, le français, mais tend de plus en plus sinon à vraiment utiliser, du moins à représenter les langues qui se parlent et se télescopent sur son territoire – physique et imaginaire. » (43) La latin liturgique présent dans la production précédente aurait laissé la place à des « langues qui résonnent au sein d’un espace social dorénavant composé de multiples communautés – d’un espace qui, par ailleurs, s’est ouvert à des traditions culturelles autres que française, anglaise ou américaine. » (43) Cette situation renvoie « à la question du plurilinguisme textuel, à celle du contact et du battement des langues toujours plus nombreuses. » (44)
Pourtant, à cause de la situation linguistique au Québec, peu de romans sont vraiment polyglotte. Les romanciers doivent composer avec un lectorat unilingue, mais les romans « qui suggèrent la cohabitation des langues par divers moyens » (44) représentent des lieux d’investigation intéressants. En se bornant à l’anglais, Dion s’attardent aux romans de Larue et de Poulin : « Représentatifs de la tendance, assez répandue dans les années 1980, à situer l’action en dehors de l’espace québécois, dans un territoire imaginaire beaucoup plus vaste […], les romans de LaRue et de Poulin permettent d’aborder la question de l’hétérolinguisme dans la perspective d’une internationalisation, tout au moins diégétique, de la littérature du Québec depuis vingt ans. Dans ces récits, l’enjeu n’est pas tant de rendre compte de la diversité montréalaise et québécoise, d’une culture de plus en plus composite et multiculturelle, que d’inscrire le Québec francophone dans le grand tout de l’Amérique. Du coup, la représentation de la langue anglaise constitue un défi de taille : comment en effet manifester l’environnement essentiellement anglophone des Etats-Unis dans un texte qui doit rester lisible pour un lecteur francophone? Comment traduire une langue puissante et dominatrice, l’anglais, dans un espace textuel où elle doit rester minoritaire? Comment écrire en français, sur un mode réaliste, l’Amérique anglo-saxonne, quand on est issu d’un peuple jusqu’ici fondamentalement incapable d’impérialisme culturel? » (45)
Il s’agit de deux œuvres « conquérantes » dans lesquelles les personnages « quittent leur lieu d’origine pour entamer un dialogue avec le reste du continent, dialogue qu’ils tiennent assez largement dans leur propre idiome; et lorsqu’ils ont recours à l’anglais, c’est sans aucun complexe, sans donner l’impression de renier quoi que ce soit. » (63) / « le français apparaît ici comme la langue des solidarités interindividuelles, comme celle des relations vraies et, surtout, des identités composites. » (66) / « Chez LaRue et chez Poulin, le français apparaît telle une façon d’être dedans-dehors, juge et partie, d’appartenir à l’Amérique en se plaçant dans le sillage d’une autre mémoire, d’un espace légèrement en retrait. » (67)
Un des thèmes centraux de Copies conformes : « la fragilité des langues et de l’intercompréhension, l’enracinement dans les mots de sa propre langue » (52)