HUGLO, Marie-Pascale (dir.), Raconter? Les enjeux de la voix narrative dans le récit contemporain, Paris, Harmattan (Esthétiques), 2004. [VA - février 2011]
Note : En retraversant les notes de lecture cumulées depuis plusieurs années, je suis tombée sur cet ouvrage susceptible d'alimenter la réflexion sur la diffraction. Je me contente ici de reproduire mes notes de lecture d'alors ; il sera toujours temps de consulter plus sérieusement l'ouvrage en question si ces quelques notes (très) préliminaires apparaissent pertinentes.
Marie-Pascale Huglo, « Voix narrative et narration », p. 11-16.
L'histoire littéraire affirme, depuis les années 1980, le retour du récit et du sujet, mais on ne sait trop de quel récit ni de quel sujet il est question. Le récit se présente souvent comme des fragments multiples d'un sujet atomisé dont l'identité narrative serait en question, en procès. Le récit contemporain n'est pas mort, mais il s'est démultiplié, disséminé, au point de faire de l'hétérogénéité l'une de ses marques constitutives. Une telle fragmentation de l'expérience est difficile à ressaisir narrativement.
On observe une atomisation des voix, un défaut de mémoire commune qui hante et qui divise ces voix. L'hétérogénéité scinde aujourd'hui une voix jadis collective. La voix, qui se diffracte, s'absente ou se fragmente, serait donc devenue de l'ordre de la résonance : c'est du retentissement de l'altérité, de l'hétérogénéité, qu'elle tirerait sa force.
La question à la base de cet ouvrage collectif : quelles sont les mutations contemporaines de la narrativité ? Il est possible que le récit chercher, dans l'esthétique de la voix, à conjoindre des médiations instables, discontinues. L'hétérogénéité ne caractériserait donc plus seulement les discours, mais aussi leurs possibles et différentes médiations.
Isabelle Décarie, « Interruptions : à propos d'un récit poétique de Jean Genet »
Dans son livre Fragments… et autres textes, Jean Genet montre que le texte littéraire est «morcelé, découpé en fragments, démultiplié par les nombreuses copies-brouillons chiffonnées comme des prototypes qui devront mener à un type. » (p. 90) Par contre, il avance que ces brouillons valent autant que l'oeuvre achevée «mettant en lumière par là même une esthétique qui préside à l'élaboration du roman au XXe siècle […] On sait que les voix contemporaines privilégient le rudimentaire à l'original, l'inachevé au fini, le répertoire à l'uniforme, constituant par là même l'idée d'une médiation discontinue, interrompue. » (p. 90) « le blanc du fragment, comme une suspension, disloque le flux du discours, impose une logique de la brisure, comme une voix chaque fois interrompue, cassée. S'inscrivant dans une pratique de l'entre-deux, entre le plein et le vide, entre le chant et le silence, le fragment fait entendre une sorte de voix diffractée qui se place à répétition, rompant chaque fois toute tentative d'imiter la réalité. » (p. 91)
Andrée Mercier et Laura Niculae, « Le sujet sans voix. Narration omnisciente et récit contemporain »
Dans la production littéraire récente, les modalités de narration dominantes se situent du côté du bruissement des voix ou de la difficulté à « poser sa voix », que cela s'exprime par une pluralité d'énonciateurs ou par le clivage d'un « je » définitivement constitué.
«Profitant de l'avancée des théories de l'énonciation (autour notamment de la deixis et de la polyphonie), la voix s'est vue peu à peu détachée du seul narrateur, pour se trouver plutôt «habitée d'énonciateurs multiples» (le narrataire, les personnages et tous les énonciateurs anonymes dont les discours traversent le récit), et devenir ainsi “irrémédiablement composite”.