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FAERBER, Johan, Pour une esthétique baroque du Nouveau Roman, Paris, Honoré Champion (Littérature de Notre Siècle, 40), 2010. [VA - 17/11/2010]
Pour une esthétique - table des matières
Sur le baroque
L'auteur entend analyser l'esthétique du Nouveau Roman à la lumière de la littérature de l'âge baroque (1580-1670). Jusqu'à la fin du XIXe siècle, celle-ci était évaluée de façon négative et péjorative, synonyme d'incongruité, de bizarrerie sous toutes ses formes, de laideur, de mauvais goût, de grotesque, de composite… Par la suite, on pratique une relecture positive de cette littérature du XVIIe siècle ; on y voit alors « les marques inhérentes d'une période troublée qui voit les certitudes de l'homme ébranlées par l'ouverture menaçante et inquiétante sur le Nouveau Monde […] S'achèvent les certitudes d'un monde équilibré, stable et un » (13). L'homme est poussé dans un vertige d'interrogations. « Cette ruine des illusions informe de façon manifeste l'ensemble des oeuvres qui s'écrivent au cours de cette période » (14), notamment par des signaux d'émiettement, d'errance, de mouvement, d'inconstance, d'illusion, de déguisement.
Historiquement datées, ces caractéristique du baroque trouvent un écho dans la mouvance du Nouveau Roman, à la condition que l'on accepte l'idée que le baroque puisse être sans âge, qu'il puisse constituer une notion systématique plutôt qu'exclusivement historique (ce que tous n'acceptent pas, car une période donnée ne se répète jamais). D'où que, contrairement, me semble-t-il, à ce qui a lieu du côté de la critique québécoise, l'étiquette de « baroque » n'est pas prise ici à la légère ; son utilisation se doit d'être défendue et argumentée parce qu'elle renvoie à une période historique déterminée.
La possibilité d'un baroque sans âge reposerait sur l'hypothèse que, lors de la conceptualisation du baroque historique par Jean Rousset, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette théorisation ne serait « que le reflet diffracté des propres aspirations et des propres questions de la littérature de cette époque prompte à s'inventer des prédécesseurs » (17). Ainsi, l'étiquette « baroque » « apparaît inventée et élaborée […] en fonction d'une littérature contemporaine qui la réclame, ce qui fournit au Baroque sa justification même » (17-18). Selon Rousset, « [u]ne catégorie telle que le baroque gagne à être traitée comme un outil heuristique, qui traduit notre sensibilité et notre expérience actuelle de l'art et du monde » (18).
L'hypothèse est également supportée par l'idée que la remise en cause des fondements de la Pensée à la suite de la Shoah est presque semblable, dans sa violence et sa radicalité, à celle que connut le 16e siècle. À la fin de la Seconde Guerre, on assiste à une baisse de la confiance en l'homme et en son idéal positiviste du progrès et de la connaissance. « [A]u terme de la Seconde Guerre Mondiale [sic] les nouveaux principes de cette “culture année zéro” s'affirment en premier lieu en littérature, qui ne pouvait sortir indemne de l'effondrement de l'appréhension de la réalité, dont la notion semblait plus que jamais béante, et qui allait remettre en question jusqu'aux présupposés mêmes de la conduite de tout récit » (20). Il en résulte une prise de conscience de la nécessité d'un questionnement et d'un renouvellement des formes narratives.
Sur le Nouveau Roman ou le « néo-baroque »
Le Nouveau Roman est le principal instigateur de ce renouvellement des formes narratives, et de, dès les années 1950 (l'auteur ne justifie pas cette limite historique ni ne se prononce sur la fin de la période couverte par le Nouveau Roman). Dans les premières oeuvres de ces années, on assiste « à une contestation de la vision habituelle de l'homme, proche de sa ruine, où rien ne se ressemble, où rien ne se rassemble, où, étranger à lui-même et à ce qui l'entoure, il ne semble plus obéir à une métaphysique réduite à ses propres apories et à ses défaillances, où il semble comme exclu de toute évidence » (21). L'homme n'est plus la fin du récit, « écrasé par la dispersion du savoir » (21). « Ouvert à l'incessante relativité, le monde est laissé à l'état d'énigme » (21). Une telle négation de l'anthropocentrisme conduit l'auteur à observer la sensibilité baroque des écrivains de la mouvance du Nouveau Roman, comme d'autres l'ont relevée avant lui (c.f. liste plus bas, pour mémoire).
La liste des Nouveaux Romanciers reprise ici est celle établie par Ricardou : Butor, Ollier, Pinget, Robbe-Grillet, Sarraute, Simon (il exclut Duras et Beckett). Leur production trahit une certaine homogénéité, autour d'une esthétique néo-baroque - laquelle est, paradoxalement, fondée sur l'hétérogénéité, la multiplicité, l'ambiguïté, la pluralité, le doute, l'incertitude, la mouvance, le dérapage… « Loin d'être une collection de thèmes et de se réduire à un catalogue de figures, le Baroque peut dans sa capacité à rendre compte du monde et de sa connaissance, être abordé et lu comme un système de pensée articulé qui permet d'envisager et de comprendre […] les questions néo-romanesques conjointes du sujet, de l'espace, de la fiction, et de l'écriture » (25).
Ce sont là, justement, les quatre points de rencontre entre le Baroque (la littérature de l'âge baroque) et le Nouveau Roman, quatre points qui organisent l'ouvrage:
- L'identité, le sujet : effondrement de toute unité et brisure ouvrant sur l'autre comme fondement d'une nouvelle rhétorique, où le soi ne va pas de soi. Dispersion ontologique et métamorphoses du sujet.
- L'espace : il est soumis au même perpétuel mouvement qui agite le sujet.
- La fiction : remise en cause des capacités du langage à dire le cosmos face à un réel qui se dérobe à toute saisie.
- L'écriture : « Le récit néo-romanesque, mettant en avant son corps-texte par son cortex, rejoint enfin la figure baroque même de l'ostentation : le paon » (27).
En conclusion, l'auteur précisera que l'analyse du NR à la lumière de la littérature d'âge baroque oblige à négliger la question du temps, pourtant importante au sein du NR, mais très peu envisagée dans la production baroque. À l'opposé, Dieu est absent des préoccupations néo-romanesques.