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diffraction:longueurs_du_xxe_siecle

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Extrait de l'article

Dans cet article, les auteurs postulent que le roman se définit “par sa taille, et non par ses personnages ni par son intrigue; qu'il se caractérise par une certaine quantité de temps incluse dans une certaine quantité de pages.” (242) Par conséquent, les longs romans ont plus tendance à être considérés comme de “grands romans”.

Suivant Dominique Viart et Bruno Vercier qui différencient “la relance du roman historique” et “les romans “de la virtuosité littéraire”” (256), Samoyault et Gefen s'intéressent plus spécifiquement aux seconds, “dont le gigantisme semble expérimental ou du moins singulier, […] dont l'ambition est la création de leurs propres formes”. Ils jugent obsolète le jugement des adeptes de la nouvelle fiction qui défendent le maximalisme et le baroque contre un minimalisme littéraire qui serait dominant en France. (257) Voici d'ailleurs un échantillon de ces pavés “littéraires” aux dispositifs formels orignaux:

  • Microfictions et Univers, univers de Régis Jauffret
  • Waltenberg de Hédi Kaddour
  • Naissance d'un pont de Maylis de Kerangal
  • Zone de Mathias Énard
  • Cercle de Yannick Haenel
  • L'imitation du bonheur de Jean Rouaud
  • Songes de Mevlido d'Antoine Volodine
  • Les Veilleurs de Vincent Message
  • CosmoZ de Claro
  • L'Univers d'Hubert Haddad
  • L'amant en culottes courtes d'Alain Fleischer
  • Daewoo et Tumulte de François Bon
  • Fragments de Lichtenberg de Pierre Senges

“Le point commun au calibrage de la plupart des gros romans contemporains est de témoigner non d'une expérimentation esthétique autotélique, mais du poids du monde social ou historique, qu'il s'agit de retravailler en profondeur pour mieux le comprendre, comme si la littérature avait le pouvoir de rédimer la réalité en l'expliquant autrement, quelle que soit l'ampleur du dispositif de ressaisie, de l'artefact, qu'il faille déployer à cette fin.” (259)

Les auteurs relèvent plusieurs modèles esthétiques du gigantisme littéraire, dont celui du roman polyphonique. En plus des romans de Bon, Mordillat, Millet et Kaddour, ils insistent sur le projet du groupe Inculte (Pierre Senges, Mathias Énard, Matthieu Larnaudie…) “d'offrir une littérature immodeste productrice d'une pensée du multiple et d'une intensification de la vie. Cette littérature, loin de se présenter comme un corps incorruptible et pur, clos sur lui-même et sûr de sa signification, se veut au contraire résolument perméable à tout ce qui lui est l'occasion de se corrompre, de se mettre à l'épreuve, de déplacer ses lignes, sa syntaxe et son champ, et se donne comme projet d'être désirante, foisonnante et ludique, exigeante et baroque, littérale et exubérante, en un laboratoire des formes de vie permettant au romancier d'être n'importe qui et n'importe quoi.” (260)

Autre modèle du gigantisme, la prose historique telle que pratiquée notamment par Énard, Bertina, Rouaud, Fleischer et Haenel découvre “de manière indirecte les béances et les blessures de l'Histoire”, en empruntant un regard oblique sur l'Histoire (261).

La longueur romanesque peut également servir de moyen d'enquête sur l'histoire personnelle et l'intériorité (Les Veilleurs de Vincent Message, par exemple). La durée du voyage dans les méandres de l'esprit ne témoigne plus du temps nécessaire à se réapproprier une identité perdue en reconfigurant l'expérience, mais elle dit plutôt l'échec et l'épuisement à l'infini de la parole. (262)

“Quel qu'en soit le programme, cette aspiration à produire, par des dispositifs encyclopédiques ou des grands récits, des mondes possibles englobants, qui semblent vouloir déjouer le principe de non-complétude des univers de fiction, est le point commun d'oeuvres dont le titre même propose l'idée d'un monde substitutif (Univers, univers; CosmoZ; Ward (Frédéric Werst); L'Univers, etc.) Ces oeuvres-univers immenses ou visant l'immensité sont sans légitimité ni explication: elles disent l'instabilité du monde qu'elles démarquent, le nôtre, sans jamais chercher à le réorganiser en un sens définitif” (265).

Enfin, Samoyault et Gefen évoquent Le grand incendie de Londres de Jacques Roubaud (2009 pages, héhé), qui “fabrique une sorte d'infini en ne proposant que des fins “provisoires” ou “possibles”.

Leur conclusion est riche en termes liés à la diffraction: “la longueur aujourd'hui vaut comme forme de détours, comme marque des faiblesses et comme malédiction du langage. Elle avoue ensemble le besoin et l'impossibilité de porter un monde senti comme en demande d'expression, mais écrasant d'une complexité contradictoire. Déclinant les mots “vies”, “cosmos” ou “univers” dans des dispositifs holistiques protéiformes et variés, mêlant des périples fantasmatiques, historiques, biographiques ou encore anthropologiques, infiniment ambitieux et renouvelés, le roman contemporain propose ainsi des totalités non totalisées*, des fantômes ou des spectres de mondes, qui sont autant d'ombres gigantesques de formes de complétude et d'intelligibilité perdues portées sur la littérature, comme si la fiction devait en décliner à la fois la prégnance, la richesse et l'inaccessibilité.” (267)

diffraction/longueurs_du_xxe_siecle.1381193935.txt.gz · Dernière modification : 2018/02/15 13:56 (modification externe)

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