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CONTEXTE SOCIO-ÉDITORIAL - FRANCE

VIART, Dominique, et Bruno VERCIER, « Introduction », La littérature française au présent, 2e édition augmentée, Paris, Bordas, 2008 [2005], p. 7-24.

III. LA VIE LITTÉRAIRE

Toute une vie sociale s’organise autour de la littérature : salons du Livre, printemps des Poètes, foires du Livre, villages du Livre, festivals du Premier roman. Les auteurs retracent ainsi le parcours de la plupart des institutions littéraires qui marquent la période contemporaine, lesquelles semblent, pour la plupart, à la fois se fragmenter et se multiplier.

Maisons d’édition :

Si les dernières années assistent à la fragmentation des maisons d’édition et à leurs nouvelles exigences de rentabilité, elles voient aussi se multiplier de nouvelles petites maisons d’édition prometteuses :

À parcourir le tableau des collections et des maisons d'édition qui se trouve sur le wiki-FQ, on remarque par ailleurs, entre autres choses, la multiplication des institutions dédiées au genre policier et ses dérivés (thriller, roman noir, suspense). En fait, non seulement au sein de ces genres les frontières se brouillent - là comme ailleurs -, mais ces frontières semblent également se brouiller à hauteur de littérature, c'est-à-dire que la littérature des marges (paralittérature) est de moins en moins marginalisée (TONNET-LACROIX, Eliane, La littérature française et francophone de 1945 à l'an 2000, p. 302).

Prix littéraires :

Chaque institution, bibliothèque ou municipalité en vient à créer « son » prix avec des associations de librairies et de lecteurs, car ceux-ci montrent un véritable engouement pour ces distinctions :

Médias : journaux, revues, blogues :

L’intérêt pour le livre et la lecture ne diminue pas. En témoigne la présence, pas nouvelle mais de plus en plus nombreuse, de suppléments littéraires des grands journaux et de revues, à l’aide desquels le lecteur se tient informé des livres « qu’il faut avoir lus » :

Quelques revues plus radicales défendent les points de vue d’un groupe d’écrivains : Théodore Balmoral (1985), Java (1989), L’Atelier du roman (1993).

D’autres tentent d’informer sérieusement : Le Matricule des Anges (1992), Prétexte (1994-1999) – devenue maison d’édition.

Bien des revues de création qui ont marqué ces dernières années n’ont pas survécu : Quai Voltaire (1991-1994), Perpendiculaire (1995-1999).

Les sites Internet se multiplient, animés par des écrivains ou des éditeurs, certains destinés au contact direct entre le lecteur et l’auteur, d’autres à la littérature en général : Remue.net (1997), Inventaire-invention (1999).

La nouvelle

(info ponctuelle complémentaire tirée de BORGOMANO, Madeleine, et Élisabeth RAVOUX RALLO, La littérature française du XXe siècle. 1. Le roman et la nouvelle, Paris, Armand Colin (Cursus, série Littérature), 1995, p. 178-181)

Le renouveau de l'intérêt critique pour la nouvelle à partir des années 1980 se signale, entre autres, par la création de nombreuses revues spécialisées - quoique leur existence soit brève pour la plupart :

Aussi, quoique la diffusion et le retentissement en soient limités, d'autres initiatives soulignent l'intérêt pour la nouvelle : des prix lttéraires, dont la Bourse Goncourt de la nouvelle (1974), et le Festival de la nouvelle (1985).

Par ailleurs, la nouvelle serait devenue l'un des lieux privilégiés de l'écriture des femmes. Peut-être parce qu'elles préfèrent la vision que propose la nouvelle, plus éclatée et plus intense.

TONNET-LACROIX, Éliane, La littérature française et francophone de 1945 à l'an 2000, Paris, L'Harmattan (Espaces littéraires), 2003.

« Procès ou “tombeau” de l'intellectuel? » (259)

« Comme on prend acte de la faillite des dogmatismes idéologiques et de leurs conséquences néfastes, on met en accusation les intellectuels eux-mêmes, responsables ou complices des méfaits de l'idéologie » (259). On voit se multiplier les écrits qui dénoncent et remettent en cause les intellectuels qui prétendaient détenir la vérité ; parmi ces écrits, L'idéologie française, B-H. Lévy (1981). Ainsi désacralisée, la figure de l'intellectuel tend de plus en plus à apparaître comme une « vedette médiatisée » dont la capacité à communiquer est plus importante que sa faculté à penser. Du reste, plusieurs intellectuels phares disparaissent à l'aube des années 1980: Sartre et Barthes (1980), Lacan (1981), Foucault (1984)…

Mitterand considère également que le tournant des années 1980 est marqué par la disparition de beaucoup de maîtres à penser de la génération précédente : Barthes, Sartre, Lacan, Althusser, Goldmann, Foucault) et, avec eux, de toute une dynamique intellectuelle (La littérature française du XXe siècle, p. 100). Avec comme résultat, on peut le penser, une dispersion des modes ou des mouvements de pensée.

« Reflux du structuralisme : le complexe et l'incertain » (260)

Le structuralisme et les sciences humaines connaissent un déclin en raison d'une méfiance nouvelle dans les grands systèmes totalisants. « [E]n se déprenant du scientisme positiviste et du déterminisme, on est devenu plus sensible au complexe, à l'aléatoire, à l'indéterminé » (261). L'évolution de Todorov est à cet égard significative : « Avec Critique de la critique (1984), il sort du cadre du strict structuralisme. Revenant sur l'idée de l'autotélisme de la littérature, il reconnaît l'importance des contenus et la portée morale de l'oeuvre littéraire » (261).

Mitterand, de nouveau, abonde dans le même sens. En 2000, « les théoriciens de la déconstruction daubent sur les structuralistes au nom de l'“indécidabilité” du sens […]. La conscience de l'ambiguïté a remplacé le rêve de la “structure”, une et déchiffrable. Les discours et les codes analytiques se refusent de plus en plus à distinguer entre les oeuvres, objets esthétiques, et les textes, objets de communication : les notions de “canon”, de valeur, d'unité de genre, de culture, voire de “plaisir du texte” sont en crise, politiquement “incorrectes”, et cèdent du terrain devant les “pratiques textuelles” et le multiculturalisme » (La littérature française du XXe siècle, p. 100).

Il n'en demeure pas moins - je me permets de citer Viart pour la nuance - que la génération qui s'exprime dans les années 1980 est celle qui a été marquée par le structuralisme et par l'« ère du soupçon », d'où qu'elle « ne saurait faire l'économie complète des avancées critiques et de ce “sens du soupçon” qui, désormais prive la littérature de toute immédiateté confiance et l'installe dans “quelque chose d'encore fragile et mal assuré” » (p. 327-328) (Viart, « Écrire au présent : l'esthétique contemporaine », dans Michèle TOURET et Francine DUGAST-PORTES [dir.], Le temps des Lettres. Quelles périodisations pour l'histoire de la littérature française du 20e siècle?, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Interférences), 2001, p. 317-336).

« Le marché du livre et la vie littéraire » (263)

Il y a inflation du nombre de titres publiés, mais diminution des tirages moyens car les ventes stagnent. Cela dit, « [s]i l'édition traditionnelle semble menacée, on voit cependant apparaître de très nombreuse [sic] petites maisons, plus ou moins marginales et fragiles, mais soucieuses de qualité ou d'anticonformisme et donc plus ouvertes à la création » (264-265) : Olivier Orban (1974), Ramsay (1976), Actes Sud (1978), Lettres Nouvelles - Maurice Nadeau (1979), La découverte (1983), Arléa (1986), Quai Voltaire (1987), L'Olivier (1991), Verdier, Le Dilettante, Le serpent à plumes…

« Les prix sont […] de plus en plus nombreux (on crée par exemple en 1980 le prix Paul-Morand, décerné par l'Académie française, ainsi que le Goncourt du premier roman en 1990, la Bourse Goncourt de la nouvelle, etc.) » (266).

Les vieilles institutions cherchent à se moderniser, notamment par une volonté de décentrement ou d'ouverture. Ainsi l'Académie Goncourt veut-elle se « déparisianiser » ; elle « se rend au Canada en 1974, accueille des étrangers (Semprun en 1996), couronne de plus en plus souvent des auteurs francophones » (268). « C'est d'ailleurs un autre trait caractéristique de la vie littéraire de la période que l'importance accrue prise par les littératures de la francophonie, comme le montre également l'élection de Senghor à l'Académie française en 1983. Cette dernière cherche aussi à rattraper son retard sur l'évolution de la société en accueillant plusieurs femmes, à commencer, en 1980, par Marguerite Yourcenar, écrivain parfaitement classique » (268).

« L'éclatement de l'avant-garde »(268)

La remise en cause de l'avant-garde s'opère à l'intérieur du « mouvement » lui-même. La revue Digraphe (1974) renoue ainsi avec la fiction, « mais pour pervertir le récit par exemple au lieu de l'annuler. Empruntant son titre à Derrida, la revue se voue à la déconstruction des genres et souhaite des “textes indécidables”, tenant à la fois de la théorie et de la fiction » (269). La collection Fiction & Cie (Seuil, 1974) vise aussi à jouer avec les formes et à les réinventer. La revue L'Infini (Denoël / Gallimard, 1983) propose quant à elle « un rejet de la théorie totalisante […], dont une exigence de liberté et une “redécouverte des droits du sujet”. Sollers y définit une attitude sans exclusive, éclectique, laissant les individualités librement s'exprimer » (269).

« Situation de la littérature et de l'écrivain à la fin du XXe siècle » (271)

« Cette fin de siècle est marquée par la dévalorisation de la littérature, au point que certains redoutent sa disparition » (271). On le voit au déclin des revues littéraires, à la marginalisation de la littérature dans la société, au déclin de la langue française, à la dépréciation de l'enseignement des lettres, à la désacralisation de l'image de l'écrivain.

En contreparie, on assiste dans les années 1990 « à une sorte de réveil des petites revues littéraires » (273): Quai Voltaire, revue littéraire (1991-1994), Revue perpendiculaire (1995), NRV (1996), Ligne de risque (1997). « Animées souvent d'esprit polémique, elles sont soucieuses de définir le territoire et les contours de la littérature véritable, contre l'invasion du livre-marchandise tout autant que contre les jeux formalistes » (273).

BLANCKEMAN, Bruno « La littérature française au début du XXIe siècle : profils culturels », dans Michèle TOURET, [dir.], Histoire de la littérature française du XXe siècle, tome II - après 1940, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Histoire de la littérature française), 2008, p. 429-442.

Crise esthétique

Blanckeman pose que les années 1980 sont confrontées à une multitude de crises (voir Spécificités historiques culturelles — France), dont esthétique. La création littéraire se trouve ainsi bloquée par « les impasses des principaux genres littéraires : roman, poésie, théâtre sont comme éprouvés de modernité après avoir expérimenté en un minimum de temps, un siècle, un maximum de manipulations » (429).

Postmodernité

Si Blanckeman a recours à la notion de postmodernité, c'est strictement pour décrire la pratique littéraire contemporaine (sans l'étendre à un certain air du temps qui caractériserait toutes les sphères de la période, comme d'autres - voir Spécificités historiques culturelles — France). Ainsi, il explique le succès du terme « postmodernité » par le fait qu'il désigne « un “après” de la modernité qui se pense moins comme une rupture avec elle - ce qui serait une façon d'en reconduire le principe élémentaire - que comme son assimilation dans le cadre d'un rapport syncrétique, et non plus dialectique, à l'histoire des formes et des valeurs littéraires » (432).

Dilution des cadres externes de légitimation

À partir des années 1980, la littérature accuse progressivement l'effacement de ses anciens systèmes de légitimation (433-438) :

« À cette dilution des cadres externes qui assuraient les positions culturelles de la littérature correspond celle de cadres internes qui en garantissaient les agencements esthétiques » (438) (voir fiche Histoire de la littérature française du XXe siècle, tome II - après 1940).