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Table des matières
Feuilletés narratifs et fictionnels; architecture complexe
Récits concurrents d'un même monde, versioning de la réalité
Paterson établit une typologie du roman PM, qui expose différentes formes d'hétérogénéité :
Énoncé : diégèse Le roman PM multiplie les procédés autoreprésentatifs. « En juxtaposant des genres différents […], en multipliant des histoires au sein d'autres histoires (Poulin, Volkswagen blues), en examinant le rapport entre l'écriture et la réalité […], le roman PM révèle une préoccupation marquée pour la question de la signifiance » (20).
Le roman PM se caractérise également par la rupture. « Tout se passe comme si cette écriture était secrètement motivée par une pulsion de déchirement […]. Sous la pulsion d'une forte surdétermination, la rupture emprunte des formes diverses (désordre spatio-temporel, achronologie, représentation fragmentée des personnages, scission du “je” narratif) pour exprimer des sens multiples et variés de la rupture » (20). De façon générale, elle subvertit les notions de clôture, de totalisation, d'ordre et d'harmonie. « De cette manière, la rupture instaure un nouvel ordre du discours ; elle instaure l'ordre de la pluralité, de la fragmentation, de l'ouverture ; elle instaure, bref, l'ordre de l'hétérogène » (20).
→ PATERSON, Janet M., Moments postmodernes dans le roman québécois, édition augmentée, Ottawa, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 1993 [1990].
Effritement du sujet narrant, de l'événement narré, du monde représenté
Romans de la modernité : le roman, genre majeur des années 1970, se caractérise par une déconstruction de l’intrigue linéaire, l’hétérogénéité des styles et des tons, la fusion des genres, la superposition des époques et une profonde mutation des personnages. La forme et le travail sur le langage (l’aventure de l’écriture) prennent le dessus sur le récit : « On trouve généralement dans ces récits multiformes une pluralité de voix narratrices, symboles de l'éclatement de l'autorité du narrateur, une narration fragmentée, un humour propre à désamorcer le sérieux du récit - et du réel -, la suppression de la syntaxe traditionnelle et une ponctuation libéralisée, sans oublier un ton pouvant allier le lyrisme et la bouffonnerie. » (p. 210)L’autoreprésentation et la narration à la première personne fait du roman la voix de l’inconscient. On assiste en plus à une mutation du genre : l’œuvre amalgame poésie, contes, journaux intimes et roman, en plus d’être marquée par l’intertextualité. La langue romanesque, quant à elle, emprunte beaucoup à l’oralité, proche de la réalité quotidienne. (210)
→ LAURIN, Michel, Anthologie de la littérature québécoise, Anjou, CEC, 1996.
Narration : la narration dans le roman postmoderne est caractérisée par l’infraction du code narratif établi par le premier narrateur. Les interventions multiples d’autres voix narratives forcent le lecteur à d’incessants efforts pour décoder la narration et rendent difficile le fonctionnement de l’illusion référentielle.
Les narrateurs les plus fréquents dans ce type de textes sont les narrateurs intradiégétique ( « je ») et extradiégétique ( « il »). Le premier cas témoigne d’un endossement de l’acte d’écriture, le second d’une distanciation entre le personnage principal et la prise de parole.
p. 47 : « La pluralité des voix narratives « installe plusieurs visions de l'histoire ou des valeurs en cause […] rend[ant] difficile toute interprétation totalisante du récit »
→ MAGNAN, Lucie-Marie, et Christian MORIN, Lectures du postmodernisme dans le roman québécois, Montréal, Nuit blanche éditeur, 1997.
Paterson établit une typologie du roman PM, qui expose différentes formes d'hétérogénéité :
Énonciation : narrateur L'acte d'énonciation dans le roman PM se caractérise par « une pluralité de voix narratives. Ces voix sont soit scindées, dédoublées, fragmentées […], soit carrément multiples […]. [C]es voix produisent rarement un discours unifié. Elles refusent, au contraire, d'admettre une seule vision et une seule autorité et elles subvertissent toute notion de contrôle, de domination et de vérité » (18). Cela permet « de remettre en question au niveau de l'énonciation - et donc au niveau du dire - les notions d'autorité et de vision totalisante » (19).
→ PATERSON, Janet M., Moments postmodernes dans le roman québécois, édition augmentée, Ottawa, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 1993 [1990].
Complexification de la mise en récit de l'événement
« Le récit totalisant demande un point final d’où tout le récit peut être englobé, point d’où tout se comprend. Or, ce point final panoramique est remis en cause par les romans de la discontinuité. Le choix de raconter des épisodes suffisamment autonomes privilégie une logique de la succession plutôt que de la configuration. Alors que la configuration propose une synthèse où importe la clôture de l’histoire, la simple succession peut occulter ce type d’injonction, oublier quelque peu les notions de complétude et de totalité d’un récit plus conventionnel pour retenir d’autres options : le décousu d’une histoire faite d’une succession d’évènements ou de moments, le désordre d’une histoire défaillante sur le plan de l’organisation logique ou chronologique, voire l’éclatement de l’histoire remplacée par un collage de plusieurs histoires ou de fragments d’histoires. Ce sont là les quelques modulations d’une narrativité « entravée et renouvelée » par la discontinuité » (p. 109).
→ CLÉMENT, Anne-Marie, « La narrativité à l'épreuve de la discontinuité », dans René AUDET et Andrée MERCIER [dir.], La narrativité contemporaine au Québec, tome 1 - La littérature et ses enjeux narratifs, Québec, Les presses de l'Université Laval, 2004.
Dans son texte « Découpage romanesque » (p. 141-171), Jacqueline Viswanathan considère que plusieurs romans contemporain, québécois et français, présente une segmentation qui les rapproche du découpage filmique.
p.142-146 « Segmentation et discontinuité » Dans la première partie de son texte, Viswanathan affirme que « La discontinuité est un effet délibéré, non une négligence de l'écrivain. Elle n'appelle pas une lecture désorganisée et distraite. Au contraire, elle demande une participation active du lecteur qui recherche le design de l'oeuvre plutôt que la jouissance paresseuse de l'histoire. […] Il existe également toute une dynamique entre la continuité du texte, d'une part, et la discontinuité au niveau de l'organisation temporelle et spatiale, de l'autre. En général, le roman du XXe siècle ne se caractérise pas par une extrême fragmentation du texte. Il semble plutôt que les romanciers inventent un découpage original, propre à chaque roman. » (p. 145-146)
p. 146-147 « Segmentation et mode scénique » Dans la seconde partie du texte, l'auteur écrit que, depuis longtemps, on conçoit le roman comme la construction d'un ensemble de parties autres que les divisions apparentes du texte . Elle s'intéresse au mode scénique qui serait l'intégration de scènes à l'intérieur du roman, arrêtant momentanément le récit sommaire. Selon elle, « Le mode scénique permettrait au romanciers de créer une illusion de présence et d'immédiateté grâce à divers procédés : usage du discours direct, rapprochement entre le temps de la narration et le temps de la fiction, concentration sur des aspects précis et concrets, en particulier visuels, de la diégèse. » (p. 147)
Cette observation lui permet un rapprochement entre l'esthétique fragmentaire du roman et le découpage du scénario de cinéma. Elle donne les exemples de Marguerite Duras, de Patrick Modiano, d'Hubert Aquin, d'Esther Rochon et d'Anne Hébert, dont certains textes sont organisés à la manière de scénarios.
→ POIRIER, Guy, et Pierre-Louis VAILLANCOURT (dir.), Le bref et l’instantané. À la rencontre de la littérature québécoise du XXIe siècle, Orléans, David, 2000.
Il existe plusieurs combinaisons de séquences narratives:
A) L'alternance-entrelacement (p. 73): « Dans ce type compositionnel, deux intrigues au moins se développent parallèlement pour se rejoindre ou non en un point donné. Le cinéma narratif contemporain utilise souvent ce type complexe de narration »
B) L'enchâssement-emboîtement (p. 73) : « Ce cas est envisagé par Vladimir Propp : « Une nouvelle séquence commence avant que la précédente ne soit terminée. L'action est interrompue par une séquence épisodique. Après la fin de cet épisode, la première séquence reprend et s'achève. »
C) L'enchaînement-addition (p. 74) : Schéma élémentaire dans lequel la fin d'une séquence devient le début d'une autre.
→ ADAM, Jean-Michel et Françoise REVAZ, L'analyse des récits, Paris, Seuil, 1996.
Ça semble être un contre-exemple… : p. 16 : « La formalisation romanesque, subordonnée à la narration plutôt qu'autonome, appelle par ailleurs une composition en suite d'événements, en cycles d'épisodes, en phases d'aventures. Activée par ses paramètres traditionnels (action, diversion, hasard romanesque, suspens), l'intrigue redevient le pivot moteur de la structure narrative. Fréquemment régie par le principe de la moindre contrainte, elle s'ouvre toutefois à l'inventivité immédiate, au libre jeu d'un imaginaire qui dicte, en incises, des échappées, des embardées, des digressions, un romanesque de l'occasionnel. »
Mais pas tout à fait…: p. 16 : « L’intrigue se décale, se dédouble, se défait. Un jeu sur les proportions romanesques en redouble l’effet : les situations prolifèrent, les circonstances rebondissent, les aventures s’amalgament. Le regard spéculaire veille : tendant vers une histoire, le texte qui s’écrit entretient aussi sa propre conscience. Sans se décomposer, le roman s’autodétourne sporadiquement, à des degrés variables. »
→ BLANCKEMAN, Bruno, Les récits indécidables. Jean Echenoz, Hervé Guibert, Pascal Quignard, Villeneuve, Septentrion, 2000. (MS - H13)
Le concept de bricolage
- Brunel a recours à l'art du bricolage pour décrire la poétique à l'oeuvre dans Je m'en vais d'Echenoz. Il décrit ainsi la composition du roman qui, contre la continuité, oppose un principe d'alternance entre chapitres pairs et impairs, à la manière de W ou le souvenir d'enfance. L'alternance repose d'abord sur la temporalité de l'histoire (vie antérieure de Ferrer pour les chapitres impairs, vie nouvelle pour les pairs) ; plus loin, elle s'effectue plutôt sur le changement de personnages (Ferrer, impairs, Baumgartner, pairs).
- Cet art du bricolage repose également sur un savant mélange entre fiction et réalité : « [L]a fiction qui s'entrelace à ce qui fait ou a fait la une des journaux ; la chronique se fraie un chemin à travers ce qui a défrayé la chronique » (289).
- Le bricolage concerne enfin l'intertextualité à l'oeuvre dans le roman d'Echenoz : « [I]l y a toujours derrière le roman d'Échenoz, et dans son système de bricolage romanesque, le Moby Dick de Melville » (288), sans compter les références aux autres romans de l'écrivain.
Le concept de récupération (porosité?)
- Par « récupération », Brunel entend la diversité des matériaux, des médias, des intertextes convoqués dans Ingrid Craven de Jean-Jacques Schuhl. Le livre est ainsi composé d'«[a]utant de chansons, de rengaines même, que d'éléments narratifs susceptibles de constituer un récit. Tous les cas de figure sont représentés dans le texte de ce “roman”, de l'énumération pure (p.20) à la citation intégrale (p.142-143) en passant par la pluralité des citations partielles (p.149). L'apparente marqueterie correspond en réalité au répertoire d'une chanteuse, Ingrid Craven » (296).
- On sent que la linéarité de l'ensemble souffre un peu de cette technique de la récupération, qui peut aller « jusqu'au collage » (306) et qui « s'accompagne de multiplication, d'enchaînements : on passe d'Ulysse au capitaine Haddock dans Tintin, des Sirènes à la Castafiore » (306). D'où que « la technique romanesque de Schuhl [apparaît] perpétuellement ambulatoire d'un temps à un autre, d'un point de l'espace à un autre » (301). Au risque d'égarer le lecteur : « Mais peut-être y a-t-il trop […] d'éléments pour le lecteur perdu ici dans une autre manière de “bric-à-brac esthétique” » (302).
→ BRUNEL, Pierre, Glissements du roman français au XXe siècle, Paris, Klincksieck, 2001. [VA - automne 2010].
Diffraction du discours à tenir sur la réalité (fragilisation à ne proposer qu'une vision du réel)
La diffraction évoque la brisure fondamentale entre l'être et le monde: «Évoquer l'exigence fragmentaire, c'est concevoir l'écriture comme espace de questionnement, postuler non pas l'inachèvement d'une forme et d'une pensée, mais avouer la brisure fondamentale entre l'être et le monde.» (Leduc-Leblanc: 59/«l'indicible» de Blanchot)
→ GALLANT, Janine, Hélène DESTREMPES et Jean MORENCY (dir.), L'œuvre littéraire et ses inachèvements, Québec, Groupéditions, 2007.
p. 11 : « [L'impossibilité pour la littérature de se penser universelle]régit enfin la pratique du texte, moins épris que jamais d'appartenances génériques, en recherche de formes mutantes et hybrides, accordées à un univers dont le sens se recompose. À époque incertaine, récits indécidables : la notion d'indécidabilité narrative se veut la théorisation souple de ce postulat ».
P. 13 : « La notion du récit indécidable désigne alors un texte aux degrés de fictionnalité différenciés, qui subvertit les catégories littéraires établies en surimprimant leur protocole. A toute tension unilatérale, à toute concentration polarisatrice il préfère la mise au clair de ses possibles, la mise en doute du parti-pris, du pari-tenu - récit dévoyé, qui se complaît hors des lignes droites, en traverse des marges. Pluralité, différences, simultanéité, paradoxes : tels en seraient les paradigmes structurels. »
→ BLANCKEMAN, Bruno, Les récits indécidables. Jean Echenoz, Hervé Guibert, Pascal Quignard, Villeneuve, Septentrion, 2000.