Impressions de lecture sur Univers, univers de Régis Jauffret

Ce roman raconte l'histoire d'une femme qui regarde un gigot cuire dans la cuisine de son appartement. Toutefois, cette femme ne sait plus du tout qui elle est et pour qui elle fait cuire ce repas. Elle se met donc à s'imaginer des identités et des histoires : « Elle s'appelle Marie Bernardon, mais elle pourrait porter plusieurs autres noms tout aussi banals (p.24) ». Elle possède des milliers de noms, plusieurs types de maris et d'ami. Elle s'invente des répliques à dire au cas où des invités arriveraient.

Le personnage est très fragmenté et insaisissable, comme le démontre cet extrait : « Elle aime prendre des bains de foule sur les trottoirs ensoleillés, elle a l'impression d'être tout le monde à la fois, une seule vague qui déferle sur les places, les avenues, qui tourne à tous les coins de rue. Elle oublie qu'elle n'est que cinq dizaines et demie de kilos de personnes humaines, quelques centimètres cubes de pensée emprisonnée dans la boîte crânienne (p. 13) ». Elle peut être tout le monde et personne. Son entité se métamorphose à une vitesse effarante. Le narrateur se met d'ailleurs de la partie et se met à lui suggérer des personnages à incarner.

Jauffret joue encore avec les temps de verbe entre le présent, le futur, le passé et le conditionnel. Ceci crée la confusion entre ce qui va réellement se produire, ce que le personnage sait qu'elle fera et ce qu'elle s'imagine, ce qu'elle aimerait ou ce qu'elle prévoit.

Entre les pages 31 et 34, un passage au « vous » raconte l'histoire familiale de ce « vous » et le décrit physiquement. Il s'agit en fait d'un commentaire très intéressant sur la littérature et l'inexistence concrète des personnages et de leur univers, de leur dépendance, ainsi que celle du lecteur, envers l'auteur du roman.

Aux pages 117 à 245, le narrateur s'adresse au personnage à la deuxième personne du singulier. Il lui offre des choix de prénom, de nom et de vie, donne ses commentaires et suggestions. Exemple, p. 264 : « Tu ne vas pas endosser pareil destin, sois une petite femme sans envergure, une Laure Bounet, une Dominique Turi, ou sois Jeanne Derrat au grand-père instituteur, au père attaché commercial dans une entreprise de produits chimiques. Elle a des yeux… »

Quelques histoires sont positives, le personnage mène une vie agréable qu'il aimerait garder : « Tu aurais volontiers mené cette existence jusqu'à la vieillesse, mais le jour de l'anniversaire de tes trente-deux ans tu seras tout à coup Jean-Michel Werter, un menuisier de vingt-sept ans habitant une ville de montagne (p. 311-312) ».

Le personnage est parfois actif et parfois passif. Lorsqu'il est actif, il choisit qui il veut devenir, il se faufile d'une identité potentielle à une autre. Il vole le corps d'un autre personnage. Lorsqu'il devient passif, il subit ses changements d'identité, il recommence toujours à zéro, il est victime.

Extrait pertinent : « Ses parents s'appelaient différemment à chaque fois qu'ils déménageaient, ou selon qu'ils étaient dans le jardin, la serre, la salle à manger ou le salon. Leur identité variait aussi quand ils s'asseyaient, quand ils restaient debout plus d'une minute ou deux, et lorsqu'ils étaient en vacances le soleil faisait tourner la roue si vite que personne n'avait le temps de les nommer. Elle aussi subissait ce handicap patronymique […] Adulte, elle en était réduite à sourire quand on lui demandait comment elle s'appelait […] Alors ce test de grossesse l'avait peut-être concernée à l'époque où elle était allée en chercher le résultat, mais depuis une multitude de noms s'étaient servis d'elle pour exister et elle n'était pas plus Sophie Serres que Lucienne Volinot ou Marine Torre. (p. 534-535) »