Table des matières

FICHE DE LECTURE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Frédérique Clémençon

Titre : Traques

Éditeur : Éditions de l'Olivier

Collection :

Année : 2009

Éditions ultérieures :

Désignation générique : Aucune

Quatrième de couverture :

« Quatre personnages sortent du silence pour raconter leur histoire. Anatole, chassé de son pays natal, survit en errant d’usines désaffectées en marais orageux. Jeanne, qui étouffait dans une famille mortifère, a pris la fuite. Elisabeth s’étiole dans une maison de retraite indifférente au sort des pensionnaires et Vincent, cadre sans cesse évalué, se retire peu à peu du monde de l’entreprise.

Tous sont exclus, tourmentés, pressés de rendre des comptes ou de s’effacer sans bruit. Mais tous, aussi, ont le désir de résister, de ne pas se soumettre à ces sociétés qui tuent à petit feu, classent et traquent sans merci.

La prose éblouissante de Frédérique Clémençon donne toute sa force à ces paroles de faibles. Mélange de « rugueuse réalité » et de pur romanesque, Traques fait résonner longtemps la portée politique de leur destin.»

II- CONTENU GÉNÉRAL

Résumé de l’œuvre :

L’œuvre combine les récits de quatre personnages. Chassé avec les siens de son pays natal, Anatole a perdu son meilleur ami,sa femme et son fils. Il est un homme défait, incomplet. Il vivote,travaille quand il le peut et passe ses nuits dans une cachette en périphérie de la ville. C'est là qu'il rencontre Jeanne, qui a fuit sa famille rongée par le deuil : après la noyade de ses deux jumelles, la grand-mère de Jeanne s'est réfugiée dans un hommage perpétuel à la mémoire des disparues.

Élisabeth, quant à elle, perd peu à peu ses moyens dans la résidence pour aînés où elle a été envoyée. Son fils préféré, à qui elle a refusé de donner de l'argent, ne vient plus la voir. Il n'y a que Vincent, son cadet, dont l'odeur répugne sa mère, qui lui rend visite. Cadre dans une société, Vincent est déprimé et son attitude de plus en plus négative lui fait perdre son poste.

Alors que le roman (?) se clôt sur une note d'espoir pour Anatole, Jeanne et, dans une moindre mesure, pour Élisabeth (qui se jette en bas d'une passerelle), le récit de Vincent se termine dans l’ambiguïté alors qu'il arpente les quais la nuit.

Thème(s) : Rejet, solitude, vieillesse, fuite et errance, deuil, mémoire et souvenirs.

III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION

Explication (intuitive mais argumentée) du choix : À part Jeanne qui choisi de s'enfuir et qui passe de la captivité à la liberté, les personnages du livre sont contraints à évoluer dans des situations oppressantes; ils ne semblent pas avoir la motivation ni l'intention de s'en sortir. De plus, la présence de fiche d'évaluation des personnages dans le roman met de l'avant l'idée de capacité et de motivation qui devrait les animer (voir IV-a); c'est la première fois que je vois une telle représentation des comportements et des habiletés d'un personnage dans un roman.

Appréciation globale : La lecture est un peu ardue à cause des changements fréquents et non signalés de narrateurs; c'est parfois long de comprendre à quel personnage on renvoie. De plus, leurs récits se succèdent sans ordre apparent. Les liens qui se révèlent peu à peu entre les personnages sont agréables à découvrir, quoique l'absence de lien entre les deux couples (Anatole-Jeanne; Élisabeth-Vincent) est un peu frustrante. Bien qu'un peu tristounet (dans les thèmes, pas dans le style, qui est précis et fluide) ce roman est une lecture fort intéressante.

IV – TYPE DE RUPTURE

Validation du cas au point de vue de la rupture

a) actionnelle :

Les quatre personnages sont en fuite car ils subissent des situations qu'ils ne peuvent pas changer. Toutefois, ce sont les personnages d'Élisabeth et (encore plus) de Vincent qui sont les plus intéressants car la parte des capacités d'Élisabeth et le manque de motivation de Vincent sont mesurés et théorisés dans le roman. Ce qui est intéressant, c'est que ces évaluations couvrent deux pôles distincts des personnages, c'est-à-dire leur corps et leur état psychique.

En effet, mère et fils obtiennent tous deux des scores désolants aux évaluations qu'ils subissent. Quatre bilans (p.11, 48, 80, 126.)font état de la dégradation physique et psychologique d'Élisabeth; ces bilans évaluent sa cohérence, sa capacité à s'orienter, à communiquer, s'alimenter et, surtout, à veiller à son hygiène personnelle. Affichée à la vue du personnage, cette feuille de route témoigne à la fois au lecteur et à Élisabeth de sa déchéance. Des extraits du descriptif des critères de ce bilan est aussi « inséré » (la typo est différente) dans le roman (p.32, 93.)

Des évaluations de la motivation et de la psychologie de Vincent sont rendues sur le même modèle, sauf que la théorie précède la pratique; on retrouve à la page 64 une théorie de la motivation :

« Un individu est motivé quand :

- il se croit capable d'atteindre une performance;

- il croit que cette performance lui octroiera un avantage;

- il croit que cet avantage est valorisé. »

Il y a même, à la même page, une formule qui synthétise cette théorie. On retrouve ensuite à la page 76 le bilan de Vincent effectué par son employeur qui montre son inertie, sa difficulté à communiquer, à prendre des décisions, et son manque d'équilibre psychologique. À ce bilan général s'ajoute celui plus précis de sa motivation (p. 106) et les mesures à prendre par l'employeur dans le cas où un employé fait preuve d'un manque de motivation nuisant à l'entreprise (p. 129).

Cette façon de chiffrer les capacités des personnages me semble intéressante parce qu'elle solidifie l'image de désolation que le personnage donne de lui-même au lecteur. Cette forme d'évaluation introduit aussi un regard extérieur sur le personnage, regard autrement absent puisque la narration est autodiégétique.

V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES

Tous les récits, divisés en segments assez courts (de 2 à 4 pages en moyenne) sont racontés à la première personne. Ceux de Jeanne et d'Anatole sont des récits en tant que tel (ils échangent leurs histoires) tandis que ceux de Vincent et Élisabeth (entre qui la communication visiblement difficile) s'apparentent plutôt à des monologues parallèles.

Le récit d'Anatole, contrairement aux autres, est entrecoupé de retours en arrière relativement peu dérangeants mais nombreux. Les récits de Jeanne et de Vincent sont chronologiques et assez peu troublés dans leur progression; le récit d'Élisabeth, quant à lui, se dissout peu à peu à mesure que la vieille femme se réfugie dans ses souvenirs, sans toutefois devenir incohérent; elle quitte la narration de son quotidien pour se concentrer plutôt sur des bribes de souvenirs.